Calmann-Lévy (p. 252-264).


XXII


« … Par ces motifs, le tribunal déclare ledit Jean-Jacques-Daniel Charbonnière coupable du délit de blessures volontaires sur la personne de Tancrède-Roland-Guyon, vicomte de Bretout, pour réparation de quoi le condamne en six mois de prison, deux cents francs d’amende et aux dépens liquidés à cent vingt-neuf francs soixante-onze centimes ;

» Fixe au maximum la durée de la contrainte par corps. »

— Ces messieurs de la justice du roi ont la main vraiment lourde ! dit au comte de Fersac M. Cherrier, qui, sorti pour prendre l’air, était rentré pendant le prononcé du jugement.

— C’est que, voyez-vous, ces justiciards sont incapables de distinguer le brave homme qui blesse loyalement son adversaire, en exposant sa vie, du lâche gredin qui troue la peau d’un ennemi sans risques ni péril ! répondit le comte en haussant les épaules.

— C’est tellement vrai ce que vous dites, monsieur, qu’ils appliquent dans l’espèce des articles du Code pénal qui ne s’y ajustent nullement, sinon par une interprétation odieusement abusive !… Car enfin il n’y a pas de loi qui punisse le duel !…

En s’en retournant, le notaire, après avoir copieusement récriminé, détesté la justice et maudit les juges, interrogea le docteur :

— Que vas-tu faire ?

— Que voulez-vous que je fasse ! Plutôt que d’être enfermé six mois, je préférerais servir encore de cible au grand sire de Bretout ! Mais je n’ai pas le choix. Quant à en appeler à Périgueux, c’est bien inutile. L’abbé de Bretout, qui m’a si bien fait saler par son ami le président du tribunal, et ses confrères les paccanaristes ont le bras long et des affidés partout dans la magistrature. Soyez sûr que les gens de là-bas ne voudraient pas dédire leurs collègues d’ici. Ce n’est pas la peine de faire de nouveaux frais : il y en a déjà bien assez !

— Si ce n’est que ça qui t’empêche, tu sais que je suis là !

— Merci, mon excellent ami ! fit Daniel en pressant la main du notaire. Ce qui m’empêche, c’est la conviction de l’inutilité de l’appel…

Pendant la semaine qui suivit, le docteur mit tout en ordre chez lui, arrangea ses affaires et donna une procuration générale à M. Cherrier afin qu’il pût le remplacer pendant son absence. La veille du jour où expirait le délai d’appel, tous ceux du Désert, moins le berger, suspect, étaient assemblés dans la chambre de Daniel, avec le notaire, pour lui faire leurs adieux. Comme il avait le pressentiment que ses ennemis chercheraient à l’atteindre en lui enlevant Sylvia, le docteur fit ses recommandations particulières à cet égard, et les termina en montrant une cachette ménagée dans l’épaisseur des murs, qui s’ouvrait par un secret au fond d’un placard à serrer le linge :

— C’est là que se réfugiaient les pasteurs ambulants traqués par les soldats du roi. Vous en userez si vous vous trouvez dans le cas de le faire.

Depuis sa condamnation, Daniel avait tant prêché son monde que tous étaient calmes, en dépit de leur tristesse, même la Grande, qui d’abord avait parlé de prendre une fourche de fer à l’intention des gendarmes, même la pauvre Sylvia, qui, pâle et défaite, se maîtrisait à grand’peine.

Mais lorsque Daniel, après les avoir tous embrassés, la tint sur son cœur étroitement serrée, il sentit aux sanglots muets qui soulevaient la poitrine de la généreuse fille, aux frémissements convulsifs de tout son être, combien lui était cruelle et douloureuse cette longue séparation, avec la pensée des souffrances qui attendaient son ami prisonnier. Il la garda, un moment, ainsi pendue à son col, la consolant par de gentilles paroles et d’affectueuses caresses. Puis, la voyant un peu réconfortée, il lui donna un dernier baiser au front et sortit.

Dans la cour, Mériol avait chargé sur la bourrique un portemanteau renfermant du linge et des hardes. Tous deux s’en allèrent, accompagnés, un bout de chemin, par M. Cherrier.

