L’Histoire romaine à Rome (1862)/Deuxième Partie/05


Michel Lévy (2p. 498-537).


V

PREMIÈRES GUERRES. PRISE DE VÉIES.


Guerres avec les Æques et les Volsques. — Guerre contre Véies. — Statues des ambassadeurs romains mis à mort par Tolumnius, placées près des Rostres. — Cornelius Cossus tue Tolumnius. — Déférence de Tite Live pour un témoignage d’Auguste. — Temple d’Apollon médecin. — Fidène reprise. — Verrugo. — Siège de Véies. — L’émissaire du lac d’Albano. — Comédie religieuse et politique. — Véies est prise. — Temple de Junon sur l’Aventin. — Triomphe, dévotion et impopularité de Camille. — Exil et prière de Camille. — Voix divine qui annonce l’arrivée des Gaulois. — Autel d’Ajus Locutius.


Le quatrième siècle de Rome vit au dedans les plébéiens conquérir pas à pas l’égalité et obtenir l’accès à presque toutes les magistratures, au dehors les Romains conquérir pied à pied les montagnes qui formaient leur magnifique horizon ; du côté de l’est, le dépasser, arriver jusqu’à Terracine et au lac Fucin, à peu près aux frontières de l’État pontifical, du côté de l’ouest aller seulement jusqu’au mont Ciminus qu’on voit de Rome et s’arrêter en deçà de la frontière bien rapprochée qui est devenue celle de cet État[1].

Un succès important et un grand revers, la prise de Véies par les Romains et la prise de Rome par les Gaulois, se détachent sur l’obscurité des petites victoires et des petites défaites dont fut témoin le pays montagneux des Æques et des Volsques et la région à l’ouest du Tibre.

Sauf ces deux événements, ce ne sont que guerres courtes, expéditions rapides et peu décisives, succès ou revers sans éclat, villes prises et reperdues, une multiplicité uniforme d’incidents nombreux et toujours les mêmes dont tout l’art de Tite Live n’a pu rendre la narration très-attachante. Je n’ai point à la refaire après lui ; je suis heureux que le plan de cette histoire qui me retient à Rome me dispense et dispense mon lecteur de suivre les armées romaines dans toutes leurs marches et contre-marches à travers les montagnes des Volsques et des Æques, d’autant plus que ces récits arides ne sont probablement pas très-exacts[2]. Je me bornerai à indiquer sommairement le progrès des Romains dans ces guerres, où, reculant souvent, ils avancèrent toujours ; car, d’autre part, je ne regarde point cette topographie de leurs premières conquêtes comme entièrement en dehors de mon sujet ce qui se passe en vue ou presque en vue de Rome lui appartient. Je voudrais que ce livre fût jusqu’à un certain point comme un guide historique pour ceux qui font le voyage de Rome en réalité ou en imagination. Or, tout guide de Rome un peu complet ne parle pas seulement de la ville même, mais embrasse autour d’elle un rayon d’une quinzaine de lieues que je me crois aussi permis d’embrasser.

Au commencement du quatrième siècle, les Æques viennent encore ravager la campagne sous les murs de la ville[3], et s’avancent jusqu’à la porte Colline ; en 323, unis aux Volsques, ils occupent l’Algide derrière Frascati. Ces deux peuples, descendus chacun de leurs montagnes, sont entrés dans la plaine qui est au pied de l’Algide, par les deux portes naturelles qui s’ouvrent à son extrémité et y campent séparément.

Cette fois les préparatifs de l’ennemi étaient plus formidables, et la terreur des Romains fut plus vive que de coutume[4]. On nomma un dictateur, Postumius Tubertus, dont la sévérité était si grande ; que plus tard il fut lapidé par ses soldats. Deux armées viennent attaquer les deux armées retranchées au pied du mont Algide et deux camps romains s’établisent en face des deux camps ennemis dans cette plaine qui est le fond d’un cratère, et qui, comme le dit avec raison Tite Live n’était pas seulement propre à des rencontres partielles, mais assez ouverte et assez vaste pour que des armées pussent s’y ranger en bataille.

Le consul était au sud, le dictateur au nord. Tandis que les soldats du premier attaquent avec impétuosité, le second tourne la position de l’ennemi et le prend par derrière. Grâce à cette manœuvre, quand vint le jour, les Æques et les Volsques se voient enveloppés mais un Volsque intrépide, Vettus Messius, à la tête d’une poignée d’hommes, se fit jour à travers l’armée romaine et pensa la faire reculer. Ce fut un combat terrible le dictateur fut frappé d’une pierre à la tête, un de ses lieutenants eut la cuisse clouée à son cheval par un trait, le consul eut un bras coupé.

En 350 les Romains sont encore aux prises avec les Volsques, mais ils ont fait un progrès au delà de l’Algide ; car, vers ce temps, il est question d’une colonie envoyée à Velletri. Le théâtre de la guerre est porté plus à l’est, plus dans le cœur des montagnes près de Ferentino. Terracina est définitivement reprise en 354, et en 358 les Æques et les Volsques[5] demandent la paix. Il y avait juste cinquante ans que les Æques avaient paru à la porte Colline. Pendant ces cinquante ans d’efforts perpétuels, la guerre s’est déplacée, elle a été transportée d’une rue de la Rome actuelle à l’entrée du royaume de Naples.

Mais avant, les Romains avaient eu à combattre un autre ennemi sur la rive droite du Tibre : c’étaient les populations moitié Étrusques, moitié sabines, de Falère, de Capène et surtout de Véies, une des douze grandes villes d’Étrurie, égale à Rome en étendue, ce qu’on ne dit d’aucune ville du pays des Volsques et des Æques, au moins aussi civilisée qu’elle, sa vraie rivale, dont les habitants avaient souvent fait la guerre aux Romains avec avantage, avaient exterminé presque entièrement la noble tribu des Fabius, avaient occupé le Janicule et pénétré dans le champ de Mars.

Pendant la première moitié du quatrième siècle, tandis que les Romains guerroyaient avec la montagne, ils avaient eu aussi à guerroyer contre Véies. Déjà commençait pour eux cette double lutte à l’est et à l’ouest dont leur position leur faisait une nécessité, et dans laquelle il est merveilleux qu’ils aient toujours fini par triompher.

Ainsi en 317, comme ils respiraient depuis quelques années des agressions sabelliques, ils furent forcés de tourner leurs armes du côté de l’Étrurie par la perfidie du roi de Véies Tolumnius, qui, au mépris du droit des gens, avait fait égorger quatre patriciens envoyés vers lui, en ambassade. J’ai dit que leurs statues furent placés près de la tribune[6]. Ces statues n’avaient que trois pieds de haut, elles existèrent jusque vers le temps de Cicéron.

Fidène comme toujours avait pris parti pour Véies. Le dictateur que le voisinage du danger avait fait nommer, s’établit aux portes de Rome, là où le Tibre se jette dans l’Anio et disposa ses troupes dans l’angle que forment les deux fleuves[7].

Les Véiens, renforcés par l’arrivée des Falisques, qui avaient passé le Tibre pour les joindre, vinrent camper devant la ville de Fidène[8].

Un combat fut livré dans la plaine au pied de la colline où était Fidène. Les deux armées s’avancèrent l’une contre l’autre entre les deux camps : le camp romain au confluent du Tibre et de l’Anio, le camp étrusque en avant de Fidène. Les Véiens étaient à droite, appuyés au Tibre, les Falisques à gauche, les Fidenates au milieu, ayant leur ville derrière eux. Une partie des Véiens voulut tourner le camp romain en allant passer au delà des hauteurs d’Antemne (Acqua Acetosa) que celui ci avait à sa droite. Les deux armées restèrent quelque temps en présence. Le général romain était tourné vers le Capitole, attendant un signal des Augures qui devait être celui du combat ; remarquable preuve de l’importance qu’on attachait aux signes célestes. Le signal parut.

