L’Exposition d’Art hollandais au Jeu de Paume - De Rembrandt à Van Googh

Louis Gillet
L’Exposition d’Art hollandais au Jeu de Paume - De Rembrandt à Van Googh
Revue des Deux Mondes7e période, tome 63 (p. 442-456).
L’EXPOSITION D’ART HOLLANDAIS
AU JEU DE PAUME

DE REMBRANDT A VAN GOGH

On s’y presse du matin au soir. La salle ne désemplit pas. Le Jeu de Paume des Tuileries a retrouvé la foule des expositions célèbres, peut-être avec une nuance nouvelle d’attendrissement et je ne sais quel charme inédit, en ce mai souriant, sur cette terrasse délicieuse d’où Paris aime à embrasser sa gloire printanière. C’est qu’il y a plus ici qu’une exposition ordinaire. Dans cette trouble Europe mal remise de la guerre, où l’alarme ne se calme plus, où chaque pays se claquemure, où c’en est fait de la douceur des relations humaines, voici la première fois qu’il nous arrive du dehors quelque chose qui sente réellement la paix : la première main tendue sans arrière-pensée, le premier signe de pure gentillesse et de simple amitié.

Le pire désastre de la guerre, c’est l’état de malaise moral qui en résulte. L’ingénieuse Hollande a voulu s’efforcer d’y trouver un remède. Elle en a chargé ses artistes, ceux d’autrefois et ceux d’aujourd’hui et, en pensant aux ruines sans nombre et aux foyers détruits (elle, dont ces chers peintres ne se lassent pas de chanter la poésie intime, le bien-être domestique), elle a voulu que son premier geste fût un geste de charité.


J’ajoute qu’aucun exemple ne pouvait venir plus à propos et que, dans le désordre actuel des goûts et des idées, la leçon de la Hollande était probablement la plus utile à consulter. J’imagine que c’est là le secret de l’accueil que trouvent près du public les maîtres hollandais. Au milieu du chaos de l’art contemporain, dans la confusion des programmes et des systèmes qui bouleversent l’art de peindre, c’est un spectacle reposant que celui de cette école, la plus merveilleusement unie que l’on ait vue, celle qui compte peut-être le plus de talents divers, et qui sut cependant le mieux conserver dans l’ensemble ses caractères d’école, sans nuire à l’expression et au charme des individus. Il n’y a pas au monde de peinture plus indépendante ; il n’y en a pas qui, placée dans des conditions singulières, ait eu à résoudre des problèmes plus imprévus et su trouver à ces problèmes une solution plus décisive. Nulle, en un mot, n’a su mieux peindre en tournant le dos à toutes les traditions, ou ne les a connues, comme elle a fait, que pour s’en séparer et faire de l’inédit. A toutes les époques d’indiscipline et de malaise, l’exemple de ces novateurs si sûrs d’eux-mêmes est une chose édifiante ; on trouve chez eux la réponse la plus claire à la plupart de nos doutes et de nos inquiétudes. Et le succès de ces maîtres d’il y a trois cents ans est la démonstration de leur actualité.

Sans doute, c’est une leçon qu’il ne tiendrait qu’à nous d’entendre tous les jours au Louvre. Mais il y a des moments où les voix trop connues perdent un peu le pouvoir de se faire écouter, où il est bon de rafraîchir des connaissances familières, et c’est ce que faisait Fromentin lorsqu’il y a cinquante ans, il prenait le train pour compléter sa notion des Hollandais et aller voir chez eux les maîtres d’autrefois.

Aujourd’hui, ce sont eux qui nous rendent visite. Grâce à l’amicale bienveillance du gouvernement hollandais et à l’activité, jointe au goût, du ministre de Hollande, M. le jonkheer H. Loudon, a pu se constituer dans la salle du Jeu de Paume une réunion de peintures hollandaises telle qu’on ne reverra plus de longtemps la pareille. Par une faveur inouïe, les musées d’Amsterdam, de La Haye, de Rotterdam, le musée Mesdag, le musée de Glasgow, le musée de Lille, les collections les plus jalouses ont consenti à se dépouiller de leurs toiles les plus précieuses. Le duc d’Albe envoie de Madrid un sublime paysage de Rembrandt. Lord Iveagh, le comte de Crawford, Lady Wantage, M. G. Holford, les barons Edmond et Robert de Rothschild ont prêté quelques-unes des perles de leurs collections célèbres. Il en est venu de Londres, de Zurich, de New-York, de Paris. Et cela forme, en face du Louvre, un ensemble qui ne supporte pas mal ce redoutable voisinage.


