L’Encyclopédie/1re édition/THÉOSOPHES, les

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THÉOSOPHES, les, (Hist. de la Philosophie.) voici peut-être l’espece de philosophie la plus singuliere. Ceux qui l’ont professée, regardoient en pitié la raison humaine ; ils n’avoient nulle confiance dans sa lueur ténébreuse & trompeuse ; ils se prétendirent éclairés par un principe intérieur, surnaturel & divin qui brilloit en eux, & s’y éteignoit par intervalles, qui les élevoit aux connoissances les plus sublimes lorsqu’il agissoit, ou qui les laissoit tomber dans l’état d’imbécillité naturelle lorsqu’il cessoit d’agir ; qui s’emparoit violemment de leur imagination, qui les agitoit, qu’ils ne maîtrisoient pas, mais dont ils étoient maîtrisés, & qui les conduisoit aux découvertes les plus importantes & les plus cachées sur Dieu & sur la nature : c’est ce qu’ils ont appellé la théosophie.

Les théosophes ont passé pour des fous auprès de ces hommes tranquilles & froids, dont l’ame pesante ou rassisse n’est susceptible ni d’émotion, ni d’enthousiasme, ni de ces transports dans lesquels l’homme ne voit point, ne sent point, ne juge point, ne parle point, comme dans son état habituel. Ils ont dit de Socrate & de son démon, que si le sage de la Grece y croyoit, c’étoit un insensé, & que s’il n’y croyoit pas, c’étoit un fripon.

Me sera-t-il permis de dire un mot en faveur du démon de Socrate & de celui des théosophes ? Nous avons tous des pressentimens, & ces pressentimens sont d’autant plus justes & plus-prompts, que nous avons plus de pénétration & d’expérience. Ce sont des jugemens subits auxquels nous sommes entraînés par certaines circonstances très-déliées. Il n’y a aucun fait qui ne soit précédé & qui ne soit accompagné de quelques phénomenes. Quelque fugitifs, momentanés & subtils que soient ces phénomenes, les hommes doués d’une grande sensibilité, que tout frappe, à qui rien n’échappe, en sont affectés, mais souvent dans un moment où ils n’y attachent aucune importance. Ils reçoivent une foule de ces impressions. La mémoire du phénomene passe ; mais celle de l’impression se réveillera dans l’occasion ; alors ils prononcent que tel évenement aura lieu ; il leur semble que c’est une voix secrette qui parle au fond de leur cœur, & qui les avertit. Ils se croyent inspirés, & ils le sont en effet, non par quelque puissance surnaturelle & divine, mais par une prudence particuliere & extraordinaire. Car qu’est-ce que la prudence, sinon une supposition dans laquelle nous sommes portés à regarder les circonstances diverses où nous nous trouvons, comme les causes possibles d’effets à craindre ou à espérer dans l’avenir ? or il arrive que cette supposition est quelquefois fondée sur une infinité de choses légeres que nous avons vues, apperçues, senties, dont nous ne pouvons plus nous rendre compte, ni à nous-mêmes, ni aux autres, mais qui n’en ont pas une liaison moins nécessaire ni moins forte avec l’objet de notre crainte & de notre espérance. C’est une multitude d’atomes imperceptibles chacun, mais qui réunis forment un poids considérable qui nous incline, sans presque savoir pourquoi. Dieu voit l’ordre de l’univers entier dans la plus petite molécule de la matiere. La prudence de certains hommes privilégiés tient un peu de cet attribut de la divinité. Ils rapprochent les analogies les plus éloignées ; ils voyent des liaisons presque nécessaires où les autres sont loin d’avoir des conjectures. Les passions ont chacune leur physionomie particuliere. Les traits s’alterent sur le visage à mesure qu’elles se succedent dans l’ame. Le même homme présente donc à l’observateur attentif un grand nombre de masques divers. Ces masques des passions ont des traits caractéristiques & communs dans tous les hommes. Ce sont les mêmes visceres intérieurs qui se meuvent dans la joie, dans l’indignation, dans la colere, dans la frayeur, dans le moment de la dissimulation, du mensonge, du ressentiment. Ce sont les mêmes muscles qui se détendent ou se resserrent à l’extérieur, les mêmes parties qui se contractent ou qui s’affaissent ; si la passion étoit permanente, elle nous feroit une physionomie permanente, & fixeroit son masque sur notre visage. Qu’est-ce donc qu’un physionomiste ? C’est un homme qui connoit les masques des passions, qui en a des représentations très-présentes, qui croit qu’un homme porte, malgré qu’il en ait, le masque de sa passion dominante, & qui juge des caracteres des hommes d’après les masques habituels qu’il leur voit. Cet art est une branche de la sorte de divination dont il s’agit ici.