Aussitôt les cavaliers romains, manœuvrant dans cette plaine qui semble faite pour des charges dé cavalerie, fondirent sur les alliés et ils plièrent. Mais Tolumnius les ramenait au combat, et le combat semblait devoir durer longtemps, quand un jeune tribun militaire de la grande famille Cornelia, Cossus, indigné à la vue de celui qui avait violé la foi en faisant périr des patriciens romains, pousse son cheval vers le cheval de Tolumnius, que le choc fait tomber ; Cossus saute à bas aussitôt, abat le roi, qui veut se relever, d’un coup de son bouclier, et avec sa lance le cloue à terre[9], puis le dépouille et plante sa tête sur une pique. L’ennemi, saisi d’effroi à ce spectacle s’enfuit. L’ardent jeune homme passe le Tibre et retourne du champ véien, chargé de butin.

Dans le triomphe qui suivit cette victoire ce qui attira le plus l’attention, ce fut Cossus portant les dépouilles opimes, ce qu’on n’avait pas vu depuis Romulus et allant les déposer dans le petit temple très ancien de Jupiter Férétrius, qui était sur le Capitole.

Tite Live raconte, à ce sujet, que l’empereur Auguste a bien voulu lui apprendre que lui-même avait lu sur la cuirasse de lin de Tolumnius conservée dans le temple de Jupiter Férétrius, que les dépouilles opimes avaient été offertes neuf ans plus tard par Cossus, alors consul. Tite Live, tout en disant que c’eut été un sacrilège d’enlever à Cossus l’honneur du témoignage impérial ne paraît point convaincu par cet illustre témoignage et donne de forts bonnes raisons, pour ne point l’admettre ; toutefois, en critique prudent, il se garde de le contredire[10].

Pendant les années qui suivirent, les Véiens et les Fidenates profitèrent d’une de ces maladies dont il est parlé souvent dans l’histoire de Rome, et dans lesquelles la malaria pouvait jouer un rôle, pour franchir l’Anio, et venir encore une fois butiner jusqu’à la porte Colline. On fut obligé de défendre Rome et de garnir de troupes les murs et l’agger qui était de ce côté.

Ce fut pendant une des maladies dont je viens de parler que l’on voua un temple à Apollon pour la santé du peuple romain[11]. Ceci est un fait important, car c’est la première apparition d’un culte grec à Rome depuis les Pélasges. Au reste, ce ne fut pas le dieu de la lyre et des chants qu’on voulut alors honorer, Rome était encore trop barbare ; ce fut l’Apollon qui chasse les maux, de Delphes, l’Apollon secourable, de Phigalie, ce qu’on traduisit par medicus (qui remédie) ; l’Apollon invoqué par les Romains contre une épidémie fut l’Apollon médecin.

Après avoir consulté les livres sibyllins[12], d’où l’on prétendait tirer tous les emprunts religieux qu’on faisait à la Grèce, on érigea le temple d’Apollon, hors de la ville comme il convenait pour un dieu étranger, derrière le temple de l’Espérance[13], dans le marché aux légumes, près de la porte Carmentale[14] liée au souvenir de l’Arcadien Évandre, non loin du cirque Flaminien, dans une partie des prés Flaminiens qui parait avoir été antérieurement consacrée au culte du dieu[15], ce qui, en ce cas, devait remonter à l’ancien culte de l’Apollon Pélasge.

Les Romains, bravés dans leurs murailles, en sortirent, repoussèrent les ennemis qui se retirèrent sur les hauteurs ; ils y furent poursuivis et battus près de Nomentum.

Selon Tite Live, le dictateur prit Fidène, qu’on avait déjà prise plusieurs fois et qu’on devait prendre encore, au moyen d’un souterrain qu’il creusa et qui le conduisit dans la citadelle. La colline où fut Fidène, sans être très-élevée, l’est assez pour faire douter qu’un tel travail ait pu facilement être exécuté. Si les Romains pénétrèrent dans la citadelle de Fidène, ce fut probablement par un souterrain creusé plus anciennement, un de ces cuniculi qu’on a retrouvés dans plusieurs villes antiques[16], et qui remontent peut-être aux Pélasges.

Les guerres sabelliques détournèrent pendant quelque temps de l’Étrurie les armes des Romains, mais ils devaient y revenir. Les incursions des Véiens recommencent, les Fidenates égorgent les colons romains qu’on avait envoyés dans leur ville. Rome est saisie d’un grand effroi. L’armée est postée à la porte Colline, on munit de troupes les remparts, on proclame le justitium, les boutiques sont fermées, la ville ressemble à un camp.

Cornelius Cossus, celui-là même qui avait tué de sa main Tolumnius, est nommé consul. Il va camper à un mille et demi (une demi-Lieue) en deçà de Fidéne ayant les hauteurs à sa droite, le Tibre à sa gauche[17] ; l’ancienne position de Tullus Hostilius. Il fait occuper les collines pour tourner l’ennemi par derrière ces collines sans qu’il s’en aperçût. C’est toujours la même manœuvre employée tour à tour par les Romains et par leurs adversaires, parce qu’elle était commandée par la disposition des lieux.

Alors un spectacle inusité vint frapper les yeux des Romains : les portes de Fidène s’ouvrent, il en sort une multitude portant des torches et toute resplendissante de feux[18]. Ce ne pouvait être qu’un moyen de terreur religieuse, imaginé par des prêtres étrusques. En effet, les soldats furent d’abord effrayés, mais le dictateur Mamercus Æmilius les rassure, les entraîne, et à la tête de la cavalerie se précipite à travers les flammes. Le corps de troupe qui a tourné les collines prend en queue les Étrusques attaqués de front par le dictateur.

Tandis que, pour regagner leur territoire, les Véiens se jettent dans le Tibre et que beaucoup d’entre eux disparaissent dans ses tourbillons, les Fidenates rentrent en désordre dans leur ville, les Romains y entrent à leur suite, et Fidène tombe de nouveau au pouvoir des Romains, qui la perdront, la reprendront et la reperdront de nouveau. Voilà, au milieu du quatrième siècle, où en est la conquête romaine. Elle se fait encore en vue du Capitole. Ce n’est qu’à partir de 355 que Fidène sera définitivement réduite, et Fidène n’est pas à deux heures de Rome.

Dans les montagnes des Volsques, cette conquête était plus avancée que dans la campagne romaine. Les Romains allaient sans cesse d’un ennemi à l’autre. À peine eurent-ils jeté les Véiens dans le Tibre et repris possession de Fidène qu’ils coururent combattre les Volsques. J’ai envie de faire comme eux et d’aller contempler un épisode remarquable de cette guerre de montagnes, qui se rattache à une localité bien caractérisée.

C’était la colline qu’on appelait Verrugo la Verrue[19] ; elle se trouvait certainement entre le pays des Æques et le pays des Volsques[20], ce qui rendait sa possession très-importante. Aussi fut-elle plusieurs fois prise et reprise par les Romains et leurs ennemis, qui se la disputaient avec acharnement. On a tout lieu de croire que c’est la colline isolée qui porte aujourd’hui le nom de Colle Ferro[21], et qui s’élève au pied des montagnes, à gauche et vers l’entrée de la vallée du Sacco, vallée que de Rome on voit s’ouvrir entre le massif habité par les Volsques et les montagnes des Herniques et des Æques.

