Clément Petit (p. T-72).

L’ENDYMION
TRAGI-COMEDIE ;
COMPOSE’E

Par Françoise Pascal
Fille Lyonnoiſe.

DEDIE` A
MADEMOISELLE
DE VILLEROY.



A LYON.
Chez Clement Petit, ruë Merciere
deuant ſainct Antoine.

M. DC. LVII.

A MADEMOISELLE,
MADEMOISELLE
DE VILLEROY.



M
ADEMOISELLE,



Quoy qu’Endymion mette toutes les beautez terreſtres au deſſous de celle de Diane, il n’en fait pas de meſme de vous, ſoit qu’il vous croye ou mortelle ou diuine, & qu’il ait oüy faire le meſme recit de vos perfections, qu’il fait de celles de cette Deeffe. Car s’il la conſidere comme le plus bel Aſtre du Ciel, il ſçait auſſi que vous eſtes vn des plus beaux Aſtres de la Cour, & toutes les adorations, & les vœux qu’il luy rend, n’empeſchent pas qu’il n’ait pour vous l’admiration qu’en a des-ja vne partie de la Terre, & qu’il n’aduoüe, que la nature a formé en vous quelque choſe de celeſte, puiſque elle n’a non plus eſpargné à vous rendre conſiderable par voſtre illuſtre, & haute naiſſance, qu’elle s’eſt monſtrée prodigue à departir toutes ſes graces en voſtre perſonne, vous rendant vn Miracle de noſtre Sexe. C’eſt par cette raiſon MADEMOISSELLE, qu’Endymion a cherché l’honneur de vous apprendre les auantures ; que ſi elles ſont aſſez heureuſes, pour trouuer quelque petite place dans voſtre eſtime : il pourra dire, que la gloire d’eſtre aymé d’vne Deeffe, ne luy eſt pas plus auantageuſe, puiſque vous luy permettez de voir le iour : il pourra dire encor, qu’il vous doit plus qu’à cette Deeffe, qui le faiſoit inceſſamment dormir. Enfin MADEMOISSELLE, c’eſt vne grace que ie n’oſois bonnement eſperer ; car vous qui eſtes vne merueille du corps & de l’eſprit, dont vous pouuez produire mille belle choſes ; ie ne ſçay ſi ce n’eſt point auoir trop entrepris, que d’aller expoſer ce petit ouurage à vos yeux, & dans vne Cour qui a toutes les ſçiences infuſes : toutefois i’en attends l’euenement auec la permiſſion de porter la qualité


MADEMOISSELLE,


de Voſtre tres-humble, & tres-obeyſſante Seruante,
Françoise Pascal.

ADVIS AV
LECTEVR.


MOn cher Lecteur, puiſque mon Agathonphile s’eſtoit autant acquis de cenſeurs, que d’incredules ; ie ne ſçay ce que ie dois attendre d’Endymion. Ie ſçay bien que tu y trouueras moins de fautes, qu’au premier ; mais ie te prie pourtant de croire, que perſonne n’y a meſlé de ſon ſtile, comme quelques-vns l’ont creu d’Agathonphile, quoy qu’effectiuement, ceux qui ont tant ſoit peu d’experiẽce à la Poëſie, puiſſent bien iuger, que ces vers ne ſçauroient eſtre ſortis d’vn grand genie ; & qu’vn homme eſt capable de produire, quelque choſe de plus fort : & afin que l’aduantage, que ce poëme peut auoir ſur l’autre, ne te faſſe tomber dans la premiere erreur, c’eſt que i’y ay vn peu plus de connoiſſance qu’autre fois, tu le verras. Adieu.



LES ACTEVRS.

 
ENDYMION, amoureux de Diane.
POLYDAMON, amy d’Endymion.
DIANE, Deeſſe.
CHOEVR de Nymphes.
ISMENE, Magicienne.
PARTHENOPE’E, vieille Propheteſſe.
THYMOETES, Sacrificateur.
STENOBE’E, Vierge de l’autel de Diane, & niepce de Thymoetes.
HERMODAN, Berger amant de Diophanie.
DIOPHANIE, Metamorphosée en myrthe,

PYRIDOR,

ADMON.

Miniſtres de Thymoetes.
CHOEVR de Peuple.

CHOEVR de Filles.
VN ESCLAVE.
CLINDOR.

La Scene eſt en Albanie.

Il paroiſt au fond du Theatre, la face du temple de Diane : & d’vn coſté, pluſieurs arbres touffus ; & de l’autre, vne pointe de rocher fort eſleuée, & derriere quelques feüillages.

ENDYMION
TRAGI-COMEDIE.

ACTE PREMIER.


Scène PREMIERE.

ENDYMION, POLYDAMON, ſortant du Temple de Diane.


ENfin, Polydamõ ſi ie meurs pour Diane,
Il faut que cét amour ne ſoit iamais profane :
De crainte d’offencer ſa diuine pudeur,
I’ay peur que cette flame, ayt vn peu trop d’ardeur
Que cette paſſion ne ſe rende euidente :
Si ma langeur vun iour ne devient plus prudente,
Oüy, cher Polydamon, eſtant à cét aſpect
Ie tremble en l’adorant d’amour & de reſpect.
Il est vray, qu’en effet cette belle Deeſſe,
Sçait mon intention encor qu’elle me bleſſe :
Ses yeux où la pudeur fait ſon plus beau ſejour,
M’impriment le reſpect auſſi bien que l’amour :

Mais encor que mes yeux n’ayent pas l’aduantage
D’admirer de plus pres ſon celeſte viſage,
Elle ſçait toutefois qu’ils ne ſont point diſtraits :
A contempler de loing des ſi rares attraits :
Elle viendra bien-toſt pour me dire elle meſme,
L’eſtime qu’elle fait de mon amour extreme.

POLYDAMON.

Heureux Endymion, d’où te vient ce bon-heur,
Vit-on iamais mortel, receuoir tant d’honneur
D’eſtre conſideré d’vne beauté diuine,
D’vn miracle des Cieux ; de moy ie m’imagine,
Que c’eſt auec raiſon qu’on t’adore en tous lieux ?
Puiſque meſme on te voit dans l’estime des Dieux !
L’on voit deſſus ton corps des merueilles ſi rares,
Qu’elles peuuent toucher les cœurs les plus barbares !
Mille ieunes beautez au ſeul bruit de ton nom,
Vont ſoupirant pour toy.

ENDYMION.

Vont ſoupirant pour toy. Ceſſe Polydamon
Ceſſe de me flatter… Mais que vois-ie pareſtre,
Cette femme m’approche.

POLYDAMON.

Cette femme m’approche. Et qui pourroit elle eſtre,

ENDYMION.

Qu’elle extreme vieilleſſe

POLYDAMON.

Qu’elle extreme vieilleſſe Elle s’en va mourir,

ENDYMION.

Elle n’a plus de vie & ne ſçauroit courir.



Scène DEVXIEME.

PARTHENOPE’E, ENDYMION, POLYDAMON.
PARTHENOPE’E.


ENdymion viens ça :

POLYDAMON.

Ndymion viens ça : Bons Dieux ! elle t’appelle,
Et ne te ſçauroit voir.

ENDYMION.

Et ne te ſçauroit voir.
O ! Ciel que me veut elle ?

PARTHENOPE’E.

Approche, ne crains rien :

ENDYMION.

Approche, ne crains rien : Approchons toutefois,
Eſcoutons les accens de cette foible voix,

PARTHENOPE’E.

Approches toy mon Fils, ie te veux faire entendre,
Ce que tu ne ſçais pas,

ENDYMION.

Ce que tu ne ſçais pas, Hé ! bien ie veux l’apprendre.

PARTHENOPE’E.

De l’Aſtre qui charme ton cœur,
S’en eſtant rendu le vainqueur,
Et qui reçoit tes ſacrifices,
Tu te verras gratiffié :
Mais enfin t’eſtant trop fié
A ce peu de temps de delices ;
Les Dieux subiets au changement,
Te feront voir tout autrement
S’eſtant ſeruy de ta foibleſſe,

Vn Dieu trompeur te fera voir
Ce que tu ne peux conceuoir,
Afin d’obliger ta Deeſſe :
Ce Dieu t’ayant fermez les yeux,
Te fera courir en tous lieux ;
Te faiſant voir des choſes vaines,
Qui te charmeront les eſprits,
Mais enfin ne ſoit point ſurpris :
Car mes paroles ſont certaines. elle ſe retire.

POLYDAMON.

Dieux ! elle eſt hors du ſens : d’où peut elle ſçavoir,
Ton nom ?

ENDYMION.

Ton nom ? Polydamon, laiſſe moy conceuoir
Vn peu ce qu’elle a dit, car ie vois au contraire,
Que ce diſcours obſcur ne ſent rien du vulgaire,
Mais enfin ie m’en vay taſcher de l’obſeruer.

POLYDAMON.

Adieu donc cher amy, ie te laiſſe reſuer.

ENDYMION.

Adieu ie t’iray voir, ie veux réuer vne heure
Sur ce qu’elle m’a dit ?

POLYDAMON.

Sur ce qu’elle m’a dit ? Voilà donc ta demeure.



Scène TROISIEME.

ENDYMION ſeul.
STANCES.


DIeux ! que ce myſtere eſt profond,
Et qu’il eſt incomprehenſible :
Celeſtes qui voyés au fond

De ce qui nous eſt inuiſible ;
Que ſignifie ce diſcours,
Où ie ne ſçaurois rien entendre :
Donnez moy moyen de l’apprendre ;
Et d’en deuiner les detours :
Cette bouche qui vient de dire des miracles :
Sçait-elle les ſecrets de vos diuins oracles ?

Mais cherchons encor ce ſecret,
Remettons nous dans la memoire
Le recit qu’elle nous a fait,
Que ie ne ſçaurois ainſi croire :
Elle nous a dit que les Dieux
Sont auſſi changeants que les hommes ;
Que meſme en le ſiecle où nous ſommes,
L’on voit regner dedans les Cieux,
Auſſi bien qu’icy bas, l’abus & l’inconſtance ;
Trõpant l’eſpoir de ceux qui suiuẽt leur puiſsãce.

Se peut-il que les Immortels,
Se moquent de nos ſacrifices :
Et qu’ils meſprisent leurs Autels :
Ne ſeroient ce point des malices ?
Ces discours ſont iniurieux
A voſtre ſageſſe profonde,
Qui ne ſouffre point de ſeconde
En ces ſecrets myſterieux :
Et c’eſt pourquoy grãds Dieux, ie viens de faire iniure
A vos diuins pouuoirs, vſant de ce murmure.

Ie pourrois vous eſtre odieux,
De croire vne bouche prophane :

Pourſuivons nos deſſeins pieux,
Puiſqu’ils plaiſent à ma Diane ;
Et ne penſons plus deſormais,
À ce langage chimerique :
Quittons ce penſer fantaſtique,
Et ſoyons le meſme à iamais :
Rendons ſans fin des vœux à cet obiet celeſte,[illisible]
Si ma raiſon le veut, ma bouche le proteſte.

Mon ame s’en eſt fait reſous-toy ſi tu veux,
De luy continuer tes deuoirs & tes vœux :
Nous en verrons la fin, allons ſur cette roche,
Ie vois finir le iour, & la nuit qui s’approche :
Mon bel Aſtre luyra, mais le iour cependant,
A perdre la clarté me ſemble vn peu bien lent.
Maintenant le Soleil m’eſt moins cher que la Lune ;
Sa brillante clarté ſans ceſſe m’importune :
Mais gardons d’offencer ce miracle des Dieux :
Le Frere de Diane, & qu’elle ayme le mieux.
N’importe toutefois, Diane eſt ma Deeſſe,
Et la nuit s’approchant, ce bel Aſtre s’empreſſe
A contenter mes yeux… Mais Dieux ! quelle clarté
Vient eſclairer ces lieux, quelle eſt cette beauté ?



Scène QVATRIESME.

DIANE, ENDYMION,

Diane paroiſt auec ſon Croiſſant ſur ſa teſte, ſon carquois derriere le dos, & ſon Arc à la main : elle prend la parolle voyant Endymion ſurpris.

DIANE.


ENdymion, ie ſuis celle que tu reueres,
Qu’y te viens faire voir bien plus que tu n’eſperes :
Regardes maintenant ce que tu ſouhaittois,
Et vois que ie fais plus que ie ne promettois ;
Tes veux ſont exaucez, i’en garde la memoire,
Ie ſçay que tu prens ſoins à publier ma gloire :
Comme tu fais par tout eſclater ma grandeur,
Et que par toy châcun adore ma ſplendeur :
Mais ſi ie n’en auois quelque reconnoiſſance,
Il te ſeroit permis de dire en ma preſence,
Que l’on voit des ingrats, iuſques dedans les Cieux :
Et tu pourrois blaſmer d’iniuſtice les Dieux.
Dis moy ce que tu veux, & crois qu’vne Deeſſe
Peut touſiours accomplir l’effet de ſa promeſſe :
Ie croy qu’aſſeurement tu ne veux demander,
Que ce que ie pourray iuſtement t’accorder.
Ne ſois plus interdis, vois que l’heure me preſſe :
Que ie ſuis attenduë.

ENDYMION.

Que ie ſuis attenduë. O ! charmante Deeſſe,
Ton aſpect a mes ſens, ſi fort extaziés,
Que mes yeux n’en ſeroient iamais raſſaziés :

L’honneur dont ie ioüis ſurpaſſe toutes choſes,
Ie ne vois que des feux, que des lys & des roſes :
Deeſſe, ie ne puis ny deſirer plus rien ;
Puiſque iamais plaiſir ne fut eſgal au mien,
Beau miracle des Cieux, que faut il que i’eſpere,
Apres ce que ie vois ? ie ſerois temeraire
De demander encor :

DIANE.

De demander encor : Demande ſeulement
Tu peux tout obtenir.

ENDYMION.

Tu peux tout obtenir. Dans le rauiſſement
Où ie ſuis maintenant, Deeſſe incomparable,
Ie te demanderois ce bon-heur deſirable :
De contempler ſans fin les beautez que ie vois,
Si tu ne me punis dant cét aveugle chois.

DIANE.

