Les Mœurs romaines sous l’empire/01

Les Mœurs romaines sous l’empire
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 69 (p. 580-612).
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ÉTUDES
DE MŒURS ROMAINES
SOUS L’EMPIRE

I.

L’EXIL D’OVIDE


L’exil d’Ovide est l’un des événemens les plus curieux et les plus obscurs de la fin du règne d’Auguste. La cause en est restée très douteuse. L’édit impérial qui reléguait le poète aux extrémités du monde ne lui reprochait que d’avoir publié l’Art d’aimer ; mais Rome savait bien que l’immoralité de ses écrits n’était pas le seul motif de son châtiment. On disait qu’il avait commis envers l’empereur une faute plus grave et plus personnelle. Malheureusement on le disait si bas que ces bruits ne sont pas venus distinctement jusqu’à nous ; aucun écrivain de l’antiquité ne nous a révélé de quelle nature était cette faute. Le seul document qui nous reste, ce sont les ouvrages mêmes d’Ovide ; je trouve qu’ils suffisent pour nous éclairer. Ceux qu’il a écrits pendant son séjour à Rome nous permettent d’apprécier le motif officiel qu’on donnait à son exil. Ceux qu’il a composés plus tard peuvent nous en faire découvrir la cause secrète. Il faut les étudier les uns et les autres, si nous voulons essayer de résoudre ce problème historique[1].


I.

Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu quelqu’un d’aussi heureux qu’Ovide jusqu’à son exil. Pendant cinquante ans, la vie lui fut bien plus douce qu’elle n’a coutume de l’être aux poètes. Horace et Virgile, ses grands prédécesseurs, n’ont pas eu une destinée aussi égale ni peut-être des succès aussi incontestés. Il ne fut pas obligé, comme eux, de lutter contre des nécessités fâcheuses ; il était de ceux qui grâce à leur naissance et à leur fortune trouvent leur place faite dans le monde dès qu’ils y arrivent. Sa famille portait un nom honorable et occupait un rang distingué ; son père avait de l’aisance et tenait beaucoup à la conserver. Il s’est plaint, quand il était jeune, de cette qualité paternelle qui restreignait ses libéralités, mais il en a profité plus tard. Lui-même, parmi toutes ses folies, ne fut jamais un dissipateur. Nous savons qu’il payait plus volontiers ses amours en beaux vers qu’en argent comptant ; aussi n’eut-il pas besoin, comme la plupart de ses confrères, de se mettre à la solde d’un protecteur. Sa renommée commença dès ses premières années. Il fut un écolier célèbre, et le souvenir de ses improvisations pathétiques se conserva longtemps chez les rhéteurs. À vingt ans, il lisait ses vers devant des réunions nombreuses. Horace et Tibulle, Virgile et Properce existaient encore ; Rome, dont l’attention était occupée par ces grands génies, avait le droit d’être distraite ou indifférente pour les autres ; cependant elle prêta l’oreille aux débuts de ce jeune homme, et depuis ce moment elle ne cessa plus de l’applaudir. « J’ai eu cette fortune, nous dit-il, d’obtenir de mon vivant toute la gloire qu’on n’accorde qu’aux morts ».

Ce qui achevait son bonheur, c’est qu’il était aussi heureux par lui-même que par les autres. Il n’avait pas un caractère à prendre mal la vie. C’est assez l’usage que les poètes, quand ils manquent de malheurs réels, s’en forgent d’imaginaires. Ordinairement le présent leur déplaît ; ils habitent plus volontiers le passé ou l’avenir et rapportent de ces voyages mille raisons de se plaindre de ce qui les entoure. Ovide au contraire aimait son temps et se sentait fait pour y vivre : « Que d’autres, dit-il, regrettent l’antiquité ; moi, je me félicite d’être né dans ce siècle, c’est celui qui convient à mes goûts ». Dans les passages même où, pour paraître un homme grave et pour plaire à l’empereur, il affecte de vanter les vertus antiques, il trouve moyen de nous faire connaître ses sentimens véritables. Après avoir célébré dans une belle tirade ce temps heureux où l’on prenait les consuls à la charrue et où l’on couchait sur la paille avec une botte de foin pour oreiller, il s’empresse d’ajouter sournoisement : « Nous louons les gens d’autrefois, mais nous vivons comme ceux d’aujourd’hui » ; ce qui n’était que trop vrai.

Quand on est si occupé, si épris de son temps, on n’aime pas à s’en séparer ; on en porte toujours avec soi le souvenir ; on en donne le caractère à toutes les époques qu’on étudie. C’est ce qu’a fait Ovide et ce qui le distingue des autres écrivains de ce siècle. L’imagination de Virgile se complaisait à vivre dans les temps reculés et primitifs où il a placé ses héros. Je me figure qu’une des créations dont il devait être le plus heureux était celle du bon roi Evandre, un vrai roi de l’âge d’or, qui se promène escorté de deux chiens pour toute garde, et que le chant des oiseaux éveille le matin dans sa cabane. Tite-Live disait dans une phrase célèbre qu’en racontant l’antiquité son âme devenait antique. Ovide fait le contraire : il ramène à lui l’antiquité au lieu d’aller vers elle ; il la voit à travers son temps et lui en donne les couleurs. Sa méthode ordinaire consiste à la moderniser. Ce qui donne à ce procédé un charme piquant, c’est que le poète l’emploie sans effort et avec une sorte de naïveté : il décrit le passé comme il le voit ; aussi ses premiers ouvrages ont-ils déjà ce caractère. Les jeunes femmes ou les jeunes filles qu’il fait parler dans ses Héroïdes sont des contemporaines d’Auguste, des personnes du monde, spirituelles et bien élevées, qui n’ont rien de la simplicité antique. Elles sont sans cesse occupées à écrire à leurs maris ou à leurs amans ; elles en attendent et en obtiennent des réponses, ce qui suppose un commerce de lettres assez actif entre toutes les parties du monde ; la poste pénètre même à Naxos, dans cette île déserte où Ariane abandonnée se console en composant une épître touchante à celui qui vient de la quitter. Tous les détails ont le même caractère. Les héros du siége de Troie, de retour chez eux, racontent leurs exploits après boire, tout à fait comme les légionnaires romains. Paris est un petit-maître qui, à la table même de Ménélas et en sa présence déclare son amour à Hélène avec tous les procédés qui seront plus tard décrits dans l’Art d’aimer. Hélène, qui n’est pas insensible à la beauté du Phrygien, est pourtant fort embarrassée pour lui répondre. C’est la première lettre d’amour qu’elle écrit, et elle envie le bonheur des femmes qui ont plus d’habitude qu’elle, felices quibus usus adest ! Nous voilà bien loin d’Homère, et il n’est pas surprenant que les admirateurs fervens de l’antiquité se soient plaints qu’Ovide l’ait profanée ; mais pour comprendre ses ouvrages il faut les lire comme il les a composés et ne pas lui demander ce qu’il ne voulait pas faire. Ce n’est pas un de ces artistes sévères qui cherchent à se pénétrer des chefs-d’œuvre antiques et à les reproduire avec respect. Il joue sans cesse avec le passé, il a le sourire aux lèvres quand il en parle. On a bien eu raison de le comparer à son compatriote l’Arioste ; il lui ressemble par la façon dont il traite les vieux souvenirs et les anciennes légendes. Tous deux aiment à les raconter, mais tous deux ne se font aucun scrupule de s’égayer en les racontant ; ils se tiennent à mi-chemin entre le sérieux et l’ironie. C’est ce qui fait leur principale originalité, c’est ce qui leur a donné leurs plus grands succès. Virgile nous dit que de son temps la mythologie était usée ; Ovide l’a rajeunie en la dénaturant, et tous ceux qui lisaient ses vers, étonnés du charme nouveau qu’il savait donner à ces vieux récits, surpris de voir ces héros redevenir chez lui vivans et jeunes en s’accommodant à leurs usages, à leurs opinions, à leur vie, le proclamaient sans hésiter le premier poète de son temps.

Ces éloges étaient sans doute exagérés, mais au moins ils étaient sincères. Cette société se retrouvait en lui et se louait elle-même en le louant. Personne ne la représente mieux qu’Ovide. C’est lui qu’il faut lire, si l’on veut savoir ce qu’elle était devenue dans la seconde moitié du règne d’Auguste. Étudiée dans ses ouvrages, elle ressemble peu aux portraits de fantaisie qu’on en fait d’ordinaire. On a coutume de s’apitoyer sur elle, et on la plaint beaucoup d’avoir perdu la liberté. La perte est grande assurément, mais elle la supportait sans peine. Comme elle avait vu seulement les derniers et désastreux combats soutenus pour la défendre ou pour la remplacer, on peut dire qu’elle en avait souffert sans la connaître. Aussi ne l’a-t-elle jamais regrettée. Elle appartenait tout entière au présent ; pas plus qu’Ovide, elle n’avait de ces retours importuns de mémoire qui jettent toujours quelque amertume dans les plaisirs dont on jouit. À la place des affaires publiques, dont elle ne s’occupait guère, elle avait d’autres sujets de distraction qu’elle préférait. L’intérêt de l’existence était changé. On ne le mettait plus comme autrefois à conquérir l’influence politique, à gouverner les partis, à passionner les assemblées ; on le mettait à briller dans les réunions polies, à les occuper de la réputation de son esprit ou du bruit de ses aventures. C’était un monde d’oisifs très affairés, in otio negotiosi, et ces mille riens si importans dont se compose la vie mondaine leur ôtaient le loisir de regretter l’activité virile qu’ils avaient perdue. Telle est l’idée que je me fais des contemporains d’Ovide en lisant ses œuvres. Je n’oserais pas dire tout à fait que ce fut une époque heureuse ; le bonheur, dans son sens le plus général, contient aussi ce plaisir sérieux qu’on éprouve à se sentir le maître de soi-même, à diriger des destinées, et l’on s’était mis alors sous l’entière dépendance d’un homme ; c’était au moins une époque parfaitement satisfaite de son sort. Aucune autre n’a mieux joui des biens qu’elle possédait et moins songé à ceux dont elle était privée.

On comprend que cette société convînt à Ovide et qu’il se soit félicité d’y vivre : personne n’était mieux fait que lui pour s’y plaire. Qu’il y ait obtenu des succès de tout genre, qu’il y ait longtemps vécu de la vie des gens de son âge et de son rang, nous pourrions le supposer, même s’il nous l’avait caché, et il a pris la peine de nous le dire. Ses Amours contiennent l’histoire de sa jeunesse, et l’on y voit, à toutes les aventures qu’il raconte, que cette jeunesse fut très dissipée. Il est vrai que plus tard, dans son exil, il a beaucoup cherché à atténuer le mauvais effet de ses premiers ouvrages. Ses lettres à l’empereur et à ses amis sont pleines de désaveux. Il voudrait nous faire croire que ses mœurs valaient mieux que ses écrits, et que a si sa muse a été légère, sa vie au moins a été pure. Il est bien possible en effet qu’il y ait beaucoup d’inventions et de mensonges dans tous ces récits qu’il nous a faits. Ses vers ne sortent pas du cœur comme ceux de Catulle. On ne trouve pas dans ses élégies de ces confidences involontaires qu’arrache la passion, et qui portent avec elles l’accent de la vérité. Je me le figure plutôt comme un débauché d’imagination, et il me semble que la tête avait plus de part que l’âme à ses désordres. Son tempérament maladif, sa santé fatiguée n’étaient pas capables de grands excès. Il nous dit qu’il était pâle et qu’il ne buvait presque jamais de vin. Quand il chante ses amours, sa blessure est toujours légère ; elle ne l’occupe pas assez pour lui faire oublier qu’il est poète. L’artiste subsiste à côté de l’amant, et songe à tirer de ce qu’il fait ou de ce qu’il voit un bon profit pour sa poésie. Il a donc pu exagérer ses sentimens, il a embelli la réalité pour la rendre plus digne de plaire aux lecteurs ; mais, quoiqu’il dise, il n’a pas tout inventé. Corinne n’était pas entièrement un être de raison, et dans la peinture qu’il nous fait de ses plaisirs il y a autre chose que des rêves et des fictions poétiques. Il avoue lui-même quand il est sincère. Au moment où il essaie de défendre sa jeunesse, il lui échappe de dire : « Mon cœur alors était tendre, sensible aux traits de l’amour, et il s’enflammait au moindre feu ». L’aveu est bon à recueillir. Il ne nous trompait donc pas dans ses Amours quand il nous disait en vers charmans qu’il était amoureux de toutes les femmes. « Je n’ai pas la force de me gouverner, je suis comme le navire qu’emportent les flots rapides. Mon cœur ne s’astreint pas à préférer certaines beautés, il trouve cent raisons de les aimer toutes », et il continue en énumérant comme don Juan toutes celles qui lui plaisent. Supposons qu’il y ait dans ses aveux un peu d’excès et de fatuité, le fond n’en est pas moins véritable. Sur ce fond, Ovide a brodé sans scrupule. Il a fait parcourir à ses aventures les incidens ordinaires d’une affection de ce genre pour avoir le plaisir de les dépeindre. Il a profité de l’occasion pour décrire l’amour jaloux, l’amour heureux, l’amour trompé ; mais cette occasion lui était fournie par sa propre histoire, et ceux qui allaient chercher dans ses élégies des raisons pour attaquer sa jeunesse n’avaient pas entièrement tort.