Il est rare en effet de rencontrer un choix où, de cinquante tableaux, il y ait une proportion de trente ou quarante chefs-d’œuvre. Si du reste on comparait le catalogue de l’exposition avec la liste des peintres loués par Fromentin, on ne manquerait pas d’observer d’assez notables différences ; on verrait que les admirations d’il y a cinquante ans et celles d’aujourd’hui ne sont pas toujours les mêmes, C’est ainsi par exemple que, pour commencer par les maîtres, nous avons à présent des préférences marquées pour les œuvres de la dernière époque de Hals et de Rembrandt : l’exposition du Jeu de Paume ne nous offre plus guère que de celles-là. Ce qui nous plaît de Hals, ce ne sont plus les prouesses étincelantes du coloriste dans sa manière fleurie : nous ferions presque des objections à la palette dorée et au jovial éclat du Joyeux buveur d’Amsterdam, un triomphant morceau qui a pour nous le tort d’être un peu trop visiblement un morceau de bravoure. Nous pardonnons du moins, en faveur de la beauté du ton et pour le goût des zébrures noires sur la manche rouge, au fameux Guitariste de la collection R. de Rothschild : c’est l’exemplaire incomparable dont celui d’Amsterdam n’est qu’une redite amollie. Mais ce qui nous enchante, c’est le Frans Hals décoloré de 1650, le Frans Hals de la fin, touché par l’influence de Rembrandt, — autant qu’un tempérament de cette trempe se laisse modifier par un autre, — c’est le dessinateur avec toutes ses impatiences et toutes ses brusqueries, sa manière incroyable de chiffonner un gant, d’exprimer toutes choses sans rondeurs et sans minuties, dans le langage le plus abrupt et le plus elliptique, et qui trouve moyen d’être le plus raffiné des peintres en éliminant toute couleur pour ne conserver qu’une gamme d’argent, faite de noirs et de gris. A ne considérer que le plaisir et l’espèce d’excitation que donne le spectacle d’une exécution extraordinaire, il n’y a rien de plus « amusant, » même dans les Banquets les plus diaprés de la série fameuse du musée de Haarlem, que le bouquet de collerettes, de valeurs toutes diverses, du Portrait de famille de la collection Otto Kahn, que la manière prestigieuse de traiter les accessoires et d’exprimer les blancs par les locutions les plus piquantes et les plus imprévues ; et il n’y a pas de musée au monde qui nous offre à la fois la réunion de deux portraits comme la Vieille femme prêtée par un amateur de Bruxelles, ou la Femme à la rose qui nous vient de Ferrières, — un tableau sans prix où Frans Hals, par l’élégance de la pose et la magie des gris, efface tout le luxe des princesses de van Dyck.

De même, nous sommes tentés de trouver bien bourgeois le Rembrandt des grands portraits de 1634, au moment où le jeune mari de Saskia n’a d’autre ambition que d’être le portraitiste à la mode et le rival heureux des Ceulen et des van der Helst, tandis que toutes nos prédilections vont aux œuvres de son âge mûr et de sa toute-puissante vieillesse, à l’auteur de la deuxième Leçon d’anatomie, — cette épave d’un tableau brûlé, combien plus admirable que le trop fameux tableau de La Haye ! — au poète souverain du Portrait de Titus ou du Portrait de son frère, ou du Guerrier sublime, du divin Galahad du musée de Glasgow.

Je reviendrai dans un moment sur quelques-uns de ces tableaux ; mais comment ne pas s’arrêter tout de suite devant cette étonnante Leçon d’anatomie, chef-d’œuvre mutilé, perdu dans un coin du musée d’Amsterdam, et qui sort désormais de l’ombre, à la lumière de cette exposition, pour devenir une des œuvres les plus significatives de Rembrandt ? Nulle part le génie prodigieux du maître n’éclate comme dans l’invention de ce cadavre solennel, d’une forme sévère exactement pyramidale ; jamais le grand dessinateur n’a construit une figure d’un modelé plus imposant que ce raccourci, d’une science à faire envie à Michel-Ange ; jamais le magicien des ténèbres n’a fait flotter autour d’une forme un crépuscule plus mystérieux que ce demi-jour grisâtre, qui prête un sens presque surhumain à la chose sans nom et au « je ne sais quoi » qu’il étale sous nos yeux ; jamais son idéal spécial ne s’est exprimé avec plus de force que dans cette scène d’horreur, si bien qu’il fait planer sur ce mort comme une sérénité sacrée, et qu’il trouve moyen de donner à ce sujet d’amphithéâtre la majesté d’une Descente de croix ou d’une Mise au tombeau. Nous arrivons, au bout de trois siècles, à comprendre la beauté de ces œuvres suprêmes : il n’a pas fallu moins de temps au goût pour faire le chemin que le génie de ce grand homme a parcouru en cinquante ans.