Pourrois tu bien ſouffrir dans la longueur extreme,
Ce que dans vn moment t’a mis hors de toy meſme ?
Et quand bien tu ſerois au rang des premiers Dieux,
Tu ne me verrois pas demy iour dans les Cieux :
Taſches donc de chercher quelque iuſte demande.

ENDYMION.

Il me faut obeyr, Diane le commande,
Deeſſe, ta bonté me veut donc obliger,
A faire vne demande, où ie n’oſe ſonger,
Mais enfin il faudra que ie prenne l’audace,
De t’oſer demander quelque petite place,
Prés des Aſtres qui ſont les plus proches de toy,
Ou ſi ce divin rang eſt trop rare pour moy ;
Si c’eſt que les deſtins y faſſent reſiſtance,
Que ce ſoit prophaner leur divine influance,
Ou ſi c’eſt que le nombre en ſoit tout accomply ;

Et que le Ciel en ſoit parfaictement remply
Tu receuras du moins mes pieux ſacrifices,
Et ie ſeray content.

DIANE.

Et ie feray content. Sçaches que tes ſeruices
Maggreeront touſiours, que ie prendray ſoing
De te gratiffier lors qu’il ſera beſoing,

Soit au Ciel, ſoit en terre : Adieu.
Elle diſparoit.
ENDYMION. ſeul.

Soit au Ciel, ſoit en terre : Adieu. Quelle merueille !
Mortels en viſtes vous iamais vne pareille ?
O celeſte beauté, combien m’as tu fait voir
De miracles diuins qu’on ne peut conceuoir :
Eſperiez vous, mes yeux, de voir vn tel prodige ?
Voyez à quels devoirs Diane vous oblige :
Rendons luy mille vœux, dreſſons luy des Autels,
Puiſqu’elle nous eſleue au deſſus des mortels :
Ne ſonge plus mon ame a ta peine paſſée,
Ne vois tu pas qu’elle eſt par trop recompencée.
Ha ! que Diane eſt belle, & qu’à d’autres beautez.
Mes yeux malaisemant ſe verront arreſtez.
Allons ſur ce rocher pour contempler encore,
Iuſques au point du iour cet Aſtre que i’adore :
Eſleuons noſtre voix, qu’elle puiſſe eſclatter
Par les plus doux accens que l’on peut inuenter.

Il s’aſſit ſur le rocher, & chante.
CHANSON.

Beautez terreſtres cachez vous
Aupres de cet objet celeſte,
Si mon ame a ſenty vos coups,
Maintenant elle vous deteſte :
Et ne veut plus rendre ſes vœux
Qu’à ce beau miracle des cieux.

Ie dis d’vn zele plein d’ardeur,
Qu’en cette merueille diuine
Les graces auec le pudeur
Ont prit leur plus belle origine :
Et qu’on ne doit rendre des vœux
Qu’à ce beau miracle des Cieux.

Depuis le moment que mes yeux.
Veirent cet Aſtre plein de charmes,
Ie vay, ie cours en tous les lieux,
Meſpriſant toutes les allarmes ;
Pour rendre inceſſamment des vœux
A ce beau miracle des Cieux,


Il contemple la Lune, & ne voit pas Iſmene qui le cherche.


Scène CINQVIEME.

ISMENE, ENDYMION.
ISMENE ſeule.


IE cherche Endymion, pour alleger les peines
Dont ie vois dãs ſes yeux les marques trop certaines
Il adore Diane, & ne s’aperçois pas
Qu’il ſe conſume en vain pour de ſi beaux appas.
Aymable Endymion, Diane eſt trop ſeuere ;
C’eſt en vain qu’à l’aymer ton ame perſeuere.
Si les Dieux tous puiſſans n’oſent pas l’approcher,
La flamme d’vn mortel peut elle la toucher ?
Pourtant Endymion eſt le plus beau du monde,
Il n’eſt point de mortel qu’icy bas le ſeconde :

Ie ſçay bien que les Dieux, apres ſes qualitez,
N’ont pour le ſurmonter que leur diuinitez.
Il le faut ſoulager dans l’ennuy qui le preſſe,
Afin qu’il puiſſe voir quelque iour ſa Deeſſe.
Il veut cacher des maux qui me ſont euidens,
Il contraint ſes beaux feux que ie vois trop ardens :
Ie luy veux faire voir que i’en ay connoiſſance,
Et l’aſſeurer qu’en vain il ſe fait violence :
Que ſon mal m’eſt connu, qu’il a beau deguiſer,
Et qu’enfin par mon art ie le puis appaiſer.
Mais ne le vois ie pas qui contemple la Lune ;
Allons pour l’aſſeurer de la douce fortune :
Il eſt ſur ce rocher, où ie le vois touſiours
Qui demande les nuits mieux que les plus beaux iours.

ENDYMION voyant Iſmene.

Ne vois ie point venir l’incomparable Iſmene,
C’eſt elle aſſeurement.

ISMENE.

C’eſt elle aſſeurement. Raconte moy ta peine,
Endymion mon fils, decouure moy ton cœur,
Que depuis ſi long-temps ie vois viure en langueur.
Puis ie donner ſecours au mal qui te poſſede,
Mon art ne ſçauroit il t’apporter du remede ?

ENDYMION.

Tu te trompes Iſmene en te l’imaginant,
Sçaches que dans l’eſtat où ie ſuis maintenant,
C’eſt le rauiſſerent que ie ſens dans mon ame,
Puis qu’il s’en faut bien peu que mon cœur ne ſe paſme :
Que mon oëil ne ſe ferme ayant veu des clartez
Et des fleurs, & des feux, des charmes, des beautez,
Dont il ne pouvoit plus ſupporter la lumiere,
Et ie ne crois pas eſtre en ma force premiere.
Ha ! ie l’ay ſouhaittée, & ie l’ay veue enfin,

Elle m’a ſatisfait : ce bel Aſtre diuin,
Iſmene, c’eſt Diane.

ISMENE.

Iſmene, c’eſt Diane. He quoy ! tu l’as donc veuë ?

ENDYMION.

Ouy i’ay veu les attraits dont le ciel la pourueuë.

ISMENE.

Heureux Endymion, que peux tu ſouhaitter
Apres vn tel bonheur ?

ENDYMION.

Apres vn tel bonheur ? De touſiours preſenter
Mes deuoirs & mes vœux, & de finir ma vie,
Pour ce rare ſubiet qui m’a l’ame rauie.
Mais encor, ſage Iſmene, honneur de l’Vniuers,
Puiſque ton art fait tant de miracles diuers,
Qu’on te nomme par tout la Merueille des femmes,
Que l’on te voit loüer par les plus belles ames,
Ne ſuis ie pas heureux de te trouuer icy,
Pour te prier encor de m’oſter de ſoucy.

ISMENE.

Et quel eſt ton ſoucy, dis moy, que tu ſouhaittes ?
Sçaches qu’à te ſeruir les Iſmenes ſont preſtes :
Deſpeche promptement de me le faire ouyr.

ENDYMION.

Helas ! c’eſt que le bien dont ie viens de ioüir,
N’eſtant pas de durée, eſtant vn peu trop rare,
Ie vois que pour long-temps ce plaiſir ſe prepare :
Et que ſi i’ay ioüy d’vn plaiſir ſi parfait,
Peut eſtre que mes vœux n’auront plus tant d’effet :
Ne puis ie encor trouuer quelque endroit fauorable,
Afin d’y contempler cet objet adorable ?

ISMENE.

Si tes ſouhaits ne ſont qu’à la conſiderer,
Crois, cher Endymion, que tu dois eſperer

Ce qui dépent de moy comme de mes ſciences,
Ie pretends te donner des promptes aſſiſtances :
Meſme tes ſentimens ont beaucoup de raiſons.
Lors que Diane fort des celeſtes maiſons,
Elle va s’eſcarter iuſques à la contrée,
Où logent maintenant Erigonne, & l’Aſtrée.
Et d’un autre coſté voir les filles d’Atlas,
C’eſt là que plus ſouuent elle dreſſe ſes pas :
Elle viſite encor Andromede, Cephée,
Caſſiope, Orion, les terres de Morphée :
Des antres du Centaure elle fait ſon palais :
Quand elle veut chercher le repos & le frais,
C’eſt le fleuue ſacré le ſeiour des delices,
Qu’elle choiſit touſiours apres ſes exercices.
Mais enfin par mon art ie ſçauray l’obſeruer,
En quel lieu qu’elle ſoit, nous pourrons la trouuer.
Mais il me faut ſçauoir comme tu la demandes,
Voir ſi c’eſt en Hecate, ou bien que se pretendes
De la voir en Diane, enfin i’en ſuis d’accord ;
Car en Hecate au moins ſçaches que cet abord
Nous rends tous inſenſez, ou transformez en pierre ;
Ou bien tous eſcraſez par vn coup de tonnerre

ENDYMION.

Iſmene, mes ſouhaits ſont de la voir ainſi
Que ie la viens de voir en cette place icy.

ISMENE.

Hé bien, tu l’y verras, & ſçaches qu’à mes charmes
Iuſques aux immortels ie fais rendre les armes :
Ouy ie contenteray tes deſirs innocens,
Et puis rendre des Dieux les efforts impuiſſans :
Mais va t’en donc chercher ta loge ſolitaire,
Et ne demande pas le fonds de ce myſtere.
Ie te puis aſſeurer qu’au bruit d’un ſeul ſoûpir,

Tu ferois renuerſer l’effet de ton deſir :
Et meſme ie connois que ton impatience,
Ne me ſçauroit donner demy iour de ſilence :
Et ie vois bien encor à tes yeux languiſſans
Que tu dois accorder du repos à tes ſens.
Elle ſort vne phiole d’eau.
Boy, cher Endymion, de cette eau ſouueraine,
Que moi meſme puyſay dans la vraye fontaine
Du grand Dieu du ſommeil, lorſque dans ſes iardins
Il me permit de voir ces parterres diuins :
I’y vis cette eau ſacrée, & ie fus curieuſe,
Connoiſſant qu’elle eſtoit fi douce & precieuſe,
D’en demander au Dieu : lors il me fut permis
D’en prendre, & d’en donner à mes plus chers amis :
Tu connoiſtras mon fils combien elle eſt charmante :
Adieu, de tes ſouhaits ne perds rien que l’attente.
Elle luy donne la phiole.
Ie viendray t’éueiller lors qu’il en ſera temps,
Et rendray par mes faits tes ſaints deſirs contents.
Va donc te repoſer.

ENDYMION.

Va donc te repoſer. Que te pourray ie rendre
Apres de tels biens faits ?

ISMENE.

Apres de tels biens faits ? Ie ne veux rien pretendre
Pour prix de mes trauaux que ton affection,
Et c’eft de te ſeruir toute ma paſſion.

ENDYMION.

Iſmene tu me rends ſans fin ton redeuable :

ISMENE. en s’en allant.

Repoſes toy mon fils.

ENDYMION ſeul.

Repoſes toy mon fils. O femme incomparable !

 
Que ton art eſt charmant, & qu’il a de vertus,
De donner du repos à mes yeux abattus,
Mes gouſtons de cette eau, afin que ie ſommeille,
Sans eſtre interrompu tant qu’Iſmene m’éueille.

O celeſte douceur ! ah ! gouſt delicieux !
il boit.

O charme qui deſia vient ſurprendre mes yeux !
Aggreables plaiſirs, delices nompareilles,
Qui me donnez repos apres mes longues veilles.

Fin du premier acte.



Il paroiſt vn bois d’arbres touffus, & au deuant des autres eſt vn Myrthe qui les ſurpaſſe en hauteur, & qui a meſme quelque forme d’vne perſonne : & à l’ouuerture du theatre l’on voit vn char parmy les nuës attellez de deux dragons ; & l’on void Endymion & Iſmene dedans.

ACTE DEVZIE’ME.


Scène PREMIERE.

ISMENE, ET ENDYMION dans le char.
ISMENE.


REmarque tous ces lieux que tu n’as iamais veu,
Contemple les beautez dont le Ciel est pourueu :
Iette la veuë en bas, admire ce grand monde,
Et vois comme la terre est vne forme ronde,
Dis vn peu ſi tes yeux ne ſont point ébloüys
De voir de ce haut lieu tant de diuers pays :
Vois le mont de Taurus, voys la Licaonie,
Le fleuve de Melas & toute la Licye.

ENDYMION.

Chere Iſmene, mon cœur gouſte tant de douceurs
Que ie me ſens reuiure ainſi que ie me meurs :
O ! plaisirs nompareils,

ISMENE., faifant arretter le char.

O ! plaisirs nompareils, Noſtre courſe eſt finie,
Il me faut à ce coup quitter ta compagnie,
Voicy le bois ſacré qu’il te faut trauerſer,
Et prends garde du moins de faire renuerſer

Les effets de mon art, fais agir ton courage,
Qu’il paroiſſe en tes yeux comme ſur ton viſage.
Quand tu commenceras d’entrer dedans le bois,
Garde bien d’eſleuer trop clairement ta voix ;
Paſſe tout doucement, & tire ton eſpée,
Fais que ta main en ſoit touſiours bien occupée :
Afin que ſa lueur puiſſe faire fuyr
Des monſtres qu’à l’abord s’en vont éuanoüir :
Tu verras des Dragons, des Hydres, des Viperes,
Des Centaures, des Ours, des Tygres, des chimeres,
Qui te feront fremir d’espouuante & d’horreur,
Mais ne te laiſſe point porter dans la terreur.
Ces fantoſmes ſont vains, vne lame brillante,
Vne moindre clarté leur donne l’épouutante
Et s’eſtant diſparus, tu verras à l’inſtant
Les effets de ce charme.

elle le fait ſortir du char & le meine à l’entrée du bois.
ENDYMION.

Les effets de ce charme. Enfin ie ſuis contant :
Iſmene ſi le Ciel veut m’eſtre fauorable,
Ie diray que ton art n’a rien de comparable.

ISMENE.

Mais ſi quelque malheur t’arriuoit dans ce bois,
Tu n’as qu’à prononcer mon nom deux ou trois fois :
Et ie viendray d’abord dans ce ſeul mot d’Iſmene

Te donner du ſecours,
Elle diſparoit.
ENDYMION

Te donner du ſecours, O ! femme plus qu’humaine ;
Mais ie ne la vois plus, c’eſt maintenant à moy
De preparer mon cœur au plus cruel effroy.