En se permettant ainsi de changer et d’embellir la réalité, le poète a jeté quelquefois un peu de vague dans ses peintures. Par exemple nous ne savons pas bien distinguer dans quel monde il nous introduit. L’incertitude est grave, et nous verrons plus tard qu’on en a cruellement abusé contre lui. De quelle sorte de femmes se composaient ces réunions joyeuses qu’il nous a décrites ? qu’était surtout cette Corinne qui fut son premier amour ? Tout ce que nous savons d’elle, c’est que ce nom ne lui appartenait pas et que le poète l’avait imaginé pour dissimuler le sien. S’il craignait de la compromettre, c’est qu’apparemment elle avait une réputation à ménager. Ce n’était donc pas une de ces femmes qui courent les aventures et cherchent le bruit. Celles-là auraient souhaité d’être nommées, car les vers d’un grand poète les auraient mises à la mode. Était-ce tout à fait une femme du monde ? On pourrait le croire à la façon dont Ovide désigne celui auquel il l’a enlevée : il l’appelle son mari, vir suus. « Une femme si bien gardée, que protégeaient un mari, un serviteur vigilant, une porte solide, que d’ennemis à vaincre ! » Qu’on suppose, si l’on veut, que ce nom de mari en cache un autre moins honorable, il faut bien avouer que la conquête de Corinne avait été difficile, et qu’elle ne devait pas être de celles qui sont accessibles à tous. Il est vrai qu’en lisant certains détails qu’Ovide donne sur elle, on la trouve fort complaisante et de mœurs bien faciles ; mais après tout elle ne l’est pas plus que la Délie de Tibulle et la Cynthie de Properce, et nous savons que c’étaient deux femmes du monde, et que la dernière portait un nom très honorable. Cependant j’aime mieux croire, malgré toutes ces raisons, qu’il faut ranger Corinne dans ce qu’Horace appelle la seconde classe, ou, comme on dit chez nous, dans le demi-monde. Ovide s’est défendu avec une grande vivacité d’avoir jamais aimé de femme mariée. « Il n’y a personne, dit-il, même dans le peuple, qui par ma faute puisse douter de la légitimité de ses enfans ». C’était là le plus grand des crimes pour des Romains. L’opinion le condamnait aussi bien que la loi. En revanche, on était fort indulgent pour l’amour des courtisanes. Plaute, qui se donne quelquefois des airs de moraliste, disait : « Pourvu qu’on se garde de traverser le terrain d’autrui, rien n’empêche de cheminer sur la grande route ». Voilà pourquoi Ovide, qui a tant occupé le public de sa vie dissipée et qui reconnaît que tout le monde en parlait à Rome, ajoute intrépidement qu’il n’a jamais couru de méchans bruits sur lui. C’est que l’amour de Corinne et de ses pareilles n’était pas de ceux qui donnent un mauvais renom.

Il faut avouer que cette incertitude, qu’on a quelque peine à dissiper quand on lit les Amours, n’est pas très favorable à la société de ce temps. S’il est difficile de distinguer quelle classe Ovide a voulu peindre, c’est que les classes se confondaient souvent ensemble. Les tableaux légers qu’il a tracés convenaient presque également à toutes. Lui-même passe de l’une à l’autre sans nous avertir et avec une aisance qui prouve qu’elles n’étaient pas très profondément séparées. Quand il nous dit qu’à Rome on n’est occupé que de plaisir, que Vénus règne dans la ville fondée par son fils, qu’il n’y a de femme vertueuse que celle dont personne ne se soucie, casta est quam nemo rogavit, il semble parler pour tout le monde et ne fait pas d’exception. Il y a même une de ses élégies sur laquelle aucun doute n’est possible ; c’est bien aux gens mariés qu’elle s’adresse, et par malheur pour la morale elle est à la fois une des plus agréables et des plus légères du recueil. C’est celle où il conseille aux maris trop sévères d’être plus confians en leurs femmes et de ne pas multiplier les précautions, inutiles. On comprend qu’il leur dise : « Vous avez beau garder tout le reste, vous n’êtes pas maîtres de son âme. Quand tous les verrous sont bien fermés, l’amant est dans le cœur ». Ou encore : « Nous souhaitons surtout ce qu’on tient à nous refuser. Le soin qu’on met à se garder attire les voleurs. Peu de gens aiment les plaisirs faciles. Il y a des femmes qui plaisent moins par leur beauté que par l’amour de leur mari. On leur suppose je ne sais quel charme en le voyant si épris ». Mais ce qui suit est en vérité fort surprenant : « Il ne sait pas vivre, celui qui se fâche parce que sa femme a des amans ; il ne connaît pas les mœurs de Rome. Si tu es sage, ferme les yeux, calme ton visage irrité, oublie les droits sévères du mari. Cultive les amis que tu dois à ta femme, elle ne t’en laissera pas manquer. Tu te feras ainsi beaucoup d’obligés sans te donner aucun mal ; ainsi tu auras ta place marquée à toutes les fêtes de la jeunesse, et tu verras ta maison pleine de présens qui ne te coûteront rien ». Plaisanteries imprudentes et qu’il paya bien cher !

L’Art d’aimer, que le poète écrivit ensuite et qui fut l’une des causes de son exil, ne donne pas lieu aux mêmes incertitudes que les Amours. Cette fois au moins Ovide a grand soin de nous dire pour qui le livre est fait. « Éloignez-vous d’ici, vous qui portez des bandelettes légères, insigne de la pudeur, et qu’une longue robe couvre jusqu’aux pieds. Je chante les amours sans scandale et les plaisirs permis ». Il s’adresse donc à ces femmes de mœurs légères, pour la plupart affranchies, et qui étaient alors si nombreuses et si importantes. Rome les a de tout temps beaucoup attirées. Plaute disait déjà à l’époque des guerres puniques : « Il y a plus de courtisanes ici que de mouches quand il fait très chaud ». C’était bien pis du temps d’Auguste, surtout à la suite de ces grandes fêtes qui attiraient tant de curieux, lorsque, suivant l’expression d’Ovide, la ville et le monde se confondaient, orbis in urbe fuit. Ces femmes, si on en croit le poète, étaient très artificieuses et fort habiles. Leur éducation avait été poussée très loin. On ne leur apprenait pas seulement à connaître les deux langues qui se partageaient l’univers, le grec et le latin, à danser et à chanter, mais aussi à parler avec mignardise, à marcher avec grâce, à rire et à pleurer : c’étaient des talens qu’elles savaient exercer fort à propos. Elles avaient tous les défauts qui leur sont ordinaires et quelques autres encore qui tenaient au temps ; par exemple, elles étaient très superstitieuses. Les religions orientales, qui commençaient à prendre tant d’importance, n’avaient pas d’adeptes plus fervens. Elles prenaient part aux fêtes de la grande déesse, elles pleuraient Adonis de tout leur cœur, elles fréquentaient le temple d’Isis, et même y donnaient des rendez-vous, elles jeûnaient dévotement le jour du sabbat ; quand elles étaient malades, elles envoyaient chercher la sorcière plus vite que le médecin. On comprend bien qu’elles ne se piquaient guère d’être fidèles. Ovide, qui ne croit pas à la vertu des femmes, est d’avis qu’à la longue aucune ne peut résister, et que leur conquête n’est qu’une affaire de patience. « Persuade-toi, dit-il, que tu dois vaincre, et tu vaincras ». Il prétend que Pénélope elle-même commençait à faiblir, et que son mari revint fort à propos. Il est vrai qu’elle avait mis vingt ans à se rendre : c’est un bel exemple, et qui ne sera pas imité par celles à qui s’adresse l’Art d’aimer. Est-il besoin d’ajouter qu’elles étaient aussi fort avides ? Le poète se plaint amèrement qu’elles ne soient plus sensibles aux beaux vers. Homère lui-même, s’il n’avait que l’Iliade à offrir, serait mis à la porte. « Nous sommes vraiment dans l’âge d’or, dit gaîment Ovide ; avec l’or on obtient les honneurs, avec l’or on se procure l’amour ». C’est qu’il en fallait beaucoup à tout ce monde léger pour suffire à tant de caprices ruineux, pour payer ces belles étoffes, « dont les couleurs brillantes ressemblent aux fleurs du printemps », ou ces riches et savantes coiffures qui se vendent auprès du temple d’Hercule Musagète (il y avait alors à Rome un marché aux cheveux), pour attirer les yeux sur soi et éclipser ses rivales quand on prend l’air le soir au Forum ou sous les portiques d’Octavie et de Pompée, quand on se rend avec Rome entière à la fête de Diane, au bord du lac de Némi, sur un char que l’on conduit soi-même, ou quand au mois d’août on va se promener en joyeuse compagnie sur la plage de Baies, ce rendez-vous de tous les vices, comme disait Sénèque.

Voilà pour quelles femmes le poème d’Ovide est écrit. Quant aux hommes, ce sont les jeunes élégans de Rome, ceux surtout qui aiment beaucoup le plaisir sans avoir tout à fait les moyens de le payer. « Je chante pour les pauvres, dit le poète, j’étais pauvre moi-même quand j’étais amoureux ». Les riches ont des moyens sûrs de plaire. L’art d’aimer est pour eux très simple, ils n’ont besoin d’apprendre que l’art de n’être pas trompé, qui n’est pas le plus facile. Les autres doivent remplacer la richesse qui leur manque par l’habileté. Ovide leur fournit de merveilleux artifices. S’ils ne peuvent rien apporter, ils ne doivent pas moins promettre : « Les promesses ne coûtent rien, et le plus pauvre peut en être riche. Laisse croire que tu es toujours sur le point de donner ce que tu ne donneras jamais. C’est ainsi que le possesseur d’un champ stérile se laisse toujours tromper par l’espérance de la moisson prochaine ; c’est ainsi que, dans la pensée de se rattraper, le joueur continue à perdre : l’espoir flatteur de la fortune ramène au jeu ses mains acides. La grande affaire, c’est de réussir une fois sans rien débourser ; pour ne pas perdre le fruit des premières faveurs, on t’en accordera de nouvelles ». Ce qui remplace avec le plus d’avantage les riches présens, c’est la complaisance ; mais il la faut à toute épreuve. Ovide demande des prodiges de patience et d’humilité. On doit céder à toutes les exigences de la femme qu’on aime, obéir à ses ordres, défendre ses opinions, rire dès qu’elle sourit, pleurer lorsqu’elle pleure, perdre quand on joue avec elle, approcher une chaise dès qu’elle veut s’asseoir, « ôter la chaussure de son pied délicat ou la remettre », et même, quand elle est à sa toilette, tenir son miroir. Si ce métier vous répugne, n’oubliez pas, pour vous donner du cœur, qu’Hercule l’a fait avant vous. Ce n’est rien encore, et le poète demande davantage. Après avoir supporté ses fantaisies, il faut fermer les yeux sur ses infidélités. On doit savoir souffrir un rival. Le sacrifice est grand, Ovide prévoit qu’il coûtera beaucoup, et il avoue même que pour sa part il n’a jamais pu s’y résigner. C’est une imperfection dont il s’accuse humblement, et il espère bien en guérir ses élèves. Les maris ont à la rigueur le droit de se fâcher ; mais dans le monde où il se place, quand le caprice forme seul les liaisons, ces colères sont ridicules, et Ovide profite de l’occasion pour rappeler de nouveau que les préceptes qu’il donne ne sont pas destinés aux gens mariés. « Je l’atteste une fois encore, il ne s’agit ici que des plaisirs qu’autorise la loi. Ma muse légère se garde bien de plaisanter avec les honnêtes femmes ».

