L’Histoire romaine à Rome (1862)/Première Partie/17


Michel Lévy (2p. 80-116).


XVII

SERVIUS TULLIUS


Légende sabine sur Servius Tullius. — Mastarna. — Servius Tullius élu par le sénat. — Culte et temple de la Fortune, dévotion de l’aventurier à la Fortune. — Les Compitalia, fête des Lares, politique de Servius. — Rome, ville latine ; Rome mise à la tête des populations latines ; temple de Diane. — Opposition des Sabins ; supercherie religieuse. — Première enceinte de toute la ville, Rome existe.


Entre le premier Tarquin et le second, les historiens placent un roi qu’ils appellent Servius Tullius. La tradition avait transmis deux récits de sa naissance l’un de ces récits est fabuleux, l’autre est romanesque.

Le premier donne pour père à Servius le Lare du foyer royal[1], ou Vulcain lui-même. C’était une légende qui avait cours en pays sabellique ; on avait déjà supposé une naissance semblable pour Cæculus, le héros fondateur de Præneste[2].

Elle était probablement d’origine pélasgique, car on y voit figurer les deux symboles principaux de la religion des Pélasges : l’un[3] que j’ai indiqué ailleurs, et l’autre qui est le feu.

Une action miracuteuse du feu figure plusieurs fois dans la vie légendaire de Servius. Enfant, une flamme environne sa tête pendant son sommeil, comme elle apparaît dans l’Énéide autour de la tête de Lavinie ; et, après sa mort, le temple de la Fortune, où était sa statue, ayant brûlé, l’image du fils de Vulcain fut épargnée[4].

Selon l’autre récit, la mère de Servius était une habitante de la ville sabine de Corniculum[5]nommée Ocrisia ; ce mot, en sabin, voulait dire la montagnarde[6]. Son mari ayant succombé dans la guerre contre Tarquin, Ocrisia, déjà grosse, était devenue l’esclave de la reine Tanaquil, et elle avait donné le jour à Servius Tullius.

Cette légende, qui fait naître Servius d’une femme esclave, est évidemment hostile, d’autant plus que la tradition ne s’en tint pas là ; elle ne voulut point lui laisser pour père un chef sabin indépendant ; de ce père elle fit un client de Tarquin et même un esclave[7].

Quand nous aurons vu que la constitution de Servius Tullius consomma l’émancipation des Latins, leur égalité avec le peuple sabin, et acheva de les fondre dans ce peuple, nous ne serons pas surpris de ces outrages de la légende sabine. Dans la version la moins désobligeante pour la mémoire de Servius, sa mère était toujours une esclave ; si son père était un dieu, c’est que, tout en faisant du roi législateur un fils de Sabine, on voulait rattacher sa naissance à un culte devenu national chez les Sabins, le culte du feu.

Les deux traditions sur ce roi, recueillies par les historiens latins, sont donc également des traditions sabines.

La légende venait des Sabins ; mais l’histoire véritable, nous la devons aux Étrusques ; car par eux nous savons que Servius Tullius se nommait Mastarna.

Un fragment du discours de l’empereur Claude retrouvé à Lyon[8] nous l’apprend, et nous dispense heureusement d’avoir à expliquer comment le règne du fils d’une esclave sabine pourrait se trouver intercallé entre ceux de deux rois étrusques de la grande famille des Tarquins, ce qui serait assez invraisemblable.

Claude était un mari très-débonnaire, mais un homme fort savant. Il avait écrit une histoire des Étrusques d’après des sources que nous ne possédons plus. Entre son témoignage, fondé sur une tradition étrusque très-vraisemblable, et le récit merveilleux ou romanesque des auteurs qui se sont bornés à reproduire la légende intéressée des Sabins, il n’y a pas à hésiter.

Si nous en croyons les Étrusques, et Claude qui parlait d’après eux, Mastarna, fidèle compagnon d’un autre chef étrusque, Cælius Vibenna, et associé à toutes ses aventures, poussé hors de l’Étrurie par des fortunes diverses, avec ce qui restait de l’armée de Cælius, occupa la colline qui depuis fut elle-même nommée Cælius.

Claude seul, il est vrai, parle de Mastarna ; mais Varron[9], Festus[10], Denys d’Halicarnasse[11] et Tacite[12] connaissent Cælius, ou mieux Cæles Vibenna, et le changement de nom du mont Cælius, appelé avant lui mont des Chênes, est encore là pour conserver sa mémoire[13].

L’existence de Cæles Vibenna n’est donc pas douteuse[14], et entraîne celle de Mastarna[15].

Quoi de plus vraisemblable que le récit des historiens étrusques tel que l’empereur Claude nous l’a fait connaître ? Depuis Mézence, c’est-à-dire depuis les temps héroïques, les Étrusques avaient franchi le Tibre. Ils avaient anciennement occupé le Capitole et déjà une fois le Cælius. Cette nation était composée d’une aristocratie très-belliqueuse et d’une population très-dépendante.

L’Étrurie était une fédération de villes dont les chefs portent dans l’histoire romaine le nom de rois. Peut-être Mastarna fut un de ces chefs chassé de son royaume, comme on disait que Mézence l’avait été de Cære. Plus probablement Mastarna fut un hardi et aventureux capitaine dont la fortune du parvenu de Tarquinii avait tenté l’ambition, et qui vint avec une troupe armée se mettre à son service, comme un condottiere toscan du moyen-âge se mettait au service de quelque petit tyran nouvellement établi. Il battit les ennemis de Tarquin, se fit aimer de ses sujets, devint son gendre et gouverna sous son nom[16]. De là à lui succéder il n’y avait pas loin.

Tarquin n’avait que des fils ou des petits-fils en bas âge. La race d’Ancus, et avec elle les prétentions sabines, n’étaient pas éteintes.

Pour empêcher qu’elles ne l’emportassent après lui, Tarquin put s’accoutumer à voir dans le vaillant Mastarna un successeur qui affermirait à Rome le pouvoir de sa nation et qui était devenu de sa famille. Tanaquil, cette femme énergique qui avait encouragé son ambition et prédit sa grandeur, put adopter cette pensée dans l’intérêt même de ses enfants, menacés si la réaction Sabine triomphait ; elle put désirer pour eux l’appui d’un gendre qu’appelaient à régner sa bravoure et sa popularité.

Les choses en étaient là quand Tarquin fut inopinément frappé dans sa maison sur la Velia. Aussitôt Tanaquil fait fermer les portes, feint un espoir qu’elle n’a pas de sauver le roi, appelle Servius auprès de son époux moribond, l’exhorte à le venger et à la défendre, lui rappelle le prodige de la flamme qui a entouré sa tête. Sans doute elle invoqua Vesta, déesse du feu, dont le temple était tout proche et qu’elle pouvait voir par sa fenêtre ; car, si la tradition est exacte, nous savons que les fenêtres de sa maison donnaient sur la rue Neuve[17], qui passait devant le temple de Vesta ; et ce fut par une de ces fenêtres qu’elle adressa la parole au peuple rassemblé sur les pentes de la Velia et dans le marché, qui était au bas, pour exciter sa fureur et sa pitié. Du haut de l’arc de Titus, qui occupe à peu près la place de la maison de Tarquin, on pourrait se donner par l’imagination le spectacle de cette foule émue et la voir s’agiter là même où Tanaquil la harangua.

Faisant pour Mastarna ce que fit Plotine pour Adrien après la mort de Trajan, elle cache l’extrême danger du roi, dit qu’il n’a été qu’étourdi, qu’il guérira, que tout va bien ; qu’en attendant, son gendre remplira les fonctions royales.