Si les passions ont leurs physionomies particulieres, elles ont aussi leurs gestes, leur ton, leur expression. Pourquoi n’ai-je point été surpris qu’un homme que j’avois regardé pendant de longues années comme un homme de bien, ait eu tout-à-coup la conduite d’un coquin ? C’est qu’au moment où j’apprends son action, je me rappelle une foule de petites choses qui me l’avoient annoncé d’avance, & que j’avois négligées.

Les théosophes ont tous été chimistes, ils s’appelloient les philosophes par le feu. Or il n’y a aucune science qui offre à l’esprit plus de conjectures déliées, qui le remplisse d’analogies plus subtiles, que la chimie. Il vient un moment où toutes ces analogies se présentent en foule à l’imagination du chimiste : elles l’entrainent ; il tente en conséquence une expérience qui lui réussit, & il attribue à un commerce intime de son ame avec quelque intelligence supérieure, ce qui n’est que l’effet subit d’un long exercice de son art. Socrate avoit son démon ; Paracelse avoit le sien ; & ce n’étoient l’un & l’autre ni deux fous, ni deux fripons, mais deux hommes d’une pénétration surprenante, sujets à des illuminations brusques & rapides, dont ils ne cherchoient point à se rendre raison.

Nous ne prétendons point étendre cette apologie à ceux qui ont rempli l’intervalle de la terre aux cieux, de natures moyennes entre l’homme & Dieu, qui leur obéissoient, & qui ont accrédité sur la terre toutes les rêveries de la magie, de l’astrologie & de la cabale. Nous abandonnons ces théosophes à toutes les épithetes qu’on voudra leur donner.

La secte des théosophes a été très-nombreuse. Nous ne parlerons que de ceux qui s’y sont fait un nom, tels que Paracelse, Valentin, Fludd, Boëhmius, les Van-helmont & Poiret.