Malgré toutes ces précautions, l’Art d’aimer lui fit plus de tort que les Amours. Tant qu’il s’était contenté de raconter ses aventures galantes, on l’avait laissé dire. Tibulle et Properce, qui étaient dans toutes les mains, avaient habitué à ces confidences ; mais froidement, de propos délibéré, mettre ses actions en préceptes, écrire la théorie de cette vie légère qu’il avait menée, étaler la prétention de l’enseigner aux autres et de faire des disciples, c’était plus grave. Ovide nous dit qu’il fut très attaqué. Il songea même à désarmer ses ennemis par une sorte de désaveu de son livre ; il publia ce qu’il appelait ses Remèdes d’amour. Malheureusement la vertu ne lui réussit pas. Les Remèdes d’amour sont un ouvrage ennuyeux, qui ne pouvait pas guérir le mal qu’avait fait l’Art d’aimer, et qui ne contenta personne.

Ce n’étaient pas seulement quelques esprits chagrins et austères qui se montraient irrités contre lui, c’était un parti tout entier qui a toujours été très puissant à Rome, celui des vieilles mœurs et des anciens usages. Ce parti avait bien des raisons de lui en vouloir. Il ne le blessait pas moins par sa conduite que par ses écrits. Sa naissance le destinait aux fonctions publiques, et il avait paru d’abord s’y résigner. On l’avait vu remplir avec quelque honneur les dignités qu’on donnait les premières aux jeunes gens de bonne maison ; mais ce zèle se refroidit vite. Au moment où l’accès du sénat lui était ouvert, son ambition s’arrêta court, et tout d’un coup il rentra dans la vie privée. Il pouvait comme un autre devenir préteur ou consul ; il ne voulut être qu’un poète. Nous n’en sommes pas fort scandalisés aujourd’hui, mais alors il semblait aux gens nourris des traditions anciennes qu’en renonçant aux fonctions publiques on trahissait son pays. Ces sortes de trahisons n’étaient plus rares à cette époque, où la vie politique avait si peu d’attrait seulement ceux qui osaient les commettre se gardaient bien de s’en vanter. Ovide au contraire, lorsque on l’attaquait, répondait avec arrogance : « Pourquoi m’accusez-vous de passer ma vie à ne rien faire et m’appelez-vous un paresseux quand je compose des vers ? Pourquoi m’en voulez-vous de ce que, dans la vigueur de mon âge, je ne fréquente pas les camps poudreux, je néglige l’étude des lois et leur verbiage, je refuse de prostituer ma voix aux luttes ennuyeuses du Forum ? Le travail que vous exigez de moi est de ceux que la mort emporte, et je cherche une gloire immortelle. Je veux que mon nom soit chanté toujours et dans tout l’univers ». Cette superbe réponse n’était pas faite pour calmer ses ennemis : ce qui devait les irriter bien davantage, c’était de l’entendre comparer en plaisantant les amoureux aux soldats (militat omnis amans), prétendre que ses amours devaient lui être comptés pour des campagnes, et préférer à tous les exploits militaires la conquête de Corinne. « Ceignez ma tête, lauriers du triomphe, je suis vainqueur, Corinne est dans mes bras. Ce ne sont pas seulement quelques humbles murailles que j’ai renversées ou des places entourées d’étroits fossés, c’est une femme dont je suis le maître ! »

Nous sourions de ces plaisanteries, mais alors beaucoup s’en indignaient ou feignaient de s’en indigner. Les prôneurs du temps passé, les prédicateurs de morale, dont Rome a toujours abondé, affectaient de paraître très courroucés. Il leur était facile de composer de belles tirades sur les périls que les livres d’Ovide faisaient courir à la vertu. Quand il essayait de se défendre en rappelant pour qui les Amours et surtout l’Art d’aimer étaient écrits, ils ne manquaient pas de bonnes raisons à lui opposer. Était-il sûr que ses livres ne se fussent jamais trompés d’adresse ? Lui qui a si finement décrit l’attrait du fruit défendu, ignorait-il le plaisir que nous éprouvons à savoir les choses qu’on ne veut pas nous apprendre ? Écrire en tête d’un ouvrage : « Éloignez-vous d’ici, vous qui portez des bandelettes légères, insigne de la pudeur », n’est-ce pas donner à quelques-unes d’entre elles le désir de s’approcher ? Et si elles cèdent à la tentation, si dans l’ombre et à la dérobée elles parcourent ces vers charmans qui ne sont pas faits pour elles, n’y trouveront-elles pas des leçons dont elles pourront profiter ? La manière de tromper un mari ressemble beaucoup à celle de tromper un amant, et quand, grâce à l’habileté du professeur, on est devenu savant dans cet art dangereux, il est difficile qu’on résiste au désir de le pratiquer. Ovide savait bien qu’il serait lu de tout le monde, « que la jeune fille qui regarde en rougissant la figure de celui qu’elle aime, que le jeune homme dont le cœur est ému d’un sentiment qu’il ne connaît pas, reconnaîtraient en le lisant les émotions dont ils étaient agités » et il n’en paraissait pas fâché quand il était sincère. Il savait que les tableaux passionnés dont ses vers étaient pleins troublèrent l’âme de beaucoup de ses lecteurs. « Notre amour, disait-il à Corinne, a fait naître beaucoup d’amours ». Ses ennemis ne prétendaient pas autre chose. Ils n’avaient donc pas tout à fait tort de trouver ses ouvrages dangereux ; mais ils allaient trop loin quand ils l’accusaient d’avoir dépravé ses contemporains. C’était attribuer à ses vers beaucoup trop d’importance. Ovide leur répondait avec raison qu’il avait plutôt suivi son temps qu’il ne l’avait dirigé, que la société tout entière était pleine de périls semblables, et que celui qui voulait se perdre en trouvait partout l’occasion ; il lui suffisait de citer ces promenades où s’étalaient tant de beautés à vendre, ces cirques où s’entassaient tous les sexes et tous les rangs, ces théâtres où, comme aujourd’hui, les maris étaient toujours malheureux et raillés, les amans toujours sûrs des faveurs de leurs maîtresses et des applaudissemens du public, ces temples où l’on voyait représentées par les plus grands artistes les aventures galantes des dieux, ce qui devait donnera leurs adorateurs une grande envie de les imiter. Était-il juste, parmi tant de périls, de s’alarmer outre mesure de l’influence fâcheuse que pouvaient avoir quelques vers légers ? Et ces vers mêmes, si maltraités, étaient-ils aussi criminels que les mimes honteux qu’on jouait sur la scène avec la protection du pouvoir, que les romans obscènes qu’on vendait librement chez tous les libraires, et qu’on prêtait aux lecteurs dans les bibliothèques de l’état[2] ? — Toutes ces raisons étaient bonnes ; on ne voulut pas les écouter. Une société a toujours besoin de rejeter sur quelqu’un la responsabilité de ses fautes. Plus elle éprouve de remords, plus elle est disposée à chercher un coupable qui fasse pénitence pour elle, et quand elle l’a bien puni, elle s’accorde à elle-même le pardon et se félicite de son innocence.


II

Ovide avait près de quarante ans lorsqu’il écrivit l’Art d’aimer. Il était grand temps que sa muse devînt plus grave et sa vie plus sérieuse. C’est toujours une crise difficile pour ceux qui ont beaucoup aimé le monde et ses plaisirs que de passer de la jeunesse à l’âge mûr. Ce changement est d’autant plus pénible qu’il est d’ordinaire plus brusque. Suivant la charmante expression du poète, les années viennent sans faire de bruit, tacitis senescimus annis, et l’on ne s’aperçoit guère qu’on vieillit que lorsqu’on est vieux. Il est bien tard alors pour changer de conduite et renoncer à ses goûts. On les quitte de mauvaise grâce, ou même on essaie de les garder. La punition de ceux qui se sont trop attardés dans la jeunesse c’est de ne savoir pas vieillir.

Ovide du moins essaya de se résigner à son âge. Après l’Art d’aimer, il changea de ton et voulut écrire des ouvrages plus sérieux. Ce n’était pas la première fois qu’il tentait de le faire. Comme il ne doutait de rien, quand il était jeune, la gloire d’Homère l’avait séduit. Il raconte qu’il avait commencé un poème épique sur la guerre des dieux et des géans ; la grandeur du sujet le transportait, et il était plein d’ardeur. Malheureusement Corinne se fâcha : elle voulait son poète pour elle seule et ne consentait pas à le partager même avec les dieux. « Comme je ne parlais plus que d’orages, de foudres lancées par Jupiter pour défendre le ciel, ma maîtresse me mit à la porte ; moi je renvoyai au plus vite Jupiter et sa foudre ». Quand le règne de Corinne fut passé, il revint naturellement à ces poèmes mythologiques, pour lesquels il s’était senti toujours un goût décidé. Cependant sa conversion fut moins complète qu’il ne le croyait : en changeant de sujet, il ne changea pas de méthode, et même est-il vrai de dire qu’il ait changé de sujet ? Lorsqu’il prenait si tristement congé de Vénus au quatrième livre des Fastes et lui demandait pardon de la quitter, Vénus aurait pu le rassurer : il ne cessait pas de lui être fidèle. Quoi qu’il entreprenne, ses anciennes habitudes le dominent, il est toujours « le chantre des amours légers ». S’il nous introduit dans l’Olympe, ce n’est que pour nous en raconter les histoires scandaleuses. Les efforts qu’il fait pour devenir plus grave lui réussissent médiocrement, et il ressemble à ce bon Sylvain, un dieu très galant, dont il nous dit qu’il était toujours un peu plus jeune que son âge.

En même temps qu’il essayait d’écrire des ouvrages plus importans, il réglait sa vie d’une autre manière. Ce n’est pas qu’il fût devenu plus ambitieux : il se connaissait assez pour ne pas souhaiter une position politique ; mais, à mesure qu’il était forcé de renoncer au plaisir, il prenait plus de goût pour la considération. Dans sa jeunesse, il avait surtout vécu avec les poètes et les gens de lettres ; en vieillissant, il se rapproche des grands personnages et fréquente même le Palatin. Ici encore le changement était moins grand en réalité qu’en apparence. La place qu’il prit dans cette société nouvelle était la même à peu près que celle qu’il occupait dans l’autre. On voit bien, quand on étudie les causes de son exil, qu’il resta pour ces grands seigneurs le poète des Amours et de l’Art d’aimer. C’est à leurs divertissemens surtout qu’il prenait part, et il fut moins pour eux un ami dont on s’honore qu’un compagnon et qu’un confident d’aventures légères. Il a plus tard amèrement déploré ces brillantes liaisons qui ont aidé à le perdre. « Croyez-moi, écrivait-il du pays des Scythes, vivre ignoré, c’est vivre heureux » ; mais il parlait autrement quand il était à Rome. La réputation de son talent et les agrémens de son esprit le faisaient bien accueillir partout. Sa gloire littéraire l’introduisait dans un monde où sa naissance, quoique distinguée, ne lui aurait pas donné d’accès. Il y était l’objet des prévenances les plus flatteuses ; il y trouvait des séductions que son goût naturel pour l’élégance rendait irrésistibles. Quand ces grands personnages daignaient faire quelques vers à leurs heures perdues, ils étaient heureux de les lui lire, et en retour ils accueillaient avec reconnaissance ceux que le poète voulait bien écrire en leur honneur. Parmi ceux auxquels il adresse ses élégies, on trouve un Messala, un Graecinus, un Pompée, un Cotta, un Fabius Maximus, les plus grands noms de l’empire.