Le nom de la Verrugo revient souvent, comme celui de l’Algide, dans le récit des guerres du quatrième siècle. L’Algide était le lieu ou les Æques et les Volsques se réunissaient pour combattre les Romains ; la Verrugo était la clef de la vallée que les Æques avaient à franchir pour venir opérer cette réunion au pied de l’Algide ; si ce point leur était enlevé, leurs communications avec les Volsques devenaient difficiles. En 310, ces deux peuples ayant appris que les Romains l’avaient fortifié frémirent de fureur[22]. Ils parvinrent à l’arracher aux Romains ; mais les Romains s’en emparèrent de nouveau, et de là purent ravager à droite et à gauche le territoire des Volsques et le territoire des Æques.

La Verrugo fut témoin de divers faits d’armes les uns glorieux, les autres humiliants pour les Romains, je les raconterai pour donner l’idée des alternatives de revers et de succès dont se compose l’histoire de cette guerre de montagnes, qui, avec les pointes du côté de l’Étrurie, remplit presque tout le quatrième siècle de Rome. Mais c’étaient toujours les succès qui avaient le dernier.

Le consul Spurius Atratinus combattait les Volsques au pied de Verrugo[23]. Dès le commencement de l’action, dit Tite Live[24], qui semble en avoir eu sous les yeux les détails conservés dans quelque mémoire de famille, on vit de quel côté devait tourner la chance du combat. Les clameurs de l’ennemi étaient vives et bien nourries, les cris du soldat romain discordants, inégaux, mous, souvent interrompus ; l’ennemi pousse du bouclier, pointe de l’épée ; les Romains regardent autour d’eux, leurs casques chancellent sur leurs têtes ; indécis, tremblant, chacun se serre contre le gros de la troupe ; enfin ils fuient. Tout était perdu quand un officier de cavalerie nommé Tempanius saute à terre et se fait imiter de tous les cavaliers ; ils soutiennent le combat, rétablisent la résistance ; mais ils sont entourés, on les croit perdus ; cependant ils parviennent à occuper un lieu élevé, peut-être la Verrugo elle-même. Au milieu de la nuit l’ennemi, sur une fausse alerte, prend la fuite. Quand le jour vient Tempanius s’aperçoit que les assaillants ont disparu ; il va au camp romain et le trouve vide ; alors lui et ses cavaliers s’empressent de gagner Rome. On les croyait morts et l’armée détruite, l’effroi était au comble ; lorsqu’on les vit paraître, un immense cri de joie s’éleva de toute la ville. Le tribun Hortensius intenta une accusation au consul Sempronius, mais Tempanius le défendit.

Une autre expédition contre Verrugo avait été précédée par d’orageux débats dans le Forum. Le tribun Mænius s’était opposé à l’enrôlement, jusqu’à ce qu’une loi agraire qu’il proposait eût passé. À ce moment on apprit que l’Arx Carventana[25], poste important, avait été prise. Cet événement décida neuf tribuns à se séparer de leur collègue. Fort de leur appui, le consul procéda à l’enrôlement et, quelques uns en appelant au tribun Mænius, il leur fit tordre le cou[26]. Les soldats partirent fort irrités. Cependant l’Arx Carventana fut prise, mais ils n’eurent aucune part au butin : tout fut vendu et le prix versé dans le trésor public ; les soldats, encore plus mécontents du consul, le chansonnèrent pendant son triomphe. Mænius au contraire était toujours plus populaire. Les patriciens, en rétablissant pour cette année, comme ils le faisaient assez souvent, le consulat, empêchèrent que Mænius ne fût tribun consulaire, et les plébéiens s’en vengèrent en nommant pour la première fois des questeurs plébéiens.

La colère des patriciens fut grande, celle des tribuns n’était pas moindre. Tout à coup on apprend que l’Arx Carventana a été reconquise par les Æques et que beaucoup de soldats ont péri ; les tribuns en profitèrent pour obtenir un compromis entre leurs prétentions et les résistances patriciennes[27] ; ils se désistèrent alors de leur opposition à l’enrôlement. Mais toutes ces aigreurs semblent avoir nui à l’énergie militaire ; les deux consuls parurent devant l’Arx Carventana et ne purent la prendre ; plus heureux à Verrugo, ils la prirent et l’occupèrent.

En même temps les patriciens remportaient à Rome une victoire politique ; bien que le peuple eut obtenu les comices qu’il désirait, les trois tribuns consulaires qu’il nomma furent patriciens ; on accusait, il est vrai, les patriciens d’une supercherie électorale : de mettre sur la liste des candidats plébéiens indignes, pour dégoûter des choix plébéiens.

De nouvelles irritations se manifestèrent à Rome au sujet de la nomination d’un dictateur qui déplut fort aux tribuns consulaires eux-mêmes et donna occasion aux tribuns du peuple de se réjouir des divisions patriciennes. Les chefs de l’aristocratie, pour vaincre la résistance des tribuns consulaires eurent même l’idée d’en appeler aux tribuns du peuple. Ces querelles absorbaient tous les esprits. Ce qui n’était pas bon, dit Tite Live, lorsqu’on avait une telle guerre sur les bras[28]. Deux des trois tribuns consulaires murmuraient contre le Sénatus-consulte qui allait leur ôter le pouvoir. Le troisième, Servilius Ahala, prit son parti : il se fit autoriser à nommer le dictateur, et choisit P. Cornélius, un des deux récalcitrants ; pour le moment tout fut arrangé.

Cornelius battit rapidement les Volsques et déposa la dictature. Mais tous ces tiraillements politiques avaient eu une fâcheuse influence sur le moral de l’armée, et Verrugo fut prise par suite de l’indiscipline des troupes envoyées trop tard à son secours, et qui, s’étant mises à ravager le pays, se firent exterminer.

Verrugo devait être témoin d’une nouvelle honte et d’une nouvelle gloire de l’armée romaine. Douze ans plus tard, pendant le siège de Véies[29], un des deux corps d’armée, commandé par le tribun consulaire Postumius, fut forcé de se réfugier sur des hauteurs à peu de distance de Verrugo, où était l’autre corps. Le premier fit un vaillant effort pour gagner cette position et percer la ligne des Æques, qui lui barraient le passage. Les cris poussés dans ce combat nocturne arrivèrent aux oreilles des défenseurs de Verrugo, qui crurent le camp forcé, prirent peur et, quittant leur poste s’enfuirent jusqu’à Tusculum. Le bruit se répandit à Rome que Postumius avait été tué, mais il était vivant ; le jour venu, il repousse les Æques, les poursuit, détruit leur armée et reprend possession de Verrugo, que des lâches avaient abandonnée.

Ainsi l’histoire de cette colline isolée nous a donné le spectacle des difficultés politiques et des vicissitudes militaires au milieu desquelles s’accomplit au quatrième siècle de Rome la conquête des montagnes qui forment l’horizon romain.

L’histoire de Verrugo m’a entraîné au delà de l’époque de la prise de Véies. Je reviens à ce siège mémorable, et qui fut la première entreprise longue et considérable des Romains.

À quatre lieues de Rome, près de la Storta, dernier relai que rencontrent les voyageurs venant de Florence, est un lieu très-remarquable et très-pittoresque appelé l’Isola Farnèse. Là fut Véies, dont les Romains eurent tant de peine à triompher.

Un plateau de forme à peu près triangulaire s’élève du sein de la campagne romaine. On voit les murs d’enceinte en grosses pierres, de maçonnerie étrusque, et on a reconnu plusieurs des portes de la ville ; à l’extrémité orientale du plateau, sur une hauteur qui ne s’y rattache que par une langue de terre étroite et que l’on appelle encore la place d’armes était l’ancienne citadelle : elle regardait du, côté de Rome, qu’elle semblait menacer[30]. Véies était comme la tête du bélier étrusque tourné contre Rome pour l’écraser.

Des tombeaux, les uns romains, les autres étrusques, parmi lesquels il en est un très-bien conservé, se voient à l’extérieur de l’enceinte ; à l’intérieur aucune ruine n’est debout.

