L’Histoire romaine à Rome (1862)/Première Partie/18


Michel Lévy (2p. 117-156).


XVIII

SUITE DE SERVIUS TULLIUS


Institutions de Servius. — Tribus locales substituées aux tribus de race. — Les classes. — Principe du cens. — La propriété, fondement et mesure de l’importance politique. — Les Septa. — Rapport de la constitution de Servius et de celle de Solon. — Comment une constitution à la grecque a-t-elle pu venir d’un chef étrusque ? — Explication, rapport de Mastarna avec les villes grecques de Campanie. — Origine grecque de la monnaie, des mesures, de l’écriture romaines. — Actes de naissance et de décès, trois temples. — Mort de Servius, chant de la parricide. — Rue Scélérate.


Il fallait fondre ces éléments divers, il fallait surtout amalgamer l’élément sabin qui était aristocratique et l’élément latin qui était plébéien. Ce fut là le but de la politique de Servius, politique de fusion et d’unité dont le temple de Diane et l’enceinte de Rome, monuments de fusion et d’unité, nous ont déjà révélé l’esprit.

Pour cela Servius fit deux distributions distinctes de la population, l’une, d’après le sol, en quatre tribus ; l’autre, d’après la richesse, en six classes.

Je parlerai d’abord de la première.

Aux trois anciennes tribus, les Titiès, les Rhamnés et les Lucères, qui représentaient la distinction des races, de la sabine, de la latine et de l’étrusque, il substitua des tribus locales dont chacune répondait non à une nationalité, mais à une région[1]. C’était porter un premier coup à la séparation des races que Tarquin avait déjà cherché à combattre.

L’ordre des tribus nouvelles comparé à celui des anciennes est digne de remarque : parmi les anciennes, les Titiès, c’est-à-dire les Sabins, tenaient le premier rang, les Lucerès, c’est-à-dire les Étrusques, le dernier. Parmi les nouvelles[2], la tribu Colline, celle qui occupe le Quirinal, le mont Sabin est la dernière ou l’avant-dernière, et avec elle est nommée la tribu de l’Esquilin, sabin comme le Quirinal. La tribu du Palatin ou la tribu latine est la première[3] ou la seconde[4] ; la tribu de la Subura, qui comprenait le Cælius, mont anciennement étrusque et devenu aussi latin depuis la prise d’Albe, est dite la seconde par Denys d’HaIicarnasse, qui place avant elle la tribu du Palatin ; les deux tribus latines avant les deux tribus sabines[5].

On voit que les places ont changé : les Étrusques et les Latins qui venaient après les Sabins passent avant eux.

Outre les quatre tribus urbaines dont je viens de parler, Servius institua vingt-six tribus rustiques. Ce fut encore une institution favorable aux Latins. Les Latins étaient les propriétaires du sol. Les gentes sabines durent bien s’établir aussi dans la campagne avec leurs clients, mais rien n’indique qu’elles aient dépossédé ceux qui l’occupaient avant elles. En instituant les tribus rustiques, en formant des agglomérations de propriétaires fonciers dans lesquels les Latins devaient former la grande majorité, en créant dans chaque tribu un lieu fortifié où les habitants pouvaient se réfugier[6] s’ils étaient attaqués ou surpris, en unissant les membres de la même tribu par des liens étroits de confraternité, par des fêtes célébrées en commun[7], Servius donnait aux hommes de la campagne une organisation démocratique qui leur permettait de résister aux empiétements de l’aristocratie sabine, dont les superbes descendants devaient envahir un jour les terres de l’État, et à l’ombre du droit de possession usurper le droit de propriété[8].

L’organisation des tribus de la ville et des tribus de la campagne fut donc créée par Servius dans une intention favorable aux Latins, et, ce qui était à peu près la même chose, aux plébéiens[9]. Les patriciens, s’ils furent compris dans les tribus, ce qu’a nié Niebuhr, y furent en petit nombre isolés, sans influence. Aussi les comices par tribus furent-ils toujours les comices plébéiens par excellence.

C’est l’institution des tribus encore plus que celle des centuries et des classes qui a fait que la mémoire du bon roi Servius a toujours été chère aux plébéiens.

Celle-ci leur était favorable aussi, mais d’une autre manière, car elle donnait pour base aux droits de suffrage, non la condition de patricien ou de plébéien, mais, comme dans les pays constitutionnels, le cens, c’est-à-dire la propriété. Or les plébéiens possédaient en grande partie la terre et c’était eux que le commerce, dédaigné par l’aristocratie, enrichissait.

En négligeant quelques variantes dans les chiffres partiels, la constitution de Servius était celle-ci :

Toute la population de Rome est partagée en 193 divisions, appelées centuries. Les centuries sont distribuées en six classes, en dehors desquelles sont 4 centuries d’artisans et 18 centuries de cavaliers.

La première classe comprend 80 centuries, les quatre suivantes en comprennent 90 ; la sixième classe n’en comprend qu’une seule. Avec les 4 centuries d’artisans et les 18 centuries de cavaliers, total 193 centuries.

Les citoyens sont rangés dans les différentes classes d’après leur propriété, qu’ils sont tenus de déclarer de bonne foi, comme en Angleterre pour la perception de l’income tax.

Ceux qui possèdent plus de 100,000 livres ou as[10] (asses) constituent la première classe.

Les trois quarts, la moitié, le quart et le demi-quart de ce capital placent les citoyens dans l’une des quatre classes qui suivent la première.

La dernière classe, qui ne se compose que d’une centurie, renferme tous ceux qui possèdent moins de 12,500 livres ou qui ne possèdent rien du tout.

Les 18 centuries de cavaliers sont, les unes patriciennes, les autres plébéiennes.

Chacune des 193 centuries, quel que soit le nombre d’individus dont elle se compose, a un suffrage, c’est-à-dire une voix.

On voit que c’est le droit que confère la propriété, substitué au droit que donne le nombre.

Une seule centurie, la dernière, était aussi nombreuse à elle seule que toutes les centuries[11] de la première classe, cependant elle n’avait qu’une voix contre quatre-vingts.

Les centuries exclusivement patriciennes de cavaliers au nombre de six ou de douze[12] n’avaient que six ou douze voix.

Les cinq premières classes, qu’on appelait les riches (locupletes), en avaient 170.

La prépondérance n’était donc accordée ni à la multitude ni à l’aristocratie, mais à la propriété, qui, en latin comme en français, s’appelait aussi la fortune, nom de la déesse favorite de Mastarna.

Si les 18 centuries de cavaliers qui votaient les premières se réunissaient aux 80 centuries qui votaient immédiatement après, toutes ensemble pouvaient former une majorité de 98 voix contre 95, et rendre inutile la continuation du scrutin.

Un autre principe indépendant du nombre intervenait dans la constitution de Servius Tullius, un principe qui a été bien romain, mais qui, dans l’origine, a dû être sabin, car il dérive de l’état patriarcal, le respect de l’âge.

Les centuries (hors celle des cavaliers) étaient ou des centuries d’hommes jeunes (juniorum), de 17 ans à 45, ou des centuries d’hommes âgés (seniorum), de 45 ans à 60 elles ne pouvaient être égales en nombre, elles étaient égales en droit, et il y en avait autant des unes que des autres, bien que la première catégorie renfermât certainement plus de citoyens que la seconde.