Ces belles liaisons ne lui suffisaient pas. Comme il succédait à la réputation d’Horace et de Virgile, il aurait bien voulu prendre aussi la place qu’ils avaient occupée dans l’intimité de l’empereur, et il semblait à tout le monde qu’elle lui était réservée, Auguste s’était attribué le rôle de protecteur de la littérature de son temps ; il convenait à sa politique de s’attacher tous ceux qui pouvaient agir sur l’opinion. À ce titre, il était naturel qu’il souhaitât d’attirer à lui le poète dont Rome entière chantait les vers. Cependant il ne paraît pas qu’il l’ait jamais approché de sa personne. Si Ovide avait été de quelque façon distingué par Auguste, il n’aurait pas manqué de le dire, et il n’en a parlé nulle part. Cette sorte d’éloignement systématique d’un prince ami des lettres pour un si grand poète paraît difficile à expliquer : il faut pourtant en chercher les raisons.

Remarquons d’abord que, si les rapports ne devinrent jamais très étroits entre le poète et le prince, ce ne fut pas la faute du poète. Il a fait toutes les avances et n’a rien négligé pour attirer sur lui la faveur impériale. On doit cependant reconnaître que ses premiers ouvrages sont plus réservés et contiennent moins de flatteries que les autres. C’est à peine s’il est question d’Auguste deux ou trois fois dans ses Amours : il était à l’âge où l’on cherche plus à plaire à Corinne qu’à l’empereur. On y trouve même un trait d’audace qu’on n’a pas relevé et qui paraît fort surprenant chez un homme aussi timide. Il y parle de Gallus, une victime d’Auguste. C’était déjà une témérité de prononcer ce nom désagréable à l’empereur et qu’il avait fait effacer des Géorgiques. Il va plus loin, il ose insinuer que Gallus n’était pas coupable et qu’il a été faussement accusé. Quand on connaît Ovide, on est confondu de tant de courage ; mais cette indépendance ne se maintint pas. Le ton change à partir de l’Art d’aimer, dès lors on aperçoit chez lui l’intention de devenir le poète officiel de l’empire. C’était le moment où le jeune Caïus, le fils d’Agrippa et de Julie, qu’Auguste avait adopté, partait pour cette expédition d’Orient d’où il ne devait pas revenir. Le poète lui prédit toute sorte de succès et un retour triomphant. Il demande dévotement à Mars, père des Romains, et à César, père du jeune prince, de lui accorder leur divine protection, « car des deux l’un est déjà dieu, l’autre le sera plus tard ». C’est ainsi qu’il préludait aux flatteries énormes des Métamorphoses et des Fastes.

Il faut bien dire un mot de ces flatteries qui déplaisent tant quand on lit les derniers ouvrages d’Ovide. La seule excuse qu’on puisse alléguer pour les défendre, c’est qu’il n’a fait que suivre l’exemple des autres. Tous les écrivains de son temps parlent comme lui. Certes on comprend qu’ils aient été très frappés des événemens qui se passaient sous leurs yeux, de ce maintien vigoureux de la paix publique, de ce soin vigilant de faire respecter l’empire sur toutes ses frontières, des hommages rendus à sa puissance par des peuples barbares et inconnus. C’était après tout une grande époque, et les esprits justes et généreux, qui ne mettent pas leur gloire à paraître toujours mécontens et « à s’attrister du bonheur public », pouvaient trouver beaucoup d’éloges à faire ; mais pourquoi donc ces éloges ont-ils toujours un air servile[3] ? d’où viennent ces exagérations qui donnent à la vérité même l’apparence du mensonge ? et comment se fait-il qu’Auguste n’ait pas été autrement loué que Néron ou Domitien ? Quelques personnes voudraient bien en faire retomber toute la faute sur Auguste lui-même ; je crois qu’en bonne justice la meilleure part en revient à son temps. Il y avait évidemment dans cette société qui nous semble si brillante un fonds de bassesse ; elle était prête pour le despotisme quand il a paru. Ce qui le prouve, c’est qu’elle l’a bien accueilli et qu’elle s’y est faite avec une étrange rapidité. Quelques mois après Philippes, quand les soldats d’Octave pillaient l’Italie, Virgile, qui avait reçu de lui quelque faveur, s’écriait : « Oui, c’est un dieu, et le sang d’un agneau coulera souvent sur ses autels ! » Voilà une apothéose bien prématurée au lendemain des proscriptions. On peut donc soutenir que l’empire était fait dans les esprits avant Auguste. Dès les premiers temps, on a mis autant d’empressement à lui donner le pouvoir qu’il avait de désir de le prendre. Dans la suite, le sénat lui a toujours offert plus de dignités qu’il n’en a voulu accepter, et une fois le peuple s’est révolté pour le forcer à être dictateur. Il faut laisser à chacun la part de responsabilité qui lui revient ; ce n’est pas l’empire qui a fait alors la société, c’est plutôt la société qui a fait l’empire. Loin d’être l’unique auteur de cet affaiblissement des caractères, Auguste a fini par s’en effrayer. Il est arrivé que cette lâcheté générale, cet oubli de sa dignité, cet abandon de soi-même, qui rendaient son autorité plus solide, lui ont fait peur. Certes il n’aimait pas les ambitieux, mais il comprit que l’empire était perdu, si tout le monde fuyait les emplois publics, et il prit des mesures pour empêcher cette désertion. Sans doute il ne lui était pas désagréable qu’on eût le goût du plaisir : le pouvoir absolu y trouve toujours son compte ; mais il s’aperçut à la fin qu’un pays dont le plaisir est la plus importante affaire ne fournit plus de citoyens ni de soldats. Après la défaite de Varus, quand il essaya de lever une armée nouvelle, personne ne voulut partir, et il fallut enrôler des vétérans et des affranchis. Ce qui est vrai, c’est qu’Auguste n’a pas rendu à cette société l’énergie qu’elle avait perdue. Il n’avait pour la guérir que des remèdes insignifians à lui donner. Le seul qui pouvait être efficace était de lui rendre la direction d’elle-même : c’était le seul aussi qu’il ne pouvait pas employer. Ses essais pour la réformer restèrent donc impuissans, et même, comme il la traita avec douceur, il lui fut moins utile que les méchans princes qui le suivirent. Un despotisme cruel vaut mieux quelquefois qu’un despotisme humain et modéré. La prospérité affaiblit les âmes, l’excès de la souffrance les retrempe, et l’on peut dire qu’en somme, pour rendre quelque vigueur aux caractères, Tibère et Néron ont plus fait qu’Auguste.

Ainsi Auguste n’était pas entièrement satisfait de son époque, quoiqu’il eût fort à s’en louer. C’était un premier dissentiment avec Ovide, qui ne cesse d’en faire l’éloge. Il s’éloignait encore plus de lui par la façon dont il prétendait la guérir. Il voulait ranimer dans ce siècle corrompu le goût des vertus antiques. Il y avait peut-être quelques dangers pour son pouvoir à trop rappeler les grands souvenirs du passé ; il jugea qu’il y en aurait plus encore à les laisser perdre. Sur ce point, il changea complètement de politique en quelques années. Il avait commencé par chasser de leur pays les habitans de Nursium parce qu’ils avaient écrit sur le tombeau des soldats de Modène qu’ils étaient morts pour la liberté ; il finit par dresser sous les portiques de son forum l’image des héros de la république et par féliciter les Milanais d’avoir conservé les statues de Brutus. Quand il parlait au sénat et au peuple, il avait toujours à la bouche les exemples des aïeux. Pour engager les gens à se marier ou à modérer leurs dépenses, il faisait lire en Public le discours de Metellus sur la nécessité de propager l’espèce (de prole augenda), ou celui de Rutilius sur la mesure qu’il faut garder dans les bâtisses (de modo aedificiorum). Il voulait faire croire qu’avec lui la république rentrait dans la légalité, d’où elle était sortie depuis César, et que l’ancien ordre de choses recommençait ; il se donnait ouvertement pour l’héritier légitime et le continuateur du passé. C’était une étrange prétention, et l’on se demande quelquefois comment des gens qui se souvenaient de Pharsale et qui avaient vu Philippes pouvaient l’accepter. L’histoire nous montre qu’ils ont été très complaisans pour elle. Auguste avait eu le courage de renier ses premières années, il eut l’habileté de les faire oublier : c’est certainement sa plus grande victoire. Il laissa maudire autour de lui tous les attentats auxquels il devait son pouvoir. Son poète favori, Virgile, précipitait dans le Tartare « ceux qui avaient pris part aux guerres civiles et qui s’étaient battus pour donner un maître à leur pays ». On se remit à parler avec honneur du vaincu de Pharsale, et Properce alla jusqu’à insinuer que la bataille d’Actium était la vengeance de la mort de Pompée. En laissant faire l’éloge de l’ancien temps, Auguste voulait pousser ses contemporains à revenir aux anciennes mœurs. Ce moyen lui semblait bon pour donner aux âmes plus d’énergie, plus d’ordre et de régularité à la vie domestique. Il tentait ainsi de rendre à cette société affaiblie par deux siècles de corruption et cinquante ans de guerres civiles le goût de la simplicité, le respect de la religion, l’amour de la famille, toutes les vertus qui font la sécurité du présent et assurent l’avenir.

Malheureusement on ne prescrit pas la vertu par ordonnance, et les mesures administratives ne suffisent pas pour rendre un peuple honnête. D’ailleurs ni celui qui s’était donné la mission de le corriger, ni la plupart de ceux qui l’aidaient dans son œuvre n’avaient acquis par une vie irréprochable le droit de faire des leçons aux autres : il n’était pas possible d’oublier que la jeunesse d’Auguste n’annonçait pas un réformateur des mœurs publiques, et l’on devait être bien tenté de sourire quand on entendait Properce et Horace prêcher l’économie, la tempérance, la dévotion, toutes les vertus de l’âge d’or. Ovide lui-même, toujours prêt à plaire à l’empereur, s’était offert de bonne grâce à faire partie de ce groupe de moralistes officiels, et il avait commencé un poème sur les principales fêtes de la religion romaine. Il est vrai que cet emploi nouveau de son talent l’étonne lui-même. Au début du deuxième livre des Fastes, il rappelle qu’il a chanté les amours avant de chanter les dieux, et il ajoute naïvement : « Qui pouvait croire que j’arriverais là par ce chemin ? » Il y avait donc dans cette entreprise d’Auguste beaucoup d’hypocrisie et de mensonge[4] ; cependant on crut un moment qu’elle allait réussir comme les autres. Il avait été jusque-là heureux, on avait tant de confiance dans son génie et dans sa fortune qu’il ne semblait pas possible qu’il échouât. Horace, célébrant d’avance le succès de ses réformes morales aussi bien que de ses mesures militaires, disait : « L’adultère ne souille plus nos familles, les mœurs et les lois ont triomphé du vice impur. On félicite les mères d’avoir des enfans qui ressemblent à leurs époux… Qui pourrait s’effrayer du Parthe, craindre le Scythe glacé ou les sauvages enfans de la Germanie, tant que César nous reste ? » Ces vers sont bien la preuve que les poètes ne sont pas devins : de grands désastres et de grands scandales allaient bientôt montrer que le brillant tableau d’Horace n’était pas vrai, et que ni le vice ni les barbares n’étaient vaincus. Quelques années plus tard, Varus perdait ses légions en Germanie, et l’empereur trouvait des adultères à punir jusque dans son palais.