Mastarna sort, descend par la voie Sacrée au Forum escorté des licteurs, il le traverse dans toute sa longueur, et va s’asseoir dans la curie, où il convoque le sénat. Les patriciens viennent prendre place dans le Comitium, devant la curie. Grâce aux sénateurs que Tarquin avait eu soin de nommer pour se créer un parti, grâce aux Étrusques et aux Latins qu’il avait élevés au patriciat, son gendre, gouvernant en son nom, est bien accueilli. Les plébéiens latins remplissent le Forum, maudissant le crime des fils du dernier roi sabin, regrettant le roi étrusque qui avait amélioré la condition de leur race et favorablement disposés pour son successeur, quel qu’il pût être, pourvu qu’il ne fût pas sabin.

Ce récit très-circonstancié, et dont les détails sont tellement d’accord avec la disposition des lieux que j’ai pu le compléter en quelques points d’après elle, ce récit est si vraisemblable, que je le crois vrai. Cependant Mastarna était plus sûr du sénat que de l’ordre des patriciens, où les grandes familles de l’aristocratie sabine devaient former encore le parti dominant, et c’est ce qui explique une phrase de Tite Live que l’on n’a pas toujours comprise, même dans l’antiquité. La royauté ne fut point conférée à Servius Tullius par les patriciens, mais par le sénat[18].

Ce fut donc le sénat préparé par Tarquin qui nomma son successeur. On ne consulta point les patriciens sur lesquels on ne comptait pas autant. On ne consulta pas non plus les plébéiens, qui n’avaient pas de voix à donner. Le suffrage universel n’était pas dans la légalité ; mais, en fait, le plebs approuva et appuya l’élection du nouveau roi. Là même où le suffrage universel ne se manifeste point par un vote légal, il peut constituer par l’adhésion volontaire du grand nombre un droit ; bien qu’exprimé par un vote légal, il pourrait être surpris ou forcé. Le suffrage universel est un droit quand il est un fait.

Mastarna prit les noms de Servius Tullius. Je dois parler de ces noms, car ils se rattachent à son origine, au lieu qu’il habita en arrivant à Rome et à des monuments que la tradition lui attribuait.

Si Servius n’est pas une traduction de Mastarna, dont le sens est inconnu, ce prénom pourrait bien se rattacher au séjour du chef étrusque sur le Cælius. Une des familles albaines, que Tullus Hostilius y avait établie, était celle des Servilii[19].

Cette famille avait peut-être secondé l’aventurier, et, comme on prenait le nom de celui par lequel on était adopté, il prit peut-être le nom de ceux qui avaient adopté sa fortune.

Quoi qu’il en soit, ce fut ce nom qui servit de prétexte à l’hostilité des Sabins pour faire de Mastarna le fils d’un esclave ou même un esclave (servus), tandis que la population latine, qui lui était favorable, exagérant la tendance populaire de Mastarna, en prit occasion pour faire de lui le protecteur des esclaves.

Quant à Tullius, c’était un nom étrusque[20].

Cela achève de prouver la provenance étrusque de celui qui prit ou conserva ce nom. Si le prénom Servius fut un emprunt à une famille latine, la double appellation de Mastarna, Servius Tullius, serait, comme le mont Cælius, sa première résidence, le fut lui même quant à sa population, moitié, latin, moitié étrusque.

Mais, si ce nom de Tullius est étrusque, il est aussi sabellique[21].

On le trouve chez les Volsques d’Arpinum, illustré par Cicéron[22].

Il paraît même avoir été sabin, puisque Tullus fut le nom de l’avant-dernier roi sabin, Tullus Hostilius[23].

Mastarna tenait-il en quoi que ce soit aux Sabins ?

La légende, qui lui donnait une Sabine pour mère, bien qu’altérée par la haine, devait reposer sur quelque chose. Parmi les statues des rois qui subsistèrent longtemps au Capitole, deux se distinguaient des autres, parce qu’elles avaient au doigt un anneau : le roi sabin Numa et Servius Tullius[24] ; l’usage de l’anneau semble être venu des Étrusques aux Sabins et des Sabins aux Romains[25].

D’où pouvait naître cette légende d’une mère sabine et cette association avec un roi sabin.

Mastarna, au lieu d’appartenir à la race étrusque, appartiendrait-il à la race des Ombriens[26], plus anciennement établie dans l’Étrurie que les Étrusques eux-mêmes, parente et peut-être mère de la race sabine ?

Ce qui est certain, c’est qu’à Rome les temples dont la tradition rapportait la fondation à Servius Tullius étaient consacrés à des divinités à la fois étrusques et sabelliques, ou à des divinités purement sabines.

Il honorait dans les premières, comme né en Étrurie et d’origine ombrienne, les divinités de son pays et de sa race. Il rendait hommage aux secondes par politique et par égard pour les Sabins.

Au premier rang parmi les divinités à la fois étrusques et sabelliques, et probablement de provenance ombrienne[27], auxquelles Servius, Ombrien, je crois, comme elles, rendit un culte particulier, est celle qui, entre tous les autres personnages célestes, eut le plus de temples à Rome et reçut le plus de noms différents, fut le principal objet de l’adoration du peuple romain, lequel, a vrai dire, lui devait beaucoup, la fortune.

Ce fut sous l’empire surtout que la fortune, alors synonyme du hasard, devint, dans la démoralisation universelle, la seule divinité à laquelle on croyait.

Partout, dit Pline[28], la Fortune est invoquée ; on ne parle que d’elle, on ne songe qu’à elle, on ne s’en prend qu’à elle, on n’accuse qu’elle, lui rendant hommage même par les injures qu’on lui adresse. Presque tous la disent volage, aveugle, mobile, inconstante, incertaine, changeante, et favorisant ceux qui n’en sont pas dignes, indignorumque fautrix.

Pour Ptutarque[29] il déclarait qu’en entrant à Rome elle avait quitté ses ailes, ôté ses souliers, déposé le globe toujours tournant qui était sur, sa tête. Cependant l’instable Fortune n’y était pas encore fixée ; elle n’avait pas épuisé sa mobilité. Elle semble depuis avoir repris ses ailes, remis ses souliers et replacé sur sa tête son globe tournant, lequel tourne encore.

Le culte de la Fortune était la vraie religion du peuple romain. Sous ce nom, il se représentait l’intervention d’une puissance inconnue dans toutes les circonstances, dans tous les actes de la vie, et les divers aspects que cet inconnu, espéré ou redouté, pouvait offrir à l’imagination.

Chaque chose avait sa Fortune. Dans les classes de la société, il y avait la Fortune des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des familles ; il y avait la Fortune des Tullius, des Flavius, de ceux qui portaient le même surnom, des Torquatus ; il y avait la Fortune des bains, la Fortune des greniers.

Les cohortes avaient leur Fortune.

Il y avait la Fortune des semailles et la Fortune des moissons.

Il y avait la Fortune du retour, la Fortune Barbata, à laquelle on consacrait sa première barbe ; la Fortune Virginalis, à laquelle les jeunes femmes offraient la ceinture qu’elles déposaient en se mariant ; la Fortune virile, la Fortune mulièbre, la mauvaise, la bonne, la douteuse, la complaisante, la Fortune d’aujourd’hui, la Fortune qui protège, la Fortune qui dure, la Fortune qui revient, la Fortune qui espère et la Fortune engluée.

Quand arriva l’empire, les empereurs eurent leur Fortune ; de peur de la perdre, ils placèrent sa statue dans leur chambre coucher. Cela s’appelait la Fortune de César ; mais César avait emporté la sienne.