L’organisation des centuries, c’était l’organisation de l’impôt, de l’élection, de la législature et de l’armée. De l’impôt, puisque chaque citoyen payait en raison du chiffre de sa propriété et de la centurie à laquelle il appartenait[13] ; de l’élection et de la législature, puisque chacune concourait à l’élection des hautes magistratures, à l’acceptation ou au rejet des lois, à la déclaration de la guerre et à l’établissement de la paix, dans la proportion du droit que lui donnait la classe dont il faisait partie ; de l’armée, puisque la place que chaque classe occupait dans l’armée répondait à sa place dans la hiérarchie financière de Servius.

Le tribut se levait par tribus. Son nom même indique qu’au moins dans l’origine il a dû en être ainsi ; il se percevait selon la propriété individuelle qui classait chacun dans sa centurie.

Le droit politique transporté des curies et centuries patriciennes aux centuries en très-grande partie plébéiennes ; du Comitium, lieu augure, au Champ de Mars, lieu profane ; ce fut la grande œuvre de Servius. En même temps ce changement montre celui qui s’est opéré graduellement depuis l’établissement des Latins sur le Cælius, dans leur situation par rapport aux Sabins. La plebs latine à la faveur de la protection des deux premiers rois étrusques, qu’on commence à découvrir sous le dernier roi sabin ; la plebs latine remplit les vastes cadres des centuries. L’aristocratie sabine, si elle voulut rester à peu près pure, n’eut pour refuge que quelques centuries de cavaliers, lesquels avaient des égaux plébéiens ; après eux votaient la première classe, la classe[14], comme on disait, par excellence, qui pouvait tout décider et dans laquelle on était admis, qu’on fût Sabin ou Latin, patricien ou plébéien, pourvu qu’on fût riche.

Pour une élection ou pour un vote législatif, les centuries se rassemblaient hors de la ville au Champ de Mars dans ce qu’on appelait les Septa[15] ou les Ovilia, le parc aux moutons, nom qui indique la forme primitive de ce lieu où s’assemblaient les centuries. C’était un espace entouré d’une barrière en bois[16]. On en fit un bâtiment magnifique au commencement de l’empire, alors qu’il n’avait plus de signification politique.

Longtemps on conserva la coutume d’élever sur le Janicule, ancienne citadelle de Rome, un drapeau rouge pendant tout le temps que duraient les votes du Champ de Mars pour avertir que l’ennemi n’approchait point, souvenir d’une époque où l’Étrurie s’étendait jusqu’au pied du Janicule.

Sans doute l’organisation créée par Servius fut une organisation militaire autant que politique. L’ensemble des classes et des centuries s’appelait l’armée (exercitus)[17] ; le mot classis a un sens analogue[18]. Les classes s’assemblaient dans le Champ de Mars, hors de la ville ; elles y étaient soumises à l’imperium, droit de vie et de mort du général sur ses soldats.

Dans la ville elles n’y auraient pas été soumises, et il est curieux de voir le peuple romain commencer par se mettre sous le commandement absolu de l’autorité militaire pour exercer des fonctions législatives ou pour des élections. Cela est bien contraire à nos idées, mais ne parait avoir presque jamais gêné la liberté des votes. À Rome, le pouvoir le plus exorbitant respectait cette liberté, qui se déployait sans crainte devant lui.

À soixante ans, en devenant incapable de service dans l’armée, on perdait le droit de voter dans l’assemblée[19].

Chacune des cinq classes était équipée différemment[20], mais toutes, excepté la cinquième, avaient la lance sabine. L’influence sabine, effacée dans la portion politique, reparaissait dans la portion guerrière de l’oeuvre de Servius[21].

Parmi les artisans on n’avait formé de centuries que pour ceux dont les métiers pouvaient être utiles à la guerre, les ouvriers en fer et en bois ; on y avait joint la centurie des joueurs de trompe et celle des trompettes, mais ce serait, je pense, une erreur de ne voir dans l’institution de Servius qu’une institution militaire. Je ne doute pas que l’intention de Mastarna, chef guerrier, n’ait été d’organiser une armée, mais je crois qu’il a voulu aussi organiser un peuple.

Cette organisation ne fut pas démocratique, si l’on entend par démocratie la puissance du nombre. Cicéron, qui apparemment n’était pas pour le suffrage universel, loue Servius d’avoir empéché que les plus nombreux fussent les plus influents, ne plurimum valeat plurimi[22] ; Denys d’Halicarnasse prétend que ceux qu’il avait relégués dans la sixième classe, qui n’avaient qu’une voix, contents de participer d’une manière illusoire au vote général, ne s’aperçurent pas qu’en fait ils n’avaient sur ce vote aucune action[23] ; ce n’était cependant pas bien difficile à, comprendre.

Mais cette constitution était encore moins aristocratique, si par aristocratie on entend le privilège du sang. Elle était réellement populaire, tenant compte des situations véritables, proportionnant l’importance relative des citoyens à la propriété et attachant les devoirs militaires aux devoirs politiques, de manière à avoir une population armée et une armée d’hommes libres.

Roi étranger, Mastarna voulut unir sous son pouvoir et enfermer dans le cadre d’une même organisation l’aristocratie sabine, son ennemie et son danger, la plebs latine, son alliée naturelle et sa force, ainsi qu’ils les avait unies dans les mêmes tribus locales et enfermées dans l’enceinte de la même muraille.

La tradition exagère volontiers ce qu’elle consacre. Servius avait substitué le vote gradué des centuries ouvertes à tous au vote exclusif des curies patriciennes on en fit un roi démocrate et presque républicain, un ennemi des patriciens, dont il avait restreint l’influence. Selon la tradition, il les avait forcés d’habiter au-dessous de sa demeure de l’Esquilin dans le quartier des patriciens (vicus patricius)[24] pour les tenir en respect. On le représentait comme le protecteur des pauvres[25], auxquels il avait eu soin de soustraire toute influence sur la chose publique, et des esclaves[26], pour lesquels on ne voit pas qu’il ait rien fait, mais auxquels, par une exagération malveillante, on étendait sa faveur pour les plébéiens. Sa mémoire resta chère aux uns et aux autres[27], elle le fut moins à l’aristocratie. Les patriciens, disait-on[28], avaient voilé son image dont la vue excitait la douleur du peuple ; et Virgile, qui ne manque pas une occasion de célébrer les origines des grandes familles romaines, interprète de leurs rancunes par son silence, dans l’énumération des rois de Rome a omis Servius Tullius.

On lui attribuait rétrospectivement les mesures populaires que sous la république les plébéiens réclamaient sans cesse : une loi agraire[29] et l’abolition des dettes. Il avait eu la pensée de remplacer la royauté par une république[30]. Tacite[31] en parle comme d’un roi constitutionnel, et le poête Accius, dans sa tragédie de Brutus, appelait Servius le fondateur de la liberté.

Mais, sans tenir compte de ces exagérations qui provenaient de la sympathie des uns et de l’antipathie des autres, la constitution donnée par l’étrusque Mastarna n’en reste pas moins un fait très singulier, une apparition des idées modernes dans l’histoire de Rome, qui étonne et dont il faut se rendre compte.

Ce qui frappe en elle d’abord, c’est une ressemblance extraordinaire avec la législation de Solon.