Les désordres de sa fille Julie furent une des plus cruelles douleurs d’Auguste. Il l’avait élevée avec beaucoup de soin. Elle filait la laine comme une Romaine des anciens temps, et il ne portait de vêtemens que ceux que sa femme et sa fille lui avaient tissés ; mais toutes ces précautions ne firent pas de Julie une Lucrèce. Suétone et Sénèque nous ont raconté ce qu’elle devint. Malgré leur témoignage, difficile à récuser, Wieland, dans un écrit spirituel et passionné, a essayé de la défendre. Il rappelle que c’était une femme d’esprit, douce et bienveillante, et que le peuple l’adorait. Il groupe avec art toutes les raisons qui expliquent et atténuent ses fautes. Il est certain que les excuses ne lui manquent pas. Elle avait sous le même toit qu’elle une ennemie habile et acharnée, sa marâtre Livie, qui, loin de rien faire pour la protéger contre elle-même, a dû l’aider à se perdre pour n’avoir plus de rivale dans le cœur d’Auguste. On l’avait mariée successivement à tous les candidats à l’empire. Elle passait de l’un à l’autre sans être consultée, et avec tant de rapidité qu’elle ne pouvait guère distinguer ses maris de ses amans. Quelle étrange façon d’accoutumer une jeune femme à respecter le mariage et de lui enseigner la pudeur ! Les deux derniers qu’elle épousa étaient déjà mariés, et on les força de divorcer pour lui faire place. Il lui arrivait donc, par une triste fatalité, en entrant dans une maison nouvelle, d’en chasser une femme aimée qu’on lui sacrifiait avec peine. Elle voyait pleurer son nouveau mari au souvenir de celle qu’elle remplaçait. De là sans doute des froideurs et des répugnances réciproques. Elle sentait bien qu’on ne l’acceptait que parce qu’elle apportait en dot l’empire, et elle aussi se trouvait entraînée à chercher ailleurs des liaisons où le cœur entrât pour quelque chose. Elle les trouvait parmi cette jeunesse élégante et corrompue dont elle aimait à s’entourer. La liste de ses amans était très longue. On y rencontrait, à côté de quelques Grecs beaux parleurs, un Gracchus, un Scipion, un Appius Claudius, grands noms de la république devenus des héros de boudoir, et surtout ce Jules-Antoine, le seul fils du triumvir qu’on eût épargné, qui vivait au Palatin dans la maison du meurtrier de sa famille et de ses bienfaits, lisant en secret les ouvrages de Cicéron, composant pour se distraire des poèmes mythologiques, peut-être aussi songeant par momens à son père, qui avait failli devenir le maître du monde, et à ses frères, qu’Auguste avait lâchement assassinés. Comment la fille d’Auguste en vint-elle à aimer le fils d’Antoine ? Quel étrange hasard d’affection rapprocha deux cœurs que séparaient tant de cruels souvenirs ? On l’ignore, mais on sait qu’ils prirent plaisir à braver l’opinion, que, dans un temps où la vertu était officiellement prescrite, ils en vinrent à des excès incroyables d’impudence, que la nuit ils choisissaient le Forum et la tribune pour théâtre de leurs orgies, comme si leur dépravation fatiguée avait besoin de se ranimer et de prendre des forces dans l’excitation du danger.

« Auguste, dit Wieland, aimait sa fille unique autant qu’un homme comme lui pouvait aimer, c’est-à-dire il s’aimait en elle ». Une affection de ce genre ne suffisait pas pour le rendre indulgent. Sa colère éclata avec une violence terrible. Il mit le sénat et tout l’univers dans la confidence de ses malheurs. Il fit tuer ou bannir les complices de Julie et l’exila elle-même dans une île d’où personne ne pouvait approcher sans son ordre. C’est en vain que le peuple demanda plusieurs fois sa grâce, il fut inflexible, et à sa mort il lui donnait encore dans son testament une dernière malédiction. Cet excès de colère ne se comprendrait pas, si l’on croyait qu’elle n’était excitée que par l’intérêt de la vertu ; mais il avait d’autres raisons d’en vouloir à sa fille. Ce qu’il punissait en elle, c’était plutôt le démenti donné à sa politique que l’outrage fait à la morale. Quel chagrin pour lui, quel amer déplaisir de se sentir vaincu dans cette lutte qu’il avait entreprise contre les mœurs de son temps, de voir quelqu’un de sa famille dévoiler ainsi au grand jour toute l’impuissance de ses efforts, d’être forcé de reconnaître devant le monde entier que ses flatteurs et ses poètes s’étaient trop pressés de chanter son triomphe ! Ce cruel mécompte blessa jusqu’au cœur un prince accoutumé au succès. C’est ce qui le rendit implacable. Le père aurait peut-être pardonné, ce fut le souverain qui se vengea.

Julie avait d’autres complices que ceux qu’on avait punis ; Auguste le savait bien. C’étaient ces élégans qui fréquentaient les portiques et les théâtres, ces gens du monde pour qui, selon le mot de Tacite, la corruption était le bon ton et le dernier genre, comrumpere et corrumpi saeculum vocant ; c’était toute cette société amollie dont les maximes complaisantes avaient pénétré jusqu’au Palatin. Qu’Auguste devait lui en vouloir de ne s’être pas laissé vaincre, et de lui avoir prouvé par cet exemple qu’elle était plus forte que lui ! Comme il ne lui était pas possible de s’en prendre à tout le monde et que la société échappait à sa vengeance par son étendue, il était naturel qu’il fût surtout irrité contre ceux qui la représentaient avec le plus d’éclat, et dans lesquels elle aimait à se reconnaître. À ce titre, Ovide doit lui avoir particulièrement déplu. S’il a éprouvé le désir de trouver un coupable à punir et de jeter sur quelqu’un la faute de tous, sa colère a dû retomber de préférence sur celui qui avait tant de fois glorifié les mœurs de son temps. Qui sait si dès ce moment il ne s’établit pas dans son esprit une sorte de rapport secret entre ses malheurs domestiques et les vers du poète ? Précisément, par une fâcheuse coïncidence, l’Art d’aimer fut publié l’année même de l’exil de Julie. C’était un simple hasard ; les leçons d’Ovide n’avaient eu aucune influence sur la conduite de la jeune femme, et elle pratiquait ses préceptes bien avant qu’il ne les eût écrits ; mais on comprend que cette rencontre ait frappé Auguste. Le succès même de l’ouvrage pouvait sembler une insulte à la douleur du père, comme il était un danger public aux yeux du souverain. Je suis convaincu qu’il ne l’a jamais oublié ; cependant il dissimula son mécontentement. L’Art d’aimer ne fut d’abord l’objet d’aucune poursuite. Quand l’empereur présida aux opérations du cens, il laissa au poète son anneau de chevalier, et il est probable que, quoique irrité contre ses ouvrages et l’accusant en secret d’une partie des fautes de ses contemporains, il se serait contenté de le tenir éloigné de lui, s’il n’était survenu quelque accident nouveau qui réveilla dans sa pensée d’anciens reproches, et l’engagea à les punir.

Nous voici venus enfin à cet événement mystérieux qui fit éclater la colère d’Auguste. J’ai déjà dit que nous étions réduits, pour le connaître, au témoignage d’Ovide ; or il en a très peu parlé. Personne ne l’ignorait de son temps, ce qui le dispense de le raconter. Il évite même, autant qu’il le peut, d’y faire quelque allusion. Au moindre mot qui lui échappe, il s’arrête brusquement et comme effrayé de son audace. « Tais-toi, ma langue ; il ne faut rien ajouter. Que ne puis-je ensevelir avec mes cendres ce triste souvenir ? » Et comme ses contemporains, pour les mêmes motifs sans doute, ont imité sa discrétion, nous n’avons aucun renseignement précis, ni par lui ni par les autres, sur les causes de son exil.

Ce silence de l’histoire a fait la partie belle à l’imagination ; en absence de faits certains, les hypothèses ont abondé. Je ne prendrai pas la peine de les discuter toutes ; ce serait un travail ennuyeux et inutile. Elles reposent en général sur ces mots du poète : « Pourquoi ai-je vu quelque chose ? pourquoi ai-je rendu mes regards complices d’une faute ?… Je suis puni pour avoir été le témoin d’un crime sans le savoir ; je ne suis coupable que d’avoir eu des yeux ». Que pouvait-il donc avoir vu de si criminel ? Quelques-uns penchent à croire qu’il avait surpris quelque secret d’état ; c’est une conjecture à la fois très vague et fort peu vraisemblable ! Frapper sévèrement Ovide, l’exiler dans un lieu d’où il pouvait correspondre avec Rome, ce n’était pas un bon moyen de s’assurer de son silence. Quant à penser qu’il était puni pour avoir trahi ce secret, rien ne le fait supposer ; il dit partout qu’il est coupable d’avoir vu et non d’avoir parlé. D’autres se sont mis en tête qu’il avait été assez indiscret pour regarder Livie se baigner ; mais on oublie qu’Ovide parle d’un crime qu’il a vu commettre, et ce n’est pas un crime que de prendre un bain. Le plus grand nombre voudrait que le hasard l’eût fait assister à quelque méchante action d’Auguste, peut-être à ses amours avec sa fille. Cette opinion, que Voltaire a soutenue, ne s’appuie que sur une autorité bien peu sérieuse, celle de Caligula. Il ne suffisait pas à cet empereur de se rattacher à Auguste par sa grand’mère Julie ; dans sa bizarre vanité, il voulait descendre de lui des deux côtés ; il s’indignait d’avoir pour aïeul le plébéien Agrippa, un soldat de fortune, et trouvait bien plus honorable pour sa maison que sa mère dût le jour à un inceste. Mais les rêveries d’un fou ne sont pas des preuves, et Auguste a bien assez de fautes à se reprocher sans qu’on lui en crée d’imaginaires. Du reste, quand on admettrait qu’il fût coupable, et l’on n’a aucune raison de le penser, il serait impossible d’établir quelque rapport entre cet événement et l’exil d’Ovide. Lorsqu’Ovide fut chassé de Rome, il y avait déjà dix ans que Julie en était éloignée, qu’elle vivait dans une prison rigoureuse et loin des regards de son père. Qui ne voit d’ailleurs que, s’il était question d’une mauvaise action d’Auguste, Ovide n’en dirait rien ou chercherait à l’atténuer ? Au contraire il la qualifie très durement ; il l’appelle un crime. S’il parle de ce crime avec tant de liberté, c’est qu’il a été commis non par Auguste, mais contre lui ; il s’agit d’une faute dont il a été la victime et non le héros et qui lui a causé une profonde douleur. « Je ne veux pas rouvrir tes blessures, lui dit le poète ; c’est bien assez du mal qu’elles t’ont fait une fois ».

Ces mots nous mettent sur la voie de la vérité ; la douleur qu’Auguste a le plus profondément ressentie, parce qu’elle blessait en lui le souverain et le père, tous les historiens le disent, c’est la conduite coupable des princesses de sa famille. Il est donc probable qu’Ovide fait allusion à quelque aventure de ce genre, et que cette blessure qu’il ne veut pas rouvrir dans l’âme de l’empereur, c’est le souvenir du déshonneur de sa maison. À la vérité, il ne peut pas s’agir ici des désordres de la première Julie, depuis dix ans éloignée de Rome ; mais ce scandale n’est pas le seul qui se soit produit dans le palais du réformateur des mœurs publiques. Malgré l’exemple terrible qu’il avait donné, les mêmes fautes se renouvelèrent, et il fallut recourir aux mêmes châtimens. Auguste eut à punir sa petite-fille, la seconde Julie, qui avait imité la conduite de sa mère. Elle fut accusée d’adultère avec un jeune homme de grande maison, Silanus, et reléguée dans une ville d’Italie où elle vécut encore vingt ans. Or l’époque où son crime fut découvert et puni est précisément celle de l’exil d’Ovide. Cette coïncidence ne nous permet-elle pas de supposer que c’est aux amours de Julie et de Silanus qu’Ovide a été mêlé, et que nous tenons la cause véritable de la colère d’Auguste contre lui ?

Ce fait une fois admis, tout s’explique. Les quelques mots échappés au poète pour sa justification deviennent clairs ; ils nous laissent entrevoir de quelle façon il est entré dans cette intimité et quelle place il y a tenue ; recueillons-les avec soin pour essayer de jeter quelque jour sur cette ténébreuse histoire.