Le nom de cette déesse, qui devint celui du hasard, avait été dans l’origine celui de la force[30], de la force ignorée qui a engendré et dirige le monde. C’était la Fortune, premièrement créatrice, primigenia, qui fut une divinité pélasge et une divinité sabine avant de devenir une divinité romaine.

En effet, elle avait divers sanctuaires en Grèce, et particulièrement en des lieux où l’on trouve des restes du culte des Pélasges.

Elle y était représentée, comme elle le fut à Rome, sur les médailles[31] et telle qu’on peut la voir dans une statue qui est au Vatican, tenant un gouvernail d’une main et portant de l’autre une corne d’abondance remplie de fruits.

Cette Fortune créatrice et féconde était une bien grande déesse, car elle était la mère de Jupiter et de Junon, comme la grande mère de l’Ida.

On la figurait tenant l’un et l’autre dans son giron, tandis que le Jupiter enfant se tournait vers le sein maternel (mammam appetens). La Fortune nourrice, avec son divin fils, était singulièrement un objet de dévotion pour les mères[32]. Elle devait, en effet, exciter dans leurs cœurs un peu de cette dévotion tendre que la vue assez semblable de la Vierge et du petit Jésus y fait naître aujourd’hui.

Telle était dans l’origine la Fortune de Præneste, ville qui fut pélasgique, et dont les sorts devinrent si célébres. Ces sorts étaient tirés au moyen de bâtons de chêne par la main d’un enfant[33] comme les numéros de la loterie, après avoir été bénis par un prélat, sont tirés aujourd’hui sur le balcon du palais Madama.

Les Pélasges avaient communiqué ce culte antique de la Fortune aux nations sabelliques[34], et en particulier aux Sabins[35].

Ceux-ci le fondèrent sur le Capitole[36] et sur le Quirinal.

Il y avait trois temples de la Fortune sur le Quirinal[37] et tous trois assez près de la porte Colline, sans compter un autel consacré à la Fortune du bon espoir, plus au sud, dans la rue Longue[38] (rue Saint-Vital). L’origine de ces temples remontait vraisemblablement au temps où les Pélasges habitaient le Quirinal avec les Sabins ; car la Fortune à laquelle l’un d’eux était dédié s’appelait Primigenia[39], comme la Fortune de Præneste. Elle s’appelait aussi la Fortune publique[40].

Ainsi s’était transformée l’idée toute pélasgique d’une déesse mère en celle d’une divinité politique sous l’influence de l’esprit romain.

En voyant les temples de la Fortune accumulés dans la région du Quirinal, j’ai peine à me figurer qu’il n’y ait pas eu dans cette région, qui fut pélasge et sabine, un culte de cette déesse institué par les Pélasges et adopté par les Sabins.

Le culte de la Fortune existait aussi chez les Étrusques. Ils regardaient Cérès, Palès et la Fortune comme leurs Pénates[41] ou dieux protecteurs, et leur grande déesse Nortia était la même que la Fortune[42].

Le principal temple de Nortia était à Volsinii (Bolsène)[43].

Dans le mur de ce temple, on enfonçait le clou sacré qui marquait les années comme au Capitole.

C’est de Volsinii que Cæles Vibenna était, disait-on, venu à Rome. De là aussi la tradition faisait venir sans doute celui qu’elle lui donnait pour fidèle compagnon, Mastarna. Il n’est donc pas surprenant qu’on attribuât au roi Servius Tullius la consécration de deux temples[44] de la Fortune à Rome, l’un dans le marché aux boeufs[45], l’autre sur la rive droite du Tibre, à six milles de Rome en descendant le fleuve[46].

Et puis il y avait encore un autre motif à cette prédilection de Mastarna pour le culte de la Fortune.

Je ne dirai pas avec Valère Maxime[47] : « Jamais rien ne montra mieux la toute-puissance de la Fortune que l’esclavage de Servius Tullius devenu roi, » parce que je ne crois pas que Servius Tullius ait été esclave, et que je connais d’autres exemples plus extraordinaires de la toute-puissance capricieuse de la déesse de Præneste.

Mais Servius, après avoir été un soldat de fortune, était devenu un roi de fortune, ce qu’Horace[48] appelle fortunæ filius. Il était naturel qu’il fût dévot à la Fortune, comme Sylla.

La tradition populaire, encore cette fois vraie dans ses mensonges et éclairée dans sa crédulité, avait exprimé cette faveur de la Fortune, qui semblait s’être donnée au vaillant aventurier, en supposant qu’elle avait coutume de venir la nuit le visiter en entrant par la fenêtre[49]. La Fortune fut l’Égérie de celui que Tite Live compare à Numa. Je remarque une différence entre les deux légendes. Égérie, la nymphe champêtre, la Camène du bois Sacré, converse avec Numa sous les chênes de la colline, au murmure de la source sacrée à l’époque de Servius, les choses ont changé, la civilisation a marché, et la poésie s’est retirée. La Fortune vient le chercher au milieu d’une ville et entre chez lui par la fenêtre[50].

L’heureux aventurier, le condottiere parvenu, éleva deux temples à la Fortune, qui l’avait fait régner.

Le premier dans le marché aux boeufs[51], lieu consacré par les plus anciens souvenirs pélasgiques, par la venue et les exploits d’Hercule ; sous les influences de l’austérité sabine, puissantes encore sur la religion et les mœurs[52], même, quand la royauté sabine n’était plus, Mastarna dédia ce temple à la Fortune vierge[53], donnant, comme on voit, à la Fortune, dans l’origine divinité mère chez les Pélasges, un attribut étrangement décerné à une déesse qu’on a souvent accusée de prodiguer ses faveurs, par un roi qui en savait, disait-on, quelque chose ; c’est probablement sur l’emplacement de ce temple que s’est élevé celui d’une vierge plus sainte, l’église de Santa-Maria in Cosmedin[54].

L’autre temple que Servius éleva à la Fortune était sur la rive droite du Tibre, à six milles au-dessous de Rome.

La déesse y était honorée sous le nom singulier de Fors Fortuna[55], le hasard fortuné, la chance du hasard[56]. Le jour de l’année où l’on croyait que Servius Tullius l’avait dédié, on s’y rendait à pied ou en bateau[57], on en revenait ivre. C’était une fête populaire, comme tout ce qui se rapporte à Servius Tullius.

La classe, très-nombreuse encore aujourd’hui à Rome, de ceux qui vivent sans moyens de subsister[58], fêtaient cette déesse de hasard qui avait fait un roi de hasard[59].

Cette Fortune hasardeuse n’avait aucun rapport avec la Fortune virile[60], quoique, par une double confusion que j’explique dans une note, on ait appelé a tort Temple de la Fortune virile un temple qu’on croyait à tort celui de la Fortune hasardeuse. La fête de la Fortune virile, qui se célébrait au mois d’avril, n’avait rien à démêler avec celle des deux Fortunes auxquelles Servius passait pour avoir élevé des temples, et qui, l’une et l’autre, avaient leur fête en juin.

C’étaient les femmes qui honoraient la Fortune virile d’après un rite assez singulier. Elles s’enfermaient dans une salle échauffée par des tuyaux à vapeur[61], disposition connue des Romains, et qu’on remarque dans ce qui reste d’une chambre de la maison de sainte Cécile. Là elles se dépouillaient de leurs vêtements, et, après avoir brûlé de l’encens en l’honneur de la Fortune virile, lui demandaient de cacher à leurs époux tous leurs défauts corporels. Ovide ajoute malicieusement « Et la déesse implorée le fait pour quelques grains d’encens », ayant l’air de croire que les femmes romaines s’arrangeaient pour que cette demande fût toujours exaucée, et que ce qu’elles ne voulaient pas trahir fût toujours caché.

