L’Encyclopédie/1re édition/THOMISTES
THOMISTES, s. m. pl. (Théolog.) nom que l’on donne aux théologiens d’une école catholique, qui font profession de suivre la doctrine de S. Thomas d’Aquin.
Quoique les Thomistes soient opposés aux Scotistes sur plusieurs points, tels que la distinction des attributs de Dieu, la maniere dont les sacremens operent, l’immaculée conception, &c. cependant ce qui les caractérise particulierement, & ce qui les distingue des autres théologiens molinistes, augustiniens, congruistes, &c. c’est leur système sur la grace, dont nous allons donner une idée.
La base de leur système est que Dieu est cause premiere & premier moteur à l’égard de toutes ses créatures ; comme cause premiere, il doit influer sur toutes leurs actions ; parce qu’il n’est pas de sa dignité d’attendre la détermination de la cause seconde ou de sa créature. Comme premier moteur, il doit imprimer le mouvement à toutes les facultés ou les puissances qui en sont susceptibles ; de-là ils concluent :
1°. Que dans quelque état qu’on suppose l’homme, soit avant, soit après sa chûte, & pour quelque action que ce soit, la prémotion de Dieu est nécessaire. Ils appellent cette prémotion prédétermination physique, lorsqu’il s’agit des actions considérées dans l’ordre naturel, & ils la nomment grace efficace par elle-même, quand il s’agit des œuvres surnaturelles ou méritoires du salut.
2°. Que la grace efficace par elle-même a été nécessaire aux anges & à nos premiers parens pour les œuvres surnaturelles.
3°. Que quant à l’efficacité de la grace, il n’y a aucune différence entre la grace efficace de l’état de nature innocente, & celle de nature tombée ou corrompue par le péché.
4°. Que cette grace efficace nécessaire pour les œuvres surnaturelles, fut refusée à Adam & aux anges lorsqu’ils prévariquerent pour la premiere fois, mais qu’elle ne leur fut refusée que par leur faute.
5°. Que quant à l’état de nature innocente & aux œuvres surnaturelles & libres, soit des anges, soit des hommes dans cet état, il faut admettre en Dieu des decrets absolus, efficaces, & antécédens au libre consentement de la volonté créée.
6°. Que la préscience que Dieu a eu de ces œuvres étoit fondée sur ses decrets absolus, efficaces, & antécédens.
7°. Que la prédestination dans cet état a été antécédente à la prévision des mérites.
8°. Que la réprobation négative qu’ils font consister dans l’exclusion de la gloire, a été également antécédente à la prévision des péchés, & uniquement fondée sur la volonté de Dieu ; mais que la réprobation positive, c’est-à-dire la destination aux peines éternelles, a été conséquente à la prévision des démérites de ceux qui devoient être ainsi réprouvés.
9°. Qu’Adam ayant péché, tous ses descendans dont il avoit été établi le prince & le chef moral, ont péché en lui ; & qu’ainsi tout le genre humain est devenu une masse de perdition que Dieu auroit pû sans injustice abandonner, comme il a fait les anges prévaricateurs.
10°. Que Dieu par sa pure miséricorde a bien voulu d’une volonté antécédente & de bon plaisir, réparer la chute du genre humain, & qu’en conséquence, il a décerné de lui envoyer pour rédempteur Jesus-Christ qui est mort pour le salut de tous les hommes, & de conférer à ceux-ci, ou du-moins de leur préparer des secours de grace très-suffisans.
11°. Que par une miséricorde spéciale & antécédemment à la prévision de leurs mérites, il a élu efficacement & prédestiné à la gloire un certain nombre d’hommes préférablement à tout le reste, par un decret que les Thomistes appellent decret d’intention.
12°. Qu’à ceux qu’il a ainsi élus, il accorde certainement la grace efficace, le don de persévérance, & la gloire dans le tems ; mais qu’il n’accorde à tous les autres que des graces suffisantes pour opérer le bien & pour y persévérer.