— Mon ami, disait le notaire, tu es plus crâne que nous autres tous. C’est toi qui prends le plus doucement ce gros ennui !

— Dans toutes les choses qui ne dépendent pas de notre volonté, c’est ce qu’il y a de mieux à faire, voyez-vous, monsieur Cherrier.

Ils atteignaient alors le grand chemin de Ribérac. Après une cordiale étreinte, les deux hommes se séparèrent, et M. Cherrier revint sur ses pas, la tête basse, fort mélancolique.

Daniel et Mériol cheminèrent silencieux jusqu’à l’arrivée. Le docteur s’entretenait avec ses pensées, et le vieux domestique n’était pas plus bavard que d’habitude. Pourtant, lorsqu’ils furent devant la prison, devant cet ancien couvent aux murs noirs, aux rares baies grillées, Mériol laissa échapper cette piteuse exclamation :

— Oh !

Daniel, lui ayant serré la main, s’empara du portemanteau et heurta résolument à la porte.

Le judas s’ouvrit, et, après un petit colloque, une voix rude lui apprit que pour le recevoir il fallait un ordre du parquet.

Au parquet, après une longue attente, le procureur du roi délivra cet ordre de mauvaise grâce. C’est que le docteur, en se constituant volontairement prisonnier, réduisait à néant la réquisition adressée aux gendarmes aux fins de l’arrêter, le lendemain, et de le conduire en prison, le cabriolet aux poings, à titre de salutaire exemple.

Muni du papier, Daniel vit s’ouvrir la lourde porte ferrée, fut écroué promptement et ensuite mené dans une vaste chambre où se trouvaient déjà cinq hommes.

L’un était un pauvre vieux en cheveux blancs, au nez roupieux, aux paupières enflammées par une blépharite chronique, emprisonné pour mendicité. À côté de lui était assis un paysan à la figure terreuse et dure, condamné à quatre mois pour vol, et entré de la veille. Le troisième, un vieux récidiviste hirsute et souriant, était incarcéré pour grivèlerie. Le quatrième était un mauvais sujet de garçon charpentier, puni de trois mois pour avoir traîtreusement blessé d’un coup de compas un sien compagnon, au hasard d’une rixe. Enfin le dernier, nommé Perducat, était un de ces dangereux vagabonds, écumeurs de grands chemins, qui pénètrent de gré ou de force dans les habitations, volent une poule ou un sac d’écus, selon l’occasion, assomment d’un coup de trique et, au besoin, jouent adroitement du couteau.

Ce gredin, destiné au bagne ou à l’échafaud, était, à l’ancienneté, le « prévôt de chambrée », et il exerçait despotiquement son autorité grâce à son audace et à sa supériorité dans le crime.

— Camarade, dit-il à Daniel après quelques propos préliminaires, il est d’usage, lorsqu’on arrive au clou, de payer sa bienvenue aux pégriots. Comme tu m’as l’air d’un bourgeois argenteux, je te taxe à deux poulets rôtis et piqués et à trois bouteilles de vin… À six, il n’y a pas de quoi se rincer le bec mais « le comte du Guichet » n’en veut pas donner plus d’une chopine par figure.

— Mon ami, répondit posément Daniel, je n’ai pas coutume d’être commandé ni taxé. Vous connaîtrez cela aisément, rien qu’à me regarder bien dans les yeux.

Et, lui-même attachant sur l’autre ce regard fixe et térébrant, qui dompte les bêtes féroces, au bout de quelques secondes, il lui fit détourner la tête.

— Je suis médecin, ajouta-t-il ensuite, je vais vous tâter le pouls.

Et, saisissant le poignet du « prévôt », il exerça une pression progressive et régulière comme l’action d’un étau, ce qui au bout d’un instant, fit geindre le bandit :

— Aïe !

— Vous voilà convaincu, n’est-ce pas, qu’on ne me fait pas marcher ? reprit Daniel.

— Vous êtes fort ! il n’y pas à dire, fit l’homme avec un sourire ambigu ; vous pouvez faire tout ce que vous voudrez !