Ce jour-là les femmes du commun allaient se baigner dans les bains des hommes, couronnées de myrte. On voit que dans tout ceci il n’est pas question d’un temple de la Fortune virile.

Il faut donc renoncer à nommer ainsi un des restes les mieux conservés et les plus purs de l’architecture romaine.

Outre ces deux temples de la Fortune, on en attribuait à Servius un autre, dédié à Matuta, dans le marché aux bœufs, et voisin de celui de la Fortune vierge ; nous le savons par le récit des incendies qui les atteignirent ensemble tous les deux[62]. Les fêtes des deux déesses se célébraient le même jour[63], ce qui semble indiquer une commune origine. Matuta était Sabine, et on ne voit pas que son culte, comme celui de la Fortune, eût pénétré en Étrurie ; mais il fallait bien faire quelque chose pour les Sabins.

Il se peut que Mastarna ait pensé à eux en établissant les Compitalia, la fête des carrefours, la fête des Lares ; mais cette fois il pouvait obéir aussi à une dévotion personnelle, car il était né en Étrurie, et les Lares étaient des divinités étrusques[64] qui avaient passé dans la religion sabine. Aussi c’est d’un Lare du foyer que la tradition sabine faisait naître le roi étrusque. Mais les Lares étaient les dieux de tout le monde. On les considérait, ce qui était touchant, comme les âmes des morts continuant à protéger le foyer. Très-petits dieux, ils étaient à la portée des plus petits. Servius avait permis aux esclaves de participer à ce culte domestique[65]. Organiser un culte populaire devait faire partie de l’œuvre populaire de Mastarna.

Le sacrifice annuel offert en commun aux Lares par les habitants du même quartier, les jeux qui s’y mêlaient, tendaient à fondre ensemble les rangs et les races, ce qui fut l’esprit de la constitution de Servius.

Dans le même esprit, il institua pour les campagnes une fête analogue, les Paganalia.

Mais c’étaient surtout les Latins qui occupaient Mastarna. Au dedans, il voulait achever l’œuvre commencée par les rois sabins eux-mêmes contre l’aristocratie sabine, poursuivie plus résolûment par le premier roi étrusque, et que le second de ces rois devait consommer : la fusion des races, la participation aux droits politiques, indépendante de la naissance et mesurés sur la propriété.

C’est ce qu’il fit par son organisation des classes, qui fut une véritable révolution, et dont je parlerai bientôt mais il y avait aussi les Latins du dehors ; les rois sabins et le premier roi étrusque n’avaient connu avec eux d’autres rapports que la guerre et la conquête. Le second conçut le dessein de les rattacher à Rome par un lien religieux et politique, et il bâtit sur l’Aventin le temple de Diane[66].

Les Latins avaient déjà eu un centre de cette nature dans l’Aphrodisium, aux environs de Lavinium, puis dans le temple de Jupiter Latial, voisin d’Albe. Albe avait été détruite. Mastarna offrit aux Latins de bâtir sur l’Aventin un temple de Diane, qui serait commun à toutes les populations latines[67]. C’était déclarer Rome latine. Il n’eut pas besoin pour cela, comme le disent Tite Live et Denys d’Halicarnasse, d’aller chercher un exemple dans le temple d’Artémis des cités ioniennes[68], car il en trouvait dans le Latium ; d’ailleurs, il venait d’Étrurie, où le grand conseil national, composé des représentants de douze villes de la fédération étrusque, se réunissait près du temple de Voltumna.

L’antagonisme de la race latine et de la race sabine avait été maintenu au dehors par les rois sabins, même quand ils s’efforçaient de le faire cesser au dedans ; cet antagonisme allait disparaître. En même temps, Rome se plaçait à la tête du Latium. Elle devenait, pour ainsi dire, le chef-lieu politique du pays latin. C’était, comme dit Tite Live[69], de la part des villes latines une confession de sa supériorité.

C’était en même temps une preuve de l’importance que les Latins avaient reconquise, et qui alarmait les Sabins. Aussi essayèrent-ils de s’emparer par ruse de la faveur céleste, et de faire tourner à leur profit les signes qui pouvaient annoncer la grandeur des Latins.

Un fait assez singulier, rapporté par plusieurs auteurs, montre bien cette jalousie des deux peuples qui se disputaient l’avenir.

Un Sabin avait un bœuf d’une grandeur monstrueuse. Il l’amène à Rome pour être immolé dans le temple de Diane. Un oracle, venu probablement d’un augure sabin, comme Attus Nævius, avait annoncé que celui qui immolerait le bœuf donnerait à sa patrie l’empire[70].

Le coup était assez bien préparé ; mais le prêtre du temple[71], qui devait être un Latin, sut le parer. Comme le bœuf allait être sacrifié, il prescrivit au Sabin de descendre la colline et d’aller faire une ablution dans le Tibre[72]. Le simple montagnard, ne soupçonnant pas le complot dont on voulait le faire l’instrument, descendit sans défiance. Quand il revint, le prêtre latin avait immolé la victime.

Les cornes gigantesques du bœuf furent conservées très-longtemps sous le vestibule du temple de Diane comme un signe du triomphe des Latins, ainsi qu’au moyen âge on plaçait devant les églises d’Italie les trophées de quelque victoire sur une ville rivale : devant le dôme de Florence, les chaines conquises dans une expédition navale ; dans la cathédrale de Sienne, le mât du Carroccio, pris aux Florentins à la bataille de Monte-Aperti.

Du reste, le choix de l’Aventin pour y placer le centre de la confédération latine se conçoit parfaitement. C’était alors le mont latin. Le Cælius l’était aussi ; mais il était en même temps un mont étrusque. Mastarna y avait campé, et les Latins y auraient été moins chez eux. Pour le Palatin, il aurait trop effrayé les Sabins ; il leur avait résisté. Le Palatin était hostile ; l’Aventin ne l’était point.

Et puis Mastarna ne séparait pas la cause des Latins de celle des plébéiens, comme plus tard C. Gracchus associait la cause des Italiotes à la cause plébéienne, comme aujourd’hui la cause de la démocratie est liée en Italie à la cause de la nationalité italienne. Or l’Aventin était le berceau de la plebs ; il était déjà le mont plébéien et le fut toujours. Sur l’Aventin furent créés les premiers tribuns ; sur l’Aventin, l’aïeul des Gracches éleva le temple de la Liberté ; sur l’Aventin, le second de ses petits-fils, poursuivi par ses meurtriers, vint se réfugier dans un temple de Diane[73].

On peut s’étonner que Mastarna ait mis la confédération latine sous le patronage d’une déesse des Sabins, associée par eux à leur dieu national, Janus, au lieu de choisir le grand dieu latin Saturne. Mais il ne fallait pas non plus pousser à bout les Sabins. Mastarna voulait tenter plutôt de les concilier à son projet en accordant l’honneur d’être le sanctuaire commun des Latins à un temple que les Sabins avaient primitivement fondé. D’ailleurs, ce temple était un asile, par là respectable et cher à tous.