Il voit icy tous les monſtres qu’Iſmene luy a dit.

Dieux ! que vois ie desja, ce peut il que la terre
Souffre de ces Dragons vne ſemblable guerre :
Mais n’apprehendons rien, faiſons luire ce fer,

Afin d’eſpouuanter cette race d’enfer.
I’en vois deſia fuir, ô Dieux quelle foibleſſe !
Armons nous ſeulement d’vn peu de hardieſſe :
Ils quittent tous ces lieux, & fremiſſent de peur,
Par la ſeule clarté de cet Aſtre trompeur,
D’vn fer vn peu brillant ils craignent la lumiere ;
Tous ſe vont retirer dans leur place premiere :
Ils ne paroiſſent plus, ie ſuis hors de danger ;
Mon ame, maintenant il ne faut plus ſonger
Ce que ſignifioient ces viſions funebres :
Attendant que le iour diſſipe les tenebres,
Flechiſſons les genoux parmy ces ſacrez lieux,
Et ſupplions le Ciel qu’il eſcoute nos vœux.
Ha ! Dieux, quel bruit confus vient frapper mes oreilles,[illisible]
Mon cœur gouſte deſia des douceurs nompareilles :
Quoy ne ſeroit ce point quelque commencement
Des effets merueilleux de cet enchantement ?
Mais Dieux ! quel hurlement, quelle horrible tempeſte,[illisible]
Quel foudre, iuſtes Cieux, vient eſcraſer ma teſte ?
Enfin que ferons nous pour noſtre reconfort,
Il nous faut preparer à receuoir la mort.
Ah ! quel enchantement, quelle horrible furie !
Iſmene que ton art eſt plein de tromperie :
Viens donc me ſecourir, comme tu m’as promis,
Dans les extremitez, où tu me vois ſoûmis.
Ha ! bons Dieux ſoubs mes pieds ie ſens trembler la terre.[illisible]
Ie n’attends que la mort par vn coup de tonnerre.
He ! mais quel changement, ie vois tout appaiſer,
Ie n’entends plus de bruit, tout ſe vient diſpoſer
A remettre mes ſens de leur mortelle crainte,
A changer les couleurs dont ma face eſtoit peinte :
Et ie ſens que deſia la douceur des Zephirs
Permettent à mon cœur de pouſſer des ſoupirs ;

Et de reprendre haleine apres tant deſpouuante
Apres tant de malheurs que le deſtin m’inuente :
Ha ! la douce clarté qui me vient eſclairer ;
Courage Endymion, commence d’eſperer :
C’eſt Diane, c’eſt elle… ha ! ie vois ſon viſage,
Cachons nous promptement ſous cet eſpais feuillage.
Ha ! mes ſens, ha ! mes yeux, qu’allez vous deuenir ?

Il ſe cache parmy des feuillages ; cependant Diane vient accompagnée de ces Nymphes, & de quelques chiens : elle s’aſſeoit ſur vne roche vis à vis d’Endymion, ſur qui elle iette la veuë.



Scène DEVXIEME.

DIANE, CHŒVR DE NYMPHES, ENDYMION
DIANE.


MAis vous ne ſçauez pas qui me peut retenir
Auiourdhuy dans ce bois ?

I. NYMPHE.

Auiourdhuy dans ce bois ? Non, c’eſt aſſez Deeſſe,
Que ton plaiſir ſoit tel, ſans qu’aucune s’empreſſe
Dans ſçauoir le ſubiet.

DIANE.

Dans ſçauoir le ſubiet. Ce lien m’eſt ſi charmant,
L’aſpect en eſt ſi doux :

II. NYMPHE

L’aſpect en eſt ſi doux : Ce ruiſſeau ſeulement
Charme tous les eſprits.

DIANE.

Charme tous les eſprits. La chaſſe en eſt tres belle :

I. NYMPHE.

Les Cerfs y receuront vne guerre mortelle,
Puiſque ce lieu te plaiſt.

II. NYMPHE voyant Endymion.

Puiſque ce lieu te plaiſt. Hé ! Deeſſe vois tu
Quel eſt cet inſolent ?… ça qu’il ſoit abbatu
Du premier de mes traits ;

DIANE.

Du premier de mes traits ; Non, non, s’il faut qu’il meure,
Il faut que ce ſoit moy, qui face ſa bleſſure :
Que l’on m’apporte icy l’arc auec le carquois
Que le fils de Venus me donna l’autre fois,
Alors que ie paſſois la foreſt d’Idalie,
Et ie vais tout d’vn coup abattre ſa folie.
Elle luy iette cinq ou ſix fleches de Cupidon
pour tromper les yeux de ſes Nymphes.

ENDYMION., en secret.

Ha ! cruelle Deeſſe, helas rigoureux ſort,
O Nymphes ſans pitié complices de ma mort ;
Que vous faiſoient mes yeux, Nymphes impitoyables,
Pour regarder Diane eſtoient ils ſi coupables
Elle qui me voyoit avec vn œil ſi doux,
N’avait pas fait deſſein de me lancer ces coups.
Mais ô Dieux ! Ie me meurs, ha !

il tombe comme mort
DIANE.

Mais ô Dieux ! Ie me meurs, ha ! Sa trame eſt finie :

II. NYMPHE.

Et voila maintenant ſon audace punie.

Elles ſe retirent.


Scène TROISIEME.

ENDYMION, VNE NYMPHE DE DIANE.
ENDYMION. ſeul touſiours couché.


OGlorieuse mort qui vient d’un coup diuin !
O charmante douleur qui ne prent point de fin !
Ie sens mourir mon cœur d’une mort continuë,
Et qui me fait reuiure alors qu’elle me tuë :
O ! maux pleins de douceurs aymable cruauté,
Aggreable langueur, chere felicité ;
Delicieux tourment, delectable amertume,
Doux feux qui me brulez ſans que ie me conſume !
Que feras tu mon corps percé de tous coſtez ?
Que ferez vous mes yeux n’ayant plus de clartez ?
Ah ! Diane faut il…

NYMPHE cherchant vn chien, elle voit Endymion.

Ah ! Diane faut il… O Licante, Licante,
Hé hé que fais tu là pauure ame languiſſante ?
Souffres tu quelque mal, reſues tu, reſponds moy :
Du moins regarde moy :

ENDYMION.

Du moins regarde moy : Ie ne puis ;

NYMPHE.

Du moins regarde moy : Ie ne puis ; Et pourquoy ?

ENDYMION.

Tu vois bien que mes yeux ſont tout couuers de fleches,
Et que mon pauure corps a plus de mille breches ;
Que ie ſuis tout percé :

NYMPHE.

Que ie ſuis tout percé : Que me dis tu, bons Dieux !
Ie te puis aſſeurer que ton corps, ny tes yeux,
N’ont ny fleches, ny mal : regarde ie t’en prie

Comme ils ſont offencez :
Elle luy ouure les yeux elle meſme.
ENDYMION.

Comme ils ſont offencez : Diuine tromperie !
Et qu’ay ie fais grands Dieux, qui puiſſe meriter
Les coups que iay receus.

NYMPHE.

Les coups que iay receus. Prens garde d’irriter
La Deeſſe, & les Dieux : mais reconnois les graces
Que Diane te fait en quel lieu que tu paſſes :
Et ſçaches qu’au iourd’huy tu t’es mis au hazard,
De receuoir icy plus de cent coups de dard,
Des Nymphes, de long temps à qui Diane meſme
Donne tous ſes pouuoirs par ſa douceur extreme :
Et que les hommes font leurs cruels ennemis
Qu’on en a iamais veu à qui il fut permis
De ioüir vn moment de ſa douce preſence,
Sans que l’on n’ayt bien-toſt puny ſon imprudence :
Vois que pour contenter leur cruelle fureur,
Elle a trompé leurs yeux en te perçant le cœur.

ENDYMION.

Belle Nymphe dis moy, comme quoy la Deeſſe
Me traitte dans ſon ame ?

NYMPHE.

Me traitte dans ſon ame ? Auec plus de tendreſſe
Qu’elle n’en eut iamais pour les autres mortels,
Qui pour ſa gloire ſeule eſleuent des autels :
Ie ne peux aſſeurer qu’elle te favoriſe
Par deſſus les humains auec tant de franchiſe,

Que les Dieux s’eſtonnant de te voir eſtimer
De celle que l’amour n’a iamais peu charmer,
En murmurent entr’eux de connoiſtre qu’elle ayme
Et meſpriſe les Cieux, & la dignité meſme,
Pour te gratifier auec tant de bonté ;
Et tu vas l’accuſant de trop de cruauté ?
Que ne dit elle point vn iour pres du Meandre,
Vers Milet, & Priene, elle nous fit entendre
Le deſſein qu’elle auoit de te fauoriſer,
Et tout ſon entretien ne fuſt qu’à te priſer :
Lors qu’en ſe promenant, voicy, nous diſoit elle,
Le lien d’Endymion de cét amant fidelle :
Mais ie ne le vois plus, où s’eſt il retiré ;
Ce lieu qui autrefois l’auoit tant attiré,
N’a t’il plus ce pouvoir, a t’il quitté la chaſſe ?
Ou bien s’il a receu icy quelque diſgrace ?
Mais, nous dit elle alors ; ie veux vous auertir,
(Ou ie vous le ferois auſſi-toſt reſſentir)
Que lors qu’Endymion d’vne ardeur retenuë
Cherche l’occaſion de ioüir de ma veuë…
Qu’à moins que d’eſprouver le feu de mon courroux,
Il ne reſſente point la rigueur de vos coups.
Elle parle aux Syluains, aux Faunes, aux Nayades,
De tes rares vertus meſmement aux Dryades.
Penſe tu qu’elle meſme ait bien tout le repos
Qu’elle peut ſouhaitter ? voyant qu’à tous propos
La Grece la demande, & tantoſt la Scytie,
L’Armenie, la Crete, & dans l’Æthiopie :
Voit en quelque pays par où ce grand œil luit,
Que Diane ne faſſe vn meſme cours la nuit ?
Mais ie retarde trop, & ie ſuis attenduë ;
Enfin n’eſtant icy long-temps entretenuë,
Ie te veux aduertir que Diane m’a dit

ENDYMION.
ENDYMION.

O Dieux preparons nous d’entendre se recit ;
Que t’a dit ma Deeſſe, ô ! Nymphe incomparable ?

NYMPHE.

Quelque choſe qui doit t’eſtre bien aggreable.

ENDYMION.

Hé bien qu’a t’elle dit ?

NYMPHE.

Hé bien qu’a t’elle dit ? De te perſuader
De la ſeruir touſiours, & de la regarder
Comme celle qui veut te combler de ſes graces,
Autant que tu ſuiuras ſes adorables traces ;
Où les autres mortels n’oſeroient aſpirer :
Tu peux tout obtenir, tu dois tout eſperer.
Si tu veux te tenir demain vers la montagne,
Où Diane n’aura que moy pour ſa compagne,
Elle m’a proteſté de te donner le temps
De la conſiderer comme tu le pretends.
Adieu ie ſuis preſſée : & ne manque pas l’heure
Que Diane t’ordonne.

ENDYMION.

Que Diane t’ordonne. Ha ! que pluſtoſt ie meure,
Auant que negliger vne telle faueur,
Mon ame la ſouhaitte, auecque trop d’ardeur ;
Mais adieu belle Nymphe.

NYMPHE.

Mais adieu belle Nymphe. Adieu le plus aymable
D’entre tous les mortels : Diane eſt excuſable
De te favoriſer ſur tant d’adorateurs. Elle ſe retire.

ENDYMION.

Ceſſe de me traitter de ces diſcours flatteurs.



Scène QVATRIESME.

ENDYMION ſeul.
STANCES.


VAriables deſtins, trompeuſes viſions,
Obſcure ſombre nuit, adorables rayons
D’une diuinité tantoſt inexorable,
Par des coups immortels plus cruels que la mort :
Et celle cy m’a dit pour tout mon reconfort
Que Diane m’eſtoit trop douce & fauorable.

Diane ton pouuoir ne peut il ſurmonter
Ces monſtres de rigeur que tu veux contenter
Par des traits inhumains done i’ay ſenty les pointes ?
Deeſſe tu pouuois m’exempter de ces coups,
Sans aueugler mes yeux en vn moment ſi doux,
Et de forcer ma bouche à te faire des plaintes.

Auray-ie trauerſé les lieux les plus affreux ;
Auray ie ſurmonté des monſtres odieux ;
Pour iouyr vn moment de tes graces diuines ?
Pour contempler encor tes celeſtes beautez,
Mes yeux out veu les fleurs au milieu des clartez,
Mais mon cœur auſſi toſt a ſenty des eſpines.

Diane mes deſirs eſtoient ils indifcrets ?
Venois ie dans ces lieux eſcouter vos ſecrets ?
Pour trauerſer mon cœur de fleches ſi cuiſantes
Ouy Deeſſe, il eſt vray que i’eſtois criminels,
Et que ie meritois vn ſupplice eternels,

 
De venir eſpreuuer des armes ſi puiſſantes,

Arreſtons nous icy, tous mes ſens ſont laſſez ;
Allons nous repoſer apres nos maux paſſez,
Au pied de ce grand Myrthe, où la mouſſe eſt eſpaiſſe,[illisible]
Pour ſouſtenir mon corps qui ſe meurt de foibleſſe.

Il ſe couche au pied du Myrthe, & s’endort.


Scène CINQVIE’ME

STHENOBE’E, ENDYMION couc[illisible]
STHENOBE’E ſeule portant vn couteau à[illisible] la main, cherche quelqu’vn pour luy couper[illisible] vne branche du Myrthe.