Ce qui arrive pour l’intelligence de Hals et de Rembrandt, se passe également pour l’ensemble de l’école. Le passé n’est pas plus fixe que le présent ; nous le croyons figé dans l’immobilité des musées : en réalité, il change de figure à mesure que nous vivons nous-mêmes. C’est un paysage qui se transforme quand le promeneur se déplace : des parties disparaissent à chaque tour de volant, de nouveaux horizons surgissent. Il fut un temps où ce qu’il y avait de plus célèbre en Hollande, c’étaient les œuvres de van der Helst et celles de Paul Potter : elles sont absentes de l’exposition, et on ne songe pas à s’en plaindre. En revanche, voici une Nature morte de Willem Kalff, un des peintres que la mode regarde désormais comme les plus « importants, » et que les initiés égalent à un Cézanne. Une surprise, c’est encore l’admirable Marché aux poissons d’Emmanuel de Witte, une merveille ignorée du musée de Rotterdam et un joyau digne de Vermeer, le seul tableau à ligures que l’on connaisse de ce grand peintre, spécialiste des intérieurs d’églises, mais à qui il arrive de camper une silhouette avec autant d’esprit que Guardi (par exemple dans son délicieux panneau de Lille). Et voici quatre tableaux d’Arët van Gelder, — encore un nom qui manque au Louvre, — le bizarre et charmant artiste, le dernier et le plus fidèle des disciples de Rembrandt, celui qui prolongea près d’un demi-siècle après son maître l’esprit de la Fiancée juive du musée van der Hoop et de la Famille de Brunswick : le vague orientalisme du peintre des Paraboles, les procédés de son éclairage, ses pompes ténébreuses pleines de lueurs incertaines et jusqu’à un reflet de son sentiment qui nous touche, à travers des colorations acides, dans ce beau tableau des Anges chez Abraham qu’on appelait le « Rembrandt du Pecq. » Enfin, dans le même ordre des choses rarissimes et des gloires inédites, voici un petit choix d’eaux-fortes d’Hercules Seghers, le mystérieux graveur dont les œuvres n’existent complètes qu’à Amsterdam et par fragments dans un petit nombre de cabinets d’Europe : visions étonnantes, alpestres, gravures forcenées d’analyse et de dessin, où les montagnes et les moraines se décomposent pierre à pierre con)me les ruines de Rome sous le burin d’un Piranèse, compositions rugueuses, colorées de tons étranges, pareilles à des rognons de quartz ou d’améthyste, — une espèce de fou passionné pour la nature sauvage et les grandes tempêtes de l’écorce terrestre, un être tout à fait à part dans ce pays si calme, un ami, de Rembrandt qui recherchait ses ouvrages et qui s’en inspirait (voir le beau paysage prêté par le duc d’Albe) : bref, un extravagant qui, dit-on, imprimait ses cuivres sur des chiffons (peut-être pour donner l’illusion de vraies peintures), sacrifiant à cet effet le linge du ménage, et qui à quarante ans se rompit le cou dans son escalier, un jour qu’il avait bu.


Mais ce qui est le plus neuf dans l’exposition, ce qui témoigne le plus du changement de nos goûts, c’est la place accordée à un groupe de peintres naguère tout à fait inconnus. Cette école de Delft, presque entièrement oubliée, et reconstituée pièce à pièce avec une patience exemplaire par le savant M. Bredius, est une des plus précieuses conquêtes de l’érudition hollandaise. Jadis, on n’en connaissait guère que le seul Pieter de Hoogh, parce que cet artiste a laissé un assez grand nombre d’ouvrages, et qu’il a travaillé dix ans à Amsterdam. Encore ne s’expliquait -on pas les caractères infiniment particuliers de sa peinture et son goût spécial de décorateur, si différent des préoccupations ordinaires des Ostade et des Gérard Dou. Mais on s’est aperçu que ce maître admirable, loin d’être le créateur de cet art ingénieux, n’était que le reflet de maîtres beaucoup plus grands, dont l’influence se retrouve encore cher ; de Witte et surtout chez ce mobile et curieux Jan Steen : c’est toute une constellation nouvelle dont s’enrichit, en dehors des grands centres d’Haarlem et d’Amsterdam, l’histoire de la peinture hollandaise.

Le musée de La Haye possède un petit tableau exquis (il est aux Tuileries) représentant sur un mur blanchi au lait de chaux et inondé de soleil un oiselet perché sur un barreau de sa mangeoire et attaché par une chaînette : un chardonneret gris et bleu qui vous considère de son œil noir, qui brille comme un clou dans son masque de peluche rouge, à côté de son bec de corne en pointe de diamant. La fantaisie de cette étude, le piquant de l’effet, le prix de la matière, le côté « artiste » et absolument imprévu du sujet, font de ce morceau un délice. Cela pourrait être d’hier, — d’un Manet, d’un Degas, à coup sûr d’un auteur qui aurait vu les Japonais. C’est daté de 1654 et c’est signé Fabritius. On ne sait presque rien de ce Fabritius ; il ne reste de lui que sept ou huit tableaux : le plus important a péri il y a soixante ans, dans l’incendie de Rotterdam. Les meilleurs sont perdus dans les petits musées d’Innsbruck et de Schwerin. Quatre se trouvent au Jeu de Paume. Sur le portrait daté de 1643, on lit l’âge de trente-et-un ans, mais ce portrait est-il le sien ? Il passa vers 1650 par l’atelier de Rembrandt, comme en témoignent les deux études prêtées par M. Hofstede de Groodt, mais en interprétant son maître dans un sens très original d’aristocratie et de dilettantisme. Il fut tué à Delft, le 12 octobre 1654, — l’année du Chardonneret, — par l’explosion de la poudrière. Il n’avait pas quarante-cinq ans.