Les esclaves s’y réfugiaient à l’autel de Diane, qui était leur protectrice[74], comme une autre déesse sabellique, Feronia ; comme près de l’autel d’Acca-Larentia, sabine aussi, on sacrifiait aux mânes serviles. J’ai parlé de cette protection des esclaves par les divinités sabines, qui exprimait, en l’exagérant, la faveur que les rois sabins, dans l’intérêt de leur pouvoir, avaient montré pour la portion la plus humble et par là la moins dangereuse de leurs sujets, tradition qui s’est continuée pour Servius et a peut-être été l’origine de son nom, si ce nom n’a pas aidé la tradition à faire de Servius l’ami des esclaves et même un esclave.

Le roi, qui, par le temple de Diane, fonda l’unité politique de la race sabine, et qui, par sa constitution, créa l’unité politique de Rome, constitua ce qu’on pourrait appeler l’unité topographique de cette ville, composée dans l’origine de plusieurs villes en l’entourant d’une enceinte à peu près continue[75]. Le premier Tarquin, après Ancus Martius, avait eu l’honneur d’entreprendre ce grand ouvrage ; Mastarna eut la gloire de l’achever.

Cette enceinte était formée de deux parties distinctes : un mur appliqué contre les collines et contournant les sinuosités de leurs pentes, sauf là où, soit leur escarpement, suffisamment abrupte, soit le voisinage[76] du Tibre, rendaient ce mur inutile, et un fossé muni en dedans d’un relèvement en terre qu’on appelait un agger.

On peut suivre facilement la direction du mur de Servius Tullius par l’emplacement des portes, qu’il est presque toujours possible de reconnaître[77], et par des restes du mur lui-même, dont les plus considérables ont été découverts il y a peu d’années, tous deux sur l’Aventin et regardant vers le Tibre[78].

Ils donnent à la Rome des rois étrusques une circonférence de six à huit milles (entre deux et trois lieues)[79]. C’est environ la grandeur qu’avaient Athènes[80] et Véies[81].

Servius Tullius compléta le mur dont je viens de parler par son agger, du côté le plus exposé aux incursions des populations sabelliques, là où elles pouvaient arriver sans obstacles sur l’Esquilin, le Viminal et le Quirinal, dont les cimes étaient de plein pied avec la campagne ; de ce côté il ajouta au mur un fossé ayant en dedans un relèvement de terre (agger)[82]. Le fossé était profond de trente pieds, large de cent[83].

La muraille placée sur l’agger était là, comme partout, garnie de tours[84].

Cet agger de Servius Tullius[85] l’un des plus anciens travaux qui aient été exécutés à Rome, subsiste encore en assez grande partie. Il est visible en plusieurs endroits. On le suit depuis la porte Esquilin jusqu’à la porte Colline, c’est-à-dire depuis l’arc de Gallien jusqu’aux jardins de Salluste[86].

Dans la villa Negroni, il forme un tertre de quelque hauteur, dont la cime est le point le plus élevé de la ville sur la rive gauche du Tibre.

Un bouquet d’arbres le surmonte ; on y a placé une statue de Rome. Avec le temps, il était devenu, en cela semblable à nos boulevard, un lieu de promenade. On peut encore y aller chercher le soleil, comme Horace[87], qui en parle, faisait sans doute en sortant de chez Mécène, dont les jardins étaient tout proches.

L’agger n’aurait besoin d’avoir été œuvre d’un roi étrusque pour être de construction étrusque, puisque une telle construction se remarque même dans le mur de Romulus. Il n’en est pas moins à noter que de Mastarna date un genre de fortification qu’on retrouve en Étrurie[88].

Ainsi fut terminé par ce roi unificateur le système de défense qui enveloppa les collines sur lesquelles s’étaient élevées des villes distinctes, dans l’unité d’une même enceinte.

On peut dire que, de ce jour, Rome, qui jusque-là avait été en quelque sorte préparée, exista.

Car c’est ainsi qu’il faut comprendre la formation de Rome. Il faut y voir une agglomération et comme une agglutination progressive de petits établissements séparés.

C’était de la sorte que les choses s’étaient passées de tout temps en Italie, et Denys d’Halicarnasse, qui l’affirme, parle déjà, à propos des Pélasges, de villes petites et rapprochées, comme, dans certaines contrées reculées de l’Italie, on les trouve encore[89].

Ces murs, réparés plusieurs fois sous la république et qui arrêtèrent Annibal, étaient, au temps d’Auguste, cachés dans les maisons et les jardins, à peu près comme le sont les restes des vieux remparts de Paris, et, dit Denys d’Halicarnasse, difficile à retrouver. On n’en tenait plus aucun compte, et Rome s’étendait en tout sens au delà, sans qu’on pût dire où la ville finissait[90].

L’assertion de Denys d’Halicarnasse a été pleinement confirmée par les débris des murs de Servius qui ont été récemment découverts sur l’Aventin ; car on a vu des murailles de maisons antiques venir s’appuyer obliquement au vieux rempart, lequel est entièrement intact là où il n’a pas été détruit à dessein, comme les jésuites l’ont fait longtemps dans leur vigne pour en exploiter les pierres.

Chez les Dominicains, qui ont apporté le plus grand zèle aux fouilles dirigées par le respectable père Besson, chez les Dominicains on a constaté qu’une maison romaine était à cheval sur l’antique rempart des rois.

C’est à Servius qu’il convient d’appliquer ce que Virgile a dit de Romulus[91].

Septemque una sibi muro circumdedit arces[92].

Ce fut sous Servius que Rome entoura d’un mur les sept sommets ou les sept citadelles. En effet, la plupart de ces sommets avaient été des citadelles, et même, lorsque leur ensemble forma une cité unique, durant les troubles politiques, ils servirent parfois de citadelles. Ils reprirent ce caractère au moyen âge quand les barons romains se fortifiaient sur le Palatin, sur l’Aventin et sur le Cælius.

Même aujourd’hui, à Rome, il existe un esprit local dans certains quartiers.

Depuis les premiers temps jusqu’à nos jours, le fractionnement a été la condition naturelle de l’Italie. Les Romains ont fait violence à cet instinct profond de séparatisme, mais il a reparu après eux, au moyen-âge ; dans les villes d’Italie, chaque quartier était souvent une république. Ceux de Sienne, pendant les courses de chevaux, sont presque en guerre civile, et jusqu’à ce qu’elles soient finies, quand on n’est pas de la même contrada, on risque de se brouiller. À Rome, selon Niebhur, l’habitant des vignes de l’Esquilin, quand il descend dans la ville, dit Je vais à Rome. Cette extrême division a produit un grand développement, mais aussi un grand éparpillement de forces individuelles. Elle a fait la grandeur des Italiens dans les arts et les lettres, leur faiblesse militaire et politique ; elle a fini, après avoir enfanté leur gloire, par amener leur décadence.

Aujourd’hui, par un magnanime effort, ils veulent dompter la nature ils veulent devenir un seul peuple. L’Italie veut être. Ceux qui méconnaissent ce désir, de tous le plus légitime, sont bien aveugles, et ceux qui ne l’honorent pas, bien injustes.

Cette agglomération successive de diverses petites Romes en une cité unique fait comprendre comment on a pu passer en assez peu de temps de la ville du Palatin à la ville des huit collines, et dispense de supposer nécessaire, ce qui du reste n’est pas impossible, que le nombre des rois de Rome ait été plus considérable qu’on ne l’admet généralement.

Les savants qui se récrient en Allemagne contre la pensée que les Romains étaient un peuple de race mêlée (Misch-Volck) me semblent ne pas bien comprendre ses origines, et surtout n’en ont pas assez contemplé le théâtre. Chacune des collines de Rome, se dressant devant eux, aurait réclamé sa part dans la formation de la ville des huit sommets. La cité sabine surtout, qui en couvrit le plus grand nombre, aurait revendiqué la sienne.