Philippe Aureolus Théophraste Paracelse Bombast de Hobenheim naquit en Suisse en 1493. Il n’y a sorte de calomnies que ses ennemis n’aient hazardées contre lui. Ils ont dit qu’un soldat lui avoit coupé les testicules, dans la Carinthie où il étoit employé à conduire un troupeau d’oies. Ce qu’il y a de certain, c’est que les premieres années de sa vie furent dissolues, & qu’il n’eut jamais de goût pour les femmes. Il garda le célibat. Son pere prit sur lui-même le soin de son éducation. Il lui montra les humanités, & l’instruisit des principes de la médecine ; mais cet enfant doué d’un génie surprenant, & dévoré du desir de connoître, ne demeura pas long-tems sous l’aile paternelle. Il entreprit dans l’âge le plus tendre les voyages les plus longs & les plus pénibles, ne méprisant ni aucun homme ni aucune connoissance, & conférant indistinctement avec tous ceux dont il espéroit tirer quelque lumiere. Il souffrit beaucoup ; il fut emprisonné trois fois ; il servit ; il fut exposé à toutes les miseres de la nature humaine : ce qui ne l’empêcha point de suivre l’impulsion de son enthousiasme, & de parcourir presque toutes les contrées de l’Europe, de l’Asie & de l’Afrique. L’enthousiasme est le germe de toutes les grandes choses, bonnes ou mauvaises. Qui est-ce qui pratiquera la vertu au milieu des traverses qui l’attendent, sans enthousiasme ? Qui est-ce qui se consacrera aux travaux continuels de l’étude, sans enthousiasme ? Qui est-ce qui sacrifiera son repos, sa santé, son bonheur, sa vie, aux progrès des sciences & des arts & à la recherche de la vérité, sans enthousiasme ? Qui est-ce qui se ruinera, qui est-ce qui mourra pour son ami, pour ses enfans, pour son pays, sans enthousiasme ? Paracelse descendoit à vingt ans dans les mines de l’Allemagne ; il s’avançoit dans la Russie ; il étoit sur les frontieres de la Tartarie ; apprenoit-il qu’un homme possédoit quelque secret, de quelqu’état qu’il fût, en quelque coin de la terre qu’il fût relegué, il le visitoit. Il s’occupoit particulierement à recueillir les ouvrages des chimistes ; il alloit au fond des monasteres les arracher aux vers, aux rats & à la poussiere ; il feuilletoit jour & nuit Raimond Lulle & Arnaud de Villeneuve ; il conféroit sans dédain avec les charlatans, les vieilles, les bergers, les paysans, les mineurs, les ouvriers ; il vécut familierement avec des hommes d’un rang le plus distingué, des prêtres, des abbés, des évêques. Il disoit avoir plus appris de ceux que le monde appelle des ignorans, que toute l’école galénique ne savoit ; il faisoit peu de cas des auteurs anciens ; il en abandonna la lecture de bonne heure ; il pensoit qu’il y avoit plus de tems à perdre avec eux que de vraies connoissances à recueillir. Il affectoit surtout le plus grand mépris pour les médecins qui l’avoient précédé. Les médecins de son tems ne le lui pardonnerent pas. Il brûla publiquement à Bâle les ouvrages d’Avicenne ; mon maître, disoit-il, je n’en reconnois point d’autre que la nature & moi. Il substitua les préparations chimiques à la pharmacie galénique. Ses succès dans les cas les plus desespérés lui firent une réputation incroyable. Jean Frobenius qui s’est immortalisé, sinon par l’invention, du moins par la perfection de l’art typographique, étoit tourmenté de la goutte au pié droit ; les remedes qu’on lui ordonnoit, ne faisoient qu’irriter son mal ; on étoit sur le point de lui couper le pié ; Paracelse le vit & le guérit. Si l’on en croit Vanhelmont, la lepre, l’asthme, la gangrene, la paralysie, l’épilepsie, la pierre, l’hydropisie, la goutte, le cancer & toutes ces maladies qui font le desespoir de nos médecins, ne lui résistoient pas. Les habitans de Bâle l’appellerent à eux, & le nommerent à une chaire de physique. Il fit ses leçons en langue vulgaire, & il eut l’auditoire le plus nombreux. Il ne savoit point de grec ; la langue latine lui étoit peu familiere ; d’ailleurs il avoit un si grand nombre d’idées qui lui étoient propres, & qui n’avoient point de nom dans aucun idiome, soit ancien, soit moderne, qu’il eût été obligé de s’en faire un particulier. Il s’appliqua beaucoup plus à l’étude de la matiere médicale, à la pratique de la chimie, à la connoissance & à la cure des maladies, qu’à la théorie & à l’érudition de l’art. Cependant il ne négligea pas entierement ces dernieres parties. Il fit un usage surprenant du laudanum qu’on appelloit dans son école le remede par excellence. Il parle souvent dans ses ouvrages de l’azoth qu’il définit lignum & linea vitæ. On prétend que cet azoth est le remede universel, la pierre philosophale. Il auroit pu jouir à Bâle de la considération des hommes & du repos, les deux plus grands biens de la vie ; mais il connoissoit l’ignorance & les autres vices de ses collegues, & il s’en expliquoit sans ménagement. Ses cures les ulcéroient ; ses découvertes les humilioient ; son désintéressement leur reprochoit sans cesse leur avarice ; ils ne purent supporter un homme d’un mérite si affligeant ; ils chercherent l’occasion de le mortifier. L’imprudent & vain Paracelse la leur offrit ; il entreprit la guérison d’un chanoine de Bâle ; il en vint à bout ; les magistrats reglerent son honoraire à un prix dont la modicité choqua Paracelse ; il s’en plaignit avec amertume ; il se compromit par l’indiscrétion de sa plainte, & il fut obligé de sortir de Bâle & de se réfugier en Alsace, où il trouva des hommes qui furent honorer & récompenser ses talens. Oporinus son disciple, & le conducteur de son laboratoire, préparoit les médicamens, Paracelse les administroit ; mais cet homme avoit pris du goût pour la vie errante & vagabonde. Il quitta l’Alsace, il revint en Suisse, il disparut pendant onze ans. Il disoit qu’il ne convenoit point à un homme né pour soulager le genre humain, de se fixer à un point de la terre, ni à celui qui savoit lire dans le livre de la nature, d’en avoir toujours le même feuillet ouvert sous les yeux. Il parcourut l’Autriche, la Suisse, la Baviere, guérissant les corps, & infectant les ames d’un système particulier de théologie qu’il s’étoit fait. Il mourut à Salsbourg en 1541.