— Je ne fais pas tout ce que je peux, mais seulement ce que je dois ! répliqua le docteur. Et maintenant, retournez à vos cartes.

Débarrassé de Perducat, il s’assit sur un banc et regarda autour de lui. La chambre contenait une dizaine de lits de sangle ou à tréteaux de bois, garnis d’une paillasse et d’une couverture. Dans le milieu, une table graisseuse où était posée une cruche ébréchée. Les murs nus, jadis blanchis à la chaux, décrépis par endroits, étaient couverts d’inscriptions, de noms, de dates et de dessins grossièrement obscènes. Le plafond était fait de solives mal équarries et le plancher de carreaux en terre cuite rouges et poussiéreux. À une extrémité, une fenêtre à barreaux de fer entre-croisés, près de laquelle jouaient les prisonniers, éclairait mal la pièce. Dans un angle s’ouvrait un petit réduit où était placé le baquet aux nécessités, qui répandaient une abominable odeur.

Autour des deux joueurs, qui se tenaient à cheval sur un lit, face à face, les autres prisonniers suivaient la partie. Seul, accroupi dans un coin, le paysan demeurait sombre et ne soufflait mot, l’œil inquiet ainsi qu’une bête sauvage récemment capturée.

Une heure avant le coucher du soleil, quand le grillage serré ne laissa passer qu’un jour insuffisant, le jeu cessa et chacun s’allongea sur son lit en attendant la soupe.

Pour tuer le temps, le vieux récidiviste raconta comment il courait toute la France, vivant le mieux du monde, aux dépens des hôteliers, — jeté à la porte, le plus souvent, au moment de payer l’écot, — avec un coup de pied au derrière, par-ci par-là, mais rarement livré aux gendarmes comme ça venait de lui arriver. — Il calculait que, sept fois sur dix, il s’en tirait les braies nettes, et, à ce propos, faisait des remarques sur le caractère des aubergistes. Les gros et gras étaient plus faciles ; les maigres et jaunes, plus hargneux. Les premiers riaient parfois du tour, les seconds en rageaient immanquablement. Ceux-ci avaient le coup de pied plus fréquent et seuls requéraient les hirondelles de potence.

À l’égard des victuailles, il avait étudié la cuisine des diverses provinces. Il se rappelait avec délices les foies de canard d’Auch en Gascogne, les lièvres à la royale du Périgord, les andouillettes de Troyes en Champagne, le veau de rivière de la vallée d’Auge, le gras-double à la Lyonnaise, la choucroute de Strasbourg, la volaille de Bourg-en-Bresse, la morue en brandade de Marseille, les canetons de Rouen et les gigots de pré-salé de Guérande.

De même avait-il fait pour les boissons. Comparant les divers liquides entre eux, sans dédaigner la bonne bière du Nord, ni faire fi de l’excellent cidre du Calvados, il concluait en faveur du vin rouge et blanc, — de Bourgogne ou de Bordeaux : il n’était pas exclusif.

Tout bien considéré, il avait adopté ce genre de vie joviale et facile et en démontrait l’excellence par des arguments en forme. « La fin de tout homme était de se repaître et le vol avait pour but de se cotonner le moule du gilet, mais c’était un moyen dangereux qui menait loin quelquefois. Au contraire, avec son système, on vivait bien et on ne risquait jamais que huit jours de geôle, quinze au plus…

— Oui, interrompait le prévôt, mais ça manque de largues !… Moi, quand j’ai estourbi un pante, j’ai de la braise et je fais la noce complète…

Et, en guise d’exemple, il conta comment, après avoir dévalisé près de Lormont un marchand de porcs, non sans l’avoir quelque peu assommé, il avait fait carousse, quinze jours durant, à Bordeaux, dans le quartier Mériadeck…

À ce point de son discours, il y eut un grand bruit de ferraille à la porte, et le geôlier entra, suivi de sa femme, qui portait la soupe dans une ample terrine vernissée.

« Et dire qu’il faut vivre six mois avec de pareils misérables ! » pensait le docteur.