Les Romains ne seraient jamais venu à bout de prendre Véies, qui faisait partie de la confédération étrusque, si elle eût été efficacement secourue par les autres villes de l’Étrurie ; mais les délibérations du grand conseil national ne furent pas favorables aux Véiens ; ils l’avaient offensé en refusant de mettre à leur tête le chef annuel qu’il voulait leur imposer[31], et il fit la faute de les abandonner, s’en excusant sur la crainte des Gaulois[32] qui menaçaient. Cela montre que le lien fédéral n’était pas très-fort. Les anciens eurent des confédérations de villes, mais ne connurent guère de vraies fédérations. D’ailleurs Véies n’était pas purement étrusque, son nom était sabellique[33] ; elle avait eut un roi de cette race[34], et tout le pays environnant fut à demi sabin ; aussi ne trouva-t-elle d’alliés véritables que dans deux villes voisines, habitées par des populations au moins en partie sabines, Falère[35] et Capène.

Tout prouve que le siège de Véies fut une rude entreprise ; il dura, dit-on, dix années ; pour l’achever il fallut un grand homme, Camille[36], et une mesure inusitée ; pour la première fois les troupes passèrent l’hiver sous la tente et furent soldées : deux innovations, dont la seconde était la conséquence de la première, et qui excitèrent de vives réclamations de la part des tribuns contre les patriciens accusés de vouloir constituer une armée permanente et d’éloigner les plébéiens en les retenant sous les armes[37].

L’on avait entouré la ville assiégée d’un fossé et d’un relèvement de terre continu. C’était un bien grand ouvrage ; il fut détruit par les Véiens. À cette désastreuse nouvelle, toute opposition à la guerre fut abandonnée : chacun rivalisa de zèle. Ceux qui, bien que compris dans les centuries des cavaliers, ne recevaient point un cheval de l’État, vinrent dans la curie offrir au sénat d’en entretenir un à leur frais. Les plébéiens, saisis d’une généreuse émulation, se précipitèrent dans le Comitium et s’offrirent pour aller assiéger Véies, promettant de ne revenir que lorsqu’elle serait prise. Les sénateurs, du haut des degrés de la curie applaudissaient de la voix et du geste[38] ; plébéiens et patriciens pleuraient de joie, puis rentrés, dans la curie, les sénateurs y rédigèrent un sénatus-consulte par lequel ils ordonnaient aux tribuns consulaires de monter à la tribune[39] pour remercier les volontaires à pied et à cheval et leur accordaient la solde Militaire ; belle scène de concorde patriotique entre le Forum et la curie, à laquelle ces lieux, ordinairement ennemis, n’étaient pas accoutumés.

L’agger que les Romains avaient construit autour de Véies fut réparé et les travaux du siège repris avec ardeur. Mais malgré cette ardeur, malgré la présence de Camille le siège ne faisait point de progrès ; le sénat, craignant que les plébéiens ne finissent par se décourager, employa un artifice assez singulier pour soutenir leur confiance, en rendant les dieux garants de la réussite de l’entreprise.

Le lac d’Albe avait atteint une hauteur inaccoutumée ; on ne pouvait se rendre raison de ce phénomène[40], causé par la fonte des neiges à la suite d’un hiver que nous savons avoir été extraordinairement rigoureux[41], et peut-être aussi par des agitations volcaniques dont l’effet avait été d’encombrer les conduits naturels, comme il arriva dans les lacs de Bæotie et d’Arcadie[42]. On envoya demander à l’oracle de Delphes comment on pouvait remédier à la crue insolite des eaux. Des travaux d’écoulement existaient dès cette époque en Grèce. L’oracle annonça que Véies serait prise quand l’eau du lac aurait cessé de se jeter dans la mer, et de se répandre dans la plaine. Avant d’avoir reçu cette réponse qu’il supposa peut-être, le sénat avait imaginé un moyen d’atteindre le but désiré : le règlement des eaux, l’irrigation de la campagne[43] et le succès d’une autre entreprise à laquelle il tenait encore plus, la prise de Véies.

Comme on était en guerre avec l’Étrurie, on n’avait pas d’Aruspice pour conjurer le prodige ; on n’avait non plus personne qui fût en état d’exécuter ces travaux hydrauliques dont les Étrusques possédaient le secret, ces émissaires qu’ils pratiquaient pour dériver l’eau de leurs lacs[44] et qui étaient chez eux un héritage de la science antique au moyen de laquelle les Pélasges avaient creusé ou au moins élargi les conduits souterrains par lesquels les eaux du lac Copaïs se déversaient. Pour calmer les imaginations épouvantées par la crue du lac d’Albe, il fallait au sénat un Aruspice étrusque ; pour faire cesser cette crue menaçante il lui fallait un ingénieur étrusque ; le sénat résolut de se procurer du même coup un Aruspice et un ingénieur, enfin de faire servir l’accomplissement d’un oracle à diriger les efforts, à exalter le courage et à amener par là le triomphe des Romains.

Voici comme le sénat s’y prit :

Par suite de la longueur du siège, il s’était établi de certaines habitudes familières entre les assiégeants et les Véiens. Un jour, un soldat romain qui était de garde sous les murs de la ville entendit un vieil Aruspice étrusque s’écrier : « Les Romains ne prendront la ville de Véies que lorsqu’ils auront fait écouler dans la plaine l’eau du lac d’Albe. » La ressemblance de cette prédiction bizarre avec celle que les envoyés du sénat rapportèrent de Delphes peu de temps après, rend bien vraisemblable que le sénat ne fut étranger ni à l’une ni à l’autre.

Le soldat, frappé d’une si singulière exclamation, et donnant un exemple de cette crédulité aux promesses d’un sorcier qui n’exclut pas des violences contre sa personne, dont on trouverait des exemples chez tous les peuples superstitieux et particulièrement chez le peuple romain, lequel maltraite les madones quand elles n’exaucent pas ses vœux ; le soldat, s’étant approché du vieux devin sous prétexte de le consulter sur quelque prodige, le saisit tout à coup dans ses bras, l’emporta en dépit d’une résistance, je crois, simulée, et alla le déposer dans la curie, en plein sénat.

L’Étrusque parut regretter ce qu’il avait dit ; mais, le mal étant fait, déclara persister dans sa prophétie, et en même temps il indiqua les moyens d’opérer une dérivation des eaux du lac.

Bientôt les envoyés revinrent de Delphes et rapportèrent la réponse de l’oracle, qui coïncidait merveilleusement avec la prédiction de l’Étrusque ; il n’y avait plus de place pour l’incertitude.

L’Aruspice devint un grand personnage ; il fut chargé de procurer le prodige, c’est-à-dire de détourner les conséquences funestes qu’il pouvait avoir, et de faire tout ce qu’il fallait pour apaiser les dieux.

Mais le sénat ne fut pas seul à en tirer parti, et sa ruse tourna en partie contre lui ; les plébéiens me paraissent avoir su profiter aussi de la confiance accordée au devin ; car le devin ayant déclaré que les dieux étaient irrités de ce que les féries latines n’avaient pas été convenablement célébrées sur le mont Albain et que par suite l’élection des tribuns consulaires était vicieuse, ceux-ci furent contraints d’abdiquer et remplacés par d’autres tribuns consulaires, dont on décida que la majorité serait plébéienne.

Ce fut un incident imprévu et qui n’était pas, je crois, dans le plan primitif de la comédie. Car le lecteur a j’imagine, déjà vu clair dans le manège ; le monologue du vieil Étrusque, prononcé tout juste de manière à être entendu par le soldat romain, a dû éveiller ses soupçons. On peut supposer que ce monologue avait été conseillé en secret et probablement assez bien payé par le sénat, lequel, en calmant les inquiétudes nées du prodige et qui pouvaient décourager le soldat, dont un siège prolongé commençait à ébranler la patience ; en réalisant la condition mise par un double oracle à un succès, ce qui était un excellent moyen d’assurer ce succès, voulait en même temps faire accomplir une œuvre utile et capable de rivaliser avec les grands travaux des rois ses prédécesseurs. Il fallait un Étrusque pour prescrire l’entreprise au nom du ciel et pour en diriger l’exécution : on fit parler et enlever le bonhomme et creuser l’émissaire par ses soins.