Ce fut un homme d’un mérite & d’une vanité prodigieuse ; il souffroit avec impatience qu’on le comparât à Luther, & qu’on le mît au nombre des disciples de cet hérésiarque. Qu’il fasse son affaire, disoit-il, & qu’il me laisse faire la mienne ; si je me mêlois de réforme, je m’en tirerois mieux que lui : on ne nous associe que pour nous perdre. On lui attribue la connoissance de transmuer les métaux ; il est le fondateur de la pharmacie chimique ; il exerça la médecine avec le plus grand succès ; il a bien mérité du genre humain, par les préparations dont il a enrichi l’art de guérir les maladies. Ses ennemis l’accuserent de plagiat ; il les défia de montrer dans quelqu’auteur que ce fût, le moindre vestige de la plus petite de ses découvertes, & ils resterent muets : on lui reprocha la barbarie de ses termes & son obscurité, & ce fut avec raison. Ce ne fut pas non plus un homme pieux : l’habitude de fréquenter le bas peuple, le rendit crapuleux ; les chagrins, la débauche, & les veilles, lui dérangerent la tête : il passa pour sorcier, ce qui signifie aujourd’hui que ses contemporains étoient des imbécilles. Il se brouilla avec les Théologiens ; le moyen de penser d’après soi, & de ne se pas brouiller avec eux ? Il a beaucoup écrit ; la plûpart de ceux qui le jugent, soit en bien, soit en mal, n’ont pas lu une ligne de ses ouvrages : il a laissé un grand nombre de disciples mal instruits, téméraires ; ils ont nui à la réputation de leur maître, par la maladresse qu’ils ont montrée dans l’application de ses remedes.

Il eut pour disciple, pour secrétaire, & pour ami, Oporinus. Adam de Bodestan professa le premier publiquement sa doctrine. Jacques Gohory la fit connoître à Paris. Gerard Dornée expliqua sa méthode & ses procedés chimiques. Michel Toxite s’appliqua à définir ses mots obscurs. Oswald Crollius reduisit le paracelsisme en système. Henri Kunrath, & Joseph-François Burrhus laisserent là ce qu’il y avoit de vrai & d’important, pour se précipiter dans le théosophisme.

Voici les principaux axiomes de la doctrine de Paracelse, autant qu’il est possible de les recueillir d’après un auteur aussi obscur & aussi décousu.

La vraie philosophie & la médecine ne s’apprennent ni des anciens, ni par la créature, elles viennent de Dieu ; il est le seul auteur des arcanes ; c’est lui qui a signé chaque être de ses propriétés.

Le médecin naît par la lumiere de la nature & de la grace, de l’homme interne & invisible, de l’ange qui est en nous, par la lumiere de la nature qui fait à son égard la fonction de maître qui l’instruit, c’est l’exercice qui le perfectionne & le confirme ; il a été produit par l’institution de Dieu & de la nature.

Ce ne sont pas les songes vains des hommes qui servent de base à cette philosophie & médecine ; mais la nature que Dieu a imprimée de son doigt aux corps sublunaires, mais sur-tout aux métaux : leur origine remonte donc à Dieu.

Cette médecine, cette momie naturelle, ce pepin de nature, est renfermé dans le soufre, trésor de la nature entiere ; il a pour base le baume des végétaux, auquel il faut rapporter le principe de toutes les actions qui s’operent dans la nature, & par la vertu duquel seul toutes les maladies peuvent être guéries.

Le rapport ou la convenance de l’homme, ou du petit monde au grand, est le fondement de cette science.

Pour découvrir cette médecine il faut être astronome & philosophe ; l’une nous instruit des forces & des propriétés de la terre & de l’eau ; l’autre, des forces & des propriétés du firmament & de l’air.

C’est la philosophie & l’astronomie qui font le philosophe interne & parfait, non-seulement dans le macrocosme, mais aussi dans le microcosme.

Le macrocosme est comme le pere, & le microcosme, ou l’homme, est comme l’enfant ; il faut disposer convenablement l’un à l’autre.

Le monde intérieur est comme un miroir, où le petit monde, ou l’homme, s’apperçoit ; ce n’est pas par la forme extérieure, ou la substance corporelle, qu’ils conviennent, mais par les vertus & les forces ; ils sont un & même quant à l’essence & à la forme interne ; ils ne different que par la forme extérieure.

Qu’est-ce que la lumiere de nature ? si-non une certaine analogie divine de ce monde visible, avec le corps microcosmique.