Tous les prisonniers s’assemblèrent autour de la table, sauf Daniel, qui resta sur son lit.

— Vous ne voulez pas manger ? lui demanda la femme.

— Ce soir, je n’ai pas faim…

— Il a encore les poulets dans le ventre ! dit à demi-voix le vieux à barbe grise.

Ayant ouï la réponse du docteur, le geôlier le tira à part dans le corridor :

— Je vois bien que vous n’avez point accoutumé de vivre avec de telles canailles, murmura-t-il. Si vous voulez, je puis vous mettre à la pistole, dans une petite chambre propre où vous serez seul… Ça ne vous coûterait pas bien cher : trente livres par mois… et puis nous nous arrangerions pour votre nourriture.

— Je vous remercie de la proposition. Mais j’ai le ferme dessein de faire ma peine dans le lieu où je dois être en conformité du jugement, sans chercher à en sortir, soit par argent, soit d’autre manière.

— Comme vous l’entendrez ! fit le geôlier, quelque peu surpris.

Et il rentra dans la pièce avec le prisonnier.

Cette nuit-là, Daniel ne dormit guère. Sa pensée s’envolait vers le Désert et se représentait la désolation de la famille privée de son chef. La violente opposition du milieu paisible et honnête de sa maison avec celui de la prison, ignoble et infect, le frappait vivement. Le contraste de cette société de coquins vicieux ou criminels avec celle de son cher petit Samuel, de sa bien-aimée Sylvia, de la bonne géante qui l’avait élevé, du taciturne Mériol, si dévoué, lui rendait la situation présente plus pénible. À l’idée que cette cohabitation devait durer six mois, il soupirait. Toutefois il s’efforçait de prendre courage et de se résigner à l’inévitable.

« Pourquoi s’affliger ? se disait-il, ne sais-je pas que la plupart des hommes sont égoïstes, méchants et injustes ? Cela étant, ne devais-je pas être préparé à tout ce qui m’arrive ? L’homme sage doit tout souffrir avec constance, recevoir également les plaisirs et les peines, les honneurs et l’ignominie. Je suis enfermé ici, mais ma pensée est libre et ma conscience en paix. Je ne changerais pas de condition avec ceux qui m’ont mis dans cette geôle. S’il leur reste néanmoins quelque sentiment de la justice, ils doivent avoir des remords ; s’il ne leur en reste pas l’ombre, ils sont encore plus à plaindre ! »

Tant qu’il était seul en cause, malgré la privation de sa liberté, la révolte de ses délicatesses, les souffrances de son cœur, Daniel réussissait à se soumettre : il acceptait son état présent comme un de ces faits contingents auxquels l’homme est sujet depuis la naissance jusqu’à la mort. Mais ce stoïcisme lui était plus difficile pour les siens : l’idée que sa douce Sylvia souffrait en lui le peinait fort. Et puis, il avait laissé un pauvre diable gravement malade : qui le soignerait et lui donnerait les remèdes nécessaires ? Personne. Peut-être ce malheureux mourrait-il faute de soins ! Cette idée tourmentait le docteur et le faisait s’agiter sur sa méchante paillasse.

« Ainsi s’enchaînent les choses humaines, songeait-il. Parce que ma cousine Minna est une folle tête ; parce que son mari a de moi une aversion aussi violente qu’absurde ; parce qu’il avait trop bien déjeuné, l’autre jour ; parce que je l’ai blessé en tirant au hasard ; parce que son oncle l’abbé a beaucoup de crédit à Ribérac ; parce que les juges de l’endroit ont la conscience large, il faudra peut-être que ce pauvre Prateau meure de la pleurésie qui le tient couché sur un grabat dans sa cabane de charbonnier… »

Et Daniel soupira encore.

À ce moment, il ouït comme un souffle auprès de son lit : étendant vivement les mains, il saisit un des poignets et la tigasse crépue du prévôt de chambrée.

— Ah ! c’est toi, bandit !

Et, pour un instant, oubliant sa philosophie, le bon docteur administra dans les ténèbres et sans bruit quelques solides taloches au gredin, après lui avoir arraché une cheville de fer dont il était armé.