D’ailleurs, d’assez grandes nations, la nation française et la nation anglaise, par exemple, sont de sang mêlé, sont sorties de l’association de deux peuples et du mélange de plusieurs races.

C’est même, je crois, la seule explication qu’on puisse donner de la supériorité de Rome sur les villes voisines, qui lui étaient pareilles dans les commencements. Elle leur devint supérieure, parce que, au lieu d’être comme elles une seule ville, elle fut plusieurs villes.

  1. Den. d’Hal., VII, 2 ; Ov. Fast., VI, 629.
  2. Virg., Æn., VII, 680. Une aventure toute semblable, attribuée à la fille d’un roi d’AIbe qui devient mère de deux jumeaux dont l’histoire ressemble beaucoup à celle de Romulus et de Remus (Plut., Rom., I), montre que cette légende avait passé chez les populations latines.
  3. Den. d’Hal., IV, 2.
  4. Den. d’Hal., IV. 40.
  5. Nous avons vu que Corniculum était sabin. Selon Tite Live (I, 38), il avait été occupé primitivement par les Prisci latini, ce qui confirme que les Prisci sont les Sabins aborigènes.
  6. D’ocris, en sabin montagne (Fest., p. 181), d’où le nom d’une ville de la Sabine, Interocrium (entre les montagnes), et celui d’ocriculum (la petite montagne), Ocricoli en Ombrie. Le nom de Castello d’Ocra, près d’Aquila (Murray, S. it., p. 21), peut avoir la même origine.
  7. Plut., De Fort. Rom.. 10 ; Cic., De Rep., II, 21 ; Justin., XXVIII, 6. On donna aussi pour mère à Servius Tullius la concubine d’un homme de Tibur appelé Spurius Tullius. (Fest., p. 174.)
  8. Ce curieux passage des fragments du discours de Claude, gravés sur deux tables de bronze, a été découvert à Lyon au commencement du seizième siècle.
  9. De l. lat., V, 46.
  10. P. Diac., p. 44.
  11. Den. d’Hal., II, 36.
  12. Ann., IV, 65.
  13. Niebuhr, qui avait d’abord admis que Servius Tullius était Mastarna, n’a que très-tard abandonné cette opinion. M. Mommsen (Röm. Gesch., I, p. 114-15) veut bien que Mastarna soit venu à Rome, mais nie qu’il y ait régné, sans donner ses raisons, ce qui arrive parfois à ce savant et brillant historien. M. Schwegler (R. Gesch., I, p. 720) reconnait que les annales étrusques, plus anciennes que les annales romaines, ont plus de droit à notre confiance. Il hésite, puis rejette l’identité de Servius Tullius et de Mastarna d’après sa conviction individuelle. On voit qu’en présence des incertitudes de Niebuhr et d’opinions imposantes, mais non suffisamment motivées, il est permis d’en avoir une différente ; seulement j’ai tâché de motiver la mienne. Ott. Müller, dont le nom ne fait pas moins autorité que ceux qui précèdent, déclare positivement (Etr., I, p. 121) que Mastarna a conquis avec les restes de l’armée de Vibenna la Rome des Tarquins. C’est aller plus loin que l’assertion de Claude, et, selon moi, tomber dans l’invraisemblance. La Rome des Tarquins était trop forte pour être ainsi conquise par les restes des bandes d’un condottieri. La vraisemblance est bien plutôt qu’un chef étrusque s’établit sur le Cælius, et, après la mort du premier Tarquin, lui succéda.
  14. On a trouvé près de Pérouse des tombes portant le nom de Fipin, forme étrusque de Vibennus, nom d’une famille de Volsinii à laquelle Ott. Müller (Etr., I, p. 424) n’hésite pas à rapporter Cæles Vibenna ; et à Chiusi, Vipona. (Den., Etr., II, 373.) Vibenna et Mastarna ont une terminaison évidemment étrusque.
  15. Les trois premiers des auteurs que j’ai cités plus haut s’accordent à placer l’arrivée de Cæles Vibenna sous Romulus. Tacite seul, probablement d’après Claude, la transporte au règne du premier Tarquin. Je crois que c’est par suite d’une confusion entre le Lucumon auxiliaire de Romulus, duquel date un premier établissement des Étrusques sur le Cælius, et le nouveau chef étrusque Mastarna, qui en forma un second sous Tarquin. Il me répugne de voir dans Mastarna, qui fut roi, un simple compagnon de Cæles Vibenna, commandant ce qui restait de son armée. Cæles Vibenna était plus ancien dans la tradition ; son nom était resté dans le nom de Cælius, et on lui aura plus tard rattaché et subordonné à tort Mastarna, moins en faveur auprès de la tradition étrusque, parce qu’il s’était fait Romain.
  16. Den. d’Hal., IV, 3.
  17. Tite Live (I, 41) dit que Tanaquil parla au peuple par les fenêtres qui étaient tournées vers la voie Neuve, détail qu’il n’a pu emprunter qu’à la tradition.
  18. La phrase très-remarquable de Tite Live (I, 41) est Primus injussu populi, voluntate patrum regnavit. Si l’on traduisait populus par le peuple, et surtout par les plébéiens, et patrès par les patriciens, il s’ensuivrait que le roi le plus populaire de Rome aurait été le premier nomme par l’aristocratie, sans consulter le vœu populaire. Mais depuis Niebuhr, et c’est là un des plus grands services qu’il ait rendus à l’histoire de la constitution romaine, on sait que populus, dans son sens primitif et vrai, est l’opposé de plebs (Hist. Rom., II, p. 163. trad. franc.), quoiqu’on les ait traduits indifféremment par le même mot peuple. Les écrivains de l’empire ou de la fin de la république n’ont pas eux-mêmes toujours assez nettement fait une distinction fondée sur un état de choses ancien et dont on était bien éloigné. Mais il est certain que, dans l’origine, plebs voulait dire les plébéiens, et populus les patriciens. Le peuple romain, c’étaient les citoyens jouissant de tous les droits politiques. On conçoit que, quand les plébéiens se furent peu à peu mis en possession de ces droits qui leur avaient été d’abord refusés, la distinction entre les mots plebs et populus ne fut plus aussi précise, parce qu’elle n’était plus nécessaire. Mais cette formule populo plebique, qui oppose populus à plebs, et, par conséquent, les distingue, se rencontre fréquemment. Quant au mot patres, je crois que c’était originairement le nom des sénateurs. Il fut attribué, par une extension dont il est aisé de se rendre compte, à tout le patriciat. Ainsi, en Angleterre, les lords seuls forment une aristocratie légale, car seuls ils ont des privilèges garantis par la loi. Cependant, dans l’usage, le fils ou le frère d’un lord, qui légalement n’est rien de plus qu’un autre citoyen, est désigné comme faisant partie de la nobility. Je reconnais que très-souvent le mot patres désigne tout ce qui est patricien ; mais je crois que, dans la phrase de Tite Live, ce mot étant opposé à populus, les patriciens, il ne peut vouloir dire que les sénateurs. Quand il est opposé à plebs, il veut dire les patriciens.
  19. La terminaison en ius et la terminaison en ilius sont analogues. servilius avait avec Servius le même rapport que Quintilius avec Quintius.
  20. Les deux filles de Tarquin s appelaient Tullie. Tullus était un aïeul mythologique des Tyrrhéniens. Tolus et son dérivé Tolumnius sont des noms étrusques. Enfin, jusque sous Adrien, on trouve un Tullius Tuscus.
  21. Il serait latin si les Tullii eussent été une des familles d’Albe transportées sur le Cælius, comme le dit Tite Live (I, 30), et alors Mastarna aurait peut-être eu la même raison de prendre ce nom que de prendre son prénom Servius ; mais Denys d’Halicarnasse (III, 29), au lieu des Tullii, nomme les Julii, ce qui est plus raisemblable.
  22. Le chef volsque qui reçut Coriolan s’appelait Tullus Attius. Attius est sabin.
  23. Tullius a la même racine que Tullus. C’était un nom de gens, devenu un prénom, comme dans Attilius Régulus le prénom Attus formait un nom de gens.
  24. Pl., Hist., Nat., XXXIII, 4, 2.
  25. Voy. t. I, p. 386-7, p. 481.
  26. O. Müller(Etr., I, 121) croit que l’armée qui s’arrêta sur le Cælius menait de Volsinii (Bolsène), mot qui parait avoir la même racine que Volci. Le nom de ces deux villes, surtout celui de la dernière, sont ombriens. Ceci expliquerait comment ce nom de Tullius se trouve à la fois en Étrurie et chez un peuple sabellique, les Volsques ; le nom Volci reparait chez d’autres peuples sabelliques : Volceii ou Volci, ville de Lucanie.
  27. Voyez plus loin.
  28. Pl., Hist. nat., II, 5, 7.
  29. De Fort. Rom., 4.
  30. Fors et fortuna ont la même racine que fortis.
  31. Paus., VII, 26, 8.
  32. … Jovis pueri qui lactens cum Junone in Fortunæ gremio sedens, mammam appetens, castissime colitur a matribus. (Cic., de Div., II, 41.)
  33. On tirait aussi les sorts à Padoue (Suét., Tib., 14), près de l’embouchure du Pô, où avaient débarqué les Pélasges ; dans la pélasgique Agylla et à Falère (Tit. Liv., XXII, 1, 11), lieu tout rempli de souvenirs du culte pélasgique. Les sorts de Præneste étaient très anciens, et Præneste avait porté un nom grec. (Str., V, 3, 11.)
  34. Temples célèbres de la Fortune chez les Volsques, à Préneste, à Antium, sur le mont Algide.
  35. Selon Plutarque (Fort. Rom., 5, 10), Ancus Martius introduisit à Rome le culte de la Fortune. Selon Varron (De l. lat., V, 74), ce fut Tatius. Tous deux étaient Sabins.
  36. Tu quæ Tarpeio coleris vicina tonanti.
    (Inscript.)