C’est ce petit-maître inconnu au Louvre et ignoré de Fromentin qui fut, avec de Witte, l’initiateur de l’école de Delft et le maître commun des deux peintres les plus célèbres de ce groupe, Pieter de Hoogh et Jan Vermeer. Celui-ci est la dernière en date et sans doute la plus durable des réputations récentes : le peintre le plus cher de toute la Hollande et l’un des plus coûteux du monde, puisque son tableau de la Ruelle, qui fait partie de la collection Six, était expertisé voilà quelques semaines à plus de deux millions. Rien n’est d’ailleurs plus rare de toutes les manières que les ouvrages de Vermeer : on n’en connaît que trente-neuf (je crois qu’un quarantième a été retrouvé en France pendant la guerre) et il est fort probable qu’il n’y en a jamais eu beaucoup davantage. Le chevalier de Monconys, qui vit le peintre à Delft en 1665, — car il y avait dès ce temps-là plus de curieux français qu’on ne se le figure sur les routes de Hollande (Pieter de Hoogh n’était-il pas au service d’un gentilhomme décavé, appelé M. de la Grange ? ) Monconys nous apprend que l’artiste n’avait rien en train le jour de sa visite : il ne faisait évidemment qu’un tableau à la fois, et avec des lenteurs extrêmes. Ces tableaux se vendaient de gros prix, puisque notre voyageur en vit un chez un boulanger qui n’avait pas coûté moins de six cents florins, — somme exorbitante à cette date — « bien qu’il n’y eût qu’une seule figure. »

Ce peintre scrupuleux vécut pauvre ; il mourut à quarante-deux ans en laissant huit enfants, qui lui coûtaient apparemment moins de peine que ses tableaux. Vers la fin du XVIIe siècle, ces tableaux se trouvaient encore presque tous à Delft, d’où ils n’étaient jamais sortis. Nous avons l’inventaire d’un amateur qui en possédait vingt et un : quatre ou cinq seulement se sont perdus. Mais la mémoire de ce peintre, qui avait fait si peu de bruit, vint à s’évanouir avec la dispersion de ses ouvrages. Sa Tête de jeune fille, qui est la grande surprise de cette exposition, fut achetée deux florins et demi voilà une soixantaine d’années. Je crois que c’est, avec la Laitière d’Amsterdam, la seule œuvre de Vermeer que Fromentin ait pu voir en Hollande, et c’est ce qui explique son silence sur ces œuvres déroutantes, inclassables et merveilleuses.

Les trois tableaux de Vermeer exposés au Jeu de Paume et le Chardonneret de Carel Fabritius sont peut-être en effet, de toute la peinture hollandaise, ce qui nous touche le plus par la noblesse du style, le charme de l’exécution, et surtout par ce qu’on distingue d’absolument moderne dans l’intention du peintre. Ce sont, en plein XVIIe siècle, des choses qu’on ne pouvait comprendre qu’après l’œuvre d’un Millet et celle d’un Corot. La grande Vue de Delft est peut-être le plus beau paysage du monde : un tableau d’une liberté de conception, d’une donnée pittoresque si neuve et en même temps si ingénue que, pour trouver la pareille, il faut venir jusqu’à des œuvres presque contemporaines, comme la Porte d’Arras ou le Beffroi de Douai. Encore n’oserait-on affirmer que Corot lui-même, arrivé au comble de l’expérience, eût été capable de conduire une œuvre si étendue et d’une si miraculeuse unité.

Imaginez une toile composée de quatre ou cinq étages de bandes horizontales, dont la plus claire se trouve en bas et la plus sourde en haut, si bien que tout le tableau, le panorama de la ville au bord de sa rivière, avec la silhouette de ses toits rouges, de ses pignons bleus et le prisme de son clocher grisâtre, apparaît entre ciel et eau comme une vision suspendue à un nuage. Il n’y a pas dans toute la peinture une construction plus audacieuse que cette échelle de valeurs renversées, cet escalier aérien descendant de degré en degré du point le plus fort où tout s’appuie, jusqu’à la terre qui vient traîner au bord du cadre comme la frange d’un tapis céleste de phénomènes. Quant au caprice de l’éclairage, à la fantaisie du rayon qui glisse entre deux nuages, frappe un mur à l’extrême droite comme une note suraiguë, illumine le troisième ou quatrième plan comme un arpège courant sur l’arête des toits, pour disparaître à gauche dans la partie sombre du clavier, c’est une des plus belles arabesques que l’œil d’un artiste ait dérobées au soleil, le plus grand des peintres. L’exécution est surprenante : d’une matière épaisse, poreuse et délicate, d’une espèce de substance vivante qui se diversifie comme celle des objets, avec de petites rugosités et des ponctuations étranges, faites pour accrocher çà et là la lumière. A côté d’un pareil tableau, tout le reste pâlit, et même le grandiose Moulin de Ruysdaël avec toute l’éloquence de son architecture céleste, semble vraiment d’une langue un peu parcimonieuse dont la sourde mélancolie et l’effet oratoire ne laissent pas de trahir quelque déclamation. Tout s’efface devant ce peintre qui dessine comme la nature et qui peint comme la lumière.