— Va te coucher ! et n’y reviens pas : je t’étranglerais !

Mais le chenapan n’eut pas le temps de renouveler sa tentative. Le lendemain matin, tandis que Daniel donnait une consultation au vieux mendiant qui lui demandait un remède pour ses yeux, le geôlier entra dans la chambre, et, s’adressant au prévôt, lui dit :

— Perducat, faites votre baluchon. Vous partez dans une heure.

— Et pour aller où ?

— Il paraît que là-bas, à Bordeaux, ils ont quelques petites choses à vous demander.

Malgré sa grossière jactance, l’homme demeura interloqué. Mais, à peine le geôlier sorti, il dit aux camarades :

— Vous autres, ne parlez pas de ce que je vous racontai hier soir !

Le docteur ne fut pas fâché d’être débarrassé de ce dangereux personnage. Non pas qu’il en eût peur, mais l’obligation de se tenir sur ses gardes, jour et nuit, l’ennuyait. Dès lors toutes ses préoccupations se reportèrent sur Sylvia. Il craignait que la Cadette, incitée par d’autres, ne renouvelât son entreprise, maintenant qu’il n’était plus là pour défendre sa fille contre elle. Ceux qui avaient obtenu l’ordre de remettre Sylvia entre les mains de cette mauvaise mère allaient certainement revenir à la charge, tandis qu’il était bouclé dans cette prison : malgré la vaillance de son amie, Daniel n’était pas tranquille.

Ses inquiétudes n’étaient que trop raisonnables. Quelques jours après son incarcération, la Cadette vint au Désert, et, n’osant pas entrer à cause de la Grande, fit appeler sa fille dans l’allée de marronniers par le berger. Sylvia étant venue, l’associée de Moural la pressa vivement d’abandonner « le monsieur », qui était à moitié ruiné et avait contre lui tous les gros bonnets du pays.

— Avec lui, c’est la misère qui t’attend !

Cette mère pleine de sollicitude avait trouvé pour sa fille une bonne place, « une de ces places comme il n’y en a pas treize à la douzaine ». Et, sur la demande de Sylvia, elle lui apprit que cette place extraordinaire était au château de Légé, « chez les rois de la Double » ! Après cela, elle en énuméra longuement tous les avantages, avec des détails fastidieux, comme si elle eût voulu faire consentir sa fille par lassitude.

— Tout ce que tu me peux dire et rien, c’est tout pareil ! répondit Sylvia lorsqu’elle eut terminé. Fut-il le plus misérable de la contrée, eût-il contre lui tous les gens des alentours, riches et pauvres, je ne quitterai jamais un homme qui vaut plus que tous les autres ensemble !

— Regarde moi ça ! fit la Cadette, en exhibant un louis d’or. C’est pour toi, comme étrenne d’entrée !…

— Faut-il que tu vailles peu ! s’écria Sylvia. Tiens ! j’ai honte d’être ta fille !

Et elle s’en alla…

Peu de jours après cet assaut, en revenant de porter le « merenda », ou collation, à Mériol, qui travaillait dans une pièce de terre à quelque distance de la maison, Sylvia rencontra M. de Bretout chassant, bien guéri de sa blessure.

— Ta mère t’a parlé, Sylvia, dit-il en l’arrêtant sur une sente ; pourquoi ne lui veux-tu pas être docile ?… Viens à Légé, chambrière : tu y seras heureuse comme une reine !… Ma femme n’est pas ma femme… comprends-tu ? Viens : tu seras la véritable dame de Légé !

— Écoute, monsieur ! Entre toi bien riche et le père de mon drôle bien pauvre, je ne balancerai pas une minute ! J’aime trop mieux rester sa servante au Désert que d’être ta femme non pas en cachette, mais ta vraie femme épousée devant le curé, si ça se pouvait !

— Ça se pourrait, si tu voulais, un de ces jours !…

— Heureusement, il n’y a personne pour t’entendre ! fit Sylvia, tournant les talons. Ne pense plus à ça, monsieur !

— Sylvia !…

Mais elle, secouant la tête, s’en fut.