L’Estrange et veritable accident arrivé en la ville de Tours, où la royne couroit grand danger de sa vie


L’estrange et veritable accident arrivé en la ville de Tours, où la royne courroit grand danger de sa vie sans le marquis de Roüillac et Monsieur de Vignolles.

1616



L’estrange et veritable accident arrivé en la ville de Tours, où la royne courroit grand danger de sa vie sans le marquis de Roüillac et Monsieur de Vignolles. Le vendredy vingt-neufviesme janvier 1616.
À Paris, chez Guillaume Marette, rue de la Parcheminerie, à l’image Sainct-Martin.
1616. In-8.

Le vendredy 29 janvier, Sa Majesté ayant faict assembler le conseil, où estoient messieurs le comte de Soissons et duc de Guise, monsieur d’Espernon, messeigneurs le Chancellier, de Villeroy et autres seigneurs conseillers d’Estat, pour adviser à ce qui se devoit chanter pendant la conference et chercher les moyens les plus propres pour la resolution de la paix1, le plancher de la chambre où le conseil se tenoit commença à fondre vers la cheminée, et petit à petit la ruine croissoit au lieu où estoient messieurs le comte de Soissons, d’Espernon, de Villeroi, Bassompierre, Biron, le marquis de Villaine et plus d’une vingtaine de seigneurs de qualité. Elle les emporta avec elle dans une salle basse, où à l’instant il s’esmeut un grand bruit par ceux qui estoient dans l’antichambre et dedans la basse court, pour ne sçavoir comme ce malheur estoit arrivé. L’un crioit : Où est la roine ? Un autre : Où est monsieur le comte de Soissons ? L’autre : Où est monsieur d’Espernon ? Et, tous l’espée haute, chacun parloit selon son sens et son affection ; et, pendant ceste grande rumeur, la royne se fust veue seule, abandonnée, et en grand peril de sa vie2, si le marquis de Rouillac3, le premier, ne fust couru à elle, et après luy monsieur de Vignolles4, lesquels, au lieu de faire comme les autres, qui ne pensoient qu’à se sauver, preferant le salut de Sa Majesté au leur particulier, aymans mieux mille fois mourir que si il luy fust mesarrivé. Ceux qui demeurèrent blessez furent messieurs d’Espernon5, fort legerement toutesfois, lequel en cet etat assista le premier et tant qu’il peut, monsieur le comte de Soissons, messieurs de Villeroy, marquis de Villaines, et plusieurs autres, sont demeurez davantage blessez6. Sa Majesté, pour ne se montrer ingratte envers Dieu, qui l’avoit retirée de ce danger en faveur de toute la France, s’en alla incontinent à l’eglise cathedralle luy rendre actions de grace. Le peuple entendit comme miraculeusement elle avoit esté sauvée, fit la mesme chose et d’extrêmes contentemens : c’est ce que tous les vrais François doivent faire, sa vie estant la conservation des nostres et de toute la France7.



1. Une négociation étoit commencée avec les princes mécontents, et la reine mère ne s’arrêtoit à Tours que pour gagner du temps et se rallier peu à peu ceux qui l’avoient abandonnée pour le prince de Condé.

2. Son fauteuil s’étoit trouvé heureusement placé sur une poutre qui tint ferme. (Mém. de Bassompierre, Collect. Petitot, 2e série, t. 20, p. 97.)

3. Neveu du duc d’Épernon. V. son Historiette dans Tallemant, édit. in-12, t. 9, et notre t. 4, p. 339.

4. V. sur lui plus haut, p. 118, note.

5. Il est dit dans l’Abrégé chronologique de l’Histoire de France, pour faire suite à Mézeray, 1727, in-12, t. 1, p. 180, que la reine mère s’empressa d’envoyer visiter tous les blessés, excepté M. d’Épernon. « Cette indifférence de Marie de Médicis à son égard, jointe à quelques autres sujets de mécontentement, l’obligea de quitter la cour, pour prévenir une disgrâce plus déclarée. »

6. Bassompierre fut du nombre, quoi qu’en ait dit M. Chalmel dans son Histoire de Touraine, t. 2, p. 448. « Je tombai, dit-il lui-même dans ses Mémoires, avec vingt-sept autres personnes… Je fus blessé à l’épaule et à la cuisse, et eus deux des petites côtes enfoncées, dont je me suis senti depuis long-temps. » (Collect. Petitot, 2e série, t. 20, p. 97.)

7. Cet événement se passa dans l’hôtel bati un siècle auparavant par Babou de la Bourdaisière, et qui étoit devenu l’hôtel des gouverneurs. (Chalmel, Hist. de Touraine, t. 2, p. 448.) Cette maison, qui servit depuis de prison, a été démolie. Elle étoit située dans la rue qui porte aujourd’hui le nom de Colbert.