Cette petite comédie religieuse pouvait avoir encore un autre objet ; nous allons voir que Véies fut prise au moyen d’un conduit souterrain (cuniculus) peut-être le sénat avait-il dès lors concerté avec Camille le projet de ce cuniculus et avait-il besoin aussi pour cela d’un Étrusque, qu’il y employa plus tard, après l’avoir employé au percement de l’émissaire du lac Albain.

Cet émissaire est le plus grand ouvrage qu’ait accompli la république romaine[45] : il est percé à travers la roche volcanique ; sa largeur est de cinq pieds, sa hauteur de sept à huit pieds ; des puits nombreux y descendent du sommet de la colline, des corridors y aboutissent, destinés à l’extraction des matériaux.

À l’entrée il est revêtu de murs, dont la direction est oblique, moyen d’amortir l’impétuosité du courant qu’on remarque dans les aqueducs de Rome, souvent coudés, et dans la piscine connue sous le nom des sette sale, sur l’Esquilin. En avant d’un mur transversal, dans lequel ont été ménagées des ouvertures pour permettre le passage des eaux, était une grille disposée de manière à arrêter les objets qui auraient obstrué le canal ; au delà est un réservoir dans lequel se déposent les impuretés de l’eau, et qu’on peut nettoyer quand il convient ; en avant du point où le canal s’enfonce dans les profondeurs de la terre est une salle murée et garantie contre le poids de la montagne par une voûte d’une solidité telle, que les racines des chênes qui croissent au-dessus en s’insinuant à travers les gros blocs dont elle est formée n’ont pu l’endommager notablement.

La même disposition se remarque à l’extrémité opposée : l’émissaire est terminé par un grand réservoir voûté d’où l’eau s’échappe par cinq ouvertures ; de là, conduite travers la campagne, elle va se jeter dans le Tibre à une lieue environ au-dessous de Rome. Tel est l’émissaire du lac d’Albano, qui présente une remarquable entente du nivellement[46].

Selon Tite Live, ce grand travail fut achevé en moins de deux années ; on ne croirait pas ce témoignage de l’historien, si les puits ouverts au-dessus du canal ne permettaient de supposer que le percement a été opéré sur un grand nombre de points à la fois[47], et, malgré cette explication, j’ai encore de la peine à admettre que les choses aient pu marcher si vite.

M. Mommsen rejette absolument l’histoire de l’Aruspice enlevé, histoire pourtant si vraisemblable, et voit dans l’émissaire du lac d’Albe un ouvrage des anciens Albains à l’époque où ils étaient à la tête de la confédération latine. On pourrait croire aussi qu’il fut plus anciennement encore, comme l’ont peut-être été en Grèce les travaux du même genre, l’œuvre des Pélasges. Même en supposant que les Pélages l’eussent commencé, il aurait toujours été achevé par un Étrusque, car la voûte y parait, la voûte est étrusque et non pélasge[48]. L’émissaire fonctionne encore aujourd’hui ; par lui les eaux du lac arrosent la campagne romaine et vont se jeter non dans la mer mais dans le Tibre : l’oracle a donc été obéi, aussi Véies a été prise.

D’abord cependant la promesse de l’orade ne parut pas devoir s accomplir. Deux tribuns consulaires qui combattaient contre les Falisques tombèrent dans une embuscade, l’un d’eux y périt ; à cette nouvelle, une grande terreur se répandit dans Rome, et, dans l’armée des assiégeants, on eut peine à empêcher les soldats de prendre la fuite. Rome était très-agitée ; on disait le camp de Véies forcé et les ennemis approchant de la ville. Les hommes s’élançaient sur les remparts, les matrones se pressaient dans les temples et imploraient les dieux.

Camille fut nommé dictateur et le sort de Véies fut décidé. Tout change alors, les prévisions de l’avenir, l’âme des citoyens et la fortune de la ville. Camille punit militairement les fuyards, décrète un enrôlement, se transporte à Véies, revient à Rome pour lever une nouvelle armée. Son activité suffit à tout.

Il n’oublia pas les dieux : il fit vœu de relever le temple que Servius Tullius avait consacré à la déesse Matuta dans le marché aux bœufs. Relever un temple consacré par Servius Tullius de populaire mémoire, dans ce moment où les plébéiens avaient si bien mérité de la patrie, était un à-propos. Camille bat les auxiliaires de Véies près de Népi, augmente les travaux de siège et entreprend enfin celui qui devait décider la prise de la ville : ce conduit souterrain, ce cuniculus célèbre qui amena les assiégeants dans la citadelle, conduit souterrain dont on a nié l’existence, mais auquel je ne vois nulle raison de ne pas croire, bien qu’on n’ait pu encore le retrouver[49].

Par une déférence dont un dictateur aurait pu se dispenser, Camille envoie demander au sénat ce qu’il faudra faire du butin. Claudius qui, comme tous ceux de sa race, dédaignait la popularité, fut d’avis de l’employer à réparer le trésor public épuisé, de le déposer dans le temple de Saturne ou tout au moins de le faire servir à solder l’armée. Mais le sénat, qui ne voulait pas perdre la faveur populaire, décida qu’il serait partagé entre les soldats et tous ceux qui se rendraient au camp. Le camp fut bientôt rempli d’une multitude que cette perspective attirait. On peut dire que Rome tout entière prit part à la prise de Véies.

Alors le dictateur sort de sa tente ; les auspices étant favorables, il fait prendre les armes aux soldats, et, fidèle au caractère religieux qu’il montra toujours, voue à Apollon, dont l’oracle avait annoncé le succès qui approchait, la dixième partie du butin ; il évoque la Junon protectrice et habitante de Véies, l’ancienne déesse pélasge dont le culte s’était conservé dans tout ce pays, lui demande de suivre bientôt les vainqueurs dans une ville qui sera la sienne ; puis, faisant, avec l’armée nombreuse dont il dispose, attaquer Véies de tous les côtés à la fois, pour mieux cacher son artifice, il lance ses meilleurs soldats dans le conduit souterrain. Ici se place une légende que Tite Live lui-même reconnaît pour telle[50].

Le roi de Véies offrait un sacrifice dans le temple de Junon. Les Romains, du souterrain où ils étaient encore cachés et d’où ils allaient sortir, entendirent l’Aruspice dire au roi : Ceux qui enlèveront les entrailles de la victime auront la victoire. Aussitôt ils s’élancèrent du souterrain, enlevèrent les entrailles de la victime et les portèrent au dictateur.

La ville fut livrée au pillage. On dit qu’à l’aspect des misères qu’il ordonnait Camille versa des pleurs. On disait aussi qu’élevant les mains vers le ciel il fit cette prière « Si ma fortune et celle du peuple romain semblent trop grandes, qu’il nous soit donné de conjurer la jalousie des dieux et des hommes par le moindre malheur possible. » C’est ce que le sort ne devait accorder ni à lui ni à Rome, car il devait être banni par ses concitoyens et Rome prise par les Gaulois.

Véies fut dépeuplée, on vendit tous ceux de ses habitants qu’on n’avait pas égorgés, ce qui m’empêche d’être fort touché des larmes que Camille répandit sur Véies comme Scipion Æmilien sur Carthage. Au centre de l’ancienne enceinte s’éleva un municipium romain dont quelques restes ont été reconnus[51], mais tout alentour demeura la solitude, et Properce a pu peindre un berger couché sur les ruines de Véies, des laboureurs qui moissonnent au milieu de ses débris.