    Plutarque (Fort. Rom., 10) attribue la fondation du temple de la Fortune sur le Capitole à Servius Tullius. Ce temple était près du temple de Saturne, avec lequel on l’a confondu ; car il était près de la porte Stercoraria, voisine de ce temple (Voy. t. I, p. 359; Clem. Alex. Protept., p. 33), au-dessous du temple de Jupiter tonnant.

  37. Vitr., III, 2.
  38. Plut., Fort. Rom., 16.
  39. Beck., Hand., I, p. 579.
  40. Ov., Fast., IV, 375.
  41. Serv., Æn., II, 325.
  42. Mart. Cappell., I, 8, 9 ; Juv., Sat., X, 74.
  43. M. Gherard (Ub d. met. spieg. d. Etr.) croit Nortia une déesse pélasgique dont le culte aurait été introduit en Étrurie par les Ombriens. En effet, il a existé un temple célèbre de cette déesse à Fano, qui doit son nom moderne à ce temple (Nortiæ Fanum), à Ferentia, à Arna. Les Ombriens sont un peuple sabellique, et on trouve le culte de la Fortune à Antium, chez un autre peuple de la même famille, les Volsques. Nortia semble donc une divinité ombrienne plutôt qu’étrusque.
  44. Si Nortia, la Fortune, est une déesse ombrienne, c’est une raison de plus de penser que Mastarna, particulièrement voué au culte de la déesse principale de Volsinii, était d’extraction ombrienne.
  45. Den. d’Hal., IV, 27. Près du temple de Matuta. (Tit. Liv., XXXII, 27.)
  46. Varr., De l. lat., VI, 3. Sans parler du temple que Plutarque seul dit avoir été érige à la Fortune par Servius sur le Capitole.
  47. Val., III, 4, 3.
  48. Hor., Sat., II, 6, 49.
  49. Ov., Fast., VI, 571 ; Plut., Fort. Rom., 10 ; Quæst. Rom., 36.
  50. C’était avant sa grandeur qu’il avait reçu ces encouragements de la Fortune, quand il habitait encore la demeure de son beau-père, Tarquin. C’est donc de ce côté qu’était le lit de la Fortune dont parle Plutarque.
  51. Den. d’Hal., IV, 27.
  52. Caton, le vieux Sabin, dédia sur le Palatin un temple à la Fortune vierge.
  53. C’est ce qui me paraît résulter d’un passage de Varron cité par Nonius Marcellus (p. 189), dans lequel il est fait allusion au double vêtement qui couvrait la statue de Servius dans le temple de la Fortune Undulatis togis. Voyez Pline (VII, 74,1), qui appelle aussi Undulatam la toge de Servius Tullius. Cette Fortune est dite par Varron Virgo fortuna. Or c’est bien dans ce temple du marché aux bœufs, et non dans celui qui était hors de Rome, que se trouvait la statue voilée de Servius ; car Ovide ne parle pas de cette statue voilée à propos de la fête de Fors Fortuna, qu’on célébrait à la fin de juin, mais à propos de celle qu’on célébrait, le 11 du même mois, en l’honneur de la Fortune du marché aux bœufs, et de Matuta. Le temple de celle-ci était lui même dans le marché aux bœufs et près de celui de la Fortune, ce qui nous ramène encore au temple du marché ; c’est donc celui-là où était la statue voilée, et qui était dédié à la Fortune vierge. Plutarque (Fort. Rom., 10) mentionne également un temple de la Fortune vierge près de la source moussue, ce qui convient aux environs du Vélabre, où il y a encore des sources moussues, aux environs de la Cloaca Maxima. En énumérant d’autres temples de la Fortune, tous dans Rome, s’il eût parlé de celui qui était à deux lieues de Rome, il en eût fait la remarque.
  54. Beck. Handb., p. 481.
  55. Varr., De l. lat., VI, 17.
  56. Fortuna sit vel hujus diei… Vel fors in quo incerti casus significatur magis. (Cic., De leg., II, 11.) On disait forte fortuna fieri, arriver par hasard.
  57. Ov., Fast., VI, 769.
  58. Qui sine arte aliqua vivunt. (Donat. ad Phorm., V, 6, 1.)
  59. Ovide ajoute que les esclaves s’y rendaient en foule, ainsi qu’au temple de la Fortune incertaine (Fast., VI, 786), attribué aussi à Servius, et qui était près de là.
  60. Malgré les témoignages les plus positifs, celui d’Ovide et celui de Varron (loc. cit.), celui d’un calendrier antique où on lit Forti Fortunæ transtiberinæ, on a voulu reconnaitre, dans un édifice du temps de la république situé sur la rive gauche, près du Ponte Rotto, un temple de la Fortune virile, d’après une mauvaise traduction de Fors Fortuna., donnée par Denys d’Halicarnasse (IV, 27) et Plutarque (Fort. Rom., 5), qui ont pensé que Fortem fortunam voulait dire la Fortune courageuse, virile. Cette dénomination de temple de la Fortune virile, ainsi appliquée, bien qu’elle ait cours parmi les guides et les voyageurs, renferme une confusion topographique et un contre-sens grammatical. Le temple attribué à Servius sur la rive gauche, dans le marché aux bœufs, n’a jamais été dédié à Fors Fortuna ; même en admettant l’interprétation vicieuse de Fortune virile qu’ont adoptée Denys d’Halicarnasse et Plutarque, on ne pourrait en faire le nom de ce temple.
  61. Ov., Fast., IV, 146. « Calidâ qui locus humet aquâ » se peut entendre ainsi. Il se peut aussi que ce lieu, humide par l’eau chaude, désigne une localité particulière de Rome, celle où se trouvaient les eaux chaudes appelées Lautolæ ; car précisément de ce côté (Beck., haudb., I, p. 561) était un temple de la Fortune, élevé, disait-on, par Servius Tullius. (Pl., Hist. nat., XXXVI, 46.) Cette Fortune s’appelait Seia, ce qui vient de serere, semer, comme Segetia, autre nom de la Fortune, de seges, moisson. Peut-être l’usage singulier de cette offrande, faite à la déesse par des femmes nues dans une étuve artificielle ou naturelle, se rattachait-il dans l’origine à des vœux pour la fécondité adressés à la Fortune mère, déesse antique des Pélasges, devenue la Fortuna Seia.
