L’Enfant, la Vieille et le Baudet

L’Enfant, la Vieille et le Baudet

FABLE
par Eugène LEMERCIER




Martin était un bourriquot
Roux, des oreilles à la queue,
Quand son braiment frappait l’écho,
Cela s’entendait d’une lieue.
 
N’empêche que le petit Paul,
Gamin qui n’avait pas la frousse,
Grimpait, sans selle et sans licol,
Sur son échine maigre et rousse.
 
— Ne monte pas sur le baudet,
Lui disait sa bonne grand’mère,
Mais, plus on le lui défendait,
Plus il s’empressait de le faire.

— Pour grimper sur l’âne Martin,
Avec prudence, je me cache,
Se disait le petit mâtin,
Comment se peut-il qu’on le sache ?


Grand’maman, rouge de courroux,
Lui dit un jour : « Hé ! saprelotte !
« Tu ne vois donc pas les poils roux
« De l’âne à ton fond de culotte ?
 
« Quand je les brosse, le matin,
« Ces crins roussâtres, j’imagine
« Qu’avec toi, d’ici peu, Martin
« N’en aura plus un sur l’échine ».
 
Le gamin n’en revenait pas.
Mais voilà, qu’un jour, sa grand’mère,
Sur la route, fait un faux pas
Et prend un billet de parterre.

Juste à ce moment, l’aquilon
S’engouffre, en sifflant, sous sa cotte
Et la gonfle comme un ballon
Pendant que la vieille gigote.
 
L’enfant regarde et dit : « Ma foi,
« C’est bien à tort qu’elle me damne,
« Si j’en crois mes yeux, avant moi,
« Grand’mère a dû monter sur l’âne ! ».



Eugène LEMERCIER.