L’Idylle vénitienne/Escapade

Georges Crès et Cie, Éditeurs (p. 97-100).


XVI

ESCAPADE


Le dernier vaporetto est parti ! Sa sirène chantait, que nous étions encore dans la Scuola di Merletti, parmi les dentellières blondes, à regarder fleurir, sous les doigts légers, les petites roses de fil fragile… Qu’y faire ! Nous rentrerons, cette nuit, avec la barque d’un pêcheur. C’est tout simple… Ne pleurez plus ! Essuyez vos pauvres grands yeux bleus… Dîner à Burano, vous et moi, bien sagement, à l’auberge, est-ce donc un terrible crime ?

Votre mari nous pardonnera !


* *

La table est mise. En notre honneur, l’hôtelière a fouillé ses armoires et rouvert le beau salon de ses aïeules… Voyez la nappe de lin damassée, les vieux verres à guirlandes d’or, l’huilier de faïence, les flambeaux de cuivre luisant, et, contre le mur, sous le portrait du roi galantuomo, le sofa de velours flétri où George Sand a, peut-être, rêvé, — une strophe de Musset aux lèvres, — dans les bras de Pagello…


* *

Rien qu’un biscuit sec ? Pas un raisin, pas une pomme, pas même une figue ?… Tant pis ! Cette fiasca d’Asti Spumante remplacera le dessert !

Une goutte, encore !… Buvez !

Il fait chaud ?… Oui, c’est cela, quittez votre jupe et, puisque la tête vous tourne, venez ici, sur le divan…

Pourquoi la servante nous a-t-elle conté que le brouillard et la bise ont dévasté tous les vergers ?


Quel est ce fruit, tiède et juteux, sur ma bouche !