En effet, Solon divisa tous les citoyens en quatre classes d’après le revenu de chacun, et leur conféra les droits qu’avaient jusque-là possédés les patriciens d’Athènes, les Eupatrides, l’élection des magistrats et la sanction des lois. Chaque classe était taxée en proportion de sa richesse, la dernière ne l’était point, mais ceux qui la composaient étaient exclus de toutes les charges publiques et, sauf en cas de nécessité, dispensés du service militaire.

On voit que la constitution de Servius Tullius et celle de Solon reposent exactement sur le même principe, et on pourrait dire de la première ce que Solon a dit de la sienne dans ce vers qui en exprime très bien l’esprit : Ceux qui avaient la puissance et la richesse étaient à la tête de la république.

La principale différence, c’est que la constitution de Solon était plus démocratique et moins guerrière que celle de Servius.

Chacune des quatre classes de Solon avait un droit égal de suffrage et leur pouvoir était plus étendu, les magistrats étaient responsables devant elles. Ces classes n’étaient pas une armée, n’étaient pas organisées militairement. Il est seulement dit que dans la seconde on servait à cheval et que dans la dernière on ne servait point. À cela près, et sauf le nombre des classes, une des législations semble calquée sur l’autre.

Solon avait supprimé l’esclavage pour dettes, et on disait de lui qu’il avait aboli les dettes comme on le disait de Servius.

La ressemblance s’étend jusqu’aux détails matériels du mode d’élection, et les barrières en bois qui formaient les Septa se retrouvent dans les periphragmata de l’Attique.

Le cens donné pour base aux droits politiques n’était pas exclusivement propre à la législation de Solon. Il existait dans plusieurs des républiques grecques de la Campanie, Cumes, Pouzzole, Naples[32] ; il existait à Locres[33]. Ce principe était dominant dans les villes grecques de l’Italie méridionale.

Mais comment une constitution grecque a-t-elle été importée à Rome par un roi étrusque ?

Beaucoup de choses ont passé de la Grèce en Étrurie. Dans la grande majorité des vases peints trouvés en Étrurie, l’art est grec, les sujets sont empruntés aux traditions héroïques et à la mythologie de la Grèce ; il en est de même des personnages représentés, dont le nom est assez souvent écrit en grec. Ces communications s’expliquent par le commerce de l’Étrurie avec la Grèce, dont l’histoire de la famille de Tarquin nous a offert un exemple.

Elles avaient pu faire arriver aux Étrusques des notions sur l’état politique des cités grecques aussi bien que des vases, et on avait pu imiter leurs institutions comme on imitait leurs arts.

Quand on voit par exemple à Corinthe les chevaux des cavaliers fournis et entretenus par un impôt levé sur les veuves et les orphelins, ainsi qu’à Rome ceux des cavaliers ou, comme on dit, des chevaliers romains[34], et quand on se souvient que l’aïeul de Tarquin était venu de Corinthe, il est bien difficile de ne pas soupçonner dans cette reproduction d’un usage trop singulier pour qu’elle puisse être fortuite une réminiscence de la Grèce.

De même, le second roi étrusque a pu entendre parler de la législation de Solon qui était un peu plus ancien que lui. Il passait pour avoir le premier mis un signe sur la monnaie[35] et M. Böckh déclare[36] qu’à Rome la monnaie a été faite d’abord sur le modèle de la monnaie grecque.

Mais est-ce bien Mastarna, et pourquoi n’est-ce pas Tarquin qui a introduit à Rome une organisation politique imitée de Solon et des cités grecques ?

Comme cette question m’embarrassait, je suis allé me promener sur le mont Cælius, où vinrent bien des siècles avant moi les Étrusques, conduits par Mastarna, et, tout en contemplant l’admirable vue dont on jouit du couvent des passionistes, plongeant mon regard dans la vallée qui séparait devant moi la montagne d’Albano des monts Sabins et qui fut la route de la Campanie, j’ai été frappé de ce fait, que le Cælius était la première des collines qu’on rencontrait du côté de la Campanie et que de ce côté on arrivait de plein pied sur le Cælius. Alors il m’a paru que Mastarna avait pu venir du Sud, de la partie de l’Italie très-anciennement grecque, et l’origine hellénique de sa constitution m’a été révélée.

Il y avait, comme on sait, une Étrurie campanienne. Avant l’époque de Romulus[37], les Étrusques avaient fondé douze villes dans l’Italie méridionale, comme ils en avaient fondé douze dans l’Italie centrale et douze dans l’Italie du Nord.

Pourquoi ce chef étrusque, ce Mastarna que la tradition représentait comme ayant été chassé de son pays par la fortune (variâ fortunâ exactus) et ayant amené sur le Cælius les débris d’une armée, n’aurait-il pas été chercher des aventures dans l’Étrurie méridionale et guerroyé peut-être contre les villes grecques de la Campanie, visité du moins des cités étrusques qui en étaient voisines ?

Ainsi l’on s’expliquerait l’analogie de la constitution de Servius Tullius et des constitutions de ces villes, même le rapport qui nous a frappé entre cette constitution et la législation de Solon, dont l’établissement récent et déjà célèbre pouvait bien être connu dans la Grèce italienne, et même dans l’Étrurie méridionale.

Ceci expliquerait encore pourquoi l’on attribuait à Servius Tullius l’introduction de la monnaie, des poids et des mesures[38], toutes choses dont à Rome l’origine fut en partie étrusque et en partie grecque, et souvent grecque encore quand elle venait par l’Étrurie. On croyait que Servius Tullius avait le premier mis une marque aux monceaux de bronze[39] (æs rude) dont la valeur était jusque-là uniquement dans le poids, et qui par cette marque purent avoir désormais une valeur de convention, ce qui en fit une véritable monnaie[40].

On rapportait l’introduction de la monnaie tantôt à Numa[41], tantôt à Servius Tullius. Ce qui veut dire qu’on croyait devoir l’imitation de la monnaie greco-étrusque[42] aux Sabins, et à Servius, Étrusque, mais qui avait été en contact avec la civilisation grecque dans l’Italie méridionale, l’imitation de la monnaie grecque[43]. C’est à cause de ce contact que Servius Tullius passait pour avoir été profondément imbu des connaissances de la Grèce[44].

L’écriture fut aussi communiquée aux Romains par les villes grecques de l’Italie méridionale, leur alphabet fut originairement celui de Cumes[45]. Aussi le premier monument écrit dont il soit fait mention est le traité d’alliance conclu entre Servius et les populations latines, traité qui se conservait encore au temps de Denys d’Halicarnasse[46] dans ce temple de Diane sur l’Aventin que Servius, disait-on, avait construit à l’imitation du temple de l’Artémis d’Éphèse, et où était une statue de bois de Diane fort ancienne et semblable à une statue de la déesse qu’on voyait chez les Phocéens de Marseille[47].

Rome commence à peine et déjà elle reçoit les influences directes de la Grèce, sans parler de celles qui encore plutôt et dès le premier Tarquin ont pu lui arriver par les Étrusques et antérieurement encore passer d’Étrurie à Rome par les Sabins.

La fixation de la monnaie, des poids et mesures, l’emploi de l’écriture, toutes ces choses qui sont le signe d’une civilisation plus avancée, paraissent à Rome sous le roi qui y a établi une constitution analogue aux constitutions modernes. Tout cela se tient et s’explique, si l’on admet que Servius a pu connaître des institutions grecques semblables à celles qui furent les nôtres, par ces communications dont la position du Cælius m’a suggéré la première idée.