Ie vay cherchant quelqu’vn qui veüille icy m’ayder[illisible]
A ce que malgré moy ie luy veux demander :
Tel homme que ie fuis m’eſt icy neceſſaire,
Il me pourroit ſeruir, & ne me ſçauroit plaire,
Car, Diane, tu ſçais que ie ſuis toute à toy,
Et que ie t’ay promis de viure ſous ta loy
Tu ſçais comme pour moy dix mille cœurs ſouſpirent,
Et qu’à me poſſeder vainement ils aſpirent.
Mais la neceſſité me va faire accepter
Quelque main qu’on me viſt autrefois reietter.
Il me faut aſſiſter à certain ſacrifice ;
Et quelqu’un auiourd’hui me rendra cet office,
De me vouloir couper du myrthe que ie vois,
Qui ſurpaſſe en hauteur les arbres de ce bois.
Mais i’apperçois vn homme au pied de ce grand arbre,
Qui ſurpaſſe en beauté les lys, & le cinabre :
Approchons doucement pour voir cet inconnu,

Et ſçachons depuis quand il eſt icy venu.
Avançons… Mais bons Dieux ! ie connois ce viſage,
D’où peut eſtre ſorty ce diuin perſonnage ?
Ha ! Diane, il eſt vray que ie le vis vn iour,
Et malgré mes efforts i’eu pour luy de l’amour :
Mais depuis quelque mois que ie m’en vois abſente,
Iay taſché de bannir cette idée charmante.
Enfin ie m’y forçay quand ie ne le vis plus,
Et que tous mes ſoupirs ſe trouvoient ſuperflus.
Ie me remis enfin deſſous la loy premiere,
Et cependant mon cœur bruſloit pour la derniere.

Endymion ouurant les yeux, considere Sthenobée qui le prie de luy couper vn petit raineau du Myrthe.

Toy, que les Dieux peut-eſtre ont fait venir icy,
Parmy ces bois ſacrez pour m’oſter de ſoucy,
Coupe moy de ce myrthe vne petite branche ;
Et ie te vay donner auſſi toſt en reuanche
Ce cœur tant deſiré, tant de fois pourchassé,
Que iamais à nul homme on ne viſt attaché :
A moins que tu ne sois d’un naturel barbare.

ENDYMION ſe leuant tire ſon eſpée pour luy couper la branche.

Qui te refuſeroit, beauté charmante & rare,
Vn ſervice plus grand ?

STHENOBE’E.

Vn ſervice plus grand ? Attends encor vn peu ;
Car ſi l’an me venoit ſurprendre dans ce lieu,
Ainſi seule auec toy, l’on en pourroit médire ;
Fais donc en me ſeruant tout ce que ie deſire.

ENDYMION.

Ouy, diuine beauté, tu peux me commander.

STENOBE’E.

Encor vne faueur, qu’il me faut accorder :
Auſſi toſt que ta main aura de cette eſpée
Pour ſuiure mon deſſein cette branche coupée,
Il te faut retirer, pour me donner loiſir
De la prendre auſſi toſt :

ENDYMION.
il abbat vn petit rameau.

De la prendre auſſi toſt : Ie ſuiuray ton deſir.
Voilà donc ô beauté ce que tu me demandes :

STENOBE’E.

Trop aymable eſtranger, que tes bontez ſont grandes,
Ie les recognoiſtray.

Tandis qu’elle prend la branche, & ſe retire des hõmes ſortent du bois qui ſaiſiſſent Endymion.

Scène SIXIEME.

ENDYMION, TROVPE D’HOMMES, HERMODAN, DIOPHANIE, changée en myrthe, ESCLAVE.
I. HOMME.


QVel ſacrilege, ô Dieux !

Qui t’a fait attirer la colere des Cieux.
Et qui t’amene icy malheureux & prophane ?
Sçais tu de quelle mort ton crime te condamne ?

II. HOMME.

Campagnons eſcoutez la pitoyable voix,
Dont les triſtes accens font retentir ce bois
Dans le tronc de ce myrthe…

III. HOMME.

Dans le tronc de ce myrthe… O grands Dieux, quel miracle !
Quoy ne ſeroit ce point quelque nouuel oracle ?
Belle ame qui te plains dans ce myrthe nouueau,
Apprens nous quel deſtin t’a mis en ce tombeau,
Au nom de tous les Dieux :

DIOPHANIE metamorphosée en myrthe.

Au nom de tous les Dieux : Ha ! cruelle fortune,
Enfin me ſeras tu deſormais importune ?
Toy malheureux, qui viens pour troubler mon repos,
Qui t’auoit fait venir ainſi mal à propos,
Pour venir m’attaquer deſſous ce nouuel eſtre,
Où iamais les humains ne m’auroient peu conneſtre ?
Quels maux, & quels tourmens n’auois ie point ſouffers ?
Ceux que i’ay creu perdus, les ay ie recouuers ?
Grands Dieux, que vous a fait cette Diophanie,
Qui croyoit que ſa peine eſtoit enfin bannie ?
Helas ! cruels deſtins.

HERMODAN, ſe iettant au pied du myrthe.

Helas ! cruels deſtins. O Dieux, qu’ay ie entendu ?
Voicy donc le treſor que mon cœur a perdu :
Ha ! ma Diophanie, helas ie t’ay perduë,
Puis que dans c’ét eſtat tu m’es enfin renduë :
Quoy le plus bel ouurage, & le mieux acheué
Que les Dieux euſſent fait, eſt ainſi retrouué ?
Adorable ſubjet reçois encor mon ame,
Soubs cette triſte eſcorce où ie t’offre ma flamme.
Incomparable obiet, eſt-ce dans ces eſtat

Que ie revois ce corps, dont le diuin eſclat
Auoit rauis les Dieux auſſi bien que les hommes ?
Enfin ce peut il bien, que le bois ou nous ſommes,
Ait bien peu me cacher ſi long-temps ce treſor ;
Que me le faiſant voir il le retienne encor ?
Beaux yeux qui me bruſliez, & me bruſlez ſans ceſſe, [illisible]
Beauté que i’adorois, & qui touſiours me bleſſe :
Helas ! ne vois tu pas ce malheureux amant,
Que tu ſçeus autrefois charmer ſi doucement.
Parle moy donc encor, incomparable bouche,
Et ne te caches plus ſous cette triſte ſouche.

I. HOMME

Quel prodige nouveau ! ce malheureux berger
Va mourir en ces lieux :

III. HOMME

Va mourir en ces lieux : Il le faut ſouſlager.
Viens berger, leue toy, raconte nous de grace.
Quel accident te fait mourir en cette place.

HERMODAN

Helas ie ne ſçaurois ; cet homme mieux que moy
Vous dira le ſubiet.

ESCLAVE.

Vous dira le ſubiet. Hermodan leue toy,
Nous irons hors d’icy raconter cette hiſtoire,
Sans luy renouueller la cruelle memoire
Des maux qu’elle a ſouffers :

HERMODAN.

Des maux qu’elle a ſouffers : Non, allez ſeulement ;
Ie veux finir icy l’exces de mon tourment :
Ie luy veux immoler le reſte de ma vie,
Car il m’est impoſſible…

ESCLAVE.

Car il m’est impoſſible… Ha ! non, perds cette enuie :

Allons cher Hermodan, ie ne te quitte pas,
En quel lieu que tu ſois ie veux ſuivre tes pas :
Vien donc, ie t’en ſupplie.

HERMODAN.

Vien donc, ie t’en ſupplie. Hé bien ie te proteſte.
D’abondonner ce myrthe aggreable & funeſte,
Lors que i’auray rendu par des pleurs & des cris,
Ce que mon amour doit à des beautez ſans prix :
Puiſque c’eſt maintenant ce que ie puis luy rendre.

L’ESCLAVE.

C’eſt inutilement que l’on le veut attendre.

III. HOMME.

Menons en attendant ce ieune homme en priſon,
Pour auoir de ſon crime vn entiere raiſon



Scène SEPTIE’ME.

HERMODAN ſeul au pied du Myrthe.
STANCES.


OBiet pitoyable & charmant,
Malgré l’eſcorce qui te cache,
Ouure moy beau ſubiet ce ſacré monument,
Auſſi bien mon ame ſe fâche
De viure ſi long-temps ne voyant plus ces yeux,
Qui furent autrefois mes Soleils, & mes Dieux.

Aymables & triſtes cheueux
Que ie vois changez en feuillage ;
Beau front, troſne viuant, où i’addreſſois mes vœux,

Beaux yeux ; adorable viſage,
Toy, bouche, dont amour fit ſortir autrefois
L’oracle qui predit l’heur dort ie iouyſſois.

Helas ſouffrez, triſtes ramaux,
Souffrez que cette voix diuine
Se faſſe entendre encor pour alleger mes maux ;
Ou que mon corps prenne racine
Au pied de ce beau Myrthe où ſont tous mes deſirs,
Lors vous verrez ceſſer mes pleurs, & mes ſoupirs.

Mais c’en eſt fait, ie n’entends plus
Sa voix ſi douce & ſi charmante ;
Mes cris & mes regrets ſe trouuent ſuperflus,
C’eſt en vain que ie me tourmente :
Mais ayant arrouſé ce Myrthe de nos pleurs,
Arrouſons le de ſang pour finir nos malheurs.

En attendant qu’il ſe met en deuoir de chercher vn fer, l’Acte finit.

Fin du ſecond Acte.



Au fond de theatre eſt la face du palais de Thymoetes, auec vne gallerie appuyée ſur des colonnes de iaſpes ; & au deuant du palais vn iardin auec quantité de pins & de cypres de chaque coſté du theatre : & au milieu des parterres de fleurs. Thymoetes & ſes Miniſtres ſortent du palais, & entrent dans le iardins.

ACTE TROISIE’ME.


Scène PREMIERE.

THYMŒTES, STHENOBE’E, ADMON, PYRIDOR, ESCLAVE.
THYMŒTES.


ENfin que dites vous de ce beau personnage ?
Avez vous remarqué dans l’air de ſon viſage
Vne ieune fierté meſlée de douceur,
Qui fait voir dans ſes yeux la grandeur de ſon cœur.

PYRIDOR.

Son langage eſt charmant autant que ſa perſonne.

STENOBE’E

Et luy fait meriter ce cœur que ie luy donne.

THYMŒTES.

Il s’accuſe du crime, & s’en croit innocent,
Puiſqu’il y fuſt pouſſé par vn charme puiſſant :
Vne femme diuine en beauté ſans egale
L’a contraint à couper cette branche fatale.
Mais enfin, mes amis, ne le trouuez vous pas
Digne d’eſtre immolé ?

ADMON.

Digne d’eſtre immolé ? Ce glorieux trépas

Ne doit appartenir qu’à des ames ſi belles,
Comme eſt cét eſtranger, dont les vertus ſont telles
Qu’on le doit bien iuger, par deſſus les mortels,
Digne d’eſtre immolé ſur nos ſacrez autels.

THYMŒTES.

Allons tous de ce pas conſulter les oracles
Pour ſçauoir ſi les Dieux…



Scène DEUXIEME.

CLINDOR, THYMŒTES, ADMON,[illisible] PYRIDOR, STHENOBE’E.
CLINDOR.


VOila deux beaux miracles !


THYMŒTES.

Mais d’où viens tu Clindor remply d’eſtonnement ?
Qui trouble tes eſprits ?

CLINDOR.

Qui trouble tes eſprits ? Attendez vn moment,
Apres ce que i’ay veu, laiſſez moy prendre haleine,
Que ie puiſſe parler auecque moins de peine.

THYMŒTES.

Clindor, apprends nous donc ce que toy ſeul a veu :

CLINDOR.

Ce prodige inouy rend mon ſang tout eſmeu.
Enſin vous ſçauez tous qu’en la foreſt ſacrée,
Où ce Myrthe nouueau paroit droit à l’entrée ;
Ce pauvre infortuné que nous auons laiſſé

En terre, vers ce tronc, qu’il tenoit embraſſé :
Après l’avoir long-temps arrouſé de ſes larmes,
Sa douleur l’a contraint à prendre d’autres armes.
Ie me ſuis approché connoiſſant ſon deſſein,
En ſaiſiſſant le fer qu’il portoit dans ſon ſein :
Il a fait ſes efforts pour me le faire rendre,
Mais i’ay ſceu contre luy doucement me deffendre :
Ayant caché ce fer, i’ay fait tout mon pouuoir
Pour taſcher d’arreſter son cruel deſeſpoir :
Et ie le prie en vain, la fureur le transporte,
Rien ne peut l’adoucir, à tout coup il s’emporte,
Ie l’ay quitté pourtant, en l’ayant deſarmé
De ce fer, qui pour luy m’auoit tant allarmé :
Il m’apelle meſchant, cruel, impitoyable,
De vouloir prolonger ſon deſtin miſerable :
Dans ce torrent de maux ie le laiſſe crier,
Malgré tous ſes tourmens, il a beau me prier,
Ie l’ay laiſſé tout ſeul dans ces dures atteintes,
Qui faiſoient retentir la foreſt de ſes plaintes :
Sçachant le deſeſpoir où ſe porte l’amour,
Ie l’ay voulu reuoir dans ce triſte ſejour :
Mais qu’ay ie veu, bons Dieux ! au lieu du perſonnage,
I’ay veu touchant le Myrthe vn Olivier ſauuage :
Apres tant de langueurs ſes voeux ſont exaucez,
Il a tarit ſes pleurs, ſes tourmens ſont paſſez :
Ces rameaux vont ioignant ceux la de ſon amante,
Qui peut faire iuger combien elle eſt contente
De voir ce cher Berger.

ESCLAVE.

De voir ce cher Berger. O merueille des Dieux !
Trop heureux Hermodan, pouvois tu iamais mieux
Te rencontrer ?

ADMON.

Te rencontrer ? Amy, raconte nous l’hiſtoire,
Comme tu nous promis.

ESCLAVE.

Comme tu nous promis. Helas, triſte memoire,
Faut il renouueller de ſi cruels malheurs,
Que ie ne diray point ſans reſpandre des pleurs ?

THYMŒTES.

Mon fils, pour contenter toute la compagnie,
Commence :

ESCLAVE.