En effet, dans cette école des lumières étroites et des brusques éclairages, où la manière de conduire le jour et de le noyer d’ombre est la grande ressource des peintres et la condition exclusive de toute leur poétique, Vermeer et son maître Fabritius sont à peu près les seuls qui se passent de cette convention et conçoivent en dehors du clair-obscur l’intérêt du tableau. Il va sans dire que l’anecdote, ce qu’on appelle le sujet, est plus étranger, s’il se peut, qu’à tout autre de ses contemporains, à ce raffiné qui, deux fois sur quatre, ne met en scène qu’une demi-figure.

Nul élément de fiction, nulle ombre d’artifice n’entre dans la composition des œuvres de ce maître supérieur et candide. La réalité la plus tranquille et la plus quotidienne, la moins dramatisée par des effets factices, la lumière simple, le jour solaire dans son essence la plus pure, voilà tout le secret de l’enchantement de Vermeer. Cette étude de la vie dans un bain d’atmosphère, sans autre ombre que celle que donne la nature, sans aucune des roueries et des transformations qui prêtent à Rembrandt les allures parfois suspectes d’un peintre de l’invisible, qui eût cru que cela suffît à l’intérêt de l’art ? Qui eût pensé qu’il suffisait pour sujet de tableau, de la volupté de cette nappe fluide, égale et respirable, qui enveloppe doucement les êtres et les choses ? Il fallait trente ans d’efforts vers la peinture claire, pour nous mettre à même de comprendre l’étonnante nouveauté de ce point de départ. Et, dans toute l’œuvre de la fin du XIXe siècle, citerait-on un seul tableau qui approche de la perfection avec laquelle ce problème de l’atmosphère est résolu, sans même avoir l’air de se poser, par l’imperturbable génie du jeune peintre de la Laitière ?

En récompense, il est le plus grand coloriste de l’école. Tandis que les peintres autour de lui sont conduits à décomposer le ton, à le dissoudre dans la pénombre, et parfois à le faire s’évanouir tout à fait pour n’en plus laisser subsister que les valeurs abstraites, Vermeer emploie les couleurs pures : il a des jaunes citron, il a des bleus inouïs, qu’il relie entre eux par des gris de perle, par on ne sait quoi d’impalpable et de diaphane qui forme le milieu spécial de ses tableaux. Nulle autre peinture ne donnerait à ce point l’illusion de la vie, si le goût, un instinct suprême d’arrangement, une sorte de musique secrète ne venaient nous avertir qu’il s’agit pour Vermeer uniquement de la beauté. Sa Tête de jeune fille, avec son insaisissable contour, avec ce dessin mystérieux qui ne laisse nul écart de valeur entre l’arête du nez et le clair de la joue, avec la ligne de la paupière inférieure continuant l’ovale irréprochable du profil, avec la morbidesse incopiable de ses lèvres béantes où un souffle tiède semble se jouer sur la nacre des dents humides, — cette tête a des recherches de forme qu’on trouve seulement dans certaines femmes d’Ingres ; quant à la grâce du modelé, à la pulpe des chairs, à l’émail virginal et caressant de la matière, à l’étrange et exquise harmonie des jaunes et des bleus encadrant ce divin visage, ce sont des choses que Vermeer seul pouvait sentir et exprimer, avec ce charme bleu et blanc, onctueux et féerique, cette émotion innocente et cette pure joie de l’ornement qui rappellent la beauté d’un carreau de faïence et que le peintre devait aux potiers de son pays.


Ce qui frappe dans cet ensemble d’une incomparable richesse, où il y a des lyriques et des observateurs, des moralistes comme Steen et des orateurs comme Ruysdaël, des luministes comme de Hoogh et des « artistes » comme Vermeer, c’est l’unité de langage ; c’est un art commun à tous de circonscrire le sujet, une façon de le définir pour un objet spécial, qui est la décoration d’un intérieur bourgeois. Dans ces limites, il n’y a pas d’école qui ait mieux su ce qu’elle avait à dire, et où tout le monde ait mieux su le dire comme il voulait. Aucune n’a mieux adapté les moyens de l’art de peindre à des conditions données, en se faisant, à défaut d’idéal supérieur, un nouvel idéal de la culture de ces moyens. Ainsi, dans une peinture qui ne sort guère du paysage et du portrait, et qui se passe si bien de toute fantaisie, l’expression elle-même devient l’objet de l’art ; c’est là que se dépense tout ce qu’il y a de goût et d’imagination dans l’école ; et ces diligents copistes de la réalité sont peut-être les plus parfaits artistes qu’on ait vus.