Servius Tullius, qui donnait à tous les citoyens un droit individuel en leur imposant un devoir envers l’État, qui les distribuait en centuries et en classes, avait besoin de connaître exactement leur nombre. Aussi institua-t-il à cet égard des mesures de police analogues à ce que présentent des administrations assez perfectionnées : c’était probablement encore une imitation de ce que les villes grecques possédaient en ce genre.

Les recensements se faisaient dans le Champ de Mars, à chaque lustre ; pour les contrôler, il imagina d’établir un équivalent de nos actes de naissances, de nos tables de population et de nos actes de décès, mais en rattachant ces mesures aux cultes et aux temples de différents dieux. Il choisit ceux de trois divinités sabines, Junon Lucine, la Jeunesse et la Vénus funèbre, Libitina[48].

Il voulut qu’à la naissance de chaque enfant une pièce de monnaie fut déposée dans le temple de la première, une à l’époque où l’on sort de l’adolescence dans le temple de la Jeunesse, une à l’occasion de tout décès dans le temple de Libitina. De ces trois temples, le premier et le dernier étaient sur l’Esquilin ou dans les environs de l’Esquilin, et du vicus Patricius habité par les Sabins, le second sur le Capitole, dépendant alors du Quirinal et comme lui très sabin. C’étaient probablement les actes de l’état civil de l’aristocratie sabine, des centuries patriciennes de chevaliers. Pour la foule latine et plébéienne, Servius avait pris une mesure générale. Aux fêtes des Lares que chacun célébrait à la ville dans son quartier (compitalia), et à la campagne dans son district (paganalia), il ordonna que tous, sans exception, contribuassent pour le sacrifice par une pièce de monnaie différente, selon qu’elle était offerte par un homme, une femme ou un enfant.

Bien qu’il fût un chef guerrier, Mastarna fit très peu la guerre. Tite Live ne cite qu’une bataille gagnée sur les Étrusques de Véies près de Rome et sur leurs voisins[49]. Denys d’Halicarnasse parle de l’Étrurie tout entière révoltée, de vingt ans de guerre et de trois triomphes[50]. L’Étrurie, que Tarquin n’avait pas conquise, ne se révolta pas sous Servius. Comme Numa, auquel Tite Live le compare[51], Servius avait autre chose à faire que de guerroyer. Numa avait organisé Rome religieusement, il l’organisa politiquement. Il fondit les trois races qui après lui cessèrent d’être distinctes, c’est de lui que datent réellement Rome et le peuple romain.

Il est impossible de ne pas s’intéresser à ce bon et sage Mastarna, le meilleur des rois de Rome. Le but politique qu’il se proposa, les institutions qu’il fonda, et qui survécurent à la royauté même, ajoutent encore à la pitié que fait naître sa fin tragique et à l’horreur qu’inspirent ses meurtriers.

En lisant le récit de cette mort, on sent que la poésie populaire, qui s’entend à présenter la tradition par son côté le plus émouvant, a donné à celle-ci une physionomie dramatique, frappante surtout pour qui contemple le drame sur le théâtre où il a été joué.

Servius Tullius était vieux. La plebs, formée des Latins de Rome et des environs, entourait d’affection et de respect le roi populaire qui avait constitué le peuple romain et l’avait placé à la tête de la race latine mais dans sa famille se préparait le coup qui devait l’atteindre. Il avait deux filles portant le nom étrusque et ombrien de Tullie, et mariées à deux fils ou petits-fils de son prédécesseur, l’un appelé, comme son père ou son aïeul, Tarquin ; l’autre, Aruns. Tarquin, ambitieux et emporté, avait une épouse d’un caractère honnête et doux. Son frère, Aruns, sans ambition et sans orgueil, était le mari de cette terrible Tullie qui seule figure dans l’histoire sous un nom qu’elle a rendu fameux en le déshonorant, et qui devait aller jusqu’au parricide.

Ici commence la tragédie ou plutôt le vieux chant épique, qu’on sent sous le récit lui-même très-poétique de Tite Live, et que j’ai essayé de retrouver.

CHANT DE LA PARRICIDE.

Elle disait, la fière Tullie : « Pourquoi les dieux m’ont-ils donnée à cet Aruns, qui ne sait pas désirer et ne sait pas oser ? Que ne suis-je la femme de Tarquin ! Celui-là, c’est un homme ; celui-là, il est vraiment né d’un sang de roi.

« Je te méprise, ô ma sœur ! toi, tu as pour époux un homme, et c’est toi qui ne sais pas oser. »

Alors elle va vers Tarquin, la femme méchante et hardie, et elle lui dit : « Ton frère est un lâche ; il ne mérite pas de régner un jour.

« Il est né pour le trône, et il ne s’indigne pas en voyant sa place occupée par un autre ; il n’est pas impatient d’être roi.

« Et toi, Tarquin, on t’a donné une femme sans courage, qui n’a pas besoin que tu sois roi.

« Elle file la laine pour te faire un vêtement ; mais à ce vêtement il manque une bordure de pourpre.

« Oh ! vaillant Tarquin si j’étais ta femme, je te filerais aussi un vêtement ; mais je voudrais qu’il fût bordé de pourpre, quand cette pourpre devrait être du sang. »

Tullie était ardente et superbe ; Tarquin aussi était superbe, car c’est le nom qu’on lui a donné. Il était ardent comme elle ; comme elle il eût volontiers trempé sa robe dans le sang.

Cependant il lui dit « Ce serait le sang de ton père.  » Elle répondit « Ce serait la bordure de la toge royale de mon époux. »

« Ah ! si c’était toi, vaillant Tarquin, si c’était toi dont j’eusse été la femme, mon époux serait roi. »

Il la regarda, la belle Tullie, il la comprit, et il lui dit « Tu seras la femme de Tarquin. »

Et, un peu de temps encore, voilà que l’autre Tullie mourait ; et, un peu de temps encore, voilà qu’Aruns mourait aussi.

Puis le superbe Tarquin prit pour femme la fière Tullie ; mais alors se vit un prodige : la victime immolée n’avait pas d’entrailles ; cette victime était comme la fière Tullie.

Le vieux roi, que l’âge avait affaibli, fut consterné ; le vieux Mastarna, qui avait vu tant de guerres, fut rempli d’effroi.

« Les dieux sont courroucés, disait-il ; les signes sont funestes ; je crains que le meurtre ne soit dans ma maison. »

Pendant ce temps, la détestable Tullie ne cesse d’exciter son époux par ses discours et ses caresses, par sa colère et par ses reproches.

Le soir, ce sont les discours et les caresses ; le matin, ce sont les reproches et la colère.

« Oh ! si j’avais voulu un mari seulement pour servir avec lui, je n’aurais pas manqué de maris ; mais j’en voulais un qui se sentît digne de régner, qui se souvînt que son père était roi.

« Si tu es celui que j’ai cru épouser, je t’appelle mon mari, je t’appelle roi. Sinon la chose est pire qu’elle n’était auparavant ; car nous gardons la bassesse, et nous y avons joint le crime.

« Allons, debout, à l’œuvre ! Tu n’es pas comme ton père ou ton grand-père, étranger ; tu n’as pas à venir de Corinthe, de Tarquinii, tu es à Rome.

