L’Homœopathie, épître à Mme ***

L’HOMŒOPATHIE


ÉPÎTRE À MMe ***
À PROPOS, DE LA GUÉRISON INESPÉRÉE DE SA SŒUR,
réduite à l’extrémité
par
UN TRAITEMENT SUIVANT L’ANCIENNE MÉTHODE,
et
Sauvée par la médication Homœopathique.


I.

Et quoi ! fièvreuse encor de vos tendres alarmes,
Dès le premier sourire éclos parmi vos larmes,
Vous voulez qu’un ami vanté pour sa douceur,
Devenu tout à coup votre fervent complice,
Aux bourreaux obstinés qui tuaient votre sœur,
Jette un dédain si fier que leur tourbe en pâlisse ?
Je comprends vos griefs contre un art dépassé,
Retombé lourdement dans la nuit du passé ;
Je partage de cœur la vive gratitude
Qui, proclamant bien haut de merveilleux succès ;
À l’ignorante morgue intente un bon procès,
Et réprime en ce cas son péché d’habitude.

Mais je me vois alors rudement ausculté !
Chacun voudra savoir quel démon j’ai dans l’âme :
— « De quel droit, dira-t-on, formule-t-il un blâme ?
« Est-il membre connu de quelque Faculté ?
« Tripoteur d’empyreume ? élève en médecine ?
« Réjouit-il le flair d’un parfum d’officine ? »

Voilà de quoi glacer tous mes sens ébahis :
Que répondre, Madame ? — et pourtant j’obéis !



II.

Le monde en a fini de la méthode ancienne,
Battue et mise à mort dans un récent Congrès.
D’un grand homme, toujours, Dieu date le progrès :
Hippocrate eut son ère, Hahnemann a la sienne.
Vainement le génie ose évoquer le temps :
Jusqu’au moment venu le ciel répond : « Attends. »
Comme aussi, malgré tous, rayonne triomphante
La vérité promise au siècle qui l’enfante.
Qu’on n’espère donc pas désormais étouffer
L’arbre que trois mille ans ont pris soin de greffer !
Les trésors d’avenir que l’art nouveau renferme
Ont aux mains d’Hippocrate accouché d’un faux germe :
N’ayant pu qu’entrevoir ce qui pour nous est clair,
Il fut, au sein de l’ombre aveuglé par l’éclair.
Les temps n’étaient point mûrs. L’immense découverte
Eût avorté plus tôt sur sa tige trop verte ;
La science, les mœurs, l’être, tout dût changer
Pour qu’un tel monument s’élevât sans danger.
Bien loin de notre esprit la mauvaise pensée
De disputer la gloire au maître dispensée !
Ses titres immortels, s’il le fallait, par nous,
Scellés de notre sang, le seraient à genoux :

Nul n’a mieux connu l’homme ; et ce guide fidèle,
Des plus sûrs diagnostics offre encor le modèle.
Mais, là, se borne enfin son magique pouvoir :
Au-delà de notre œil nous ne pouvons plus voir !



III.

En dépit des savants aux pédantes manières,
Les sentiers trop battus s’effondrent en ornières.
Il fallait un cœur fort et des membres d’airain
Pour se faire une voie hors du banal terrain.
Hahnemann le sentait ; Sa nature géante
Osa tirer le char de la route béante,
Et dégageant l’essieu par la fange épaissi :
« Nous voilà de niveau, dit-il, marchons ici ! »
Et la science alors apparut sans mystère.

Ainsi donc, en pitié des malheurs de la terre,
Et peut-être à dessein d’en terminer le cours,
Dieu, par l’homme, aux besoins mesurait le secours !
Comment douter des biens que le ciel nous destine ?
Déjà, de toutes parts, rampe et meurt la routine :
Des moyens qu’autrefois l’homme n’eût point rêvés
À chacun de nos pas sont conçus ou trouvés.
D’un bout de l’univers, la moindre capitale
Lançant à l’autre bout sa foudre horizontale,
Le temps d’écrire un mot et de frapper un coup,
Nous savons à Paris ce qu’on pense à Moscou ;
La vapeur, déployant ses forces titanesques,
Nous fait des vérités à semblants romanesques ;
La distance est un jeu : nous fuyons sur le sol,
Plus vite que l’oiseau dans l’air ne passe au vol :
Et quand autour de nous tout marche en concurrence,
Nous moisirions, ancrés dans la vieille ignorance !

Tantales du progrès oubliés par le ciel
Nous n’aurions point nos parts du luxe officiel !
C’est calomnier Dieu, dont la bonté prodigue
Jamais au genre humain n’ouvrit plus large digue.
Si nous serrions nos rangs sur les chemins tracés
Quels peuples, quels travaux ne seraient distancés !
En avant donc traînards ! la marâtre Coutume
N’a qu’un lait sans vigueur, saturé d’amertume ;
Plus vous épuiseriez ses mamelons flétris,
Plus s’aigrirait le fiel dont ils furent pétris.
La nature est féconde en puissantes ressources :
Il en est temps encor, vivez des fortes sources ;
Et ne figurez plus, loin du fleuve divin,
L’arbuste étiolé que l’onde appelle en vain.

Quel champ s’ouvre à vos yeux par la loi des semblables,
Qui ne laisse à la Mort que des troncs incurables !
Une fois constaté l’incident anormal,
Le remède est connu, le doigt est sur le mal.
Il ne s’agit point là de lueurs indécises :
Où le trouble est flagrant les clartés sont précises.
Le secours au hasard ne peut être donné :
Par les maux ressentis lui-même est ordonné ;
Et l’effet est si prompt qu’il semble une merveille !
 