Jamais on ne s’était proposé rien de plus original. Fromentin, dans des pages célèbres, l’a dit de manière à dispenser d’y revenir après lui. Ce qu’il faut ajouter, c’est que ces ouvriers accomplis, si peu occupés de l’antique et des conventions classiques, si résolument indépendants, n’ignoraient rien de ce qu’on savait de leur temps sur Rome et sur la Grèce, et ne faisaient souvent que transposer à leur usage les enseignements de l’Italie. Les preuves abondent, sans sortir de l’exposition : la Jeune fille de Vermeer est un souvenir évident de la fameuse tête du Guide, déjà célèbre au XVIIe siècle sous le nom de Béatrice Cenci : elle en porte jusqu’au turban. Mais personne, on le sait, n’a pratiqué plus effrontément le pillage des maîtres que Rembrandt lui-même. Voyez le sublime cadavre de la Leçon d’anatomie : ce morceau, le plus saisissant de toute l’exposition, n’est autre que le Christ de Mantegna, tel qu’on le voit à Milan, et que Rembrandt le connaissait depuis l’enfance par une estampe. Voyez encore le bizarre tableau de Rotterdam, dit la Concorde du Pays. Dans cette allégorie, qui symbolise la victoire des Sept Provinces sur le lion espagnol, le cavalier tragique qui galope au second plan est un souvenir manifeste du grand Charles-Quint du Prado, tandis que le combat qui s’ébauche dans la plaine, les carrés qu’on enfonce, les charges, les assauts, toute cette confusion de rage évoquée en quelques traits de bistre comme dans les lèpres d’un vieux mur, rappellent les héroïques grisailles de Rubens dans sa Mort de Sennachérib ou sa Bataille de Tunis.

On voit que ces novateurs étaient parfaitement informés de ce qui se passait dans le monde et ne se faisaient pas faute d’en tirer leur profit. Mais ce qu’il faudrait dire encore, c’est que cette unité de langage, cette sûreté d’intentions, cette cohésion de l’école, en un mot, tout ce qu’on admire dans cette merveilleuse Hollande du XVIIe siècle, est la création de Rembrandt : rien n’existe avant lui, tout se dissipe après lui. Ce n’est ni le temps, ni le lieu de refaire pour la millième fois l’étude de ce maître d’un incomparable génie. Plus que toutes les phrases et plus même que ses tableaux, la cinquantaine de dessins prêtés à l’exposition par M. Hofstede de Groot, par MM. Walter Gay et Moreau-Nélaton, et surtout par le plus fervent de tous les « rembrandtisants, » M. Léon Bonnat, vous dira ce que fut cet homme vraiment unique, ce qu’on peut enfermer de tendresse et de surnaturel dans un trait de plume ou de crayon, ce que c’est que la main humaine, quand elle exprime un sentiment. Une fois de plus, on arrive à cette conclusion qu’une école artistique, comme une politique, ou une grande victoire, c’est un homme : tout tient à cet homme et se ramène à lui. C’est Rembrandt qui a créé la poétique hollandaise, cet art de peindre en profondeur, dont il n’y a pas trace dans les œuvres admirables, mais toutes extérieures de Hals ; c’est lui qui a forgé l’instrument, donné en toutes choses les modèles, inventé cette façon de reproduire la vie en la baignant d’une atmosphère qui en transforme les apparences ; c’est lui qui de ce clair-obscur, procédé de relief et de saillie, a fait un élément nouveau propre à devenir le séjour de toutes les idées et à favoriser l’expression de toutes les nuances morales ; c’est lui qui a trouvé ce moyen pittoresque de prêter aux choses les plus humbles le sérieux, la dignité, par une manière émue et délicate de le dire. Tant qu’il vécut, pendant les quarante ans que dura sa carrière artistique, cette méthode s’impose autour de lui à tous les peintres ; tous ne font que clarifier ou doser différemment la couleur et la lumière, selon la mesure de leur tempérament et de leur sensibilité. A peine mort, le charme est rompu, comme si l’enchanteur en avait emporté le secret dans la tombe. Moins de quinze ans après lui, l’école hollandaise n’était plus qu’un souvenir. Et cette disparition est encore un hommage à Rembrandt.


Cette grâce de posséder un Rembrandt est une faveur que le ciel n’accorde pas deux fois. Il faudrait montrer par quel détour l’influence des grands Hollandais revint de France en Hollande, vers le milieu du dernier siècle, à travers Théodore Rousseau et Jean-François Millet. Une seconde école hollandaise se forme alors sous l’impulsion de talents tels que ceux de Bosboom et de Josef Israëls ; auprès de ces aînés et de ces initiateurs, une nouvelle génération, née aux environs de 1840, celle des trois frères Maris, d’Anton Mauve, de Neuhuys constitue, parallèlement à notre « école de Barbizon, » ce qu’on appelle en Hollande l’école de La Haye.