« Tu es dans ta maison de l’Oppius. Là sont les dieux de ta race ; là est l’image de ton père.

« Les dieux de ta race, l’image de ton père, te saluent et te disent : « Sois roi. » Si tu n’as pas le cœur de l’être, pourquoi tromper chacun ici en te donnant pour un fils de roi ?

« Retourne à Tarquinii, retourne à Corinthe, retourne à ta famille de marchands. J’ai cru que tu ressemblais à ton père ; c’est à ton frère que tu ressembles.

« Tanaquil, une femme étrangère, la femme d’un aventurier, a pu donner deux fois l’empire, à son époux d’abord puis à son gendre ; et moi, née d’un sang royal, je ne puis ni arracher l’empire ni le donner. »

Ainsi parle cette femme : le Mundus est ouvert, les larves furieuses sont sorties, les mauvais génies sont errants. Les larves furieuses, les mauvais génies, sont entrés dans l’âme de Tullie ; ils entrent aussi dans l’âme de Tarquin.

Aussi rusé que méchant, il s’en va sur le marché que fréquentent les habitants des huit collines.

Là viennent les Sabins du Capitole et du Quirinal, les hommes de la lance, les fils farouches de Janus ; là viennent les vaillants hommes du Palatin, qui, un jour, ont pris aux Sabins leurs femmes et leurs filles, et que les hommes de la lance n’ont pu chasser de Roma, l’antique Roma.

Là viennent les Albains du Cælius, qui, chaque soir, sont tristes quand ils voient le soleil à son coucher faire resplendir l’azur de leurs belles montagnes qu’ils ont perdues.

Là viennent les Latins dépossédés qui vivent dans la forêt de l’Aventin et dans la vallée des Myrtes. Chaque soir, ils sont tristes en regardant le Tibre couler vers la mer, en songeant qu’il coule du côté où furent leurs villes qui ne sont plus.

Tarquin va dans le Comitium, où siègent les curies des patriciens qui s’y rassemblent l’œil morne et se taisent ; car, depuis que les centuries des plébéiens se réunissent dans le champ de Mars, ils ne savent plus sur quoi délibérer.

Tarquin leur dit « Que faites-vous là, nobles pères ? Vous vous taisez. L’esclave, fils d’une esclave, vous a dépouillé de vos antiques droits. Le vénérable Comitium, que Vulcain protège, a été déshérité pour le parc aux brebis du champ de Mars : l’étable a remplacé le temple.

« L’esclave aime les esclaves et les misérables ; il hait les pères de la cité, il les opprime ; il protège les anciens captifs, la plèbe étrangère du Cælius et de l’Aventin. »

Aux cavaliers, fils ardents des patriciens, il dit : « Le vieux chef de pillards ne peut plus monter à cheval ; il n’a plus de butin à partager aux jeunes cavaliers ; il ne donne plus rien à personne ; il garde sa richesse pour bâtir des murs et des temples. »

Voilà ce que Tarquin répète chaque jour contre le bon Mastarna, et les vieux patriciens le maudissent, et les jeunes patriciens le méprisent.

Le vieux roi, qui peut à peine marcher, ne sort pas de sa maison, et ne sait rien de ce qui se passe au dehors ; le cœur de sa fille, de la fière Tullie, palpite d’une odieuse joie.

Un jour vient, et le superbe Tarquin descend dans le marché, entouré de cavaliers et de fantassins bien armés, précédé de douze licteurs qui portent des haches, vêtu de la robe blanche des rois étrusques, qui est bordée de rouge, car déjà il l’a trempée dans le sang.

En le voyant passer, le front hautain, l’air dur et menaçant, les marchands sont épouvantés ; ils ferment leurs boutiques qui entourent le marché ; les mères, inquiètes, embrassent leurs enfants.

Tarquin monte les degrés de la Curie, et au sommet des degrés il fait placer le siège d’ivoire du vieux roi Servius ; il s’y assied. De là il regarde d’un air farouche la multitude qui se presse dans le marché et d’un air confiant les curies patriciennes qui remplissent le Comitium.

D’une voix forte il appelle le héraut. Le héraut vient en tremblant. « Héraut, dit le Superbe, va citer l’esclave fils d’une esclave à comparaître devant le roi Tarquin. »

Puis il dit « Après la mort de mon père, l’illustre Tarquin, l’aventurier Mastarna est monté indûment sur le trône où devait monter le fils de Tarquin, sans qu’on ait proclamé l’interrègne, sans qu’on ait assemblé les curies. C’est une femme qui lui a donné le trône.

« C’est ainsi qu’il a été roi. Comment a-t-il régné ? Protecteur des hommes de race infime, comme eux haïssant ceux de noble origine, il a donné le suffrage à la multitude, il a abaissé les grands.

« Il a pris leurs terres et les a distribuées aux plus vils, à son gré et à son caprice. Voilà ce qu’il a fait, l’esclave fils d’une esclave. »

En ce moment, le vieux roi arrive ; il monte les degrés de la Curie d’un pas que l’âge et la fureur font chanceler. D’une voix sévère il s’écrie :

« Qu’est ceci, Tarquin ? quelle est cette audace de convoquer les Pères sans mon aveu et de t’asseoir à ma place sur mon trône ? »

Tarquin répond « C’est sur le trône de mon père que je suis assis. Le fils d’un roi y est mieux placé qu’un misérable esclave. Assez longtemps dans ton insolence tu as insulté ton maître, »

Mastarna suffoque de colère ; il s’avance vers Tarquin d’un pas qui ne chancelle plus, avec la majesté et la fermeté d’un vieux roi qui a été un guerrier vaillant.

Tarquin s’élance vers lui furieux et menaçant, et, d’un geste superbe, il lui fait signe de descendre les degrés de la Curie. Le vieux Mastarna reste immobile, et dit : « Retire-toi, meurtrier de ma fille, retire toi. »

Alors Tarquin, l’orgueilleux Tarquin, ne se possède plus ; il ouvre ses bras puissants, il saisit le vieux roi et l’étreint comme s’il voulait l’embrasser ; mais il ne veut point l’embrasser, il veut lui donner la mort. Le fort jeune homme saisit l’infirme vieillard ; il l’enlève de terre et le précipite au bas des degrés par où l’on descend de la Curie vers le Comitium au pied des fiers patriciens sabins.

Tout meurtri, tout sanglant, étourdi de sa chute, le vieillard se relève. Ce coup terrible a intimidé les plébéiens, ses partisans, dans le marché. Les superbes patriciens du Comitium rient en le voyant rouler les degrés de la Curie, en le voyant se relever tout meurtri, tout sanglant.

Le vieux roi s’en va d’un pas boiteux regagner sa demeure sur le Cispius, sa haute demeure qu’il a placée là pour dominer le quartier patricien, pour tenir sous ses pieds les méchants patriciens, les insolents Sabins, et les empêcher d’insulter les Romains du Palatin, les Latins de l’Aventin et du Cælius.

Les Latins le plaignent, les plébéiens le plaignent ; ils voudraient l’entourer, le suivre ; les soldats de Tarquin les en empêchent.

Les hommes du Palatin, de l’Aventin et du Cælius gémissent en le voyant passer ; les soldats de Tarquin leur défendent de gémir.

Le vieux roi s’en va seul d’un pas lent et d’un pied boiteux, l’âme brisée de douleur, et essuyant avec sa robe royale le sang qui dégoutte de son front au devant de ses yeux et l’empêche de voir son chemin.

