L’Encyclopédie/1re édition/TIGERON
TIGERON, s. m. terme dont les Horlogers se servent pour désigner une petite tige fort courte, qui dans l’axe d’une roue ou d’un balancier, s’étend depuis la portée d’un pivot jusqu’au pignon, ou à la roue, &c. Dans les anciennes montres françoises, & dans presque toutes celles qu’on fait actuellement en Angleterre, la longueur de ces tigerons est si petite que par l’attraction l’huile qu’on met aux pivots, monte dans les pignons, ou s’extravase contre les roues. Parmi plusieurs habiles horlogers qui s’apperçurent de cet inconvénient, M. Gaudron fut un des premiers qui avança, que si on pouvoit mettre une bouteille d’huile à chaque pivot d’une montre, elle en conserveroit plus long-tems sa justesse. M. Suly qui saisit cette idée, imagina de petits reservoirs, (Voyez la regle artificielle du tems, pag. 280.) qui fournissoient de l’huile aux pivots à mesure qu’elle s’évaporoit. Cette méthode entraînant après elle une grande multiplication d’ouvrage, & plusieurs inconvéniens, M. le Roy eut recours à un autre expédient, dont la lecture de l’optique de M. Newton lui fournit l’idée. En refléchissant sur l’expérience que ce grand homme rapporte, pag. 576, du livre dont nous venons de parler : M. le Roy raisonna ainsi. « Les pivots sont placés aux extrémités des arbres ; ces arbres sont perpendiculaires aux platines qui les soutiennent, & concourent avec elles vers un même point, sommet de l’angle qu’ils font entre eux. Leur disposition étant semblable à celle des glaces dans l’expérience de Newton, ils sont comme elles susceptibles des mêmes causes d’attraction. Ainsi l’huile devroit se tenir à leur point de concours, par conséquent aux pivots. Si donc l’huile, dans les montres ordinaires, quitte les pivots pour monter dans les pignons, cet effet ne peut être produit que par la convergence de leurs aîles, au moyen de quoi ils attirent le fluide avec plus de force que les points de concours de la tige & des platines : donc pour entretenir une suffisante quantité d’huile à ce point & aux pivots, il faut en éloigner suffisamment les pignons ». L’expérience a parfaitement confirmé ce raisonnement ; car M. le Roy ayant placé dans les montres, des barettes aux endroits convenables, pour alonger ces tigerons, & éloigner les pignons & les roues des pivots ; & dans le cas où on ne pouvoit faire usage de ces barettes, y ayant suppléé par des creusures ou des noyons, il a eu la satisfaction de voir que l’huile restoit constamment aux pivots & aux portées, sans monter dans les pignons, ni s’extravaser comme ci-devant. Voyez Barette, Creusure, Noyon &c.
Comme il est d’une extrème conséquence que le balancier soit toujours parfaitement libre, & que ses pivots, au-lieu de s’appuyer sur leurs portées, frottent sur leurs extrémités ; il a fallu pour leur conserver aussi de l’huile, chercher une nouvelle configuration de parties. M. le Roy en a trouvé une des plus avantageuses & des plus simples.
Pour s’en procurer une idée juste, on prendra une montre, on mettra une goutte d’huile sur le milieu de son crystal ; on posera ensuite dessus un corps plan transparent, un morceau de glace par exemple, alors on verra la goutte se disposer circulairement au sommet du crystal ; on verra aussi qu’en élevant la glace, cette goutte se rétrecira, sans néanmoins quitter prise.
Afin de produire l’effet résultant de cette expérience, M. le Roy met sur le coq de ses montres, trois petites pieces fort aisées à faire ; l’inférieure qu’on nomme le petit coq de laiton, Voyez Petit coq, fait l’effet du crystal ; la supérieure, c’est-à-dire le petit coq d’acier, tient une petite agate, comme la main tient la glace dans l’expérience, & le bout du balancier venant s’appuyer au centre de l’agate, il est toujours abondamment pourvu d’huile. A l’égard de l’autre pivot, une seule piece qu’on nomme lardon, Voyez Lardon, suffit, la potence faisant l’office des deux autres. On peut consulter à ce sujet, un mémoire que M. le Roi a inséré à la suite de la regle artificielle du tems ; il le conclut en disant : « que mieux les Horlogers, & en général tous les Méchaniciens, sauront faire usage de l’attraction de cohésion, en configurant les parties de leurs ouvrages pour y fixer l’huile aux endroits nécessaires, plus en même tems ils approcheront de la perfection ».