L’Encyclopédie/1re édition/TIBRE

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TIBRE, (Monum. Médailles.) ce fleuve qui baigne les murs de Rome, se trouve personnifié sur les monumens & les médailles sous la figure d’un vieillard couronné de laurier, à demi-couché ; il tient une corne d’abondance, & s’appuie sur une louve, auprès de laquelle sont deux petits enfans, Rémus & Romulus. C’est ainsi qu’on le voit représenté dans ce beau grouppe en marbre, qui est au jardin des Tuileries, copié sur l’antique à Rome. (D. J.)

Tibre, (Mythol.) si le fleuve Inachus, l’Eurotas & l’Alphée ont été célebrés par les Grecs, les Romains ne solemniserent pas le Tibre avec moins de vénération. Virgile ne le nomme jamais sans quelque épithète magnifique ; ses eaux sont chéries du ciel, cœlo gratissimus amnis. Dans quelle majesté ce prince des poëtes ne fait-il pas apparoître en songe le dieu du Tibre à Enée, souverain maître du lieu où ce héros reposoit, & aussi versé que Jupiter même dans la connoissance de l’avenir, il lui annonce la grandeur de ses destinées, & l’instruit de ce qu’il doit faire pour s’en rendre digne :

Huic deus ipse loci fluvio Tiberinus amœno
Populeas inter senior se attollere frondes
Visus : cum tenuis glauco velabat amictu
Carbasus, & crines umbrosa tegebat arundo.

Æneid. l. VIII. v. 64.

« Alors le dieu du Tibre sous la figure d’un vieillard, lui sembla à-travers les peupliers, sortir de son lit, les épaules couvertes d’un voile bleu de toile fine, & la tête chargée de roseaux ».

Enée se tournant vers l’orient, selon l’usage observé dans l’invocation des dieux célestes, prend de l’eau du Tibre dans ses mains (autre pratique usitée dans l’invocation des fleuves), & adressant sa priere au dieu du Tibre, comme à la divinité tutélaire du pays, il exalte la sainteté de ses eaux, & l’honore du titre superbe de maître de l’Italie ; il implore sa protection, & jure de ne jamais cesser de lui rendre ses hommages.

Tuque, ô Tibri, tuque ô genitor cum flumine sancto
Accipite Æneam, & tandem arcete periclis.
Semper honore meo, semper celebrabere donis :
Corniger Hesperidum ; fluvius regnator aquarum,
Adsis, ô tandem, & propiùs tua flumina firmes.

Æneid. l. VIII. v. 72.

« Dieu du Tibre, s’écria-t-il, recevez Enée sur vos eaux, & garantissez le des périls qui le menacent. Fleuve sacré, puisque tu es touché de nos maux, de quelque terre que tu sortes, & quelle que soit ta source, je te rendrai toujours mes hommages. O fleuve, roi des fleuves de l’Hespérie, sois-moi propice, & que ton prompt secours justifie ta divine promesse ».

Que ne peut point un poëte ? Il ennoblit tout. Le Tibre, ce ruisseau bourbeux, peint par Virgile devient le premier fleuve du monde. Voilà l’art magique des hommes de génie. (D. J.)

Tibre, le, (Géog. mod.) en italien Tevere, en latin Tiberis, auparavant Tybris, & premierement Albula ; c’est Pline qui le dit, l. III. c. v. Tiberis anteà Tibris, appellatus, & priùs Albula, tenuis primo è mediâ longitudine Apennini, finibus Arelluorum profluit, quamlibet magnarum navium ex Italo mari capax, rerum in toto orbe nascentium mercator placidissimus. Mais Virgile a cru devoir relever davantage la gloire du Tibre, Æneid. l. VIII. v. 330.

Tum reges, asperque immani corpore Tibris
A quo post Itali fluvium cognomine Tibrim
Diximus : amisit verum vetus Albula nomen.

« Tibris, guerrier d’une taille énorme, conquit le Latium, & les Latins donnerent son nom à ce fleuve, qui portoit auparavant celui d’Albula ». Selon les historiens, ce fut le roi Tiberinus qui en réalité donna son nom au Tibre ; mais un grand poëte devoit lui-même donner une étymologie plus ancienne, & même fabuleuse.

Ce fleuve prend sa source dans l’Apennin, assez près des confins de la Romagne ; il n’est qu’un petit ruisseau vers sa source, mais il reçoit plusieurs ruisseaux & rivieres, avant de se rendre à Ostie. Les villes qu’il arrose sont Borgo, Citta di Castello, Todi, Rome & Ostie. En se jettant dans la mer il se partage en deux bras, dont celui qui est à la droite s’appelle Fiumechino, & celui qui est à la gauche, conserve le nom de Tibre ou Tevere. Ce dernier bras étoit l’unique bouche par laquelle ce fleuve se déchargeoit autrefois dans la mer, & c’est ce qui avoit fait donner à la ville qui étoit sur son bord oriental, le nom d’Ostia, comme étant la porte par laquelle le Tibre entroit dans la Méditerranée ; son embouchure est aujourd’hui entre Ostie & Porto.

Virgile donne à ce fleuve l’épithete de Lydius, Æneid. l. II. v. 781. parce que le pays d’Etrurie où il coule, étoit peuplé d’une colonie de Lydiens ; ce n’est plus le tems où Lucain pourroit dire de ce fleuve.

Le Tibre a sous ses lois & le Nil & l’Ibere,
Voit l’Euphrate soumis, & le Rhein tributaire.

Il n’a pas dans Rome trois cens piés de largeur. Auguste le fit nettoyer, & l’élargit un peu, afin de faciliter son cours ; il fit aussi fortifier ses bords par de bonnes murailles de maçonnerie. D’autres empereurs ont fait ensuite leurs efforts pour empêcher le ravage de ses inondations ; mais presque tous leurs soins ont été inutiles.

Le sirocco-levante, qui est le sud-est de la Méditerranée, & qu’on appelle en Italie le vent-marin, souffle quelquefois avec une telle violence, qu’il arrête les eaux du Tibre à l’endroit de son embouchure ; & quand il arrive alors que les neiges de l’Apennin viennent à grossir les torrens qui tombent dans le Tibre, ou qu’une pluie de quelques jours produit le même effet, la rencontre de ces divers accidens, fait nécessairement enfler cette riviere, & cause des inondations qui sont le fléau de Rome, comme les embrasemens du Vésuve sont le fléau de Naples.

Le Tibre si chanté par les poëtes, n’est bon à rien, & n’est redevable de l’honneur qu’il a d’être si connu qu’à la poésie, & à la réputation de la célebre ville qu’il arrose ; les grands fleuves ont eu raison de la traiter de ruisseau bourbeux ; son eau est presque toujours chargée d’un limon qu’on assure être d’une qualité pernicieuse ; les poissons même du Tibre ne sont ni sains, ni de bon goût. Aussi de tout tems Rome payenne & chrétienne s’est donnée des soins infinis pour se procurer de l’autre eau, & avoir un grand nombre de fontaines pour suppléer à la mauvaise eau du Tibre. (D. J.)