Commence : Chacun ſçait comme Diophanie
Fut auant ſon malheur la plus rare beauté,
Qui puiſſe à tous les cœurs oſter la liberté :
Tout cedoit à l’abord d’une telle merueille,
Qui fuſt comme en beautez en rigeur ſans pareille :
Dés ſes plus ieunes ans, à l’imitation
De celles de ſon âge, elle prit paſſion
De garder les troupeaux, & trouuoit ſes delices
Et ſes contentements dedans ces exercices.
Parmy tous les bergers qui luy furent connus,
Qui pres d’elle en ces lieux furent les mieux venus ;
Ce fuſt cet Hermodan, qui depuis leur enfance
Euſt de ſes amitiez entiere iouyſſance :
Mais connoiſſant enfin leurs charmes tous puiſſans,
Amour bleſſe d’vn trait ces deux cœurs innocens :
Car enfin s’ils eſtoient les plus parfaits du monde,
Ils s’aymerent auſſi d’vne amour ſans ſeconde :
Mais au point qu’Hermodan ſe croyoit plus heureux,
C’eſt lors que le deſtin luy fut plus rigoureux.
Vne beauté ſi rare eſtoit trop admirée,
Pour demeurer long-temps ſans ſe voir adorée,
L’on voyoit mille amans mourir pour ſes beaux yeux,

Et le ſeul Hermodan eſtoit victorieux.
Amphidamas fuſt l’vn des plus conſiderables,
Et ſe viſt à la fin vn des plus miſerables :
Son pere la preſſoit pour cet illuſtre amant ;
Mais elle fuſt rebelle à ſon commandement.
C’eſt en vain toutefois qu’elle s’en veut deffendre,
Son pere avoit deſſein pour vn ſi puiſſant Gendre :
Enfin il voulut tant vſer d’authorité,
Qu’il en a fait perir cette extreme beauté :
Feignant de s’accorder au vouloir de ſon pere,
Quant elle le voyoit emporté de cholere :
Elle luy proteſta de les rendre contens,
Pourueu qu’on luy donna cinq ou ſix iours de temps.
On luy donne ce temps avec beaucoup de ioye,
Mais c’eſtoit luy donner le chemin & la voye
Qui leur deuoit couſter tant d’ennuis & de pleurs ;
Puiſque les Dieux touchez de ſes viues douleurs,
Permirent que dans peut cette beanté diuine
Vit couurir ſon beau corps d’vne dure racine.
On la cherche par tout apres cet accidant,
Puiſque pas vn de nous, ny le pauvre Hermodant,
En ne la voyant plus n’euſt iamais le penſée
Que les Dieux pour touſiours l’euſſent ainſi placée :
Nous cherchậmes bien loing ce qui fuſt pres de nous,
Et ſi cét eſtranger n’euſt encor parmy vous
D’vne main ſacrilege abbatu ce feuillage,
Son Pere l’auroit fait rechercher dauantage.
Mais allons informer ce pere malheureux
Quel accident cauſa ſon deſſein rigoureux.

THYMŒTES.

Dieux ! le triſte recit, quelle eſtrange nouuelle
Apprendra Licaſpis, pere de cette belle.
Mais allons maintenant pourſuiure nos deſſeins,

Puiſqu’ils ſont pour les Dieux tous pieux & tous[illisible] ſaincts.
Allons leur demander ſi la belle victime,
Pour qui chacun de nous a tant pris de l’eſtime,
Leur doit eſtre immolée en ce jour folemnel ?

PYRIDOR.

Comme on eſt aſſeuré qu’il n’eſt pas criminel,
Ainſi qu’on le croyoit ; ſi c’eſt par la priere
D’une Diuinité…

STHENOBE’E en ſecret.

D’une Dininité… I’en ſuis la meurtriere,
C’eſtoit pour m’obeyr

THYMŒTES.

C’eſtoit pour m’obeyr Mes amis, il eſt temps
De porter iuſqu’au Ciel par des cris eſclattans
Nos deſirs & nos vœux, afin que la Deeſſe
Reçoiue la victime où le peuple s’empreſſe.


Ils s’en vont tous : Sthenobée demeure seule.


Scène TROISIEME.

STHENOBE’E ſeule.


QVe ſont deuenus tes plaiſirs ?

Que ſignifient tes ſoûpirs,
O criminelle Sthenobée !
En quel malheur es tu tombée ?
Amour te tiendra deſormais,
Puis qu’il ſe gliſſe dans ton ame,
Il y va produire vne flame
Sans qu’elle s’eſteigne iamais,

Impitoyable & dure loy,
Lorsque ie me rangeay ſous toy,
Tu me deuois du moins promettre,
Qu’en l’eſtat où ie m’allois mettre
Rien ne pourroit toucher ce cœur,
Qu’il ſeroit touſiours inflexible,
Qu’on ne le verroit point ſenſible
Aux traits de ce petit vainqueur.

Lors qu’à cette diuinité
Ie voüay ma virginité
En voulant ſuiure ſon exemple :
Ie le fus iurer dans ſon temple :
Mais Diane ne me dit pas
Qu’Amour viendroit dans l’Albanie,
Pour vſer de ſa tyrannie,
Et me vaincre par tant d’appas.

Que cet Eſclaue en eſt pourueu,
Il faudroit ne l’auoir point veu,
Pour ne pas reſſentir ſes charmes,
Et ne pas luy rendre les armes :
Les effors que mon cœur a fait
Pour reſiſter à ſes merites,
Ont eu des forces trop petites,
Et l’obiet eſtoit trop parfait.

Mais que devons nous eſperer,
A quoy nous ſert de ſouſpirer ?
Ce ſubiet qui cauſe mon crime,
Sera l’innocente victime
Qui ſe doit bientoſt immoler :
Vne Deeſſe impitoyable,

Pour rendre mon amour coulpable,
Me le vient auiourdhuy voler.

Que mon deſtin eſt rigoureux !
S’il faut que ce cœur amoureux
Reſſente vn ſi cruel deſaſtre,
De voir eclipſer ce bel Aſtre
Au milieu de ſon beau printemps,
Ce parfait miracle des hommes !
Ie vois bien qu’au ſiecle où nous ſommes,
Les immortels ſont inconſtans.

Grands Dieux pourquoy me faites vous
Reſſentir ſes aymables coups,
Pour le rauir à la meſme heure ?
Pourquoy permettez vous qu’il meure ?
Eſt-ce pour punir mon amour
Qu’il faut faire ce ſacrifice ?
Faut-il qu’Endymion periſſe
En ce triſte & funeſte iour ?

Diane, s’il le faut ainſi,
Permets que ie m’immole auſſi,
Et pour contenter ton enuie
Tu receuras encor ma vie,
Et tu verras finir alors
L’excés de ma flamme amoureuſe,
Qui te ſemble trop odieuſe,
Et doit meriter tant de morts.



Scène QVATRIE’ME.

ALCIONNE’E, STHENOBE’E
ALCIONE’E ſurprenant Sthenobée.


SThenobée, il eſt vray, tu te fais violence,
Et tu ſouffres bien plus par ce profond ſilence :
Apprens moy donc ton mal, puis qu’il m’eſt important,
Il pourra s’addoucir en me le racontant :
Mais ſi ie te diſois quelle en eſt ma pensée,
Des maux qui maintenant te tiennent oppreſſée,
M’aduoüerois tu bien quel en eſt le ſubiet ?

STHENOBE’E.

Ouy ! ie t’aduoüeray quel eſt ce triſte obiet,
Digne de ma pitié, comme il eſt de ma flamme.

ALCIONE’E.

Cet eſclave eſtranger a captiué ton ame :

STHENOBE’E.

C’eſt luy,

ALCIONE’E.

C’eſt luy, Ie m’en doutois, & tu me l’as caché ?

STHENOBE’E.

Ne t’en eſtonnes plus ; c’eſt que i’auois taſché
De bannir de mon cœur la flamme criminelle ;
Et mon cruel deſtin la veut rendre eternelle :
Seuere & ſacré vœu qui cauſe mon tourmant,
Qui me fait deſirer & refuſer l’amant !
Inſupportable loy qui me tient engagée,
Où malgré mon amour ie me ſens obligée !
Mais c’eſt en vain, Diane, il faut que malgré moy,
Ie briſe le ſerment de viure ſous ta loy.

ALCIONNE’E.

Aymable Sthenobée, à quoy bon tant de plaintes ?
Et puis qu’enfin l’amour t’a donné des attaintes,
Puiſque ton chaſte cœur a malgré tes efforts
Flechy deſſous les loix qui cauſent tes remors,
Vn ſi digne ſubiet te peut rendre excuſable,
Ses merites rendront ton amour pardonnable.
Mais ie m’eſtonne encor, que ce bel inconnu,
Depuis quelques momens qu’il eſt icy venu,
Ait peu charmer ton cœur auec tant d’avantage ?

STHENOBE’E.

Helas ! tu t’es trompée en tenant ce langage ;
Ie le vis vne fois au temple de Venus,
Et d’autres auec luy qui m’eſtoient inconnus :
Rien ne me plûst que luy ; mais il me pleuſt de ſorte,[illisible]
Que la premiere loy ne fuſt pas aſſez forte
Pour reſiſter aux coups d’vn vainqueur ſi parfait,
Tout l’effort que ie fis ſe trouua ſans effet.
Ie luy parlay touſiours pendant quelques iournées,
Qui pour ſacriffier nous furent ordonnées :
Enfin il paroiſſoit ſi charmant à mes yeux,
Que mon cœur auſſi toſt en conceut ces beaux feux.
Pour luy, ie ne ſçay pas quelle eſtoit ſa pensée ?
Ie ne ſçay ſi pour moy ſon ame fuſt bleſſée ?
Quoy qu’il me teſmoignaſt beaucoup d’empreſſement,
Il me traittoit touſiours fort ſerieuſement,
Par des certains reſpects remplis d’indifference,
Qui banniſſoit d’abord ma plus douce eſperance :
Et s’eſtendoit touſiours ſur ce peu de beauté,
Qui ne pût neantmoins rauir ſa liberté :
Car bien qu’il ſouſpiraſt eſtant à ma preſence,
Ie remarquois en luy beaucoup d’impatience :
Ie n’eſtois pas touſiours l’obiet de ſes regards,

Et ſes yeux vagabonds alloient de toutes parts :
Ils s’eſleuoient aux Cieux d’vne ardeur ſuppliante,
Encor que ie luy fuſſe inceſſammant preſante :
C’eſt le ſujet pourquoy l’on ne peut ignorer,
Que quelqu’autre que moy le faiſoit ſouſpirer.
Et ſi cette raiſon ne fuſt pas bien puiſſante
Pour bannir de mon cœur cette flamme naiſſante ;
Encor qu’il ſoit certain qu’il ne m’hayſſoit pas,
Si crois-ie qu’il bruſloit pour des autres appas.
Et bien qu’il teſmoignaſt quand nous nous ſeparâmes.
D’avoir quelque regret lors que nous le quittâmes ;
I’ay bien veu du depuis ſon peu d’affection,

ALCIONNE’E.

Quoy ! tu pourrois douter qu’il n’euſt de paſſion
Pour des attraits ſi doux, pour des ſi puiſſans charmes,
A qui meſme les Dieux pourroient rendre les armes ?
Quitte cette penſée ; & croy que tes beaux yeux,
Pour ſe faire adorer, font courir en tous lieux :
Qui l’auroit fait venir aux bois de l’Albanie,
Pour des Albaniens ſentir la tyrannie ;
Que pour voir les beautez qui le ſçeurent charmer ?

STHENOBE’E.

Ha ! chere Alcionnée, à quoy me ſert d’aymer
Cet aymable ſubiet ?

ALCIONNE’E.

Cet aymable ſubiet ? Et quel nouuel obſtacle ?

STHENOBE’E.

Quoy mes yeux verrez vous vn ſi cruel ſpectacle ?
Grands Dieux pourrez vous voir ſur vos ſacrez autels
Immoler auiourd’huy le plus beau des mortels ?

ALCIONNE’E.

Quoy ! l’on doit l’immoler ; en es tu bien certaine ?

STENOBE’E.

Ie ne le ſçais pas bien, mais i’en ſouffre vne peine
Qu’on ne peut exprimer.

ALCIONNE’E.

Qu’on ne peut exprimer. Mais en a-t’on parlé ?
Qui le dit Sthenobée ?

STENOBE’E.

Qui le dit Sthenobée ? Helas ! ils ſont allé
Pour conſulter l’Oracle.

ALCIONNE’E.

Pour conſulter l’Oracle. O Dieux ! est il poſſible ?[illisible]
Non, il faudroit auoir vn cœur trop inſenſible
Pour reſpandre à ce iour le ſang d’vn Demy-dieu ;
Ma chere Sthenobée oſtons nous de ce lieu,
Et ſçachons s’il eſt vray qu’il faille qu’il periſſe
Empeſchons s’il ſe peut ce cruel ſacrifice.

STENOBE’E.

Helas veuillent les Dieux ruiner le deſſein
Que nos Preſtres ont pris, quoy qu’il ſoit iuſte & ſaint.[illisible]

Fin du troiſiéme Acte.



Le palais de Thymœtes paroit auec quantité colomnes, & au milieu de la ſalle du palais vne[illisible] table couverte d’vn beau tapis, où l’on met deſſus[illisible] les corbeilles de fleurs, & les vazes d’or, ou d’autres metaux, le tout pour le ſacrifice d’Endymion[illisible] qui paroiſt ſeul au milieu de la ſalle chargé de chaiſnes d’or, & d’argent.

ACTE QVATRIE’EME


Scène PREMIERE.

ENDYMION chargé de chaiſnes aux mains & aux pieds.


DIane, maintenant ſeras tu ſatiſfaicte ?
Ou bien ſi ta vengeance eſt encor imparfaite,
Eſt-ce pour prix de mes travaux ?
Eſt-ce ainſi que tu veux recompenſer mes peines ?
Eſt-ce pour alleger mes maux,
Que l’on m’a chargé de ces chaiſnes ;
Ne m’inuente-t’on point quelques tourmens nouueaux ?

Ne finira-t’on point ma malheureuſe trame ?
Ingrate Deité, tu ſçais bien que mon ame
Languiſſoit deſia ſous tes fers :
Mais encor que les tiens ne ſont pas ſi viſibles,
Les maux que mon cœur a ſouffers,
Font bien voir qu’ils ſont plus ſenſibles,
Que ceux cy dont mes mains, & mes pieds ſõt couuerts.

Deeſſe, c’eſt ainſi que l’on me gratiffie,
Si bien que ceſt en vain que mon amour ſe fie

D’eſtre recompencée vn iour.
Eſt-ce de mes langueurs vne ſuitte infinie ?
Eſtant dans ce cruel ſeiour
Exposé ſous la tyrannie
D’un peuple ſans pitié, barbare, & ſans amours ?

