L’Image du monde/L’image du Monde/Choix de A comme base du texte

Texte établi par O. H. Prior, Librairie Payot & Cie (p. 21-23).

Le manuscrit A comme base du texte. — Il y a lieu d’expliquer maintenant le choix du manuscrit A de préférence aux autres comme base du texte. Dans ce but nous procédons par élimination.

B. — B, comme nous l’avons déjà fait remarquer, offre en général des formes linguistiques un peu plus anciennes que les autres manuscrits, et première vue nous aurions dû le choisir.

Malheureusement cette copie a été mutilée et il y manque des pages entières correspondant à environ huit pages du manuscrit A[1]. Pour la même raison, plusieurs des figures les plus importantes ont disparu[2].

Des lacunes pareilles n’auraient pas permis de présenter un texte vraiment suivi et uniforme.

B n’est d’ailleurs nullement supérieur à A sous d’autres rapports : les erreurs de copiste sont nombreuses ; elles ont été notées à mesure.

Mais certainement la raison principale pour écarter B a été le grand nombre de pages qui manquent.

D’autre part, toutes les variantes, orthographiques et autres, de ce manuscrit sont données dans les notes, et rendent la reconstitution parfaite de cette copie à la fois possible et facile.

C. — Le manuscrit C est complet ; mais il est beaucoup plus récent que A et la langue en est rajeunie. Il n’y aurait eu aucune raison pour le préférer, car le texte n’est pas supérieur à celui des autres manuscrits.

R. — R étant simplement une copie de A datant du XVe siècle, nous l’avons donc écarté d’emblée.

N. — Disons-le de prime abord : les droits du manuscrit N à servir de base à notre texte étaient égaux à ceux de A : égaux, mais non supérieurs.

Le texte est complet ; il ne manque pas une seule page. Mais, de même que dans A, il y a des fautes de copiste, des mots omis, des lacunes[3].

La langue n’a rien de particulier : ce sont les formes ordinaires du français littéraire à la fin du XIIIe et au commencement du XIVe siècles. Il en est de même dans A ; toutefois, dans ce dernier manuscrit, il y a de nombreuses formes anglo-normandes dues au copiste[4].

Bref le texte des deux copies, A et N est de valeur égale. Nous avons donc dû baser notre choix sur des raisons d’un autre ordre.

En premier lieu, N, tout complet qu’il est sous le rapport du texte, n’a pas le fini du manuscrit A : les initiales, les miniatures et les figures n’ont pas été insérées, les espaces où elles devraient se trouver étant laissés en blanc.

Sous ce rapport, au contraire, A est un des plus beaux et des plus parfaits ouvrages de la Bibliothèque Nationale.

Comme Gossouin nous renvoie souvent aux dessins qui accompagnent son texte, les figures sont absolument nécessaires, surtout pour la partie astronomique. Si nous avions choisi N, nous aurions dû y introduire les figures d’un autre manuscrit, sacrifiant ainsi à un choix purement arbitraire l’homogénéité du texte.

Il est à propos de faire remarquer ici que les manuscrits diffèrent plus ou moins quant aux dessins, et sont susceptibles de classification à ce point de vue. C’est même un travail que E.-D. Grand annonçait en 1893 l’intention de faire[5].

Ainsi on ne pourrait considérer un texte comme complet si les figures qui lui sont propres étaient omises, ou d’autres substituées.

Pourtant nous aurions certainement négligé ce point, si le texte de N avait été supérieur à celui de A ; mais la valeur égale des deux manuscrits sous ce rapport a décidé notre choix.

En second lieu, l’intérêt littéraire de A est certainement un argument en sa faveur. Comme nous l’avons dit plus haut, A est le manuscrit père de R, et ce dernier, à son tour, a été traduit par Caxton[6]. Il ne peut être qu’avantageux et intéressant de pouvoir comparer A et la traduction anglaise dans des éditions parallèles[7].

Nous donnons page 24 un extrait de A, B, C, N et B qui permettra de comparer ces cinq manuscrits et de réaliser jusqu’à quel point nos remarques précédentes sont justifiées.

  1. Les lacunes de B correspondent aux fos suivants dans
    A : 29 a à 30 a.
    40 c à 41 c.
    42 d à 43 c.
    45 d à 47 c.
    80 c à 81 c.
    93 d à 94 d.
    98 c à 99 c.

    Nous avons toujours noté dans le texte les mots mêmes où commence et où se termine la lacune.

  2. Cf. p. 23.
  3. V., par exemple, fos 30 b, 48 d, 49 a, etc., où les lacunes du manuscrit N sont notées.
  4. V., sur le dialecte du scribe de A, p. 25 s.
  5. E.-D. Grand, dans la Revue des langues romanes t. 37 (1893) pp. 1-58.
  6. Cf. p. 18 s.
  7. Cf. p. 11, n. 1.