Quand il arrive dans la Bonne-Rue, dans le quartier des Sabins, dans le quartier ennemi, on l’insulte, on le raille, on le menace. Voilà ce qu’a dû souffrir des arrogants Sabins le grand chef étrusque, le bon Mastarna.

Il était parvenu à l’extrémité de la Bonne-Rue et au commencement du Vicus-Virbius, par où l’on monte à cette partie de l’Esquilin où était la demeure, du roi.

Déjà il voit tout près de lui sa maison royale du Cispius, où il espère reposer son corps malade, n’être plus outragé comme un misérable, où il espère mourir en paix.

Mais, comme il passait devant le temple de Diane, la grande déesse des Sabins, à laquelle Mastarna, pour être agréable aux Sabins, a dédié le temple de l’Aventin.

En ce moment, des soldats envoyés par Tarquin le rejoignent et lui disent « Tarquin nous a commandé de te tuer. »

Le vieux guerrier ne peut se défendre ; il ne leur répond point, il ne les regarde point ; mais il lève les yeux vers le sanctuaire de la déesse, et lui parle ainsi :

« O déesse Diane ! j’ai mis sous ta protection les cités latines, et moi je protégeais les Latins de Rome ; j’étais leur père, et ils étaient mes enfants.

« Aujourd’hui que je vais mourir, ô déesse ! je te recommande mes enfants, les pauvres plébéiens de l’Aventin et du Cælius, et les forts habitants du Palatin, quoiqu’ils ne viennent pas me défendre, moi qui les ai défendus de leurs ennemis et de leurs tyrans.

« Que ce peuple latin de Rome, que j’ai délivré du joug des Sabins, soit un grand peuple ; que le nom de Romain soit un grand nom, et que le nom de Sabin périsse !

« Que Tarquin soit maudit qu’il soit chassé de Rome !

« Que mon sang n’y règne plus, puisque mon sang produit des monstres ! »

Les Sabins de ce quartier, les patriciens de ce quartier, l’entendent, et ils sont saisis de fureur.

« Tuez, disent-ils aux soldats, tuez ce vieux chien d’Étrurie qui a opprimé les braves Sabins ;

« Qui n’a eu de complaisances que pour les pâtres du Palatin, pour les marchands de bœufs de l’Aventin, pour les conducteurs de bêtes de somme du Cælius.

« Tuez-le, tuez-le bien vite ! que le glorieux Tarquin règne ! et, unis aux Étrusques, les Sabins écraseront les loups du Palatin, les bœufs de l’Aventin et les mulets du Cælius. »

Et les soldats de Tarquin égorgent le vieux roi du Cælius, l’ami des Latins, l’ami des plébéiens, et les Sabins du quartier sabin se réjouissent, et les patriciens du quartier patricien se réjouissent ; car ils le regardent comme leur ennemi ; ils sont bien aises qu’on l’ait tué dans leur quartier.

Cependant Tullie, la détestable Tullie, était dévorée d’impatience dans sa maison de l’Oppius ; car elle habitait, comme son père, un sommet de l’Esquilin, mais un autre sommet.

Le père et la fille ne pouvaient demeurer ensemble et respirer le même air. Servius n’avait pas voulu que le meurtre habitât dans sa maison.

Tullie monte sur son char et se rend à la curie ; elle monte les degrés où étaient quelques gouttes du sang de son père. Elle les foule aux pieds sans les voir ; elle les aurait vues qu’elle ne se serait pas arrêtée.

Elle entre dans la curie. La présence des hommes n’arrête point cette femme effrontée. En présence des Pères elle embrasse son mari, et le salue du nom de roi.

Puis elle s’élance en hâte pour aller à la demeure d’où le vieux roi l’avait bannie. Maintenant elle y va rentrer sans crainte, car elle espère y trouver son père mourant.

S’il devait vivre encore, que ferait-elle ? Elle ne l’a dit à personne, excepté à Tarquin ; mais elle est bien pressée, sans doute elle sait pourquoi.

Mais voilà qu’à l’extrémité de la Bonne-Rue, à l’entrée du Vicus-Virbius, devant le temple de Diane, voilà que le char de Tullie, au moment où il allait tourner à droite pour gravir l’Esquilin, s’arrête tout à coup.

Les chevaux ont vu un cadavre au milieu de la rue, et ils se sont arrêtés ; le cocher a vu le cadavre, et il reste immobile.

« Allons, cocher, dit Tullie, frappe de ton fouet les coursiers qui s’arrêtent ; allons, mes bons coursiers, en avant ; j’ai hâte d’arriver. »

Les chevaux se cabrent au lieu d’avancer ; le cocher ne peut lever le fouet sur eux ; l’horreur a pétrifié son bras.

L’altière Tullie le gourmande, mais toujours il demeure immobile.

Enfin elle avance la tête pour voir l’obstacle ; le cocher lui montre le cadavre, et lui dit « C’est le cadavre de ton père. »

Elle regarde, puis elle lève la tête, et voit au haut de la montée du Vicus-Virbius la maison royale, la maison où elle va être reine et Tarquin roi.

Et elle dit au cocher « Eh bien, passe sur le cadavre de mon père. »

Le char de Tullie a passé sur le cadavre de son père. Les os de son père ont crié sous les roues ; le sang de son père a jailli sur elle.

Elle n’a pas entendu les os crier, elle n’a pas vu le sang jaillir ; elle ne voyait que la maison royale au sommet du Vicus-Virbius, la maison où elle sera reine et où Tarquin sera roi.

La rue où ceci s’est passé ne s’appellera plus la Bonne-Rue, mais la rue Scélérate ; elle s’appellera comme la scélérate Tullie.

Quelques jours après, elle est allée dans le temple de la Fortune, que Mastarna, le favori de la Fortune avait élevé à la déesse, qui l’a protégé longtemps, et qui a fini par le trahir ;

À la déesse qui venait la nuit par sa fenêtre le visiter dans sa demeure, et qui, comme une femme légère, quand il a été vieux, l’a abandonné.

Et comme Tullie s’approchait de la statue de son père, qui était dans le temple, la statue s’est voilée la face pour ne pas voir la scélérate Tullie.


J’ai cherché à retrouver l’accent populaire du poême antique en traduisant le beau récit de Tite Live, dans la langue rude et cadencée qui devait êre celle de ce vieux chant en y introduisant quelques détails tenant à des circonstances que Tite Live ne connaissait pas ou qu’il n’a pas rappelées, et que l’étude des lieux et des races m’a permis de retrouver et d’apprécier.

Cete fois le poême qui a transmis l’événement tragique était un poême romain, non un chant sabin, comme le chant du Vélabre. Un poême animé de l’esprit sabin n’eût point montré, comme le fait la narration de Tite Live, dont celui-i a fourni les éléments, tant de sympathie pour Servius Tullius.

Cette apparition du sentiment romain dans la légende est pour moi un signe historique de l’avènement du peuple romain.

Après avoir tenté cette recomposition approximative du récit primitif, je reviens à l’événement lui-même, que je crois véritable, au moins dans son ensemble ; car la poésie populaire n’invente pas les faits, elle les raconte à sa manière, et décrit fidèlement les lieux.