L’on en veut à mes iours : & quoy qu’on me le cache,[illisible]
Si ie ſuis la victime, il faut que ie le ſçache :
Ils font tous leurs preparatifs ;
Et meſme leurs diſcours me donnent connoiſſance,
Que ie ſuis celuy des captifs,
Qui doit perir ſoubs leur puiſſance ;
Et ſi de me le dire ils ſont encor craintifs.

Mais, Deeſſe, apprends moy la cauſe de mon crime
Pour voir ſi ton courroux peut eſtre legitimne :
Ha ! c’eſt toy, ſacrilege main,
Qui pour trop obeyr ma rendu ſi coulpable :
Pour m’eſtre rendu trop humain
A cet obiet incomparable,
Pour lequel i’ai coupé ce Myrthe ſi ſoudain.

Mais que vois ie venir, c’eſt luy ; ce ſont mes maiſtres
Le Sacrificateur, auec ſes autres Preſtres.


Scène DEVXIEME.

THYMŒTES, PYRIDOR, ADMON, Miniſtres de Thymœtes, ENDYMION.

Vn Eſclaue portant vn vaze d’eau luſtrale, dont Thymœtes iette vne rosée ſur Endymion auec vne profonde reuerence.

THYMŒTES.


ENdymion reçois ce premier appareil,
Puiſque tu paroiſtras comme vn autre ſoleil,
Lors que nous le verrons au bout de ſa carriere
Cacher deſſous la mer ſa celeſte lumiere ;
Ainſi que l’on verra cet autre Aſtre qui luit,
Pour chaſſer en tous lieux les ombres de la nuit ;
Enfin cette Deeſſe, & ſi grande, & ſi belle,
Dont on fait auiourd’huy la feſte ſolemnelle,
Deſire que bien-toſt tu luy ſois immolé,
Sçachant que pour les Dieux ton cœur eſt ſi zelé :
Les Oracles l’ont dit, & la Deeſſe meſme
Teſmoigne d’en avoir vn deſir tout extreme.
Enfin Endymion, tu vois bien que les Dieux
Te vont faire ſans doute habitant dans les Cieux :
L’on voit bien que la terre eſt du tout incapable
De porter ſi long-temps vn homme incomparable :
Les Dieux t’en retirant, pour te favoriſer,
Font voir qu’ils n’ont deſſein qu’à t’immortalizer.

ADMON aux autres.

Ha ! que vois-ie bons Dieux ! quel genereux courage !
Il apprend cet arreſt ſans changer de viſage.

THYMŒTES.

Courage Endymion, prepare ce grand cœur,
Sans accuſer les Dieux d’avoir trop de rigueur :
Offre leur ta belle ame.

ENDYMION.

Offre leur ta belle ame. Il n’eſt pas neceſſaire
De m’inſtruire en cela de ce que ie dois faire :
O ! l’aggreable arreſt, la ſouhaittable mort,
Ne dois-ie pas benir la douceur de mon ſort ?
Enfin c’eſt pour Diane, mort chere & glorieuſe,
Qui ſur toutes les morts ſera victorieuſe :
C’eſt donc pour ma Deeſſe ? eſt il rien de ſi doux
Que de mourir pour elle, & d’en ſentir les coups ?
Aiguiſez vos couſteaux, allez en diligence,
I’attendray ce moment auec impatience :
Loing de l’apprehender, i’en adore l’autheur,
Ie vous le dis encor, grand Sacrificateur,
Puiſque c’eſt pour Diane…

THYMŒTES.
.

Puiſque c’eſt pour Diane… Ouy, mon fils, ceſt pour elle,
C’eſt elle qui l’ordonne :

ENDYMION.

C’eſt elle qui l’ordonne : Ha ! l’aymable nouvelle :
Et puis qu’il faut mourir, Allons, i’en ſuis contant,
Ie receuray le coup d’un cœur ferme & conſtant.
Mais ſi de m’immoler vous avez repugnance,
Comme ie le connois à voſtre contenance,
Si vous apprehendez d’accomplir ce deſſein,
Vous me verrez plonger le couſteau dans mon ſein.
Quoy vous verſez des pleurs ? & moy ie meurs d’enuie

D’arriuer ſur l’autel pour y finir ma vie.
Ie n’ay plus de deſirs que pour ce doux trépas ;
Et l’on me déplairoit de ne m’y mener pas.
Enfin me voicy prest, mettez ordre au ſeruice,
Allez donc promptement preparer mon ſupplice.

THYMŒTES.

Ton ſupplice, mon fils, n’a rien de rigoureux,
Il ſera trouué doux par vn cœur genereux :

ENDYMION.

Puiſque c’eſt pour les Dieux que l’on me ſacrifie,
Il faut auec raison que ie m’en glorifie,

THYMŒTES.

Ouy les Dieux t’on choiſi par deſſus les humains,
Nous te tenons icy de leurs diuines mains :
Car il eſt vray, mon fils, que ce ſont nos maximes,
De n’immoler iamais que d’illustres victimes.
Tu te dois croire heureux d’eſtre mis de ce rang,
Et baiſer le couteau qui doit t’ouurir le flanc.

ENDYMION.

Thymœtes c’eſt aſſez, i’en reçois de la gloire,
Et du contentement plus qu’on ne le peut croire :
Allez, mes chers amis, courez, qu’attendez vous !
Voyez que ie ſuis preſt, preparez vous donc tous :
Faites vos appareils, puiſque voicy l’hoſtie,
Contente, & meſme preſte, auſſi-toſt qu’aduertie.

THYMŒTES embraſſant Endymion.

O ! cœur trop genereux, plus celeſte qu’humain,
Miracle des mortels ! faudra-t’il que ma main
Plonge dans ce grand cœur la lame meurtriere ?

ENDYMION.

Non, non, ne craignez rien, ma conſtance eſt entiere :
Vous me verrez plus preſt à receuoir le coup,
Que vous à le donner.

THYMŒTES en s’en allant avec ſa troupe.

Que vous à le donner. Ha ! mon fils, c’eſt beaucoup.



Scène TROISIEME.

ENDYMION ſeul.
STANCES.


Ce qu’on m’auoit predit n’est que trop veritable :[illisible]
Tu l’as donc ordonné, Deeſſe variable ;
Que ie ſois immolé pour ce iour ſolennel ?
Ouy, ie mourray, Diane, & ſans ſçavoir mon crime
I’irai ſur ton autel pour eſtre ta victime,
Et répandre mon ſang pour eſtre criminel.

Nous murmurons mon cœur, cet arrêt nous eſtonne,[illisible]
Et Diane le veut, c’eſt elle qui l’ordonne,
Vois qu’elle en eſt le iuge, & qu’il faut obeyr :
Que tu le ſçeus hier d’vne bouche mortelle,
C’eſt pourquoy maintenant l’agreable nouuelle
De cet arreſt de mort te doit bien réiouir.

Mourons, Endymion, ſans faire reſiſtance ;
Et monstrons à la mort vn cœur plein de constance :[illisible]
Ouy, Diane, auiourd’huy tu verras ton autel,
Pour contenter tes yeux, & pour te ſatisfaire,
Rougir de toutes parts ; puiſque c’eſt pour te plaire
Que tu veux voir le ſang d’vn malheureux mortel.

Mais, Diane, c’eſt trop, tu me combles de gloire,[illisible]
Et i’oſe murmurer d’vne telle victoire ;

C’eſt toy qui veux ma mort, ie ne diſpute plus :
Deeſſe, i’y conſens, mon ame ſe diſpoſe
A mourir pour l’honneur d’une ſi belle choſes ;
Ie ſerois criminel d’en faire le refus.

Mais i’entends Sthenobée auec ſa compagnie,
Cette rare beauté, l’honneur de l’Albanie,
Ha ! bons Dieux ! ie la vois en un bel appareil,
Eſcoutons les diſcours de ce brillant Soleil :
Cachons nous en vn coin.

Il ſe cache derriere vne colomne.


Scène QVATRIEME.

STHENOBE’E, CHŒVR DE FILLES.
STHENOBE’E.

HElas que puis ie faire ?
Où ſera mon recours, puiſque tout m’eſt contraire ?
Les Oracles l’ont dit, les Dieux l’ont ordonné,
S’en eſt fait, il eſt mort, puis qu’il eſt condamné,
Te verray ie finir, iour pompeux & funeste ?
Il faut que malgré moy ſans fin ie te deteſte :
Ne t’en eſtonnes pas, Deeſſe, ta rigueur
Malgré tous mes deuoirs fait murmurer mon cœur.

ALCIONNE’E.

Quelle feſte eſt cecy ? quelle reſiouyſſance ?
L’on ne voir que des pleurs, pas vn n’a l’aſſeurance,
Quoy que du ſacrifice ils prennent tous les ſoings

A diſpoſer leurs yeux d’aller eſtre teſmoins,
Au pied de cet autel, d’vn ſpectacle ſi triſte ;
Leur devoir le veut bien, mais la pitié reſiſte ?
Ha ! Deeſſe, bannis ce cruel attentat,
Qui met tout ce triomphe en vn lugubre eſtat :
Permets que quelque biche, ou bien vne geniſſe,
Sur l’autel où tu veux qu’Endymion finiſſe,
Eſpargne de ſon ſang celuy d’Endymion ;

STHENOBE’E.

Ha ! tu ſerois deceuë en cette opinion.
Il faut croire pluſtoſt que Diane ſe haſte
D’arriver au moment dont ſa rigueur ſe flatte.
Mais cherchons la victime, & malgré nos douleurs,
Mettons deſſus ſon chef la couronne de fleurs ;
Et le bandeau de pourpre, & donnons luy des larmes,
Puiſque pour le ſauuer ie n’ay point d’autres armes.



Scène CINQVIE’ME.

ENDYMION, STHENOBE’E, CHOEVR DE FILLES.
ENDYMION paroiſſsant.


HEureux Endymion ! ô iour trop doux pour moy
D’eſtre plaint de la ſorte !

STHENOBE’E.

D’eſtre plaint de la ſorte. Viens donc approche toy,
Aymable Endymion, ſi ie fais cet office,
Sçaches que de ta mort ie ne ſuis point complice :
Auec combien de pleurs, auec quel deſeſpoir,

Me ſuis ie reſoluë à ce triſte deuoir ?
Que ne puis ie eſpargner ta vie par la mienne ;
Mais la loy ne peut pas ſouffrir que ie l’obtienne.
Enfin pour m’obeyr tu te vis arreſté,
Par les Albaniens tu t’es veu mal traité :
Tu te vois priſonnier & tout chargé de chaiſnes,
Et ſi ie ne ſuis pas la cauſe de tes peines :
Car ſans doute les Dieux ont voulu te choiſir,
Te voyant ſi parfait, ſi propre à leur deſir,
Pour leur eſtre immolé, comme châcun le penſe ;
Quand ie te reſeruois vne autre recompence,
Ainſi que ie deuois.

ENDYMION.

Ainſi que ie deuais. Non, aymable beauté,
Ie ſeray ſatisfait dans ma captiuité,
Comme ie meurs content, puiſque c’eſt pour Diane,
Que c’eſt vn iuſte arreſt, puiſque tout m’y condamne :
Et meſme en te ſeruant i’eſtois trop glorieux,
I’aurois trouué mon ſort plus doux que rigoureux,
De n’auoir que des fers pour prix de mon ſeruice ;
Ne ne parles donc plus de ce petit office :
Il eſt par trop payé de ce torrent de pleurs,
Ie vois que mon trépas n’aura que des douceurs.
Mais ſeche tes beaux yeux, obiet diuin & rare,
Et ne t’oppoſes plus à ce qu’on me prepare :
Puiſque pour l’empeſcher tu combas vainement,
Non, c’eſt verſer des pleurs trop inutilement.

STHENOBE’E.

Tu meſpriſes ainſi le bien que ie t’enuie ?
Doncques ma volonté ſera ſi mal ſuiuie :
Ha ! pourquoy malheureux vins-tu parmy nos bois ?
Quel deſtin inſenſé t’a fait ſuiure ſes loix ?
Enfin qui t’a pouſſé de quiter ta patrie ?

ENDYMION.

Vn doux charme flatteur, & plein de tromperie :
Mais n’importe, mon cœur en eſt trop ſatisfait,
Sans oſer m’eſtonner du chemin que i’ay fait,
M’eſtant abandonné ſous les charmes d’Iſmene,
Qui cauſe maintenant la mort où l’on me meine.
Enfin n’en parlons plus, Allons ſans differer,
Adorons ce beau iour au lieu de murmurer :
Courons,

STHENOBE’E.

Courons, Endymion, ton courage me tue,[illisible]
L’heure de ton treſpas n’eſt pas encor venue :
I’oſe encor eſperer vn doux euenement ;

FELICIE bas.

O Dieux ! qu’elle eſt à plaindre en ſon aueuglement.

ENDYMION.

Obligeante beauté, d’où vient que ta belle ame
Se rend ſenſible au coup qui doit finir ma trame ?
Qui t’en donne ſubiet ?

STHENOBE’E.

Qui t’en donne ſubiet ? Quoy tu peux ignorer
Quel ſubiet auiourd’huy me force de pleurer ?
Tu ſçais ce que i’ay dit de noſtre connoiſſance ?
Si toſt que ie t’ay veu malgré la longue abſence,
Ne t’ay ie pas connu, ne m’as tu pas appris
Que mon abord auſſi t’a rendes tout ſurpris ?
Ne te ſouuient il plus de ce grand ſacrifice
Où tu me fus connu ?

ENDYMION.

Où tu me fus connu ? Ie mourois de delice
Aymable Sthenobée, en des ſi doux momens,
Tu pouvois bien iuger de mes raviſſemens,
Quand ton divin aſpect venoit frapper ma veuë

Par les rares attraits dont le Ciel t’a pourueuë :
Non, rien ne me plaiſoit que non ſeul entretien,
Ie ne pouuois ſouffrir d’autre abord que le tien :
Et ie garday touſiours cette adorable idée,

STHENOBE’E.