  62. Tit. Liv., V, 19 ; XXV, 7.
  63. Ov., Fast., VI, 570.
  64. Avant de devenir sabins ou étrusques, ils pouvaient bien avoir été pélasges. M. Maury a rapproché lar de larissa, nom des forteresses, fréquent chez les Pélasges.
  65. Den. d’Hal., IV, 14.
  66. J’ai dit ailleurs où était ce temple et pourquoi je ne le place pas où est l’église de Santa-Prisca, comme le veut Canina (Espos. top., 771-3), et encore moins devant Sainte-Sabine, comme fait Nibby (R. ant., II, 661) ; mais, d’après le témoignage positif de Martial (Ep., VI, 64, 12-3), plus près du cirque.
  67. Varr., De l. lat., V, 43.
  68. Il y a peut-être quelque chose de vrai dans cette imitation de la confédération ionienne attribuée à Servius Tullius ; il avait pu entendre parler de l’Ionie par les Phocéens, qui, vers ce temps, visitèrent Rome avant d’aller fonder Marseille. (Just., XLIII, 3.)
  69. Tit. Liv., I, 45.
  70. Tite Live (I, 45) entend la primauté des Romains qui voulaient conserver et des Sabins qui voulaient, dit-il, ressaisir l’empire. Il est dans le vrai de la situation. En effet, la question était entre Latins et Sabins. Plutarque (Quæst. rom., 4) est plus loin de la vérité quand il fait prédire à la patrie du sacrificateur la domination sur toute l’Italie. Ce n’est pas de cela qu’il s’agissait alors. Valère Maxime (VII, 3, 1) tombe tout à fait dans l’absurde en mettant, au lieu de l’Italie, le monde entier, ce à quoi la tradition ne pouvait songer. Les trois auteurs que j’ai cités, et, après eux, Zonaras (VII, 9), parlent d’un Sabin : l’auteur du de Viris illustribus (VII), dit Latin, et par là efface de ce récit tout le sens historique qu’il pouvait avoir.
  71. Plutarque suppose que c’est Servius qui a donné cet ordre à un Cornelius, prêtre de Diane. Un Cornelius eût été mal choisi, car les Cornelii étaient Sabins. Mais Plutarque nous avertit que Varron n’avait point parlé d’un Cornelius prêtre, et attribuait l’artifice au gardien du temple.
  72. Ces expressions font penser que le temple de Diane dominait le fleuve, comme il dominait le cirque, ce qui détermine sa situation à l’angle nord-ouest de l’Aventin.
  73. Ce temple n’était pas, je crois, le grand temple de Diane, mais un temple de la Lune, situé plus bas. Orose l’appelle un Dianium, parce que la lune était Jana ou Diana
  74. Fest., p. 343.
  75. Le mur n’enveloppait pas tout le côté occidental du mont Capitolin. On le voit par le récit de la tentative des Gaulois pour surprendre la citadelle (Tit. Liv., V, 47), qui gravissent le rocher sans trouver de murs sur leur chemin. Nibby s’est donc trompé en croyant reconnaître de ce côté les restes des fortifications du Capitole. (Rom. ant., I, 95.) S’il en eût existé là, les Gaulois les auraient rencontrées avant lui. Ciceron dit positivement (De Rep., II, 6) que la citadelle était défendue par un escarpement à pic et par le rocher taillé tout alentour. Ainsi au moins le sommet sud-ouest, qui portait la citadelle, n’était fortifié que par la nature.
  76. Ici les témoignages sont décisifs, et je ne comprends pas qu’on en ait pu méconnaître l’évidence. Tite Live (II, 10) oppose les endroits défendus par des murs à ceux qui ne l’étaient que par le Tibre. Denys d’Halicarnasse (V, 23) affirme qu’il n’y avait pas de mur dans les parties de la ville voisines du fleuve ; et ailleurs (IX, 68), que là le fleuve servait de muraille. Il n’en existait donc point entre le Forum Boarium et le Tibre. On a trouvé au bord du Tibre des bornes qui indiquaient la limite du Pomœrium.
  77. Voy. Becker, De Romæ veteris muris atque portis.
  78. L’un dans une vigne des jésuites près de Santa-Prisca ; l’autre dans le jardin des dominicains de Sainte-Sabine. Nibby en a indique un sous le couvent de Sainte-Balbine, sur le faux Aventin. (Rom. ant., I, 97.) Ces murs de l’Aventin peuvent, ainsi que je l’ai dit, dater d’Ancus Martius ; mais ils firent certainement partie de l’enceinte générale de Servius Tullius, comme le mur du camp des prétoriens, bâti sous Tibère, fit partie de l’enceinte d’Aurélien.
  79. L’étendue de la Rome de Servius n’a rien à faire avec l’étendue de treize mille deux cents pas, donnée par Pline à l’enceinte de Rome sous Vespasien (III, 9, 13), et l’on n’est nullement forcé de supposer une altération dans ce chiffre.
  80. Den. d’Hal., IV, 15. Voy. Leake, Att., p. 438 ; Canina, Esp. topogr., p. 91-2.
  81. Den. d’Hal., II, 54.
  82. Agger proprie dicitur terra illa quæ vallo facto propius ponitur. (Serv., Æn., X, 24.)
  83. Den. d’Hal., IX, 68.
  84. Den. d’Hal IV, 54.
  85. Pline seul (III, 9, 15) attribue l’agger et le fossé à Tarquin le Superbe, qui, selon Denys d’Halicarnasse (IV, 54), élargit seulement le fossé, éleva la muraille et y ajouta des tours. Strabon (V, 3, 7) dit que le rempart de Servius défendait l’Esquilin et le Viminal, mettant l’Esquilin au lieu du Quirinal, dont il ne parle pas ; les restes de l’agger sont là pour le démentir.
  86. Nibby, R ant.,, p. 96.
  87. Aggere in Aprico Spatiari. (Hor., Sat., I, 8,15.)
  88. M. Dennis signale un agger à Véies. On en observe deux à Ardée (Abek. Milit. It., p. 163) où j’ai dit qu’on avait lieu d’admettre que les Étrusques avaient anciennement pénètré.
  89. Petit-Radet indique sur la rive gauche de l’Aterno quatorze villages dans une étendue d’une lieue en longueur sur une demi-lieue de large.
  90. Den. d’Hal., IV, 13.
  91. Æn., VI, 784.
  92. Georg., II, 535.