Il n’est pas difficile d’imaginer comment se nouèrent ces relations qui l’ont perdu. « Ce sont mes vers, dit-il, qui, pour mon malheur, ont fait souhaiter aux hommes et aux femmes de me connaître ». On comprend que Silanus et Julie, dans l’ardeur d’une affection partagée, aient désiré se lier plus étroitement avec le poète des Amours et de l’Art d’aimer. Ce désir d’une petite-fille de l’empereur était un ordre. Ovide obéit volontiers et se félicita sans doute d’une liaison qui le rapprochait du maître ; mais comment ne prévit-il pas les dangers qu’elle pouvait entraîner pour lui ? Comment l’exil de la première Julie, la mort d’Antoine, tous ces terribles souvenirs qu’on ne pouvait pas oublier, ne lui ont-ils pas appris à se tenir sur ses gardes ? Il comprend lui-même que son imprudence fut étrange, et il essaie de nous l’expliquer. « Ma première faute, dit-il, fut une erreur », et ce mot d’erreur revient sans cesse dans ses vers. Il veut dire sans doute qu’il se trompa d’abord sur la nature de l’affection de Julie pour Silanus, et qu’il la crut moins coupable qu’elle ne l’était.

J’avoue qu’il m’est bien difficile de le croire sur parole. Comment supposer qu’un homme aussi clairvoyant dans ces sortes d’intrigues, qui en avait écrit la théorie et qui en connaissait la pratique, se soit laissé abuser par des personnes qui, le sachant peu sévère, n’avaient pas de raison de se cacher devant lui ? C’est en vain que pour nous convaincre il accuse sa simplicité et répète plusieurs fois qu’il n’était qu’un sot : il y a des gens qui ne parviendront jamais à se faire passer pour naïfs. En supposant même qu’il se soit trompé à l’origine, son erreur ne pouvait pas être bien longue. Quand elle a cessé, quand il a reconnu à quelles relations il était mêlé, quelle conduite s’est-il décidé à tenir ? « Ma seconde faute, dit-il, c’est d’avoir été timide », ce qui signifie je pense, qu’il n’a pas osé parler ; il n’a rien dit ni aux jeunes gens pour les ramener au devoir, ni à l’empereur pour lui révéler leur crime. Il avait peur, et ce n’était pas sans motif. Sa position était pleine de périls. Son silence l’a perdu, il pouvait se perdre en parlant. D’ailleurs à ce moment il était engagé lui-même. Ses premières complaisances n’étaient peut-être pas coupables : insensiblement elles l’étaient devenues. Une faiblesse en amène une autre dans ce commerce de tous les jours, et elles s’enchaînent si bien ensemble qu’il est difficile de dire à quel moment précis on devient criminel : « Vous me pardonneriez, dit-il, si vous connaissiez toute la suite et l’enchaînement de mes malheurs ». On devine à peu près quel genre de services il pouvait rendre. C’était sans doute un de ces confidens d’amour qu’on introduit volontiers dans les liaisons les plus intimes pour rompre de temps en temps le tête-à-tête lorsqu’il pèse. Personne ne devait savoir aussi bien que ce poète et ce bel esprit égayer un entretien et animer une fête galante. Il faut croire qu’il poussait assez loin son obligeance, puisqu’il éprouve le besoin de la justifier. Il reconnaît qu’elle était blâmable, mais il s’empresse d’ajouter qu’au moins il n’en a jamais tiré aucun profit. Cette aventure, dans laquelle il s’était si étourdiment engagé, finit d’une manière violente. Les deux amans, dans l’emportement de leur passion, oublièrent d’être prudens. Il dut y avoir quelque orgie plus folle, plus bruyante que les autres, peut-être une scène comme celle de la tribune et du Forum, qui avait amené le châtiment de la première Julie. Ovide, pour son malheur, y assistait. Si l’on en croit ses protestations, il ne savait rien d’avance, il ne se doutait pas de ce qui allait se passer. Il ne prit aucune part directe à la fête et n’en fut que le témoin. Comme Actéon, il avait vu ; c’était son seul crime : il y en avait bien assez pour le perdre.

L’affaire fit du bruit. Rome, selon Tacite, était une ville où tout se savait et se disait, in civitate omnium gnara et nihil reticente. Quelques-uns des témoins parlèrent ; Ovide, qui se trouvait être un des plus connus, fut aussi le plus compromis. Peut-être les autres l’accusèrent-ils pour se justifier. « Ai-je besoin, dit-il, de rappeler le crime de mes compagnons et de mes serviteurs ? » Fabius Maximus, un de ses protecteurs, l’apprit comme les autres. Il essaya d’obtenir de lui un aveu et lui fit comprendre le danger qu’il courait : « J’avouais timidement, dit le poète, ou j’essayais de nier, et, semblables à la neige qui fond au souffle humide de l’auster, des larmes coulaient malgré moi sur mon visage épouvanté ». Auguste aussi finit par l’apprendre, et, dès qu’il le sut, il se vengea. Ce qui est très remarquable, c’est que le plus puni fut Ovide, qui n’était pas le plus coupable. Julie ne sortit pas de l’Italie. Silanus pouvait rester à Rome ; il s’exila volontairement, comprenant bien qu’après cet éclat il ne pouvait plus se trouver en présence du souverain qu’il avait offensé. Ovide fut envoyé aux extrémités du monde. Cette aggravation de peine ne s’explique que par des rancunes antérieures. On prétend ordinairement que l’aventure de Julie fut le seul motif de la punition d’Ovide, et que l’Art d’aimer n’en était que le prétexte ; je crois au contraire que ses poésies ont été la cause véritable de son exil, et que le reste n’en fut que l’occasion[5]. Je l’ai déjà dit, Auguste devait secrètement l’accuser de la corruption générale et rejeter sur lui la faute de tous. Ce qui semblait le confirmer dans sa pensée, c’est qu’il le retrouvait toujours dans ses malheurs domestiques, indirectement par son Art d’aimer dans le crime de la première Julie, plus directement avec la seconde. Il lui en voulait de tous ces désordres qu’il était forcé de punir. Son cœur était plein de ressentimens contenus et dissimulés ; ce dernier scandale fit tout déborder. Voilà pourquoi Ovide fut plus puni que les autres ; il paya pour lui et pour la société tout entière. La colère d’Auguste était si violente qu’elle ne s’embarrassa d’aucun souci de justice ou de légalité[6], et ce poète détesté, ennemi personnel de l’empereur pour le mal qu’il avait fait à sa politique et la corruption qu’il avait introduite dans sa famille après l’avoir répandue dans la société, fut relégué sans pitié dans une petite ville du Pont-Euxin.


III.

Ovide a raconté dans une de ses élégies les plus désespérées la dernière nuit qu’il passa à Rome. Rien n’était prêt pour le départ, quoiqu’Auguste eût laissé le temps de s’y préparer. La fille du poète n’avait pas pu être prévenue et lui amener ses petits enfans. Sa maison était presque déserte ; deux ou trois amis à peine avaient osé venir lui serrer la main. Rien ne le surprit davantage et ne lui fut plus sensible que cet abandon. Comme il n’avait jamais connu de disgrâce, il ne savait pas que « tant qu’on est heureux, on compte beaucoup d’amis, mais qu’au premier nuage on reste seul ». Son malheur lui fit faire cette découverte. Cependant le soleil allait se lever ; il fallait partir. La maison retentissait des pleurs des esclaves et des affranchis ; « c’était comme un jour de funérailles ». Ovide s’arracha enfin à tous ces regrets et s’enfuit en jetant un dernier regard sur cette ville où il avait été si heureux et où il lui semblait, disait-il, qu’il laissait une partie de lui-même. — Nous verrons qu’il y laissait à la fois son bonheur et son génie.

Il traversa l’Adriatique au mois de décembre, dans la saison des orages. Sa navigation ne fut pas sans dangers ; une tempête le rejeta sur les côtes d’Italie, qu’il semblait ne pouvoir pas quitter. Avec un autre navire, la Minerve, qu’il prit à Corinthe, il côtoya les Cyclades et longea les rivages de l’Asie-Mineure. Ces pays ne lui étaient pas inconnus. Quelques années auparavant, en compagnie de son ami Macer, poète comme lui, il avait parcouru la Grèce et passé la mer Ionienne pour visiter le théâtre de l’Iliade. Ces souvenirs d’un temps heureux que tout lui rappelait rendaient sa traversée encore plus triste ; pour se consoler, il écrivait. « Ces vers que vous lirez, disait-il à ses amis, je ne les compose pas dans mes jardins, mollement étendu sur mon lit de repos, comme c’était mon habitude ; j’écris au milieu des tempêtes, à la lumière d’un ciel orageux, et les flots de la mer irritée viennent battre mes tablettes ». C’est ainsi que fut composé le premier livre des Tristes.

Ce livre, quand il arriva à Rome, ne fut pas approuvé de tout le monde. Quelques amis d’Ovide le blâmèrent de l’avoir écrit. C’étaient les mêmes, je suppose, qui ne s’étaient pas trouvés chez lui le jour de son départ. Depuis qu’il était loin et ne pouvait plus les compromettre, ils lui donnaient généreusement de bons conseils ; ils témoignaient surtout un grand souci de sa dignité, et, comme il n’y a rien de plus majestueux que le silence, ils auraient voulu lui persuader de se taire. Le pauvre poète leur répondait qu’il est bien difficile de retenir ses larmes quand on souffre, et qu’on trouve même quelque douceur à les laisser couler. Il n’avait pas d’autre soulagement dans ses douleurs que d’en entretenir ses amis et le public. Ne voit-on pas, disait-il, que tous les malheureux chantent ? « L’esclave qui cultive la terre les fers aux pieds adoucit par ses chansons le poids du travail. Le batelier chante, lorsque, penché sur le sable fangeux, il traîne avec effort sa barque contre le courant. Il chante aussi, le matelot qui ramène avec mesure les rames flexibles contre sa poitrine et frappe les flots en cadence. Quand le berger fatigué s’appuie sur son bâton ou s’assied sur un rocher, il charme son troupeau par les sons de sa flûte rustique. La servante qui travaille chante et file à la fois, et elle arrive ainsi plus facilement au bout de sa tâche ». Ovide ne disait pas tout, et il avait une autre raison bien plus grave d’envoyer sans cesse des vers nouveaux à Rome : il craignait d’être oublié. Comme il connaissait bien la légèreté de la vie mondaine, il n’ignorait pas qu’on n’a guère le temps de se souvenir du passé quand on est si occupé du présent, que les malheureux déplaisent à des gens qui ne veulent pas être distraits de leurs plaisirs, et qu’on s’empresse de n’y plus songer pour se dispenser de les plaindre. C’est ce qu’il voulait éviter à tout prix ; aussi écrivait-il sans cesse pour rappeler son souvenir à toutes ces mémoires fragiles. Ses lettres, adressées à ses amis les plus fidèles, étaient aussitôt rendues publiques. Il voulait essayer par tous les moyens d’émouvoir l’opinion en sa faveur ; mais l’opinion, disciplinée par une servitude d’un demi-siècle, se montrait indifférente. Ce peuple était déjà celui dont Juvénal a dit plus tard : « Il adore le succès et déteste les proscrits ».