Le monde intérieur est la figure de l’homme ; l’homme est le monde occulte, car les choses qui sont visibles dans le monde, sont invisibles dans l’homme ; & lorsque ces invisibles dans l’homme se rendent visibles, les maladies naissent.

La matiere de l’homme étant un extrait des quatre élémens, il faut qu’il ait en lui de la sympathie avec tous les élémens & leurs fruits ; il ne pourroit subsister ni vivre sans eux.

Pour éviter le vuide, Dieu a créé dans les quatre élémens des êtres vivans, mais inanimés, ou sans ame intellectuelle ; comme il y a quatre élémens, il y a quatre sortes d’habitans élémentaires ; ils different de l’homme qui a été créé à l’image de Dieu, en entendement, en sagesse, en exercices, en opérations & en demeures.

Les eaux ont leurs nymphes, leurs ondains, leurs mélozénis, & leurs monstres ou bâtards, les sirenes qui habitent le même élément.

Les terres ont leurs gnomes, leurs lémures, leurs sylphes, leurs montains, leurs zonnets, dont les monstres sont les pigmées.

L’air a ses spectres, ses sylvains, ses satyres, dont les monstres sont les géans.

Le feu, ou le firmament, a ses vulcanales, ses pennates, ses salamandres, ses supérieurs, dont les monstres sont les zundels.

Le cœur macrocosmique est igné, aërien, aqueux, & terreux.

L’harmonie céleste est comme la maîtresse & directrice de l’inférieure ; chacune a son ciel, son soleil, sa lune, ses planetes, & ses étoiles ; les choses supérieures sont de l’astrologie ; les inférieures de la chymiologie.

La providence & la bonté du créateur ont fait que les astres invisibles des autres élémens, eussent leurs représentations en especes visibles, dans l’élément suprème, & que les lois des mouvemens, & les productions des tems y fussent expliquées.

Il y a deux cieux ; le ciel externe, ou l’aggrégat de tous les corps dans le firmament ; l’interne, ou l’astre invisible, le corps insensible de chaque astre ; celui-ci est l’esprit du monde ou de la nature ; c’est hylecs ; il est diffus dans tous les astres, ou plutôt il les constitue ; il les est.

Tout émane du dedans, & naît des invisibles & occultes ; ainsi les substances corporelles visibles viennent des incorporelles, des spirituelles, des astres, & sont les corps des astres ; leur séjour est dans les astres ; les nues sont dans les antres.

Il suit que tout ce qui vit, tout ce qui croît, tout ce qui est dans la nature, est signé, possede un esprit syderé, que j’appelle le ciel, l’astre, l’ouvrier caché, qui donne à ce qui est, sa figure & sa couleur, & qui a présidé à sa formation : c’est-là le germe & la vertu.

Il ne faut pas entendre ce qui précede du corps visible ou invisible des astres dans le firmament, mais de l’astre propre de chaque chose ; c’est celui-ci, & non l’autre qui influe sur elle.

Les astres intérieurs n’inclinent ni ne nécessitent l’homme, c’est l’homme plutôt qui incline les astres, & les attaque par la magie de son imagination.

Le cours de chaque ciel est libre ; l’un ne gouverne point l’autre.

Cependant les fruits des astres, ou semences célestes, aériennes, aqueuses, terrestres, conspirent & forment une république qui est une ; elles sont citoyennes d’une même province ; elles se secourent & se favorisent mutuellement ; c’est l’anneau de Platon, la chaîne d’Homere, ou la suite des choses soumises à la divine providence ; la sympathie universelle ; l’échelle générale.

Il y a trois principes des choses ; ils sont dans tout composé ; la liqueur ou le mercure, le soufre ou l’huile, & le sel.

La Trinité sainte a parlé ; son verbe un & triple, que cela soit fait, a été proféré, & tout a été cru un & triple ; témoin l’analyse spagirique.

Dieu a dit que cela soit, & la matiere premiere a été ; eu égard à ses trois principes, elle fut triple ; ces trois especes qu’elle contenoit se séparerent ensuite, & il y eut quatre especes de corps ou élémens.

Les vrais élémens spirituels sont les conservateurs, les nourriciers, les lieux, les matrices, les mines & les reservoirs de toutes matieres ; ils sont l’essence, l’existence, la vie & l’action des êtres, quels qu’ils soient.

Ils sont partagés en deux spheres, l’une supérieure, c’est le feu, ou le firmament & l’air, qu’on peut comparer au blanc ou à la coque de l’œuf ; l’autre inférieure, c’est l’eau & la terre, qu’on peut comparer au jaune.