La fidélité de cette description, reproduite par ceux qui avaient reçu la tradition telle que la poésie l’avait faite, permet d’assister à la tragédie jusqu’à la dernière scène, comme si on était guidé par un témoin oculaire.

Servius, s’éloignant de la demeure des rois sabins sur la Velia, qui fut encore celle de Tarquinius Priscus, et qui d’abord avait été la sienne, alla, le premier des rois de Rome, habiter un sommet de l’Esquilin, nommé Cispius (Sainte-Marie-Majeure), du côté de son agger, du côté où Rome était le plus menacée[52]. Il était aux avant-postes contre les Sabins.

Son gendre, Tarquin, suivant la tradition, habitait aussi sur l’Esquilin, mais plus au sud, près du bois de hêtres, appelé Fagutal[53], qui était voisin de l’autre sommet de l’Esquilin, l’Oppius (San-Pietro-in-Vincoli).

Je voudrais suivre les pas de Servius Tullius depuis la curie jusqu’au lieu où il tomba, et où la tradition faisait passer le char de sa fille sur son cadavre.

Je n’affirme point la réalité de ce monstrueux événement, que je suis encore plus loin de rejeter. Quoi qu’il en puisse être, la tradition était précise et détaillée dans ses indications topographiques ; elle n’avait pas de doute sur le point où le fait s’était accompli. Je dois dire que je n’en ai pas moi-même sur le lieu qu’elle indiquait.

Servius Tullius, après avoir pris le chemin raccourci qui partait du pied de la Velia et allait du côté des Carines, atteignit le Vicus-Cyprius (Via Urbana).

Parvenu à l’extrémité du Vicus Cyprius, le roi fut atteint et assassiné par les gens de Tarquin auprès d’un temple de Diane[54].

C’est arrivée en cet endroit, au moment de tourner à droite[55] et de gagner, en remontant le Vicus-Virbius, le Cispius, où habitait son père, que les chevaux s’arrêtèrent ; que Tullie, poussée par l’impatience fiévreuse de l’ambition, et n’ayant plus que quelques pas à faire pour arriver au terme, avertie par le cocher que le cadavre de son père était là gisant, s’écria : « Eh bien, pousse le char en avant. »

Le meurtre s’est accompli au pied du Viminal, à l’extrémité du Vicus-Cyprius, là où fut depuis le Vicus-Sceleratus, la rue Funeste.

Le lieu où la tradition plaçait cette tragique aventure ne peut être sur l’Esquilin : mais nécessairement au pied de cette colline et du Viminal, puisque, parvenu à l’extrémité du Vicus-Cyprius, le cocher allait tourner à droite et remonter pour gravir l’Esquilin. Il ne faut donc pas chercher, comme Nibby, la rue Scélérate sur une des pentes[56], ou, comme Canina[57] et M. Dyer[58] sur le sommet de l’Esquilin[59], d’où l’on ne pouvait monter sur l’Esquilin.

Tullie n’allait pas sur l’Oppius (San-Pietro in Vincoli), dans la demeure de son mari, mais sur le Cipius, dans la demeure de son père[60]. C’était de la demeure royale qu’elle allait prendre possession pour le nouveau roi.

Quand Tullie osa pénétrer dans le temple où était la statue de son père, la statue se voila[61]. D’autres disaient qu’il fallut la voiler, parce que sa vue réveillait la douleur immense et toujours croissante du peuple[62].

Sans croire à ce miracle, je suis disposé à admettre la vérité de cette formidable histoire, prise dans son ensemble. Ce sont là de ces faits extraordinaires qui restent dans la mémoire des peuples, et que la poésie naïve des âges anciens cloue, pour ainsi dire, au lieu qui en fut témoin.

Ce fait sinistre a beau être perdu dans le lointain des âges et a demi voilé par les nuages de la tradition, quand on se sent au lieu où elle l’a placé, il semble revivre, et on croit l’apercevoir.

Je n’oublierai jamais le soir où, après avoir longtemps cherché le lieu qui vit la mort de Servius et le crime de Tullie, tout à coup je découvris clairement que j’y étais arrivé, et m’arrêtant plein d’horreur, comme le cocher de la parricide, plongeant dans l’ombre un regard qui, malgré moi, y cherchait le cadavre du vieux roi, je me dis : « C’était là ! »

