L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre deuxième/05

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 100-101).


CHAPITRE V.

DE LA CONSIDÉRATION DE SOI-MÊME.

1. Nous ne devons pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la grâce et le jugement nous manquent.

Nous n’avons en nous que peu de lumière, et ce peu il est aisé de le perdre par négligence.

Souvent, nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au dedans de nous.

A de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.

Quelquefois nous sommes mus par la passion, et nous croyons que c’est par le zèle.

Nous relevons de petites fautes dans les autres, et nous nous en permettons de plus grandes.

Nous sentons bien vite, et nous pesons ce que nous souffrons des autres ; mais tout ce qu’ils ont à souffrir de nous, nous n’y songeons point.

Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu’il n’a droit de juger personne sévèrement.

L’homme intérieur préfère le soin de soi-même à tout autre soin ; et lorsqu’on est attentif à soi, on se tait aisément sur les autres.

Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne gardez le silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous occupez principalement de vous-même.

Si vous n’avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez pou touché de ce que vous apercevrez au dehors.

Où êtes-vous quand vous n’êtes pas présent à vous même ? Et que vous revient-il d’avoir tout parcouru, et de vous être oublié ?

Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il faut laisser là tout le reste, et ne penser qu’à vous seul.

3. Vous ferez de grands progrès, si vous vous dégagez de tous les soins du temps.

Vous serez au contraire fatigué bien vite, si vous comptez pour quelque chose ce qui n’est que de ce monde.

Qu’il n’y ait rien de grand à vos yeux, d’élevé, de doux, d’aimable, que Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu.

Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la créature.

L’âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au-dessous de Dieu.

Dieu seul, éternel, immense, et remplissant tout, est la consolation de l’âme et la vraie joie du cœur.

RÉFLEXION.

Quand vous sauriez ce qu’il y a de bon et de mauvais dans chaque homme, sans en excepter un seul, à quoi cela vous servirait-il, si vous vous ignorez vous-même ? On ne vous interrogera point, au dernier jour, sur la conscience d’autrui. Laissez donc là une sollicitude dont presque toujours l’orgueil et la malignité sont le principe, et occupez-vous d’un soin plus agréable à Dieu et plus de pour vous. La grande, la vraie science est de se connaître soi-même : ce doit être notre étude de tous les instants. Alors on apprend à se mépriser, à gémir sur la plaie de son cœur, sur l’amour-propre effréné qui nous domine, sur les secrètes convoitises qui nous tourmentent, et l’on s’écrie comme l’Apôtre : Qui me délivrera de ce corps de mort ? [1] Heureuse, heureuse délivrance ! mais que trouverons nous après, si nous avons été fidèles ? Dieu, uniquement Dieu, et en lui toutes choses, toute consolation, tout bien. O mon âme ! puisqu’il est ainsi, commence dès ce moment même à te dégager du poids qui t’affaisse, de la terre et des créatures, pour ne t’attacher qu’à Dieu seul.

  1. Rom. vii, 24.