Toute une moitié de l’exposition est consacrée à cette école, fort célèbre en Hollande et aux États-Unis, un peu trop ignorée en France. Elle aura, pour beaucoup de visiteurs, l’attrait de l’inédit. Combien d’étrangers vont à La Haye sans se donner la peine de monter l’escalier du musée Mesdag, ne fût-ce que pour y admirer une installation qui est en elle-même un modèle, et pour y voir la plus belle collection qui existe en Europe de nos maîtres de 1830, en particulier de Millet, de Rousseau et de Daubigny ? Il faut donc savoir gré aux organisateurs qui nous donnent l’occasion de connaître une des plus intéressantes parmi les écoles contemporaines. Sans doute, il ne viendra à l’esprit de personne d’égaler ces peintres modernes, même aux plus humbles de leurs anciens. Sans compter qu’il n’y avait nulle part dans cette équipe une autorité à la taille de Hals ou de Rembrandt, quelque chose s’était perdu dans le passage dangereux du monde d’autrefois à celui d’aujourd’hui, — quelque chose d’essentiel, dont l’absence se fait cruellement sentir à toutes les nouvelles écoles, je veux dire l’apprentissage et l’éducation pittoresques.

Là est, par tout pays, le malheur commun de l’art moderne. Mais cette lacune n’empêche pas l’école de La Haye d’être distinctement quelque chose d’original, qui a le mérite de ne pas se confondre avec le goût de Paris, et qui relève authentiquement d’une tradition. L’art et le langage « intimes, » la poésie domestique, qui ont toujours tant de peine à s’acclimater chez nous et ne le font jamais pour longtemps, — dans cette France de Chardin et de Fantin-Latour, qui a le travers de rougir, quand on l’appelle bourgeoise, — cet art est, aujourd’hui, comme hier, l’art naturel à la Hollande. Les Intérieurs de Bosboom, surtout ses dessins, ses sépias, ses vues de cathédrales et de vieux escaliers, sont pleins d’une nostalgie touchante et de l’âme émue des vieilles choses. Le tableau d’Israëls, Seule au monde, a produit à son heure une sensation profonde ; comparé aux chefs-d’œuvre de Terborch et de Steen, il est évident que le ton est devenu sentimental ; mais s’il y a ici peut-être quelque « littérature, » on ne peut nier qu’elle s’exprime avec infiniment de tact ; on ne voit pas d’ailleurs pourquoi ce sujet du deuil et de la mort serait interdit à l’art, plus qu’un Calvaire ou une Pietà. La vision du peintre est un peu embuée et un peu imprécise, mais pleine de jolies nuances grisâtres et de parcelles délicates. J’avoue toutefois que ma grande joie a été dans cette salle la découverte de Mathieu Maris. C’est le moins connu du trio, et pour mon goût le plus charmant. Il a visiblement fréquenté les Anglais, et certaines de ses idées se ressentent de l’influence de Rossetti. Vers la fin de sa vie, il semble avoir cédé à un penchant mystique où la forme se dissout, comme s’il avait cherché à rendre les effets de Carrière sans avoir le génie sculptural et volontaire de ce beau maître. Mais quel œil délicat, quelles matières précieuses, quelle finesse d’émail et de gravure dans les morceaux de la bonne époque, dans ces petits paysages si fins, presque sans ciel, où le soir épanche sa cendre ! Je retrouve dans cette âme aimable, mélancolique, et comme sous un voile, un peu du charme de Vermeer.

Parmi les peintres contemporains, vivants encore ou morts à peine, il ne manque pas de figures remarquables : M. Breitner est le peintre des aspects sordides d’Amsterdam et de nudités somptueuses ; M. Bauer promène de Benarès à Ispahan ses regards altérés de la magie du passé et des enchantements solaires ; il est le pendant pittoresque de ce qu’est dans le roman l’illustre Louis Coupérus. M. Toorop est sans doute le plus inquiet et le plus contradictoire de tous les peintres de ce temps : on l’a vu dessiner des portraits d’un style grandiose et appliqué, rappelant la fresque d’un Uccello ou d’un Piero della Francesca ; on l’a vu donner ensuite de maigres allégories d’une complication hindoue et d’un hiératisme sensuel et préraphaélite ; on le voit à présent brosser avec un balai ivre des portraits aveuglants et multicolores comme une porte de cinéma. Cependant, M. Voerman continue aux bords de la Meuse à faire de petites peintures nuageuses et d’un charme volatil, digne de van Goyen.

