L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre deuxième/03

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 96-98).


CHAPITRE III.

DE L’HOMME PACIFIQUE.

1. Conservez-vous premièrement dans la paix ; et alors vous pourrez la donner aux autres.

Le pacifique est plus utile que le savant.

Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. L’homme paisible et bon ramène tout au bien.

Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne ; mais l’homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons : il n’a jamais de repos, et n’en laisse point aux autres.

Il dit souvent ce qu’il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu’il faudrait faire.

Attentif au devoir des autres, il néglige ses propres devoirs.

Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite avec justice l’étendre sur le prochain.

2. Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas recevoir les excuses des autres.

Il serait plus juste de vous accuser vous-même, et d’excuser votre frère.

Si vous voulez qu’on vous supporte, supportez aussi les autres.

Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de l’humilité, qui jamais ne s’irrite et ne s’indigne que contre elle-même !

Ce n’est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et bons, car cela plaît naturellement à tous ; chacun aime son repos, et s’affectionne à ceux qui partagent ses sentiments.

Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui nous contrarient, c’est une grande grâce, une vertu courageuse et digne d’être louée.

3. Il y en a qui sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres.

Et il y en a qui n’ont point la paix, et qui troublent celle d’autrui : ils sont à charge aux autres et plus à charge à eux-mêmes.

Il y en a enfin qui se maintiennent dans la paix, et qui s’efforcent de la rendre aux autres.

Au reste, toute notre paix, dans cette misérable vie, consiste plus dans une souffrance humble que dans l’exemption de la souffrance.

Qui sait le mieux souffrir, possédera la plus grande paix. Celui-là est vainqueur de soi et maître du monde, ami de Jésus-Christ et héritier du ciel.

RÉFLEXION.

Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu[1]. Comprenez la grandeur de ce nom et l’instruction profonde qu’il renferme. La paix, c’est l’ordre parfait ; et le trouble, les dissensions, les discordes, la guerre, ne sont entrés dans le monde que par la violation de l’ordre ou par le péché. Ainsi, point de paix où règne le péché ; point de paix dans l’homme dont les pensées, les affections, les volontés ne sont pas en tout conformes à l’ordre ou à la vérité et à la volonté de Dieu ; point de paix dans la société dont les doctrines et les lois s’écartent de la loi et des doctrines révélées de Dieu : et quiconque, homme ou peuple, brise cette loi, nie ces doctrines, ne fût-ce qu’en un seul point, cet homme, ce peuple rebelle à Dieu, subit à l’instant le châtiment de son crime. Un malaise inconnu s’empare de lui : je ne sais quelle force désordonnée le pousse et le repousse en tous sens, et nulle part il ne trouve de repos : comme Caïn, après son meurtre, il a peur. Non, la paix n’est en effet que pour les enfants de Dieu : ils la goûtent en eux-mêmes, et la répandent sur les autres ; elle coule, pour ainsi dire, de leur cœur, comme ces fleurs qui arrosaient l’heureux séjour de notre premier père, au temps de son innocence. Et quand viendra la dernière heure, ce sera encore la paix ; car le royaume de Dieu est justice et paix[2]. Enfants de Dieu, entrez dans le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ![3]

  1. Matth. v, 9.
  2. Rom. xiv, 17.
  3. Matth. xxv, 31.