Ovide ne se faisait pas d’illusion sur le mérite de ses derniers ouvrages. Il savait bien qu’il était né pour être le poète du plaisir, et que sa muse n’avait pas d’accens pour la douleur. Son vers élégiaque si gai, si folâtre, si sautillant, est tout dépaysé au milieu des larmes. Il lui arrive de sourire par habitude et de plaisanter à contre-temps. Plusieurs fois, sans que le poète le veuille, peut-être sans qu’il le sache, un bon mot se glisse à la fin d’un pentamètre désolé. C’est surtout l’abus de la mythologie qui nous impatiente chez lui. Tout lui rappelle la fable ; elle arrive à tout propos et hors de propos. Croirait-on, par exemple, qu’en voyant l’Hellespont glacé, au milieu de la tristesse que lui cause ce spectacle, il lui vient aussitôt dans l’esprit que c’était une belle occasion pour Léandre d’aller voir Héro sans se noyer ? Les souvenirs mythologiques obsèdent sa pensée ; il ne sait pas leur résister, et il faut toujours qu’il nous gâte ses malheurs réels en les comparant à des malheurs imaginaires. Ces excès de mauvais goût nous affligent sans nous surprendre. Ce n’était après tout qu’un poète de monde et de salon ; or il est d’usage que dans ces coteries aristocratiques, où l’on tient à se distinguer de la foule, où le plus grand reproche qu’on puisse adresser à quelqu’un est d’être vulgaire, on se fasse une langue à part et qu’on aime par-dessus tout à s’en servir. Du temps de Louis XIV, il y avait dans les salons tout un vocabulaire de galanterie, et l’on se faisait reconnaître homme du monde en l’employant. À l’époque d’Auguste, cette langue des gens distingués, c’était la mythologie. Personne ne l’a parlée avec plus d’esprit qu’Ovide ; mais il a si bien pris l’habitude de s’en servir qu’il ne lui a plus été possible de s’en délivrer, et de même qu’au XVIIe siècle la galanterie envahit chez les plus grands écrivains aux endroits où l’on ne voudrait entendre que la passion véritable, de même chez les auteurs du siècle d’Auguste, et surtout chez Ovide, il arrive souvent que la mythologie se montre et répand un air de pédanterie quand la douleur seule devrait parler.

Après un voyage long et périlleux, Ovide arriva dans la ville où il était condamné à vivre et à mourir. Il nous en a fait les descriptions les plus sombres. Quoiqu’il s’attendît à tout, la réalité dépassa ses craintes. Cette ville, qu’on appelait Tomi ou Tomis (aujourd’hui Kustendjé)[7], est située sur les bords de la Mer-Noire à quelque distance du Danube. C’était une ancienne colonie grecque, habitée en grande partie par des Sarmates qui s’y étaient fixés. Ovide sentit son cœur se serrer en y arrivant. Il est sûr que rien ne ressemble moins au pays qu’il ne se consolait pas d’avoir quitté ; le paysage y est sévère et le climat violent. Nous ne sommes pas aussi exclusifs aujourd’hui, et nous savons apprécier la beauté de sites très différens. Les grandeurs de la nature sauvage nous touchent au moins autant que l’élégance de la nature civilisée. Les voyageurs qui de Kustendjé regardent les steppes de la Dobroudcha ne se lassent pas d’admirer la majesté de ces plaines solitaires et leur monotonie grandiose ; Ovide n’était frappé que de l’aspect désolé de ces contrées. « Vous n’y verriez, disait-il, que des terres toutes nues, sans ombre, sans verdure ». On n’y connaît ni le printemps ni l’automne, on n’y voit ni moissons ni vendanges, on n’y entend jamais le chant des oiseaux. La campagne, où l’on n’aperçoit ni arbres ni maisons, ne semble être qu’une continuation de la mer. Qu’on regarde le Pont-Euxin ou la terre ferme, on n’a jamais devant soi qu’une plaine immense, nue et ondulée. Quel triste spectacle pour des yeux accoutumés à la nature gracieuse et accidentée de l’Italie et aux ombrages des villas romaines !

Il avait du reste beaucoup d’autres reproches à faire au lieu de son exil. Tomi était une conquête récente des Romains, ils n’avaient pas eu le temps de la pacifier. Les mœurs y étaient restées violentes. Les discussions devenaient facilement des batailles, et les procès finissaient par des coups d’épée. L’aspect de la ville avait quelque chose d’étrange et d’effrayant. Comme il arrive dans les pays barbares, les femmes y travaillaient plus que les hommes ; on les voyait partout écraser le grain et porter des cruches sur leur tête. Les rues et les places étaient souvent traversées par des Sarmates et des Gètes à cheval. Ils avaient la voix dure, le visage farouche, la barbe et les cheveux longs. Ils portaient un arc à la main, un couteau à la ceinture et s’en servaient souvent. Rien de plus rude que ce climat. Le poète nous dit que le vent y souffle avec tant de violence qu’il renverse des murailles. L’hiver y est long et rigoureux. La neige, qu’un Italien connaît à peine, couvre la terre pendant des mois entiers. On voit alors les rivières et la mer prises par les glaces et les chariots traverser les fleuves. Le vin se gèle dans les tonneaux ; pour le distribuer aux convives, il faut le couper à coups de hache. Les habitans ne sortent plus que couverts de peaux de bêtes qui les cachent tout entiers. C’est à peine si l’on aperçoit leur visage et leur barbe hérissée de glaçons. « Tel est le séjour du poète des amours légers ! voilà les gens qu’il est forcé de voir et d’entendre ! » Ceux qui habitent au-delà du Danube sont bien plus redoutables encore. Quels voisins que ces Sarmates, que ces Besses, que ces Gètes qui ne craignent personne et font peur à tout le monde ! On se plaît à dire à Rome que l’univers est soumis, que tous les peuples tremblent devant les légions. Ovide, depuis qu’il est exilé, sait bien ce qu’il faut penser de cette illusion de la vanité nationale. Il a près de lui des barbares qui n’obéissent pas au préteur et se moquent du légat. Le Danube est contre eux une barrière plus efficace que la crainte des Romains ; mais, quand le Danube est glacé, rien ne les arrête plus : ils se précipitent par bandes isolées, enlevant les hommes et les troupeaux qu’ils peuvent saisir. « Leurs chevaux sont rapides comme l’oiseau », leurs armes inévitables. Ils lancent des flèches empoisonnées qui causent le frisson à Ovide toutes les fois qu’il y pense, et il y pense souvent. Le seul moyen de les éviter, c’est de rester chez soi et de se tenir enfermé tant que l’hiver dure. Quelquefois ce ne sont plus des cavaliers isolés, ce sont des populations entières qui passent le fleuve et viennent assiéger la ville. Il faut alors prendre les armes, courir aux murailles. Le malheureux poète, qui a refusé d’être soldat quand il était jeune, est obligé de se battre dans sa vieillesse. L’attaque est souvent sérieuse, et les flèches des barbares, ces fameuses flèches empoisonnées, tombent jusqu’au milieu des rues. Un jour Ovide en a ramassé une pour l’envoyer à ses amis de Rome : il n’avait pas d’autre présent à leur faire, c’était le seul produit du pays des Gètes.

Ces dangers qu’il courait à Tomi expliquent les efforts désespérés qu’il a faits pour en sortir. Il s’adresse successivement à tous ses amis, il les fatigue de ses prières et les supplie d’obtenir de l’homme céleste qu’il a outragé non pas sa grâce entière, il n’ose pas y compter, mais un adoucissement à son exil. Il leur écrit d’abord sans les nommer de peur de les compromettre ; puis, comme il s’impatiente d’attendre, il devient moins timide et plus pressant ; il les invoque par leur nom pour les engager davantage dans sa cause ; il espère qu’interpellés directement il n’oseront pas lui refuser leur appui, que l’opinion publique pèsera sur eux et les forcera de tenter quelque effort en sa faveur.

Parmi les personnes dont il implore ainsi le secours se trouve d’abord sa femme, car le poète de l’Art d’aimer, l’amant de Corinne, était marié. On est fort surpris de l’apprendre, et on se le figure difficilement dans un ménage régulier. Il s’était pourtant marié trois fois. Le divorce l’avait séparé de ses deux premières femmes, dont il dit peu de bien, et qui avaient sans doute aussi beaucoup de reproches à lui faire. La dernière était alliée à des familles très importantes et amie personnelle de l’impératrice Livie. Ovide l’avait épousée quand il cherchait à prendre pied dans le monde officiel et à se glisser jusque dans l’intimité d’Auguste. C’était un mariage de politique. Il est probable qu’il garda toujours beaucoup de ménagemens pour une personne si bien apparentée, mais on ignore tout à fait si elle lui était aussi agréable qu’elle pouvait lui être utile ; jusqu’à l’époque de sa disgrâce, elle n’occupe aucune place dans ses poésies, ce qui peut laisser soupçonner qu’elle n’en tenait guère dans son cœur. Cette affection, jusque-là si discrète, se révèle tout d’un coup au moment où Ovide quitte Rome. Elle éclate alors avec une vivacité très surprenante. À l’entendre, c’est sa femme qu’il regrette le plus en s’éloignant. « Absente, je crois te parler ; ton nom est le seul que ma voix appelle ; aucun jour, aucune nuit ne se passe sans que je songe à toi ». Le voilà décidément devenu le modèle des époux. Ce changement est bien brusque, rien ne l’avait fait pressentir ; cependant beaucoup de critiques l’ont cru sincère. Il y en a même qui se sont attendris d’une façon très touchante sur cette affection si cruellement brisée. J’avoue que je suis moins disposé qu’eux à m’émouvoir ; je trouve que cette passion subite n’a jamais un air bien naturel. Les éloges qu’Ovide donne à sa femme ne sont pas désintéressés. S’il lui promet libéralement l’immortalité, comme il l’avait déjà promise à Corinne, c’est à la condition qu’elle fera tous ses efforts pour le tirer de Tomi. Aussi finit-on par soupçonner que tous ces grands sentimens s’adressent plutôt à une personne influente qu’à une femme tendrement aimée. Lorsqu’il lui parle, il ne paraît pas douter de son dévouement ; il en est moins certain quand il écrit aux autres. « Assurément, dit-il à Rufus, ma femme est bien disposée pour moi par elle-même ; mais, quand vous la conseillez, elle se conduit encore mieux ». Voilà, il faut le reconnaître, une confiance assez tempérée. Il en vint même, quand il vit qu’elle ne réussissait pas à le sauver, à ne plus lui cacher sa mauvaise humeur. « Tu veux que je te dise ce que tu dois faire ; ne le demande qu’à toi-même : tu trouveras facilement la réponse, si tu veux la trouver. Je t’ai louée bien souvent dans mes vers ; peut-être se demandera-t-on plus tard si tu mérites ces éloges. Prends garde que l’envie n’ait le droit de répondre : Cette femme n’a rien voulu faire pour le salut de son mari ». Je sais que le malheur rend injuste, cependant l’amertume et la persistance de ces plaintes laissent croire qu’elles pourraient bien être fondées. On n’apprenait pas le dévouement auprès de Livie, et il est bien possible qu’instruite à cette école la femme d’Ovide ait plus songé à ménager son influence qu’à défendre son mari.

Toutes ces supplications d’Ovide à sa femme et à ses puissans amis ne sont rien, on le comprend, auprès de celles qu’il adresse à Auguste. Il le flattait déjà avec bassesse avant sa disgrâce ; il ne garda plus aucune pudeur quand il fut malheureux. Ce n’est pas assez de le mettre au-dessus des héros de l’antiquité ; il lui sacrifie sans scrupule tous les dieux de l’Olympe. S’il le compare à Jupiter, c’est pour ajouter aussitôt que l’un est un dieu imaginaire, tandis que l’autre est un dieu visible. Le jour où son ami Cotta lui envoie les images de l’empereur et de sa famille est un jour de fête pour cette pauvre maison de Tomi. Le poète ne se lasse pas de les contempler. Il leur construit une chapelle ; il leur fait dévotement sa prière. « Ma tête tombera de mes épaules, mes yeux sortiront de leurs orbites, avant que je souffre, ô divinités chéries, que vous me soyez arrachées. Vous êtes le port et l’autel de mon infortune. Si le Gète vient pour me tuer, il vous trouvera pressées sur ma poitrine ». C’est le délire de l’adulation. Il a pourtant des flatteries plus savantes encore et plus raffinées. Croirait-on que les vertus d’Auguste qu’il célèbre le plus volontiers sont précisément sa clémence et sa bonté ? Tous les malheurs qui le frappent ne l’empêchent pas de dire « qu’il n’y a rien dans l’univers de plus doux que César ». Jamais il ne s’est plaint à lui d’avoir été trop rigoureusement traité. Au lieu de lui reprocher son exil, il le remercie de lui avoir laissé la vie. « Je craignais tout, lui dit-il, parce que j’avais tout mérité ; mais ta colère a été moins grande que ma faute ». C’est tout à fait ainsi que dans les monarchies de l’Orient il est dans l’étiquette que la victime commence par demander pardon au bourreau.