Il est bien difficile de résumer en une formule tant de tendances et de tempéraments divers. Peut-être le mot de ces recherches se trouve-t-il dans la réponse d’Anton Mauve. Comme on lui reprochait ses éternelles vaches : « Des vaches, moi ? Je ne peins jamais que des effets de lumière ! » Dans cette poursuite de la lumière, où quelques-uns s’égarent et trébuchent, deux peintres, aujourd’hui disparus, jouent un rôle important. Il est inutile de rappeler ce que l’impressionnisme français, celui des Pissarro, des Monet, des Sisley, doit au peintre Jongkind. Les quinze ou vingt aquarelles qu’on nous montre de lui sont autant de chefs-d’œuvre. Jongkind a bien rendu à nos impressionnistes le service que Millet avait prêté à Israëls. Mais peut-être Vincent van Gogh en a-t-il rendu un plus grand à la jeune école indépendante, celle pour qui Gauguin et Cézanne sont dieux : après le divisionnisme et la décomposition du ton, qui avaient eu l’utilité de nettoyer la palette et d’en expulser des pratiques et des locutions vicieuses, ce maître incomplet, singulier, enseigna à reconstituer l’unité de la couleur et à refaire la synthèse de la ligne expressive et du ton exalté.

Il est trop tôt pour dire à quel rang l’avenir placera ce peintre étrange, ce défroqué, cet apôtre et ce missionnaire manqué, venu à la peinture par on ne sait quel hasard, ce raté de génie qui fut torturé toute sa vie par une entreprise au delà de ses forces. On trouvera dans son portrait anxieux et inquiétant l’image de son tourment. Quelle différence avec celui que Vermeer nous laisse de lui-même dans le tableau de la galerie Czernin ! En effet, van Gogh est mort fou. Quelques petites peintures de lui, un Canal, un Champ d’oliviers criblé par le jour d’ombres violettes, montrent dans cette nature sauvage des bribes, des lambeaux de sensations angéliques. Des vases de fleurs délirantes, sur fond jaune, comme des vitraux, le font voir dans l’ivresse de la couleur torride, en plein soufre. Mais de toute son œuvre, rien n’égale l’impression des lettres qu’on a publiées et que le malheureux écrivait au peintre Emile Ber- nard. On sent que ce détraqué n’avait qu’une passion au monde, celle des vieux maîtres de son pays. Comme il les aime ! Écoutez cette phrase sur le tableau de Paul Potter : « Un taureau désolé sous un ciel gros d’orage, navré dans l’immensité vert tendre d’une prairie humide. » « Au Louvre, dit-il encore, je vais toujours avec grand amour aux Hollandais, Rembrandt en tête, Rembrandt que j’ai tant étudié autrefois... Ah ! le rire édenté du vieux lion Rembrandt, la tête coiffée d’un linge, la palette à la main ! »

Sans doute, nul ne prétend réclamer pour ces dernières œuvres la même sympathie sans partage que nous inspirent les œuvres aimables et bienfaisantes de la vieille Hollande. Mais c’est déjà beaucoup pour ce petit coin du monde d’avoir montré que sa vitalité ne s’est pas ralentie et que d’avoir, à deux reprises, dans les cinquante dernières années, fourni deux idées très fécondes aux chercheurs de formules. Qui sait d’ailleurs si ces idées, quelle que soit l’apparence, ne sont pas plus proches qu’on ne croit de celles des vieux maîtres, et si l’on ne trouverait pas, entre les deux moitiés de cette exposition, quelque chose de commun qui les unisse et les relie ?

Depuis Rembrandt, qui le premier a fait de la lumière la condition de l’art, toute la peinture hollandaise, à travers le candide Vermeer et le nébuleux Israëls, jusqu’à ce chatoyant Jongkind et à ce fulgurant van Gogh, n’est-elle pas, à le bien prendre, la déduction logique du même théorème et le développement du même axiome fondamental ? Depuis le Fiat lux du rêveur de la Ronde, toute cette peinture apparaît comme la suite d’une journée, tantôt voilée, tantôt éclatante, mais dont toute la beauté est dans le drame de la lumière. Toute l’école, depuis trois siècles, ressemble à un laboratoire où l’on n’aurait fait autre chose que capter, transmuer de l’ombre et des rayons, des ténèbres et du soleil. Telle est l’alchimie dont ces maîtres ont fait leur absolu. Cette poursuite opiniâtre, à travers des erreurs et des incohérences, fait encore le pathétique des nouveaux chercheurs d’or. Voilà, d’un bout à l’autre de son existence, toute l’originalité de cette singulière école : n’ayant à sa disposition que des sujets communs, une terre humble, une nature médiocre, elle invente hors de ce monde un univers aérien, s’y installe, et fait son domaine de l’immatériel et de l’impondérable : découverte merveilleuse, dont toutes les conséquences ne sont pas encore déduites. Et c’est cela qui est proprement hollandais et ne pouvait naître qu’en Hollande : disons-le avec reconnaissance pour la diversité du génie de l’espèce humaine. Quelle réponse au sophisme que la beauté n’a point de patrie !


LOUIS GILLET.