L’Idylle vénitienne/Enfin !

Georges Crès et Cie, Éditeurs (p. 7-10).


II

ENFIN !


Au travers des stores clos, l’aurore, goutte à goutte, filtre dans le sleeping… Sous les roues, le pont résonne. La première petite vague, contre la première pile, fait son bruit de jupe de soie ; le vent a l’odeur d’un flacon de sels… Voici la minute ineffable !


Allons… ta robe, ton chapeau, ton voile !… Non, pas de rouge à tes lèvres ! Ce serait trop long… Mords-les, simplement… Et ouvre la porte ! Assieds-toi dans le couloir du wagon, au bord de la vitre ! Et regarde… regarde !


— Venezia ! Ecco Venezia ! crie le steward, en montrant le côté du ciel d’où vient l’aube.


Un campanile grandit… Au-dessus de l’horizon rose, un vol de colombes, en cercle, tresse des couronnes blanches… Chargées de fleurs, des barques matinales glissent sur la mer prisonnière…


Que c’est enivrant de vivre, et d’être jeune, et d’être jolie, et d’avoir, soudain, — parce que la brise qui frôle ta nuque est la même qu’ont respirée George Sand, Bianca Capello et la pauvre Desdemona, — comme un peu de liqueur dans l’âme !


La dernière arche… La stazione… Plus qu’un instant ! Prends, dans ton sac d’or, la tablette d’ivoire sur laquelle, la veille du départ, tu as inscrit les mots étrangers qu’il faut connaître, quand on voyage. Cherche, vite, comment se disent, en italien ou en français : « Vous me plaisez aussi ! », « Parlez plus bas ! », « À ce soir ! » et « Je t’aime ! »

On ne sait pas ce qui peut arriver.