Le Créateur, par la vertu du verbe, développant la multitude qui étoit dans l’unité, & cet esprit qui étoit porté sur les eaux, combinant les principes des corps, ou les revêtant de l’habit sous lequel ils devoient paroître sur la scène du monde, & leur assignant leurs lieux, donnerent à ces quatre natures incorporelles, inertes, vuides & vaines, la lumiere & les raisons séminales des choses qui les ont remplies par la bénédiction divine, & qui ne s’y éteindront jamais.

Les semences des choses, les astres qui les lient, sont cachés dans les élémens des choses, comme dans un abîme inépuisable, où dès le commencement de la matiere les visibles se font par les invisibles, les extrèmes se touchent & se joignent, tout s’engendre dans des périodes de tems marqués ; les élémens conspirent au bien général ; c’est ainsi que la sympathie universelle subsiste ; les élémens président au monde, ils suffisent à son éternité.

Les germes, ou principes des choses, ont reçu du Verbe la vertu de génération & de multiplication.

On ne peut séparer les semences ou germes, des élémens ; ni les principes du corps, des lois de nature.

Les productions, & les semences les plus petites, suivent l’harmonie universelle, & montrent en abregé l’analogie générale des élémens & des principes.

Les élémens sont en tout, ils sont combinés, & la combinaison s’en conserve par le moyen du baume & de la teinture radicale.

Toutes les créatures sont formées des élémens : on rapporte à l’air la production des animaux, à la terre celle des végétaux, à l’eau celle des minéraux ; le feu donne la vie à tout ce qui est.

Le corps des élémens est une chose morte & ténébreuse ; l’esprit est la vie ; il est distribué en astres qui ont leurs productions & qui donnent leurs fruits ; de même que l’ame sépare d’elle le corps, & y habite ; les élémens spirituels, dans la formation générale, ont séparé d’eux les corps visibles, & y habitent.

Du corps igné se sont séparés les astres visibles ; du corps aqueux, les métaux ; du corps salin, les minéraux ; du corps terreux, les végétaux.

Il y a deux terres ; la terre extérieure visible, qui est le corps de l’élément, le soufre, le mercure du sel ; la terre interne & invisible qui est l’élément, la vie, l’esprit, où sont les astres de la terre, qui produisent par le moyen du corps terreux, tout ce qui croît : la terre a donc en elle les germes & la raison séminale de tout.

Il en faut dire autant des autres élémens ; ils sont ou corps & composés de ces trois principes ; ou ils sont élémens, un & esprit, & contiennent les astres d’où naissent comme d’une mer ou d’un abîme les fruits des élémens.

Notre feu n’est point un élément, il consume tout, tout meurt par lui ; mais le feu, premier & quatrieme élément, qui contient tout, comme la coque enveloppe l’œuf, c’est le ciel.

Un élément n’est ni ne peut être séparé de tout autre ; il y a en tout combinaison d’élément.

Les astres des élémens sont les germes ; il y a quatre élémens ; il y a deux choses toujours unies, le corps & l’astre, ou le visible & l’invisible ; le corps naît & s’accroît de l’astral, le visible de l’invisible ; il reste en lui ; & c’est ainsi que se propagent & multiplient les puissances ou vertus invisibles, les semences, les astres ; elles se distribuent sous une infinité de formes diverses ; elles se montrent en une infinité d’êtres, par le moyen du corps visible.

Lorsqu’une semence, un germe, ou un astre meurt ou se corrompt dans sa matrice ; aussitôt il passe dans un nouveau corps & se multiplie : car toute corruption est cause d’une génération.

Voila la raison pour laquelle les chimistes ont recours à la putréfaction ; c’est ainsi qu’ils obtiennent la régénération, dans laquelle les trois élémens se manifestent avec toutes leurs propriétés secrettes.

Les trois élémens premiers sont unis dans tout corps ; c’est cette union qui constitue le corps sain ; la santé est la température de l’union ; où elle n’est pas ou s’altere, la maladie s’introduit, & avec elle le principe radical de la mort.

Les maladies sont ou élémentaires, ou astrales & firmamentales ; celles-ci naissent du firmament ou ciel de l’homme ; celles-là, de son germe ou de ses astres.

L’homme eu égard à son corps, a un double magnétisme ; une portion tire à soi les astres & s’en nourrit, de là la sagesse, les sens, les pensées ; une partie tire à soi les élémens & s’en répare, de-là la chair & le sang.