Quelque indulgence que nous ayons pour un si grand malheur, ces flatteries honteuses, cette attitude bassement résignée, nous répugnent. On les lui reprochait déjà de son temps, et il répondait avec une franchise qui nous désarme : « Dites, si vous le voulez, que j’ai les sentimens d’une femme ; je reconnais que mon âme est faible dans l’infortune ». C’est sur la nature qu’il rejette la faute : « J’étais né pour le repos et les loisirs ; j’avais horreur des affaires sérieuses ; je ne connaissais pas la peine ». Peut-être aurait-il été plus juste de s’en prendre à la façon dont il avait vécu jusque-là. La vie du monde a quelque chose d’amollissant ; elle peut ajouter à la valeur d’un homme médiocre, mais un homme distingué y perd son temps et sa force. Ce frottement de tous les jours, qui donne aux caractères le brillant et le poli, leur ôte une partie de leur vigueur. Il en est des âmes comme des corps : l’aisance du maintien et la grâce des attitudes ne s’obtiennent qu’aux dépens de la fermeté, et d’ordinaire on ne s’assouplit qu’en s’énervant. Le vieux Varron, qui n’était qu’un paysan et qu’un mal-appris, supporta courageusement la mauvaise fortune. « En quelque lieu que vous soyez, disait-il à ceux que l’exil effrayait, la nature n’est-elle pas partout la même ? » Au contraire, Cicéron, Ovide et Sénèque, des gens d’esprit, habitués à fréquenter les sociétés élégantes, quand il leur a fallu quitter Rome, ont passé leur temps à gémir. C’est que la vie mondaine crée en dehors des besoins véritables une foule de besoins imaginaires, et il arrive de ceux-là comme des affections déraisonnables : ils s’emparent du cœur plus fortement que les autres, et l’on ne peut plus supporter d’en être privé. C’est le monde et ses plaisirs qu’Ovide a le plus vivement regrettés. — Sa pensée ne quitte jamais ces réunions distinguées dont il était l’âme ; il songe à ces lectures publiques où ses vers étaient accueillis avec tant d’applaudissemens ; des rivages du Pont-Euxin, il croit voir « ces temples, ces théâtres de marbre, ces portiques, ces gazons du champ de Mars et ces beaux jardins publics où se promène la jeunesse ». Quand revient l’époque de quelque fête, il en suit de loin tous les incidens ; on dirait vraiment qu’il y assiste. « Maintenant on monte à cheval ; voici l’heure où l’on s’escrime dans des combats pacifiques. On lance la balle ou le disque. Le théâtre s’ouvre, et chacun applaudit avec passion les acteurs qu’il préfère ». Lorsqu’il envoie à Rome un de ses livres, il part avec lui, et son imagination l’accompagne. Qu’il est heureux de revoir encore une fois ces lieux qu’il ne peut oublier ! Voilà le Forum, la voie Sacrée, le temple de Vesta ; cette porte ornée d’une couronne de chêne, Ovide la reconnaît bien, c’est celle du Palatin. Il y pénètre ou plutôt il s’y glisse, il s’y traîne en suppliant pour désarmer « la divinité terrible dont il n’a que trop senti la puissance[8]. » Au retour de ces voyages où il avait entrevu pour un moment toutes les élégances de la vie et tout l’éclat de la civilisation, on comprend combien cette pauvre ville de Scythie lui semblait déserte et misérable. C’est alors que son courage l’abandonnait et qu’il disait avec désespoir : « Je n’ai plus de cœur qu’à pleurer ».

Ovide passa huit ans entiers à Tomi. Il eut le temps d’apprendre la langue du pays, et, comme il était un poète incorrigible, il finit par faire des vers sarmates. Les habitans, tout barbares qu’ils étaient, furent flattés d’avoir conquis un si grand écrivain, et ils le comblèrent de distinctions. Le sénat et le peuple de Tomi[9] lui accordèrent l’immunité de toutes les charges ; les villes voisines suivirent cet exemple. On lui décerna même une couronne de lauriers, et il nous dit qu’il ne l’accepta qu’à regret. C’est qu’il songeait sans doute à d’autres triomphes plus retentissans dont il était privé. Les années s’écoulaient sans que rien pût guérir ce cœur blessé ; jusqu’à la fin il eut les yeux fixés sur la ville « qui des sept collines regarde à ses pieds l’univers soumis ». Il ne se résigna jamais à ne pas la revoir. Les mécomptes qu’il avait subis ne l’empêchaient pas d’espérer. Il prétend qu’au dernier moment son ami Fabius Maximus avait réussi à fléchir Auguste ; mais Fabius, victime d’une intrigue de cour, fut obligé de se tuer, et Auguste ne lui survécut que peu de temps. Ovide s’empressa d’élever un temple au dieu qui venait de mourir, et de chanter ses louanges dans un poème gète ; puis, après s’être mis en règle avec l’empereur défunt, il se tourna vers l’empereur nouveau et recommença ses supplications. Il connaissait pourtant Tibère, et il devait savoir ce qu’on pouvait espérer de sa clémence. Aussi trouve-t-on parfois dans ses derniers vers un accent de sombre résignation qui ne lui est pas ordinaire. « Pardonnez-moi, mes amis, si j’ai trop compté sur vous ; c’est une faute dont je veux enfin me corriger… Je suis venu dans le pays des Gètes, il faut que j’y meure, et que mon destin s’achève comme il a commencé. Que ceux-là s’attachent à l’espérance qui n’ont pas toujours été trompés par elle. Quand l’espoir n’est plus permis, le mieux est de savoir désespérer à propos et de se croire une fois pour toutes irrévocablement perdu. Il y a des blessures qui s’enveniment par la peine qu’on prend pour les guérir ; il valait mieux n’y pas toucher. On souffre moins à périr englouti tout d’un coup dans les flots qu’à les fatiguer d’un bras impuissant ». Mais ce ne sont que des éclairs ; au fond du cœur, il s’obstinait à espérer, et après quelques momens de découragement il se remettait à flatter et à prier, comme si l’âme cruelle et dédaigneuse de Tibère pouvait être sensible à la prière ou aux flatteries. Il était occupé à revoir son poème des Fastes pour y introduire quelques allusions au nouveau règne et quelques éloges de plus de l’ancien quand la mort le surprit à cinquante-neuf ans.

L’exil d’Ovide et les incidens qui s’y rattachent appartiennent à l’histoire politique de Rome autant qu’à son histoire littéraire. Ils nous font assister au déclin de ce règne dont Horace et Virgile avaient salué les débuts triomphans. Ils nous montrent par quels degrés un prince qui jusque-là avait usé modérément de son autorité, attristé par le mauvais succès de ses réformes, aigri de la résistance inattendue qu’elles rencontraient, impitoyable pour tous ceux qu’il soupçonnait de l’avoir encouragée, fut entraîné par sa colère à s’écarter de la conduite habile et généreuse qu’il avait suivie, et, après s’être glorifié longtemps de respecter la liberté de parler et d’écrire, finit par condamner les écrivains à l’exil et les livres au feu, en sorte que, selon le témoignage de Dion, il devint à charge aux Romains, qui l’avaient tant admiré, et que le monde se sentit soulagé quand il mourut. Les dernières années d’Auguste, comme celles de Louis XIV, nous enseignent qu’il est difficile au pouvoir absolu de se maintenir et de durer, et que le temps, qui affermit les autres régimes, use celui-là. C’est une leçon qu’il importe de recueillir, et il faut bien remarquer qu’elle est d’autant plus convaincante qu’on accorde à ces princes plus de qualités et de talens. J’ai peine à comprendre ces imprudens amis de la liberté qui croient la servir en établissant, au mépris de l’histoire, qu’Auguste n’était qu’un fourbe médiocre et Louis XIV qu’un égoïste solennel. Si on les croit sur parole, les partisans du pouvoir absolu ne manqueront pas de prétendre que ce gouvernement n’est pas responsable de l’usage maladroit qu’on en a fait, et il se trouvera sans doute quelque ambitieux qui, se croyant plus habile que les autres, ne désespérera pas de réussir où ils ont échoué. Au contraire, en accordant à ces grands hommes tous les éloges qu’ils méritent, on peut dire que l’expérience est faite et qu’on n’a plus aucun besoin de la recommencer. C’est l’enseignement que nous donne l’histoire des dernières années d’Auguste étudiées dans les ouvrages d’Ovide.


GASTON BOISSIER

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  1. Un de nos collaborateurs, M. Beulé, vient de publier, il y a quelques jours à peine, sous ce titre : Auguste, sa famille et ses amis, la collection des leçons qu’il a faites cette année à la Bibliothèque Impériale. Ce livre parle des événemens dont il est question aussi dans l’étude qu’on va lire. Je suis très heureux d’y renvoyer le lecteur qui voudrait achever de les bien connaître. Il s’apercevra cependant d’une certaine différence dans les jugemens portés sur les hommes et sur les choses. M. Beulé est très sévère pour Auguste ; il ne lui accorde guère que d’avoir été heureux. Il ne veut pas reconnaître le mérite de ses réformes administratives, parce qu’elles n’ont pas mis l’empire à l’abri des révolutions intérieures ; je crois au contraire que si, malgré tant de révolutions, l’empire a duré trois siècles, il le doit au génie d’Auguste et à l’organisation vigoureuse qu’il en avait reçue. Il m’est bien difficile aussi de souscrire au jugement rigoureux porté par M. Beulé sur la littérature romaine ; il ne me persuadera pas que la lecture de Tite-Live ou de Virgile amollisse les âmes, et que la morale des épîtres d’Horace, quand on l’étudie à fond, soit inférieure à aucune autre. Du reste, ces réserves que je suis forcé de faire ne sont pas de celles qui nuisent au succès d’un ouvrage ; celui de M. Boulé est écrit avec passion : c’est un danger pour l’historien, mais un mérite pour le littérateur. Je ne crois pas que M. Beulé persuade les gens qui sont d’une opinion contraire à la sienne, mais il entraînera ceux qui ont les mêmes sentimens, et l’on peut prédire, sans se compromettre, que le livre sera accueilli comme l’ont été les leçons.
  2. Je ne fais ici que résumer les raisons que donne Ovide pour la défense de l’Art d’aimer dans l’élégie qu’il a adressée à Auguste au livre second des Tristes.
  3. J’excepte les beaux vers d’Horace en tête de son épître à Auguste. C’est encore ce fils d’esclaves qui, dans ses flatteries, a su conserver le mieux sa dignité.
  4. Dion rapporte qu’on remarqua beaucoup que les deux consuls qui promulguèrent la loi Papia-Poppœa, si dure contre les célibataires, n’étaient mariés ni l’un ni l’autre.
  5. Cette opinion a été soutenue par M. Adolphe Schmidt dans son ouvrage intitulé Geschichte der Denk — undGlaubensfreiheit.
  6. Ovide prétend qu’il n’y avait pas à Rome de loi contre les ouvrages immoraux, et qu’on ne les avait jamais punis. « Je n’ai rien fait, dit-il, qui fût défendu par la loi. »
  7. Il ne peut plus y avoir de doute aujourd’hui sur le véritable emplacement de Tomi. Les inscriptions trouvées à Kustendjé, et dont quelques-unes ont été copiées par nos officiers pendant la guerre de Crimée, établissent que cette ville a remplacé l’Ancienne métropole du Pont. On peut consulter à ce sujet l’ouvrage intéressant du docteur Allard, intitulé la Bulgarie orientale. Toutes ces inscriptions y ont été réunies et expliquées par M. Léon Renier.
  8. On sait que dans ce voyage poétique l’énumération des lieux est si exacte, qu’elle a guidé M. Piétro Rosa, l’intelligent directeur des fouilles du Palatin, dans les travaux qu’il accomplit pour la restitution du palais des césars.
  9. C’est la façon ambitieuse dont les magistrats municipaux de Tomi sont désignés dans une inscription du temps d’Hadrien.