L’Encyclopédie/1re édition/VIRGINIE, terre de

VIRGINIE, terre de, (Hist. nat.) nom donné par les Anglois à une terre bolaire, assez pesante & compacte, d’un rouge clair ; elle se trouve en Virginie, dans la Caroline & en Pensilvanie.

Virginie, (Géog. mod.) contrée de l’Amérique septentrionale. Elle est bornée au nord par le Mariland, au midi par la Caroline, au levant par la mer du nord, & au couchant par la Louisiane.

Rawleigh, le fléau & la victime de l’Espagne, introduisit, en 1584, la premiere colonie angloise dans Mocasa, conquit ce pays, & lui donna le nom de Virginie, en mémoire de la reine Elisabeth sa maîtresse, qui passa sa vie dans le célibat, amusant tous les partis qui la recherchoient en mariage, sans vouloir en accepter aucun.

On divise la Virginie en septentrionale & méridionale. La premiere s’étend depuis le 37d. de latitude jusqu’au 39, & la seconde depuis le 33 jusqu’au 36.

La Virginie septentrionale est dans un climat assez tempéré. L’été y est chaud comme en Espagne, & l’hiver froid comme dans le nord de la France ; souvent le froid y est fort rude, mais par intervalle ; on arrive dans ce pays par un long golfe, entre deux promontoires. Le milieu de la contrée est fertile, & le seroit encore davantage, si les sauvages daignoient le cultiver ; mais ces sauvages ne s’occupent qu’à la chasse, & laissent à leurs femmes le ménage de la maison. Ils s’habillent de peaux de bêtes sauvages, se peignent le corps, & se percent les oreilles pour y pendre des coquilles. Les femmes lavent dans la riviere leurs enfans nouveau-nés, & les frottent de certaines drogues, pour leur endurcir la peau contre le froid & le chaud.

La Virginie méridionale produit en abondance le mays des Indes, & le tabac dont les Anglois font un grand commerce. Le terroir en est extrèmement fertile, & les fruits de l’Europe y viennent très-bien. On y voit quantité de cerfs, d’ours, de loutres, d’écureuils, & d’animaux dont les peaux sont fort estimées, ainsi qu’un grand nombre de coqs d’Inde, de perdrix, & d’autres oiseaux de bois & de riviere.

Il croît encore dans la Virginie une espece de lin appellé herbe-soie, dont on fait des toiles & des habits. Les naturels du pays sont robustes, agiles, francs & industrieux, ils sont idolâtres, & adorent tout ce qu’ils craignent, comme le feu, l’eau, le tonnerre, & principalement le diable, dont ils font des images effroyables. Ils tiennent le soleil, la lune & les étoiles pour autant de dieux. Leurs prêtres sont en même tems leurs médecins, & en qualité de magiciens, ils consultent le diable sur la guérison ou la mort de leurs malades. Leurs gouverneurs qu’ils nomment véroans, commandent à un ou à plusieurs villages.

Les deux principales rivieres de la Virginie, sont la riviere James, & celle d’Yorck, qui se jettent dans la baie de Chesapeack. Les colonies sont le long de la mer & sur le bord des rivieres pour la commodité du commerce. Les sauvages sont dans les terres, & ressemblent presque en tout à ceux de Mariland.

Les Anglois ont publié des descriptions civiles & naturelles également curieuses de la Virginie. On peut les consulter, car quelques-unes ont été traduites en françois ; mais comme ce détail nous meneroit trop loin, nous nous contenterons de dire, que la Virginie est partagée en 19 comtés, dont la ville principale est James-Town.

Les 19 comtés de la Virginie par le dénombrement fait en 1703, renfermoient soixante mille six cens habitans, & neuf mille six cens hommes de troupes réglées. Il est vraissemblable que depuis la publication de ce calcul, les colonies ont doublé ; ce qui suffit pour donner une idée de la grandeur des forces de l’Angleterre en Amérique comparées proportionellement à la seule province de Virginie.

Elisabeth ne fit guere que donner un nom au continent de la Virginie. Après l’établissement d’une foible colonie, dont on vit bientôt la ruine, ce pays fut entierement abandonné. Mais lorsque la paix eut terminé les guerres entreprises contre l’Espagne, & qu’elle ne laissa plus aux caracteres ambitieux, l’espérance d’avancer si rapidement vers l’honneur & la fortune, les Anglois commencerent à seconder les pacifiques intentions de leur monarque, en cherchant une voie plus sûre, quoique plus lente, pour acquérir de la gloire & des richesses.

En 1606 Newport se chargea du transport d’une colonie, & commença un établissement, que la compagnie formée dans cette vue à Londres & à Bristol, prit soin de fournir annuellement de recrues, de provisions, d’ustenciles, & de nouveaux habitans. Vers l’an 1609, Argal découvrit une route plus sûre & plus droite pour la Virginie ; & quittant celle des anciens navigateurs, qui avoient pris au sud du tropique, il fit voile vers l’ouest, à la faveur des vents alisés, & tourna ensuite au nord, jusqu’aux établissement de sa nation.

La même année, cinq cens personnes, sous la conduite des chevaliers Thomas Gates & George Sommers furent embarquées pour la Virginie. Le vaisseau de Sommers, agité d’une horrible tempête qui le poussa aux Bermudes, jetta les fondemens d’une autre colonie dans ces îles. Ensuite le lord Delaware prit le gouvernement des colonies angloises ; mais tous ses soins, secondés par l’attention de Jacques I. à lui envoyer des secours d’hommes, & de l’argent levé par la premiere lotterie dont on ait l’exemple en Angleterre, ne garantirent point ces établissemens de leur décadence ; elle fut telle qu’en 1614, il n’y restoit pas plus de 400 hommes, de tous ceux qu’on y avoit transportés.

Enfin, ces nouveaux cultivateurs, après s’être assuré par leur travail les provisions les plus nécessaires à la vie, commencerent à planter du tabac ; & Jacques, malgré l’antipathie qu’il avoit pour cette drogue, leur en permit le transport en Angleterre, & défendit en même tems l’entrée du tabac d’Espagne. Ainsi par degrés, les nouvelles colonies prirent une forme dans ce continent ; & donnant de nouveaux noms aux lieux qu’elles occupent, elles laisserent celui de Virginie à la province où la premiere colonie s’étoit formée.

Les spéculatifs de ce siecle firent quantité d’objections contre ces établissemens éloignés, & prédirent qu’après avoir épuisé d’habitans leur contrée maternelle, tôt ou tard on leur verroit secouer le joug, pour former en Amérique un état indépendant. Mais le tems a fait connoître que les vues de ceux qui encouragerent ces entreprises, étoient les plus justes & les plus solides. Un gouvernement doux & des forces navales ont maintenu, & peuvent maintenir long-tems la domination de l’Angleterre sur ces colonies ; & la navigation lui en a fait tirer tant d’avantages, que plus de la moitié de ses vaisseaux est employée aujourd’hui à l’entretien du commerce avec les établissemens d’Amérique. Hume. (Le chevalier de Jaucourt.)