« Nunc intra muros pastoris buccina lenti
Gantât, et in vestris ossibus arva metunt.
 »

C’est comme quand, à propos de Fidène et de Gabie, qui semblent avoir subi également une destruction partielle, Horace s’écrie « Quoi de plus désert que Fidène et que Gabie[52] ! » quand Lucain dit[53] qu’un jour, Gabie, Véies, et Cora, prophétie qui s’est réalisée, pourront à peine être reconnues à leurs ruines. Il y a quelque chose de doublement mélancolique dans ces retours sur le passé par ces hommes, que nous n’apercevons nous-mêmes que dans le passé. C’est la mort qui gémit sur la mort.

Puis Camille voulut tenir sa parole à Junon et l’emmena à Rome ; mais il s’y prit avec la plus grande religion. De jeunes Romains, le corps purifié par un bain sacré, entrèrent dans le temple et posèrent sur elle leurs mains avec respect. L’un d’eux, plus hardi, lui dit « Junon, veux-tu aller à Rome ? » et Junon répondit : « Je le veux bien[54]. » Il y a quelques années, on parlait beaucoup des clignements d’yeux d’une madone de Rimini.

On bâtit sur l’Aventin un temple pour Junon, et Camille eut l’honneur, qu’il avait bien mérité, de le dédier quatre ans après la prise de Véies ; il devait y avoir eu sur l’Aventin un ancien culte de Junon, la déesse sabine, au temps les Sabins avaient occupé cette colline auprès des Pélasges, car elle y était honorée avec Jupiter et Minerve, comme sur le Quirinal dans l’ancien Capitole sabin[55]. De plus, l’Aventin, mont plébéien dès le temps d’Ancus et qui le fut encore plus depuis la loi Icilia, l’Aventin était bien choisi pour le nouveau temple, car l’expédition de Véies avait rattaché les plébéiens ; on leur devait beaucoup, et le sénat, qui les avait remerciés de leur patriotisme, qui leur avait abandonné le butin malgré Claudius dont la sévère économie voulait le faire entrer dans la caisse de l’État, le sénat peut bien avoir fait encore cela pour eux. La statue transportée était en bois[56], ce qu’on peut considérer comme une marque d’antiquité. Les matrones romaines offrirent plus tard à la déesse une statue d’airain[57] ; mais on revint à l’usage antique, et on lui dédia postérieurement des statues en bois de cyprès[58].

L’on arrivait au temple de Junon par le Clivus Publicius, montée qui correspondait à peu près à celle par où l’on va aujourd’hui à Sainte-Sabine[59]. Le temple de Junon était probablement là où est cette église près de ceux de Jupiter et de Minerve[60], et formant avec eux, vers le point le plus élevé de la colline, le Capitole de l’Aventin.

On peut supposer que les belles colonnes de la basilique de Sainte-Sabine proviennent du temple qu’elle a remplacé, bien que Tite Live crût la demeure de Junon établie en ce lieu pour jamais[61]. Le nom même de la sainte à qui cette basilique fut dédiée au cinquième siècle de notre ère est peut-être un souvenir de Junon déesse sabine[62].

Camille fut reçu à Rome avec enthousiasme, la ville entière vint au-devant de lui ; il monta au Capitole sur un char attelé de quatre chevaux blancs. On jugea que ce triomphe était trop superbe, qu’un char ainsi attelé ressemblait trop à celui de Jupiter qui couronnait le temple. Némésis avait une statue sur le Capitoles[63]. La déesse, bravée presque dans son sanctuaire par trop de gloire et d’orgueil, punit l’orgueil et la gloire.

Cette autre Némésis qui régnait au Forum et qui elle aussi n’aimait pas ce qui s’élevait trop, la plèbe romaine commença à voir d’un œil jaloux le triomphateur ; dès ce moment l’envie s’attacha à Camille et en descendant du Capitole, il commença à descendre de sa haute félicité.

Camille paraît avoir été un homme religieux[64], je dirais sincèrement dévot, car en fait de religion, les termes qu’on emploierait aujourd’hui à Rome conviennent souvent à la Rome antique ; il eut un scrupule de conscience. Du butin dont l’armée s’était emparée, la dixième partie avait été vouée par lui à Apollon, dont le temple venait d’être construit, dont le culte nouveau, ou plutôt renouvelé[65], était l’objet d’une grande ferveur. Décider les soldats à rendre ce qu’ils avaient pris n’était pas facile. Les, prêtres, j’allais dire les casuistes, consultés, imaginèrent un biais pour se tirer d’affaire. Ils déclarèrent que la religion serait satisfaite, si chacun après avoir estimé sa prise, en offrait la dixième partie. Mais Camille était un rigoriste. Il allait partout disant, ce sont les paroles de Tite Live[66], que sa conscience ne lui permettait pas de se taire, que l’on parlait seulement du butin, mais que dans sa pensée son vœu s’était étendu aussi à la terre conquise sur l’ennemi. Les prêtres, consultés de nouveau, déclarèrent qu’il avait raison et que la dîme devait être prélevée sur le territoire de Véies, bien qu’appartenant à cette heure aux Romains. Les scrupules de Camille commencèrent à ébranler sa popularité ; pour la consolider, il fit contre les Falisques une campagne heureuse, dans laquelle on place l’aventure du maître d’école, mais malgré ce nouveau succès, il ne put ramener à lui la faveur des plébéiens.

Ils s’en prirent à tout à son triomphe : qu’ils disaient sacrilège, au vœu qui privait l’armée d’une partie de son butin. On lui reprocha d’avoir mis des portes de bronze à sa maison[67], enfin on accusa de vol cet homme si timoré. On prétendit qu’il s’était approprié une part des richesses trouvées à Véies. Tous les genres de malheur fondaient sur sa tête : un de ses deux fils tomba malade et mourut. Le grand Camille, et ce trait le fait aimer, négligea l’accusation qui lui était intentée et s’enferma dans l’appartement des femmes pour pleurer son fils.

Les plébéiens aigris contre lui se préparaient à le condamner. Camille rassembla ses amis, ses compagnons de guerre et leur demanda leur appui. Il le lui refusèrent, offrant seulement de payer l’amende qui lui serait imposée. Il n’accepta pas, et, après avoir embrassé sa femme et le fils qui lui restait, indigné, il résolut de sortir de Rome pour aller se réfugier à Ardée. Il marcha en silence[68] jusqu’à la porte Trigemina[69] ; arrivé là, il s’arrêta, se retourna vers le Capitole, et, tendant les mains vers la sainte colline qui avait vu l’éclat de son triomphe, il pria les dieux, si le traitement qu’il recevait des Romains n’était pas mérité, que ce peuple ingrat eût un jour besoin de Camille.

Sa prière devait être exaucée. Les Gaulois approchaient, précurseurs lointains des futures invasions barbares.

On supposa plus tard que la venue de ce peuple formidable avait été annoncée miraculeusement. On racontait qu’un Romain, nommé Marcus Cædicius, revenant le soir, par la rue Neuve et passant entre le bois Sacré et le temple de Vesta, avait dans ce lieu, auquel l’ombre du Palatin donne encore aujourd’hui un sombre aspect, entendu une voix plus forte qu’une voix humaine lui dire : « Va, Marcus Cædicius, et avertis les chefs de l’État que l’arrivée des Gaulois est proche. » S’il y a quelque chose de vrai dans ce récit, on peut soupçonner que le sénat, sachant qu’en effet les Gaulois approchaient, avait fait parler la voix pour exciter le peuple à marcher contre eux. Un double monument resta de cet avertissement prophétique un autel[70] et un sanctuaire[71].