Le firmament est cette lumiere de nature qui influe naturellement sur l’homme.

Les astres ou les élémens qui sont esprits, n’ont point de qualité ; mais ils produisent tout ce qui a qualité.

Les maladies ne se guérissent point par les contraires ; il ne s’agit pas de chasser de l’homme des élémens. Il faut posséder des arcanes ; il faut avoir en sa disposition les astres ; il faut avoir appris par la chimie à les réduire de la matiere derniere à la matiere premiere.

Les astres n’ont ni froid ni chaud actuel.

L’esprit de Dieu habite au milieu de nos cœurs.

Nulle connoissance ne restera perpétuellement dans l’ame, que celle qui a été infuse au-dedans, & qui réside dans le sein de l’entendement. Cette connoissance essentielle n’est ni du sang, ni de la chair, ni de la lecture, ni de l’instruction, ni de la raison ; c’est une passion ; c’est un acte divin ; une impression de l’être infini sur l’être fini.

L’homme a possédé tous les avantages naturels & surnaturels ; mais ce caractere divin s’est obscurci par le péché. Purgez-vous du péché, & vous le recouvrerez en même proportion que vous vous purifierez.

La notion de toutes choses nous est congenere ; tout est dans l’intime de l’esprit : il faut dégager l’esprit des enveloppes du péché, & ses notions s’éclairciront.

L’esprit est revétu de toute science, mais il est accablé sous le corps auquel il s’unit ; mais il recouvre sa lumiere par les efforts qu’il fait contre ce poids.

Connoissons bien notre nature & notre esprit ; & ouvrons l’entrée à Dieu qui frappe à la porte de notre cœur.

De la connoissance de soi naît la connoissance de Dieu.

Il n’y aura que celui que Dieu instruira lui-même qui puisse s’élever à la vraie connoissance de l’univers. La philosophie des anciens est fausse ; tout ce qu’ils ont écrit de Dieu est vain.

Les saintes écritures sont la base de toute vraie philosophie ; elle part de Dieu & y retourne. La renaissance de l’homme est nécessaire à la perfection des arts : or il n’y a que le chrétien qui soit vraiment régénéré.

Celui qui se connoît, connoît implicitement tout en lui, & Dieu qui est au-dessus de l’homme, & les anges qui sont à côté de Dieu ; & le monde qui est au-dessous, & toutes les créatures qui le composent.

L’homme est la copule du monde. Il a été formé du limon de la terre, ou de l’essence très-subtile de la machine universelle, extraite & concentrée sous forme corporelle par le grand spagiriste.

L’homme par son corps représente le macrocosme sensible & temporel ; par son ame, le grand archetype. Lorsqu’il eut en lui les propriétés des animaux, des végétaux & des minéraux, le souffle de Dieu y surajouta l’ame.

Dieu est le centre & la circonférence, ou l’unité de tout ce qu’il a produit ; tout émane de Dieu ; il comprend, il pénetre tout. L’homme, à l’imitation de Dieu, est le centre & la circonférence, ou l’unité des créatures ; tout est relatif à lui, & verse sur lui ses propriétés.

L’homme contient toutes les créatures, & il reporte avec lui à la source éternelle tout ce qui en est primitivement émané.

Il y a dans l’homme deux esprits ; l’un du firmament & sideré ; l’autre qui est le souffle du tout-puissant ou l’ame.

L’homme est un composé du corps mortel, de l’esprit sideré & de l’ame immortelle. L’ame est l’image de Dieu, & son domicile dans l’homme.

L’homme a deux peres ; l’un éternel, l’autre mortel : l’esprit de Dieu & l’univers.

Il n’y a point de membre dans l’homme qui ne corresponde à un élément, une planete, une intelligence, une mesure, une raison dans l’archetype.

L’homme tient des élémens le corps visible, enveloppe & séjour de l’ame ; du ciel ou du firmament, le corps invisible, véhicule de l’ame, son lien avec le corps visible.

L’ame passe par le moyen du corps invisible, en conséquence de l’ordre de Dieu, à l’aide des intelligences, au centre du cœur, d’où elle se répand dans toutes les autres parties du corps.

Ce corps éthéré & subtil, participe de la nature du ciel ; il imite dans son cours celui du firmament ; il en attire à lui les influences. Ainsi les cieux versent sur l’homme leurs propriétés, l’en pénetrent, & lui communiquent la faculté de connoître tout.