Imaginez deux bras de puissance pareille,
L’un poussant une porte, et l’autre l’arrêtant ;
Juste au même degré l’un l’autre résistant,
Pas un d’eux n’a pouvoir de gagner d’intervalle :
L’équilibre est le fruit de leur lutte rivale.
C’est ainsi qu’Hahnemann, aux agents destructeurs,
Quels que soient leurs efforts oppose des lutteurs.

Et comment combat-il les plus graves symptômes ?
Prend-il des Goliath ? Non, des riens, des atomes :
D’impondérables sels, des suints de liqueurs,
Si légers, si subtils, qu’on les dirait moqueurs ;
Quintessence d’éther, au fond des cieux ravie,
Car elle porte en soi l’étincelle de vie !

L’ignorant en secret sourit à ce propos,
La santé, selon lui, ne se boit qu’à pleins pots !
De l’acide au Codex nommé cyanhydrique,
Mouillez une lancette ; et, si peu qu’on l’en pique,
Un bœuf à l’instant même expire foudroyé :
L’ignorant de cela voudrait être noyé.
En raison de la dose il juge qu’elle opère ;
Et tel qui pense ainsi fuit devant la vipère !
On comprend qu’en ce cas le bon sens soit martyr :
Ce sont donc des voyants qu’il nous faut convertir.
Eussions-nous à montrer les preuves les plus nettes,
Sous les yeux d’un aveugle à quoi bon des lunettes ?



IV

Je reprends. — Sauf erreur, — mes vers substantiels
Ont traité jusqu’ici des points essentiels :
Tout d’abord qu’Hippocrate, ou l’art à son enfance,
Au siècle où nous vivons, se mourait d’impuissance ;
Puis que nous progressions vers un noble avenir
Où Dieu, dans sa bonté, nous regardait venir ;
Puis, à dater du jour où son nom se révèle,
Qu’Hahnemann surgissait dictant la loi nouvelle ;
Et que, seul entre tous, dans le dédale humain,
Il attaquait nos maux le compas à la main,
Sans jamais s’entourer d’appareils illusoires
Trop souvent, à la fois, cruels et dérisoires.

Il me reste à prouver quels titres sont les siens,
À triompher surtout des arcanes anciens.
D’avance, excusez-moi, pauvre sœur affligée,
D’aviver la douleur qui vous fut infligée !

L’allopathie abonde en funestes détails,
Qui font de ses moyens autant d’épouvantails.
Exemple : elle signale un cas de pleurésie :
Vite, des tourmenteurs, la sombre frénésie,
Appelant ciel et terre en aide à leurs efforts
Pour extirper le mal caché sous ses renforts,
L’investira soudain comme une citadelle.
S’agit-il d’une femme ? On s’empresse autour d’elle :
Aux reptiles infects que des marchands rivaux
Gorgent dans les marais du farcin des chevaux,
La malade éplorée, à peine prévenue,
Aussitôt livrera des trésors de chair nue.
La sangsue allourdie, et le mal persistant,
Sur le point contesté la lancette hésitant,
Ici, plus loin, partout, l’acier plonge et s’abreuve
Supposé qu’on résiste à cette rude épreuve,
Vous n’êtes point au bout ; l’allopathe sait ça :
Reste la cantharide annonçant le moxa ;
Si bien que, pour éteindre une atteinte légère,
Vous avez pris Vénus et nous rendez Mégère ;
Tandis que sans douleur pour que le mal finit,
Peut-être il suffisait d’un soupçon d’aconit !



V.

Quels faits passés d’hier, et que le monde avoue,
Ont souffleté l’orgueil à plat sur chaque joue !
Paris, Londres, Marseille, Aix, Gênes et Varna
Nous ont dit quel fléau contre elles s’acharna :

Des nids les plus moelleux, des plus vertes charmilles,
S’élançait le vautour qui tuait les familles ;
Achevant le travail qu’il venait ébaucher
L’insatiable Mort se lassait de faucher ;
Un air contagieux, rempli de clameurs vaines,
Du réseau des poumons s’infiltrait dans les veines ;
À l’humble toit du pauvre, aux somptueux manoirs,
En pluie avec des pleurs, tombaient des crêpes noirs ;
Point de maison sans deuil, de paupières sans larmes ;
Le soldat invaincu, tout couvert de ses armes,
Convié vainement aux fêtes du canon,
Mourait désespéré, sans gloire pour son nom !

Qu’ont fait alors les chefs de la saine doctrine ?
Ont-ils su prévenir le mal dans la poitrine ?
Et quand il sévissait de toute sa fureur
Ne les a-t-on pas vus stupéfiés d’horreur ?
C’était-là le moment, pour la caste savante,
D’étaler les trésors que sa morgue nous vante !
Mais non ; rien à citer, pas un pauvre succès :
Appel, visites, soins, agonie et décès ;
En six mots, en un vers, on résume l’histoire
Des résultats permis au docte consistoire !

Et durant ce temps-là, nous, humbles dissidents,
Constatant nos pouvoirs par des traits évidents,
Empressés de guérir même les incrédules,
Nous voyions le fléau fuir devant nos globules !
N’importe où nos amis avaient pu pénétrer
La Mort les regardait et n’osait pas entrer !
Veillant sur les cités qu’on peuplait d’hécatombes,
Nous sauvions les mourants dont se creusaient les tombes ;
Les soldats préservés enterraient moins de morts,
Et, sûrs d’être bénis, nous étions sans remords !

Puissent nos opposants, pleins d’une foi pareille,
Dormir ainsi que nous sur l’une et l’autre oreille !
Quant à moi, si mes vœux n’étaient pas entendus,
C’est que de bons clients seraient mal défendus.


Hippolyte RAYNAL



Bordeaux. — Septembre 1854.