L’Image du monde/L’image du Monde

Texte établi par O. H. Prior, Librairie Payot & Cie (p. 1-2).

INTRODUCTION


Les œuvres didactiques du moyen âge en France, quoique très nombreuses, s’exposent en général à une critique inévitable : le sujet dont elles traitent est d’ordinaire trop restreint. Le grand Lapidaire de Marbode, le Bestiaire de Philippe de Thaon s’occupent d’histoire naturelle. Il y a les ouvrages qui traitent d’Astronomie, de Physique ou de Géographie. Dans la plupart, le sujet, tout en s’y prêtant fort peu, donne lieu à des moralisations à perte de vue : le traité scientifique sert de prétexte au traité religieux.

Mais les ouvrages d’ensemble en langue vulgaire sont rares : chose d’ailleurs assez naturelle, car, l’étude approfondie des sciences étant réservée aux clercs, ces encyclopédies étaient écrites en latin. C’est ainsi que nous possédons les grands ouvrages de Neckam, d’Albert le Grand, de Vincent de Beauvais.

Il y avait donc place au XIIIme siècle pour une œuvre contenant, sous une forme à la portée de tous, la somme des connaissances du temps.

Cette place, l’Image du Monde l’a remplie.

Il est inutile de discuter la valeur scientifique de cet ouvrage : à notre point de vue, il n’a qu’un intérêt historique. Mais certainement, dès son début, il a répondu à un besoin général. Le nombre d’éditions[1] en français, le nombre de traductions, les plagiats même, tout nous le prouve.

Contant d’Orville[2] définit l’Image du Monde comme un ouvrage écrit au moyen âge pour amuser les dames : il n’en a guère compris la valeur au XIIIme siècle.

L’auteur a su donner à ses contemporains un aperçu complet des sciences. Il traite de cosmogonie et de théologie sans que son ouvrage soit une simple traduction de sources latines ; mais on peut y reconnaître néanmoins l’influence directe des théologiens de l’époque. Nous retrouvons la trace de plus d’un auteur bien connu dans la partie géographique ; et l’œuvre se termine par un traité d’astronomie très simple et très clair dont les écrivains classiques ont fourni la base.

Pour être à même de faire usage de sources si variées, l’auteur devait se trouver dans un centre favorable à ses travaux.

Au XIIIme siècle, Metz était un vrai milieu intellectuel : on y cultivait les sciences et les arts ; les maisons religieuses y étaient nombreuses et florissantes ; des sociétés s’y formaient pour la lecture de la Bible[3]. Tout pouvait aider à la composition d’un ouvrage encyclopédique.

Les preuves ne nous manquent pas que là fut composée et écrite l’Image du Monde.

Une étude des rimes a permis à Haase[4] de constater l’emploi du dialecte lorrain par l’auteur.

Celui-ci montre de plus une connaissance intime des environs de Metz. Il parle des salines de Vic[5] et des bains de Plombières[6]. Il écrit à la suite d’une vie de saint Brandan[7] :

A Saint Ernol, une abeïe
De moines noirs qu’est establie
Droit devant Mez en Loherraine,
Trovai ceste istoire ancienne[8].

De nos jours, le succès d’un ouvrage se juge par le nombre de ses éditions ; nous n’avons aucune raison de douter qu’il en fût de même au moyen âge. Comme nous l’avons dit, l’Image du Monde répondait à un besoin ; aussi les rédactions se succédèrent.

  1. Cf. p. 11.
  2. Contant d’Orville. Mélanges tirés d’une grande bibliothèque (Paris 1780), t. 4, p. 59.
  3. Neander : General History of Christian religion and Church (tr. J. Torrey. Bohn’s Library. 1851-58) t. 7, p. 449.
  4. Haase : Untersuchung über die Reime in der Image du Monde (Halle 1879).
  5. F° 82 c.
  6. F° 80 a.
  7. Fant : L’Image du Monde (Upsala 1886) p. 7.
  8. Ces vers se trouvent dans les manuscrits de la seconde rédaction.