Helas ! pourrois ie bien eſtre perſuadée
De tout ce que tu dis, Endymion ?

ENDYMION.

De tout ce que tu dis, Endymion ? Hé quoy
Tu pourrois en douter ?

FELICIE.

Tu pourrois en douter ? Enfin prepare toy,
Sthenobée, il eſt temps, mets luy cette couronne.

Elles prennent vne des corbeilles de fleurs qui ſont ſur la table, & la preſentent à Sthenobée, qui prend la couronne faite pour Endymion, & le bandeau de pourpre pour luy mettre ſur le front.

STHENOBE’E.

Ha ! funeſte deuoir, la force m’abandonne :
Non, ma main ne ſçauroit ſouſtenir ce bandeau,
Qui te doit auiourd’huy traiſner dans le tombeau.

ENDYMION.

Hé chere Sthenobée, Hé viens, ie t’en ſupplie,
Enfin ſi ta douleur auiourd’huy ſe publie,
Quel murmure en feront tous les Albaniens,
Ceux qui ſe ſont aydez à mettre mes liens ?
Enfin que diroit on de voir dedans le temple
La Vierge de l’autel, cet obiet ſans exemple,
Pleurer vn malheureux, qu’un ſort infortuné
A laiſſé dans leurs mains, l’ayant abandonné.
Pourquoy donc me pleurer ſi ma mort eſt certaine ?
Modere Sthenobée vne douleur ſi vaine.

STENOBE’E.

Hé bien, puis qu’il le faut, & qu’anfin tu le veux,
Ie m’en vays maintenant entourer tes cheueux
De ce triſte bandeau.

Il s’aſſeoit, & Sthenobée luy met le bandeau &[illisible] la couronne de fleurs, & quelques rubans que les[illisible] Filles luy attachent en attendant qu’il leue les yeux[illisible] au Ciel.

ENDYMION.

De ce triſte bandeau. Puiſqu’il faut que ie meure,
Deſcends grande Deeſſe, & fais haſter cette heure,
Qui doit finir mes iours pour la gloire des tiens,
Que ne finis tu donc le triſte cours des miens ?
Tu dois…

STENOBE’E.

Tu dois… Diane, hé quoy ſeras tu triomphante ?
Verray ie le moment de ta cruelle attente
Finir comme tu veux, ſevere Deité ?
N’eſtoit ce pas aſſez de ſa captiuité ?
N’eſtoit ce pas aſſez qu’il fuſt chargé de chaiſnes,
Et viure quelque temps ſous nos loix inhumaines ?
Du moins i’aurois taſché par vn trait de pitié,
Ou pour dire de plus, par ma pure amitié,
A rompre les liens de ce triſte eſclauage ?

ENDYMION.

Non, non, Diane doit avoir cet avantage :
Enfin elle eſt Deeſſe, il luy faut obeyr :
Sthenobée, il eſt vray, ce ſeroit la trahir,
Et meſmes tous les Dieux, de rompre leurs couſtumes.
Et tout ce que tu dis, & ce que tu preſumes,
Ne peut bannir l’effet de ce pieux deſſein :

STENOBE’E.

Cruel Endymion, ſi mon eſpoir eſt vain,

I’aurois bien du ſubiet dans l’ennuy qui me preſſe
De me plaindre de toy plus que de la Deeſſe :
Quoy que par ſa rigueur ie te viſſe immoler,
Ie trouuerois encor de quoy me conſoler,
Si pour me contenter tu deſirois de viure,
Si mes iuſtes ſouhaits tu deſirois de ſuiure :
Peut eſtre que les Dieux touchez de mon tourment,
Arreſteroient l’effet de leur commandement :
Mais c’eſt en vain, ingrat, cét Arreſt te contente,
Ie vois que ma douleur t’eſt trop indifferente :
Les rigueurs de Diane ont charmez tes eſprits ;
Apres elle tu tiens tout le reſte à meſpris :
Enfin tu la benis cette triſte iournée.

ENDYMION.

Sthenobée, tu vois quelle eſt ma deſtinée :
Diane pour ce iour a voulu me choiſir,
Et tu veux t’oppoſer a ſon iuſte deſir :
Ne murmures donc plus contre cette Deeſſe.

STENOBE’E.

C’eſt en vain que pour toy mon ame s’intereſſe,
Ingrat Endymion, que tu reconnois peu
Ce que ie ſens pour toy :

ENDYMION.

Ce que ie ſens pour toy : Fais m’en donc vn adueu ;
Parle plus clairement, Merueille incomparable,
Et ne te repens point de m’eſtre fauorable :
Apprens moy ce ſecret, pourquoy me le cacher ?

STENOBE’E.

Quand ie te le dirois, pourroit il te toucher ?
Et meſme ie ſens trop de remords dans mon ame.

ENDYMION.

Cét adueu pourroit-il te donner quelque blaſme,
Aymable Sthenobée ?

STHENOBE’E.

Aymable Sthenobée ? Il le peut en effet,
Et i’ayme mieux encor en garder le ſecret :
Mais crois, Endymion, que quoy qu’il m’en arriue,
Pour empécher ta mort…

ENDYMION.

Pour empécher ta mort… Tu veux donc que ie viue,
Genereuſe beauté ?

STHENOBE’E.

Genereuſe beauté ? I’y feray mon pouuoir,
Et i’oſe viure encor avec ce doux eſpoir :
Que ſi par mon moyen, & par ma diligence
Les Dieux changent ton ſort ; apres ta deliurance
Tu ſçauras le ſubiet qui me peut faire agir,
Que meſme en y penſant me fait encor rougir :
Mais adieu, ie m’en vay taſcher s’il eſt poſſible,
De trouver vn moyen fauorable ou nuiſible.

ENDYMION.

Va diuine beauté, ſi tous en ſont d’accord,
I’y veux bien conſentir :

STHENOBE’E en s’en allant & les filles,

I’y veux bien conſentir : I’y feray mon effort.



Scène SIXIE’ME.

ENDYMION. ſeul.


ENfin cette beauté, malgré ſa retenuë,
M’a preſque ouuert ſon cœur, ſa flame m’eſt cõnuë,
Quoy qu’elle en veuille déguiſer,
Sa rougeur me la fait connoiſtre ;
Et ſa douleur la fait paroiſtre,
Puiſque rien ne peut l’appaiſer.

Qu’elle eſt à plaindre en ce combat,
Elle n’oſeroit me l’apprendre,
Et me le voudroit faire entendre ;
Ainſi ſon esprit ſouffre en ce triſte debat.

L’amour, et la douleur, auecque la contrainte
Cauſent dedans ſon cœur vne mortelle atteinte :
Ouy malgré les vœux, & ſermens,
Que i ay fait pour toy, ma Deeſſe,
Ie ſens que ſont tourment me bleſſe,
Sans des amoureux ſentimens ;
Mon cœur meurt de compaſſion
Pour cette adorable affligée,
Mon ame ſe ſent obligée
De luy donner des traits de ſon affection.

Diane, ie le puis, ſans te faire vne offence,
Ie dois à ſon amour ce peu de recompence :
Car enfin, ſi ie meurs pour toy,
Ce n’eſt pas me rendre pariure,
Ny te vouloir faire vn iniure
De ne pas violer ma foy :
Deeſſe, crois que tes rigueurs
Me ſont beaucoup plus aggreables,
Que les beautez les plus traittables ;
Puiſque i’adore encor l’obiet de mes langueurs.

Mais Sthenobée enfin, tu demandes ma vie,
Lorsque Diane veut qu’elle me ſoit rauie :
Et pourquoy veux tu diſputer
Le prompt Arreſt de cet Oracle ?
Pourquoy voudrois tu m’eſtre obſtacle
A ce que ie veux accepter ?

Si Diane le veut ainſi,
Que l’Albanie le ſouhaite,
Et que la victime ſoit preste,
Tu n’aduanceras rien de t’en mettre en ſoucy.

Mais allons voir pourtant quelle en ſera l’iſſuë,
Et ſi cette beauté ne ſera point deceuë.


L’on voit icy vne foreſt, dont les arbres touffus[illisible] laiſſent pourtant vne place ſpacieuſe, où eſt l’autel[illisible] dedié pour le ſacrifice, au tour duquel eſt Sthénobée,[illisible] & ſes Filles, qui portent des corbeilles de fleurs, dont elles le parſement.

ACTE CINQVIE’ME.


Scène PREMIERE.

STHENOBE’E, CHŒVR DE FILLES.[illisible]
STHENOBE’E.


A La fin i’ay trouué des bornes à mes maux,
Nos victimes ſeront de ſimples animaux :
Les Dieux ont moderé leur cruelle iuſtice,
Endymion n’aura que l’ombre du ſupplice :
Nos Taureaux ſeulement ſe verront eſgorgez,
Et lors mes deplaiſirs en ſeront allegez :
I’ay trouué du ſecours ; l’incomparable Iſmene

M’a tirée à la fin de cette dure peine.

ALCIONE’E.

Quelle Iſmene ?

STENOBE’E.

Quelle Iſmene ? Vne femme inconnue en ces lieux.
Et qui ſans doute ſort de la race des Dieux :
Enfin l’on peut iuger qu’elle eſt preſque diuine,
Et que des Immortels elle a prit origine.
Mes Filles, vous ſçauez quels eſtoient mes regrets,
Et vous avez ouy les propos indiſcrets,
Auſquels mes deſplaiſirs & mes maux m’ont contrainte ;
Alors que i’ay trouué pour alleger ma plainte,
Quand ie faiſois voler mes ſoupirs iuſqu’aux cieux,
Cette fameuſe Iſmene eſt paruë à mes yeux :
Vn lugubre torrent, de ſanglots & de larmes
M’ont empeſché de voir cette mere de charmes :
Mais lors qu’elle a parlé me ſurprenant ainſi,
Ses diſcours ont rendu mon mal bien adoucy.
Il n’eſtoit pas beſoing de luy dire la cauſe
Des maux que ie ſouffrois ; c’eſtoit trop peu de choſe
De paroiſtre à ses yeux auec tant de douleur :
Elle ſçauoit deſia le fonds de mon malheur.
Enfin ce grand ſçauoir, à qui rien ne ſeconde,
Fait voir qu’il n’eſt iamais de choſe ſi profonde
Qui ne luy ſoit connuë, aux lieux les plus cachez,
Quand on croit la fuyr, l’on s’en voit empeſchez,
Elle peut nous ſeruir, ou nous estre contraire,
L’on ne doit que taſcher de ne luy point déplaire :
Elle ſçait les malheurs qui doiuent arriuer,
Elle en peut garantir, elle peut en priuer.
Elle a ſçeu ma douleur ſans m’auoir iamais veuë,
Ainſi mes maux ont en l’allegeance impreueüe,
Elle m’a preſenté ce couſteau merueilleux,

Auſſi foible leger qu’il paroiſt à vos yeux :
Enfin elle m’a dit que cette foible lame
Feroit bien-toſt ceſſer les douleurs de mon ame :
Quand on le plongera dans ce cœur innocent,
Les charmes qu’elle y met le rendront impuiſſant :
Et que pour faire agir l’effet de ſa promeſſe,
Elle ſe veut meſler au milieu de la preſſe.
Elle m’a dit ſon nom, meſme en ſe nommant,
Elle a veu dans mes yeux beaucoup d’eſtonnement :
Car ce nom m’a ſurpriſe, ainſi qu’on le peut croire,
Puiſque ie n’auois point bannis de ma memoire
Tout ce qu’Endymion m’auoit dit auiourd’huy ;
Ne vous ſouuient il pas, mes filles, que c’eſt luy,
Qui nous auoit parlé d’vne certaine Iſmene ?

FELICIE.

Il eſt vray Sthenobée, ie ſuis bien certaine
Qu’il nous a dit encor…

ALCIONNÉE.

Ouy, ie me trompe fort,
S’il n’a dit qu’elle eſtoit maiſtreſſe de ſon fort,
S’eſtant abandonné ſous ſon art, ſes charmes,
Elle peut eſtre autheur de toutes ces allarmes.

STHENOBÉE.

Ie ne m’eſtonne pas ſi lon la voit courir
Dans ces lieux eſtrangers, afin d’y ſecourir
Le pauvre Endymion ; dont l’ame eſt aſſeruie
Sous les charmes puiſſants, dont elle s’eſt ſeruie :
Elle vient arreſter les maux qu’elle a cauſez.

FELICIE.

Donc les Albaniens en vain ſont diſpoſez ?
Grands Dieux ſoyez de meſme à nos vœux fauorables,[illisible]
Moderez le courroux dont vous fuſtes capables.

ALCIONNE’E.

Approchons de l’Autel, & faiſons nos deuoirs,
Laiſſant agir les Dieux de leurs diuins pouuoirs :
Et parſemons de fleurs cet Autel venerable,

STHENOBE’E.

Iſmene, en tes ſermens ſeras tu veritable ?

FELICIE.

I’entends les inſtrumens, auecque mille voix,
Dont les ſons eſclattants font retentir nos bois :
C’eſt ſans doute le peuple auecque la victime.

STHENOBE’E.

Ah ! malgré mon eſpoir ma douleur ſe r’anime :
La crainte & la frayeur me pourſuiuront touſiours,
Tant qu’Iſmene viendra me donner du ſecours :
Ie tremble, ie fremis, ie ſuis encor en doute ;
Ie les ſens approcher, Alcionnée eſcoute,
Ces peuples aueuglez viennent tous glorieux,
Qui font voler leurs cris iuſque dedans les Cieux.
Mais, bons Dieux, ie les vois ces peuples tyranniques,
Voyez leurs ornemens pompeux & magnifiques ?
La victime paroiſt, & ne diriez vous pas
Qu’elle a peu de ſoucy de ſon prochain treſpas ?
Ce port maieſtueux, & cette mine auguſte ?
Mes Filles, aduouez, que ma douleur eſt iuſte.

Le peuple ſort de derriere les arbres, les vns portant des inſtrumens, les autres des vazes auec de l’encens, les autres des flambeaux chantant des hymnes à la gloire de la Deeſſe ; & Thymœtes parmy les autres portant la tiare, & le manteau de Sacrificateur, & Endymion au milieu habillé en

victime.

Scène SECONDE.