On éleva au dieu inconnu qu’on appela Ajus Locutius, celui qui avait parlé[72], un autel entouré d’une enceinte sacrée ; Cicéron et Tite Live le virent encore.

La voix était sortie, disait-on, du bois sacré de Vesta, lequel descendait le long de la pente inférieure du Palatin, Virgile semble faire allusion à cette voix, quand, parlant d’autres présages, ceux qui annoncèrent la mort de César, il dit :

Vox quoque per lucos vulgo exaudita silentes Ingens.
                                              Georg., I, 476.

« On entendit à travers les bois silencieux une grande voix. »

  1. Rome, février, 1861.
  2. L’absence de triomphe après la campagne terminée par la prise de Corbio, absence que Tite Live a remarquée (III, 70), inspire des doutes à Schwegler sur la réalité de cette campagne. Ailleurs il fait observer que l’on suppose presque toujours que les ennemis sont les agresseurs, et que ces attaques surviennent souvent quand les patriciens ont besoin de distraire la plebs de quelque réclamation qui les embarrasse. Le détail infini de ces petites guerres, sans être toujours exact, offre une vérité générale : c’est un amas de souvenirs partiels plus ou moins altérés, mais non un ensemble de faits inventés. Ce qu’on eût inventé eût été moins minutieux et plus intéressant.
  3. En 308. (Tit. Liv., III, 68).
  4. Tit. Liv., IV, 26.
  5. Tit. Liv., V, 13, 23.
  6. Selon Tite Live (IV, 17), Cicéron (Philipp., IX, 2), Pline (Hist. nat., XXXIV, 11, 3), in rostris, ce qui semble vouloir dire sur la tribune. La tribune, qui était une esplanade assez longue où l’on marchait, eût pu les contenir ; mais in indique souvent le voisinage. L’expression in Circo s’applique à des monuments voisins du Cirque.
  7. C’est ainsi qu’on doit entendre Ad confluentes consedit in utriusque ripis amnis. (Tit. Liv., IV, 17.)
  8. En général, on croit reconnaître Fidène dans la colline qui est en face de Monte-Giubileo ; dans Monte-Giubileo, la citadelle de Fidène ; mais, selon M. Rosa, l’emplacement de Fidène est plus proche de Rome, là où il doit être, à cinq milles seulement, et Monte-Giubileo, qui est à six milles, ne peut avoir été la citadelle.
  9. Tit. Liv.. IV, 19.
  10. Tit. Liv., IV, 21. Comme il faut être juste envers tout le monde, je dirai qu’Auguste pouvait bien avoir raison sans que Tite-Live eût tort. Mais pour cela on doit supposer que l’inscription avait été altérée par la famille de Cossus, qui avait voulu rappeler son consulat en même temps que sa victoire. C’est l’opinion de Perizonius, adoptée par Schwegler. (R. Gesch., III, p. 200.)
  11. Tite Live, IV, 25.
  12. Tite-Live dit seulement les livres. Mais le temple, le culte, les jeux d’Apollon sont toujours en rapport avec les livres sibyllins.
  13. Tit. Liv., XL, 51.
  14. Tit. Liv., XXVII,37.
  15. Tite-Live (III, 63) dit en parlant du lieu où le temple fut construit Jam tum Apollinarem appellabant. L’église de Saint-Apollinaire, dans un endroit que le peuple appelle la Pollinara, semble montrer qu’il y avait aussi un lieu consacré à Apollon dans une autre partie du champ de Mars.
  16. Abek. Mittelit., p. 182-3.
  17. Tit. Liv., IV, 32.
  18. Tit. Liv., IV, 33.
  19. Ce nom indique une colline isolée, faisant saillie sur la plaine comme une verrue sur le visage. Il y a près de Florence une colline nommée Verruca. Verrugo a le même sens que Verruca. (Cat. ap. Gell., Noct. Att., III, 7.) D’après l’analogie de la terminaison en o avec le grand nombre de mots sabins ou sabelliques terminés de même : Nerio, Anio, Pompo, Scipio, Dorso, Varro, Cicero, je suis porté à croire que Verrugo était la forme sabellique, et verruca la forme latine.
  20. Il fallait qu’il en fût ainsi pour que l’occupation de cette colline par les Romains fût considérée comme un si grand malheur par ces deux peuples.
  21. Nibb., Dint., III, p. 474. Abek., Mittelit p. 75. Nibby croit retrouver dans le nom moderne de Colle Ferro une trace de Verruca.
  22. Tit. Liv., IV, 1.
  23. Tite Live n’indique pas le lieu de ce combat, mais Valère Maxime (III. 2, 8) dit « Apud Verruginem. »
  24. Tit. Liv., IV, 37.
  25. Rucca massima, entre Cori et Vehetri ; conjecture vraisemblable de Nibby. (Dint., III, p. 17.)
  26. Quum paucis appellantibus tribunum, collum torsisset. (Tit. Liv., IV, 53.)
  27. Tit. Liv., IV, 55.
  28. Tit. Liv., IV, 57.
  29. Tit. Liv., V, 28.
  30. Nibby (Dint., III, p. 424) place l’arx de Véies sur le sommet où est le château, et croit même retrouver la direction du Cuniculus dans le chemin qui y conduit. Mais ce sommet étant isolé, si l’arx eût été là, après l’avoir prise, il eût fallu livrer, pour prendre la ville, un assaut dont Tite Live aurait parlé, et dont il ne parle point.
  31. Tite Live (V, 1) donne à ce roi des Véiens le nom de rex et le nom de sacerdoa.
  32. Tite Live, V, 17.
  33. Véia, dans la langue osque, dont les rapports avec la langue sabine ont été reconnus par Varron (De L. lat., VII, 27), voulait dire plaustrum. (P. Diac., p. 368.)
  34. L’affinité du Sabin et de l’Ombrien est certaine, et il y avait eu un roi de Véies, appelé Propertius comme le poête Properce, qui était ombrien. On faisait instituer les Saliens, prêtres sabins, par un roi de Véies.
  35. Le site de Capène a été indiqué par de Nibby a Civiticola. (Nibb. Dint., I, p. 375 ) Son nom paraît fort semblable à celui de Capua, par lequel les Samnites remplacèrent l’ancien nom de Vulturnum, ce qui donne à Capène une origine sabellique, et, vu sa position, sabine.
  36. Furius Camillus était d’extraction sabine. Les Furii étaient Sabins comme le prouvent plusieurs de leurs surnoms : Medullinus (de Medullia), et surtout Camillus, analogue à Camrinum, Sabin, à Camers, Ombrien, aux Camenes de Numa, au nom de Camasine, épouse de Janus. Virgile a appelé Camilla une héroïne volsque. Tout porte donc à regarder Camillus comme Sabin ; de plus, ce nom se rattache aux Pélasges. Les Camilli, jeunes gens qui servaient dans les sacrifices, ont été rapprochés, par les anciens, de Cadmillos, l’Hermès pélasge (Macr., Sat, III, 8), serviteur des Cabires, dieux pélages ; un autre surnom des Furii était philus, semblable au grec philos. Les Furii seraient donc comme les Fabii une race sabine tenant aux Pélages. Furius ou Fusius paraît avoir la même racine que le mot grec, fôs homme, ou fôr, voleur, d’où fur, sabin comme Lemur. — Les divinités infernales étaient sabines ; la désinence sabellique en ur se retrouve dans Tibur et Anxur. — Remarquez que dans les mœurs héroïques, le nom de voleur est pris en bonne part, témoin les Cleftes de la Grèce moderne.
  37. Tit. Liv., V, 2. Remotam in perpetuum et obligatam ab urbe et à republica juventam.
  38. Tit. Liv., V, 7.
  39. C’est le sens de In concionem vocati.
  40. Tit. Liv., V, 15.
  41. Tit. Liv., V, 13.
  42. Niebuhr., IV, p. 214.
  43. Cic., Div, II, 32.
  44. O. Müll., Etr., p. 218.
  45. J’ai transcrit, à peu de choses près, la description de l’émissaire du lac Albain, qu’a donnée Hirt dans son histoire de l’architecture antique (die Gescinchte der baukunst bey der Alten, II, p. 105), parce qu’elle m’a paru la plus complète. Mais je dois dire que les dimensions de l’émissaire ne sont pas si considérables suivant Abeken et Nibby. Le premier (Mittelit., p 179) ne lui donne que quatre mille pieds de longueur ; pour la hauteur, six pieds ; pour la largeur, quatre. Nibby (Dint., I, p. 102) lui donne une longueur de sept mille cinq cents pieds, comme Hirt ; pour la hauteur et la largeur, il s’accorde avec Abeken.
  46. Nibb.,Dint., I, p. 103.
  47. Cette explication est donnée par Nibby et par Niebhur. Mais tous deux paraissent avoir exagéré le nombre des puits, que Nibby porte à cinquante et Niebhur à soixante. (Abek., Mittelit., p. 180.)
  48. Il est possible qu’un conduit souterrain fort antique existât avant l’époque romaine, car on a reconnu les traces d’un conduit du même genre qui portait les eaux du lac de Némi dans la vallée de Laricia, elle-même autrefois un lac, et de cette vallée dans la plaine. Un cours d’eau dérivé du lac de Némi, qui s’appelle Rio di Nemi, passe encore par deux ouvertures artificielles qui font communiquer, l’une, le lac de Némi avec la vallée d’Aricia, et l’autre, celui-ci, avec la campagne. Ce courant traversait l’ancien lac d’Aricia. Les deux conduits sont d’une haute antiquité, car l’histoire ne sait rien de leur percement ; et d’ailleurs ce percement remonte à un temps où le lac d’Aricia n’avait pas été desséché, temps dont il ne restait au temps de Pline qu’un vague souvenir. (Pl., Hist. nat., XIX, 41, 5.) Si l’émissaire du lac d’Albe préexistait à l’époque de Camille, et si on n’a fait alors que le réparer et l’agrandir, la rapidité avec laquelle Tite Live assure qu’il fut construit s’explique naturellement.
  49. Abeken (Mittelit., p. 183) cite plusieurs exemples de cuniculi dans d’autres villes italiotes.
  50. Tit. Liv., V, 21. Inseritur huic loco fabula. Tite Live ajoute « Dans des événements si anciens, il me suffit que les faits soient vraisemblables, et qu’on puisse les accepter pour vrais… De telles choses sont plus faites pour être représentées sur la scène, amie du merveilleux, que pour être crues. Mais je ne trouve pas qu’il vaille la peine de les affirmer ou de les rejeter. » Tite Live fait connaître ici le procédé qu’il a suivi dans le récit des événements accompagnés de quelques circonstances merveilleuses. Il est trop sage pour affirmer, trop bon Romain pour nier, il raconte.
  51. On y a trouvé les têtes colossales d’Auguste et de Tibère, et la statue assise de Tibère, qui sont au Vatican. Vingt-quatre colonnes, transportées de Véies à Rome, ont servi à décorer, les unes la nouvelle église de Saint-Paul, les autres un édifice sur la place Colonne. C’est le dernier exemple de colonnes volées à un monument antique pour embellir une construction moderne. Je voudrais, mais je n’ose espérer, que ce soit réellement le dernier.
  52. Hor., Ep. I, 11, 7.
  53. « … Gabios, Veiosque Coramque
    Puivere vix tactæ poterunt monstrare ruinæ.
     »
                          Phars., VII, 393.