  1. Il est vrai que les trois races que Servius voulait rapprocher habitaient en général des quartiers différents. Cependant cette diversité de demeure n’était pas absolue. Il y avait sur le Palatin des Sabins et sur le Cælius des Étrusques qui étaient restés parmi les Latins ; il y avait au milieu des Sabins du Quirinal les Latins du collis Latiaris ; et puis le principe de l’immobilité dans la séparation était ébranlé. On ne change pas de race, mais on change de quartier.
  2. Varr., De L. lat., V, 55 ; Cic., De Rep., II, 20.
  3. Den. d’Hal., IV, 14.
  4. P. Diac., p. 368. Dans Varron (De L. lat., V, 55), elle est la quatrième ; mais Varron, qui énumère les tribus à l’occasion des anciens sanctuaires des Argéens, suit l’ordre de ces sanctuaires avec lesquels Servius mit en rapport ses régions, rattachant son institution nouvelle à un antique souvenir. Les trois premières régions, la Suburane, la Palatine et l’Esquiline, correspondaient aux trois collines qui avaient formé le Septimontium des Sicules et des Ligures. C’était une bonne raison de ne mettre la région du Quirinal qu’après les trois autres. En innovant, Servius semblait suivre un ordre très ancien, conservé par un vieux culte.
  5. Il n’est pas fait mention de l’Aventin, qui n’était point compris dans le Pomœrium ; sa population latine était sans doute rattachée à la population latine du Palatin, comme la population sabine du Viminal à la population sabine du Quirinal.
  6. Den. d’Hal., IV, 15.
  7. Les Paganalia, qui étaient pour les tribus rustiques ce qu’étaient pour les tribus urbaines les Compitalia.
  8. La propriété, dit Niebuhr, appartenait exclusivement aux plébéiens ; si on en excepte ce qui était sous les murs mêmes de la ville, la véritable propriété ne se trouvait qu’entre les mains de ces derniers. (Niebuhr, Hist. R., II, p. 161.)
  9. On pourrait opposer à cette assertion les noms des tribus rustiques, dont la plupart sont des noms de gentes patriciennes, Fabia, Cornelia, Æmilia, etc. Ces noms ne remontent pas à Servius ; ils nous sont donnés à propos des tribus telles qu’elles existaient dans les premiers temps de la république, quand les patriciens étaient maîtres de tout et tendaient en toute chose à dominer et à amoindrir les plébéiens. Alors les familles aristocratiques établies à la campagne avaient pu donner leur nom aux tribus au sein desquelles elles résidaient. Quelques-unes cependant, comme la tribu Lemonia, près de la porte Capéne, la tribu Pupinia, au pied de la montagne de Tusculum, avaient conservé une domination tirée du lieu qu’elles habitaient. Je pense qu’il en avait été ainsi à l’origine de presque toutes les autres.
  10. L’as était d’abord une livre de cuivre. Au sixième siécle ; il était réduit à deux onces. Le prix des objets avait dû augmenter en proportion. M. Böckh(Metr. unters., 1838, p. 427) estime qu’il avait seulement quintuplé ; il pense qu’on a quintuplé aussi les chiffres du cens de Servius Tullius pour les mettre en rapport avec la valeur diminuée du cuivre, et qu’il faut, par conséquent, les réduire au cinquième. Les cent mille as de la première classe descendaient ainsi à vingt mille. En 302 (Gottl., Röm. Verf., p. 246), un bœuf valait cent as et une brebis dix. À ce taux, le minimum de la propriété exigée pour faire partie de la première classe eût donc été équivalent à un troupeau de deux cents bœufs ou de deux mille moutons.
  11. Cic., De Rep., II, 22.
  12. Selon qu’on voit la part faite aux centuries de cavaliers des trois anciennes tribus, doublées par le premier Tarquin, dans les six suffrages accordés à six centuries de la constitution de Servius ou dans les douze autres qui, avec les six, formaient dans cette constitution les dix-huit tribus de cavaliers. (Voy. Göttling, Geschichte der Römischen Verfassung, p. 253.) On n’est pas d’accord sur ce point ; mais il est certain qu’aux anciennes centuries de cavaliers, Servius Tullius en avait ajouté de plébéiennes.
  13. Den. d’Hal., V, 19 ; Göttling. Gesch. d. Röm. Verfass., p. 239. Sur les rapports des tribus aux centuries, voyez le très savant et tres ingénieux ouvrage de M. Mommsen, intitulé Die Römischen tribus, dans lequel l’auteur veut démontrer que la constitution par centuries repose sur la tribu. (P 58.)
  14. Infra classem, pour ce qui est au-dessous de la première classe ; c’est de là que vient l’expression classique.
  15. Les Septa étaient voisins de la villa Publica, située vers l’extrémité méridionale du Champ de Mars ; car elle était assez prés du temple de Bellone pour que de ce temple on entendit les cris des prisonniers que Sylla y faisait égorger. Or l’emplacement du temple de Bellone n’est pas douteux. Ce temple était près du cirque Flaminien.
  16. Serv., ecl., I, 34.
  17. D’où cette expression pour convoquer les centuries Convocare exercitum urbanum.
  18. Classis désignait dans l’origine un corps de troupe : procinctæ classes, armée rangée en bataille. Dans l’usage, ce mot désignait surtout l’armée de mer, la flotte.
  19. Il y avait dans les Septa des ponts sur lesquels on passait pour aller voter ; de là l’expression Sexagenarius de ponte. (P. Diac., p. 534.)
  20. Tit. Liv., I, 43 ; Den. d’Hal., IV, 16-7.
  21. La lustration des centuries, qui accompagnait tous les cinq ans chaque renouvellement du cens, et qui a donné à cette période de temps le nom de lustrum, était peut-être une chose sabine antérieure à Servius Tullius, qui l’aurait adoptée, ou une chose étrusque. Nous avons vu que toute lustration, et en particulier celle des armes et des trompettes, venait des Sabins ou, par eux, des Étrusques.
  22. Cic., De Rep., II, 22.
  23. Den. d’Hal., IV,21.
  24. Fest., p. 221; Via Urbana, Via di Sauta Maria Maggiore, Via di Santa Pudenziana.
  25. Fautor infimi generis hominum. (Tit. Liv., I, 47.)
  26. Plut. Qæst. rom., 100 ; Fest., p. 343-5.
  27. Le petit peuple célébrait cette mémoire toutes les nundines, jours de marché, parce qu’on croyait que Servius était mort un jour de nones et qu’on ne savait pas dans quel mois. (Macr., Sat., I, 13.)
  28. Ov., Fast., VI, 585.
  29. Den. d’Hal., IV, 9 ; Cic., De Rep., II, 21.
  30. Tit. Liv., I, 481 ; Den. d’Hal., IV, 40.
  31. Sanctor legum fuit quis etiam reges obtemperarent. (Tacit., Ann.., II, 26.
  32. Mommsen, R. Gesch., I, p. 126-7.
  33. Micali, l’it. avanti il dom. O. R, II, 8.
  34. Cic., De Rep., II, 20 ; Tit. Liv., I, 43.
  35. Pl., Hist. nat., XXXIII, 13, 2.
  36. Metr. Untersuch., p. 207.
  37. Huit siècles avant Jésus-Christ. (Vell. Pat., I, 7 ; O. Müller, Etr., p. 166.
  38. Aur. Victor, De Vir. ill., VII. Les principales mesures grecques furent peu modifiées en devenant romaines. (Mommsen, R. Gesch., I, p. 195.’)
  39. On peut voit une très-belle collection de cette sorte de monnaie grossière, et des as marqués d’un signe qui vinrent ensuite, au musée Kircher dans le collège Romain. Les exemples les plus anciens de l’æs grave, celui qui porte une empreinte, appartiennent à l’Ombrie, très-anciennement étrusque. (Pauly, Real. Encycl., I, p. 179.)
  40. Cette marque permettait de changer la valeur de la monnaie, et fut peut-être pour Servius Tullius un moyen d’aider les débiteurs à s’exonérer, comme le fit Solon par le changement qu’il apporta dans la valeur de la monnaie.
  41. Cedr., Comp. hist., p. 141.
  42. O. Müller, Manuel d’archéologie, § 178.
  43. Böck., Metr. Unters., 206-7.
  44. Cic., De Rep., II, 21.
  45. Mommsen, Gesch., I, p. 197.
  46. Den. d’Hal., IV, 26.
  47. Strab, IV, 1, 5.
  48. Den. d’Hal., IV, 15.
  49. Tit. Liv., I, 42.
  50. Den. d’Hal., IV, 27. Denys semble se démentir lui-même, car il ne nomme, parmi les ennemis vaincus par Servius, que les habitants de Véies et de Cures, dans le voisinage de Rome, et ceux de Tarquinii qui n’en était pas très-éloignée.
  51. Tit. Liv., I, 42.
  52. Solin., I, 25.
  53. Solin., I, 26.
  54. Tit. Liv., I, 48 ; Ov., Fast., VI, 603.
  55. Cette désignation précise de Tite Live permet de déterminer le lieu tragique. C’était à l’extrémité du Vicus Cyprius, auquel l’on arrivait en descendant des Carines, et qui ne pouvait être que le chemin entre l’Esquilin et le Viminal, appelé aujourd’hui Via Urbana, à l’endroit où il fléchit vers la droite et prend le nom de Via di Santa Maria laggiore. Cette dernière rue correspond au Vicus Virbius. On place en général le Vicus Cyprius sur l’Esquilin, malgré les paroles de Tite Live et d’Ovide, qui tous deux le placent au-dessous de l’Esquilin. Denys d’Halicarnasse (IV, 39) dit que c’est le Vicus Virbius, et non le Vicus Cyprius, qui fut appelé Voie Scélérate, mais la première de ces deux rues n’était qu’une continuation de la seconde.
  56. Nibb., Rom. ant., II, p. 832.
  57. Can., Esp. top., p. 207.
  58. Dict. de Smith., II, p. 824.
  59. Summus Cyprius Vicus ne veut pas dire seulement au sommet de la rue, mais aussi à l’extrémité de la rue, comme Summis digitis, du bout des doigts.
  60. Tite Live (III, 48) dit le contraire, mais Ovide (Fast., VI, 605)le dit positivement, et les Fastes d’Ovide ont été écrits en grande partie d’après Varron.
  61. Ov., Fast., VI, 572.
  62. Ov., Fast., VI, 583-4.