13°. Que dans l’état de nature tombée, la grace efficace est nécessaire à la créature à double titre ; 1°. à titre de dépendance, parce qu’elle est créature ; 2°. à titre de foiblesse ou d’infirmité, parce que quoique la grace suffisante guérisse la volonté & la rende saine, cependant à cause de l’infirmité de la chair & de ses combats ou de ses révoltes perpétuelles contre l’esprit, la volonté éprouve une très-grande difficulté de faire le bien surnaturel ; elle a un pouvoir véritable, prochain & complet, de le faire, & cependant elle ne le fera jamais sans une grace efficace ; à peu près, disent-ils, comme un convalescent a des forces suffisantes pour faire un voyage, qu’il n’exécutera cependant pas sans quelque autre secours que ses seules forces.
14°. Que la préscience des bonnes œuvres que l’homme doit faire avec le secours de la grace, est fondée sur un decret efficace, absolu, & antécédent, d’accorder cette grace ; & que la préscience du mal futur est également fondée sur un decret de permission par lequel Dieu par un juste jugement, a résolu de ne point accorder de grace efficace dans les circonstances où elle seroit nécessaire pour éviter le péché.
15°. Que Dieu voit dans ses decrets qui sont ceux qui persevereront dans le bien ; qui sont au contraire ceux qui persévereront dans le mal ; & qu’en conséquence il accorde aux uns la gloire éternelle, il condamne les autres aux supplices de l’enfer par un decret que les Thomistes appellent decret d’exécution.
16°. Que la prédestination ou le decret d’intention d’accorder la gloire aux bons, est absolument & purement gratuit.
17°. Que la réprobation négative dépend uniquement de la volonté de Dieu, & que la réprobation positive suppose la prévision des péchés. Quelques thomistes cependant, comme Lemos & Gonet, pensent que le péché originel est la cause de la réprobation négative.
On accuse communément ce système de n’être pas favorable à la liberté ; mais les Thomistes se lavent de ce reproche en répondant, 1°. que Dieu en prémeuvant ses créatures raisonnables, ne donne aucune atteinte aux facultés qu’il leur a accordées d’ailleurs, & qu’il veut qu’en agissant elles agissent librement. 2°. Que sous l’action de Dieu la raison propose toujours à la volonté une infinité d’objets entre lesquels celle-ci peut choisir, & que la volonté elle même étant une faculté que Dieu seul peut remplir & rassasier, trouve toujours quelque chose qu’elle peut desirer ou choisir, ce qui suffit pour la liberté.
On reproche aussi aux Thomistes que la grace suffisante qu’ils admettent, n’est une grace que de nom. A quoi ils répondent que dans leur système la grace suffisante donne un pouvoir très-complet de faire le bien, in actu primo, comme ils s’expriment ; pouvoir si complet & si réel, que si l’homme en vouloit bien user, il feroit le bien ; que c’est sa faute s’il ne le fait pas ; que dans la grace suffisante Dieu lui en offre une efficace, & que si Dieu ne la lui accorde pas, c’est que l’homme par sa résistance y met obstacle. C’est la doctrine même de S. Thomas : Quod aliquis non habeat gratiam, non est ex hoc quod Deus non velit eam dare, sed quia homo non vult eam accipere. In. ij. dist. 28. quæst. j. art. 4. & ailleurs : Non immerito in culpam imputatur ei qui impedimen um præstat gratiæ receptioni, Deus enim quantum in se est paratus est omnibus gratiam dare… sed illi soli gratia privantur qui in se ipsis gratiæ impedimentum præstant : sicut sole illuminante, in culpam imputatur ei qui oculos claudit, si ex hoc aliquod malum sequatur. lib. III. contr. Gent. cap. clix.
Ceux qui affectent de confondre la doctrine des Thomistes avec celle des Jansénistes, se trompent aussi grossierement que ceux qui trouvent que le Molinisme ressuscite les erreurs des Sémi-pélagiens. Voyez Efficace, Grace, Molinisme, Prédestination, &c.