  54. Tite Live (V, 22) explique la légende d’une manière qui peut être vraie en disant qu’elle fut imaginée, parce que Junon fut transportée facilement à Rome comme si elle suivait. Plutarque (Camill., 6) cite Tite Live un peu inexactement.
  55. Une autre trace de la présence des Sabins aborigènes sur l’Aventin subsiste peut-être dans le nom de sainte Prisca, à laquelle une église, non loin de Sainte-Sabine, est consacrée. Prisci était, nous l’avons vu, le nom des anciens Sabins.
  56. Den d’Hal., Fragm., XIII, 3.
  57. Tit. Liv., XXI, 62.
  58. Tit. Liv., XXVII, 37.
  59. Le Clivus Publicius fut construit par les deux frères Publicius, édiles. Jusque-là, le rocher était à pic. (Varr., de L. lat., V, 158; Ov., Fast., V, 293.) Ce Clivus Publicius conduisait du forum Boarium au temple de Junon. (Tit. Liv., XXVII, 37.)
  60. Les trois temples sont cités ensemble dans l’inscription d’Ancyre comme ayant été refaits par Auguste.
  61. …In Aventinum, æternam sedem suam.
                  (Tit. Liv., V, XXII.)

  62. Falère, cette constante alliée de Véies dont la population, n’étant pas purement étrusque, devait être en partie sabine, avait un temple célèbre de Junon. Ovide (Fast., VI, 49) appelle les Falisques adorateurs de Junon, et la colonie qu’y établirent les triumvirs s’appela colonia Junonia Faliscorum. (Nihby, Dint., II, p. 22-3.)
  63. Pl., Hist. nat., XXVIII, 5, 1. Le culte de Némésis au Capitole étant lié, à ce qu’il paraît, avec la superstition très-antique du Fascinum, il est possible que ce culte remontât, comme cette superstition elle même, jusqu’au temps des Pélasges
  64. Diligentissimus religionum cultor. (Tit. Liv., V, 50.)
  65. Emprunté aux Grecs et renouvelé des Pélasges, auxquels pouvait remonter le culte probablement très-ancien de l’Apollon du Soracte, Soranus Apollo.
  66. Tit. Liv., V, 25.
  67. Pl.,Camill., 12.
  68. Plut., Camill., 12.
  69. On pouvait aussi se rendre à Ardée en sortant de Rome par la porte Capène ; mais de cette porte Camille n’aurait pu tendre les mains vers le Capitole, qui, pour lui, aurait été masqué par le Palatin.
  70. Cet autel était sur le côté de la rue Neuve opposé au Palatin. La voix fut entendue sortant du bois de Vesta, qui dominait la rue Neuve. Un autel fut construit à Ajus parlant (Ajo loquenti) en face de ce lieu (Cic., de Div., I, 45). au-dessous du point où la rue Neuve, après s’être séparée de la voie Sacrée, commençait à descendre, infima nova via (Varr. ap. Gell., Noct. att., XVI, 17), par opposition à summa, mais non dans la partie inférieure de cette rue, vers le Vélabre ; car l’autel et le sanctuaire d’Ajus Locutius étaient au-dessus du temple de Vesta. (Tit. Liv., V, 32.)
  71. Ubi nunc sacellum est. (Tit. Liv., ib.)
  72. Au temps de Cicéron, c’est ainsi qu’on entendait ces deux mots car il met loquens au lieu de locutius ; mais, dans l’origine, il s’agissait peut-être de deux divinités dont les noms étaient synonymes (Ajo et Loquor), ce que Plutarque (Camill., 30 ; de Fort. Rom., 5) a rendu deux fois par φήμη καί κληδών ; Niebuhr a montré que et se supprimait volontiers dans les anciennes formules latines (patres conscripti, pour patres et conscripti). Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une divinité ou de deux divinités bien romaines. Ajus Locutius passait pour présider aux premières paroles de l’enfant. Or ces dieux sans nombre, qui avaient sous leur empire chaque détail et chaque moment de notre vie, depuis la naissance et avant la naissance, ces dieux sont pour moi les dieux vraiment indigènes de Rome, ceux qui appartiennent réellement au peuple romain.