THYMŒTES, ENDYMION, STHENOBE’E, CHŒVR DE FILLES, VN ESCLAVE, TROVPE DE PEVPLE.
L’ESCLAVE chante ſeul.


DEeſſe, voicy la victime,

Que toy meſme as voulu choiſir,
Puiſqu’elle eſtoit ſi propre à ton deſir,
Et ſi digne de ton eſtime ;
Tu verras bien toſt ton autel
Rougir du ſang de ce mortel ;
Et lors on te verras contente,
Quand l’Albanie aura ſatisfait ton attente.

TROVPE DE PEVPLE.

Adorable, & grande Deeſſe,
Monte viſte ſur l’horizon,
Car tu dois bien ſçauoir qu’il eſt raiſon
Que maintenant tu nous paroiſſe ;
Pour la gloire que tu reſſens
Des victimes, & des encens,
Qu’on t’offrira cette iournée,
Que ton divin aſpect rendra plus fortunée.

STHENOBE’E ſeule.

Cette victime genereuſe
A de la mort ſi peu d’effroy,
Qu’elle la craint bien moins que moy,
Qui la trouue trop rigoureuſe :
Iſmene, nous verrons la fin
Qu’en diſpoſera le deſtin ;

Mais cependant ſois equitable :
Montre toy maintenant & iuſte, & veritable.

CHŒVR DE FILLES.

Deeſſe, s’il faut pour ta gloire,
Faire mourir en meſme temps,
Ces deux obiets ; ainſi que tu pretends
Eſtimeras tu ta victoire ?
Car ſi l’vn meurt, l’autre à l’abord
Ne peut demander que la mort :
Deeſſe il faut que ta clemence
Se montre en meſme temps auecque ta puiſſance.

STHENOBE’E.

Que nos voix ont de ſympathie,
Elles ſuiuent mon ſentiment ;
Ces chères ſœurs me font voir clairement ;
Que leurs cœurs ſont de la partie
De ceux, qui de compaſſion,
Ou peut eſtre d’affection
Plaignent la dure deſtinée
D vne victime digne autant qu’infortunée.

TROVPE DE PEVPLE.

Deeſſe, il eſt vray que nos larmes
Sont témoins de noſtre pitié,
Et que nos cœurs reſentent la moitié
De la cruauté de tes armes :
La victime eſt digne des pleurs,
Qu’vn chacun donne à ſes malheurs ;
Mais enfin tu ſeras ſeruie,
Puiſque ta volonté ſera bien-toſt ſuiuie.

THYMŒTES.

Peuples Albaniens vous irritez les Dieux,
Vous plaignez la victime, & murmmurez contr’eux :
La victime eſt contente, & ſon treſpas vous touche ;

Elle en ayme l’autheur, ſçachez le de ſa bouche,

ENDYMION.

Peuples Albaniens, pourquoy me pleurez vous
Pourquoy de la Deeſſe attirer le courroux ?
Pourquoy luy refuſer ce qu’elle vous demande ?
Croiriez vous de luy faire vne faueur trop grande ?
Non, non, aduancez vous, voicy mon ſein ouuert,
Portez y hardiment la pointe de ce fer :
Ouurez viſte ce cœur, la Deeſſe l’ordonne,
Ce n’eſt que ſoubs ſes loix que ce cœur s’abandonne.
Mais quoy ! de toutes parts ie n’entends que regret :
Malgré moy vous prenez encor mes intereſts.
Thymœtes approchez n’ayez point repugnance ;
Satisfaites les Dieux par cette obeyſſance.

Thymœtes monte ſur l’autel, auec Endymion & Sthenobée : & Endymion ſe met à genoux[illisible] en continuant de parler.

Parois viſte, Deeſſe, afin que ton aſpect
Imprime dans leurs cœurs la crainte, & le reſpect :
Et permet que leurs cris ſoient des cris d’allegreſſe ;
Fais qu’ils changent en ris la douleur qui les preſſe :
Qu’ils ne murmurent plus contre ta volonté,
Qu’ils ayent du reſpect pour ta diuinité,
Qu’ils prononcent touſiours des hymnes à ta gloire,
Que ſans fin ta grandeur regne dans leur memoire.

THYMŒTES.

Enfin Endymion, laiſſe les murmurer ;
Si ton cœur eſt content, ils ont beau te pleurer ;
Il faut ſeruir les Dieux :

ENDYMION.

Il faut ſeruir les Dieux : He pourſuiuons de grace ;
Sans eſcouter les pleurs de cette populace.

THYMŒTES.

Ouy, mon fils, pourſuivons ſans les plus eſcouter.
Donnez moy le couſteau : il parle à Sthenobée.

STHENOBE’E.

Donnez moy le couſteau : Le voila ;

THYMŒTES.

Donnez moy le couſteau : Le voila ; Sthenobée
A quoy t’amuſes tu, qui t’a perſuadée
Que cette foible lame auroit le meſme effet
Des couſteaux d’autres fois ?

STHENOBE’E.

Des couſteaux d’autres fois ? Sçaches en le ſubiet ;
Vois cette femme icy qui te peut ſatisfaire,
Eſcoute ſes raiſons ſans te mettre en colere :
C’eſt elle ſeulement, qui te doit informer
Des vertus de ce fer, qui vient de t’allarmer,
Pour eſtre trop leger.

ENDYMION voyant Iſmene demeure ſurpris.

Pour eſtre trop leger. O Dieux ! quelle ſurpriſe,
Ha ! trompeuſe,

ISMENE.

Ha ! trompeuſe, Il eſt vray, Diane m’authoriſe :
Vous Thymœtes ſortez de cet eſtonnement ;
I’apporte icy ce fer par ſon commandement.
Car vous ſçaurez qu’vn iour revenant de la chaſſe,
Ayant couru long-temps elle ſe trouva laſſe :
Mais le Dieu du ſommeil l’ayant fait repoſer,
Quelques momens apres il luy vinſt propoſer
D’aggréer vn repas, elle, & toute ſa ſuitte :
Elle accepte l’honneur où ce grand Dieu l’inuite :
Apres ce doux repas, ce qui luy plûſt le mieux,
Au meſpris des palais riches & precieux,
Ce fuſt pluſieurs ruiſſeaux par des ſi doux murmures

Qui charmerent ſes ſens : & les grottes obſcures
Où le Dieu luy fit voir toutes ſes raretez,
Dont les yeux de Diane en furent enchantez.
Le Dieu luy demanda ce qui luy pourroit plaire,
Qu’elle prinſt en ce lieu dequoy ſe ſatisfaire :
Mais luy meſme voulut luy choiſir ce couſteau,
Qui parût à ſes yeux ſi leger, & ſi beau ;
Qu’elle accepta bien-toſt ce preſent aggreable,
Qui luy deuoit vn iour eſtre ſi fauorable :
Puis qu’elle connoiſſoit par ſa legereté,
Qu’il ouurirait vn cœur auec ſubtilité.
Qu’on luy deuoit un iour faire vn grand ſacrifice,
Dont le couſteau pourroit ſeruir à cet office.
Cette victime encor ſatisfait tant les Dieux,
Que bien toſt la Deeſſe en deſcendra des Cieux :
Vous la verrez venir toute reſplendiſſante,
D’une maniere enfin beaucoup reconnoiſſante,
Elle meſme l’a dit ; en m’ayant ordonné
D’apporter ce couſteau, que ie vous ay donné :
Obſeruez promptement ce qu’elle vous commande.

Elle diſparoiſt.
THYMŒTES s’addreſſant au peuple.

Voyez Albaniens, ce que Diane mande.

STHENOBE’E derriere Thymœtes en ſecret.

O Dieux !

THYMŒTES.

O Dieux ! Si maintenant on luy doit obeyr,
Et ſi l’on ne doit pas encor ſe réiouyr,
De connoiſtre les ſoins qu’elle prend de nous meſmes ?
Ne murmurez donc plus, arreſtez vos blaſphemes :
Car ſans doute les Dieux s’en vont eſtre rauis,
Alors qu’ils ſe verront ſi promptement ſeruis.
Enfin pour toy, mon fils, ie connois ton enuie,

Qui n’eſt qu’à voir finir ta glorieuſe vie.

ENDYMION.

Thymœtes, il eſt vray, tu me ſembles bien lent,
Quand je ſens mon deſir & ferme, & violent.

THYMŒTES.

Peuples Albaniens, que vos iniuſtes plaintes
Laiſſent agir vos voix ſans pleurs, & ſans contraintes :
Et teſmoignez aux Dieux, que voſtre repentir
De leur iuſte courroux vous peut bien garantir :
Ils ſont doux & clements, malgré voſtre murmure,
Par vos ſoubmiſſions Iſmene vous aſſeure,
D’eſtre recompencez des deuoirs qu’on leurs rends,
Et les Albaniens ſeront aux premiers rangs
De ceux qui chaque iour leurs font des ſacrifices,
C’eſt nous, à qui les Dieux ſe montreront propices.

ſe tournant deuers Sthenobée.

Sthenobée, il eſt temps d’accomplir leur souhait,
Donne moy le couſteau :

STHENOBE’E luy ayant donné le couſteau tombe eſuanoüye de l’autel en bas, & ſes Filles la reçoiuent.

Donne moy le couſteau : Iuſtes cieux, s’en eſt faict.
Iſmene, & ton ſecours ?

ALCIONNE’E.

Iſmene, & ton ſecours ? O diſgrace inouye !

THYMŒTES ſe tournant.

He ! qu’a donc Sthenobée ?

ALCIONNE’E.

He ! qu’a donc Sthenobée ? Elle eſt eſuanouye.

THYMŒTES deſcend de l’Autel pour ſecourir Sthenobée, & Endymion demeure ſeul à genoux.

THYMŒTES.

Hé bons Dieux ! quel malheur, quel iour eſt celuy cy ?

Diane, tes ſouhaits s’accompliront ainſi ?
Ou s’il faut auiourd’huy te donner deux victimes ?
Peuples Albaniens, vous cauſez par vos crimes,
La mort de Sthenobée, apres tant de diſcours,
Dont à peine ay ie peu faire arreſter le cours.
Mais Dieux ! elle ſe meurt, ſa veuë languiſſante
Le fait voir…

ENDYMION.

Le fait voir… Ie la vois, cette beauté mourante.
Ha ! Deeſſe du moins eſpargne cet obiet,
Ne la fait pas mourir pour ſi peu de ſubiet :
Hé quoy ! pour m’auoir plaint, tu la fais criminelle ?
Tu couure ce ſoleil d’vne nuë eternelle ?

Endymion voit Diane qui deſcend du Ciel dans vn char attellez de cheuaux blancs.
Mais Thymœtes viens donc, viens donc auparauant,

La Deeſſe paroiſt, & me voicy viuant.
Elle s’irritera.

THYMŒTES luy donnant le couſteau.

Elle s’irritera. Tiens, mon fils, cette lame
Toy meſme pourras mieux mettre fin à ta traſme.

ENDYMION.

Thymœtes, il eſt vray, tu n’en peux point douter,
Et Diane à la fin ſe verra contenter.



Scène TROISIEME.

DIANE, ENDYMION.
DIANE en deſcendant lentemẽt iuſque ſur l’autel.


ENdymion, ie ſuis contente,
Arreſte ce fer meurtrier,
Ie connois ton cœur trop entier,

 
Pour croire que iamais i’attente
Aux beau fil de tes iours, qui charment tant de cœurs :
Ta volonté m’eſt ſi connuë,
Que ie ſuis en ces lieux venuë,
Pour finir de tes maux les cruelles longueurs.

ENDYMION.

Ha ! Diane, ces maux ont trop de recompence.
De iouyr maintenant de ta douce preſence :
Obligeante Deeſſe, apres ce que ie voy,
Ie ne puis que douter ſi ie ſuis bien à moy.

DIANE.

Ouy, c’eſt moy qui te viens apprendre
Que ces peuples icy ſont vains,
Qu’ils n’ont rien parmy les humains ;

Le peuple s’euanoüyt peu à peu.
Puis qu’ainſi qu’ils m’ont veu deſcendre,

Mon abord commençoit à les faire fuir :
Songe donc par quels artifices,
Tu t’es veu parmy des ſupplices,
Qu’enfin deuant tes yeux tu vois eſuanoüïr.

ENDYMION.

Deeſſe, ce myſtere eſt trop inconceuable,
Et meſme ie me ſens pas trop ton redeuable ;
Sans t’oſer demander qui m’a mis en ces lieux,
Qui ſans ton ſeul abord m’eſtoit ſi perilleux :
Mais que diſie, Deeſſe, en mourant pour ta gloire,
I’eſtois plus ſatisfait qu’on ne ſçauroit le croire.
Car enfin tu le ſçais, ſi i’en ay murmuré,
Si ie voyois la mort d’vn courage aſſeuré ?

DIANE.

Ie ſçay quelles ſont tes penſées :
Ie connois tes vrays ſentimens :
Et c’eſt par des enchantemens,

Que ces choſes ſe ſont paſſées.
Depuis que le ſommeil euſt aſſoupy tes ſens,
Par l’ordannance ſouueraine,
Qu’en receut la fameuſe Iſmene ;
Qui fait voir qu’en effet ſes charmes ſont puiſſans.

Mais ſans differer dauantage,
Viens prendre place aupres de moy,
C’eſt le payement de ta foy,
Toy ſeul auras cet auantage.
Apres t’avoir montré les celeſtes palais,
Tu verras encore la place,
Que Diane te fait la grace
De te donner vn iour, apres tant de ſouhaits.

ENDYMION entrant dans le char.

Ha ! Deeſſe, c’eſt trop ; des ſi foibles ſeruices
Se verront ils payez d’eternelles delices ?



Scène QVATRIEME.

ISMENE voyant monter Endymion.


VA, cher Endymion, au glorieux ſejour,
Que t’a fait meriter ton innoncent amour :
Ne t’estonnes donc plus de tant d’eſtranges choſes,
Car les Dieux vont changer tes eſpines en roſes,
Et ne m’accuſes plus de t’auoir enchanté,
Puiſque ie ſuis l’autheur de sa felicité :
Tes maux ont eſté vains, puiſque ce n’eſt qu’en ſonges[illisible]
Mais enfin tes plaiſirs ne ſeront pas menſonges.

FIN.