Il y a trinité & unité dans l’homme, ainsi que dans Dieu ; l’homme est un en personne ; il est triple en essence : il y a le soufle de Dieu ou l’ame, l’esprit sideré & le corps.

Il y a aussi trois cieux dans l’homme ; il correspond à trois mondes, ou plutôt il est le modele le plus parfait du grand œuvre, ou de la complexion générale des choses.

Citoyen de trois mondes, il communique avec l’archetipe, avec les anges, avec les élémens.

Il communique avec Dieu par le soufle qu’il en a reçu. Ce soufle y a laissé le germe de son origine ; aussi n’y a-t-il rien en l’homme qui n’ait un caractere divin.

Il communique avec les anges par le corps invisible ; c’est le lieu de son commerce possible entre eux & lui.

Il communique avec l’univers par son corps visible. Il a les images des élémens ; les élémens ne changent point. La conformité des images que l’homme en a est inaltérable : c’est ainsi que la notion qu’il a des végétaux & des minéraux est fixe.

Le corps sideré est le génie de l’homme, son lare domestique, son bon démon, son adech interne, son évestre, l’origine de pressentiment, la source de la prophétie.

En tout l’astre, le corps invisible ou l’esprit, quoique privé de raison, agit en imaginant & en informant : c’est la même chose dans l’homme.

L’imagination est corporelle ; cependant exaltée, échauffée par la foi, elle est la base de la magie. Elle peut sans nuire à l’esprit astral, engendrer, produire des corps visibles ; & présente ou absente, exécuter des choses au-dessus de l’intelligence humaine. Voilà l’origine de la magie naturelle, qui veut être aidée par l’art ; elle peut faire invisiblement tout ce que la nature fait visiblement.

L’homme est la quintescence du macrocosme ; il peut donc imiter le ciel, il peut même le dominer & le conduire Tout est soumis au mouvement, à l’énergie, au desir de son ame. C’est la force de l’archetype qui réside en nous, qui nous éleve à lui, & qui nous assujettit la créature & la chaîne des choses célestes.

La foi naturelle infuse nous assimile aux esprits ; c’est le principe des opérations magiques, de l’énergie de l’imagination & de toutes ses merveilles.

L’imagination n’a de l’efficacité que par l’effet de sa force attractive sur la chose conçue. Il faut que cette force soit d’abord en exercice : il faut qu’elle se féconde, par la production d’un spectre imité de la chose. Ce spectre se réalise ensuite ; c’est là ce qu’on appelle l’art cabalistique.

L’imagination peut produire par l’art cabalistique, tout ce que nous voyons dans le monde.

Les trois moyens principaux de l’art cabalistique, sont la priere qui unit l’esprit créé à l’esprit incréé ; la foi naturelle & l’exaltation de l’imagination.

Les hommes à imagination triste & pusillanimes sont tentés & conduits par l’esprit immonde.

L’ame purifiée par la priere tombe sur les corps comme la foudre ; elle chasse les ténebres qui les enveloppe, & les pénetre intimement.

La médecine réelle & spécifique des maladies matérielles, consiste dans une vertu secrette, que le verbe a imprimée à chaque chose en la créant. Elle n’est ni des astres, ni du concours des atomes, ni de la forme des corps, ni de leur mixtion.

Il faut distribuer toute la nature inférieure en trois classes principales, les végétaux, les animaux & les minéraux.

Chacun de ces regnes fournit une multitude inépuisable de ressources à la médecine.

On découvre dans ces axiomes le premier germe de la théorie chimique ; la distinction des élémens ; la formation des mixtes ; la difficulté de leur décomposition ; l’origine des qualités physiques ; leurs affinités ; la nature des élémens qui ne sont rien en unité, tout ce qu’il plaît à la combinaison en masse, & plusieurs autres vérités dont les successeurs de Paracelse ont tiré bon parti. Mais cet homme étoit dominé par son imagination ; il est perpétuellement enveloppé de comparaisons, de symboles, de métaphores, d’allégories ; créateur de la science, & plein d’idées nouvelles pour lesquelles il manquoit de mots, il en invente qu’il ne définit point. Entraîné par le succès de ses premieres découvertes, il n’est rien qu’il ne se promette de son travail. Il se livre aux accessoires d’une comparaison comme à des vérités démontrées. A force de multiplier les similitudes, il n’y a sortes d’extravagances qu’il ne débite. Il en vient à prendre les spectres de l’imagination, pour des productions réelles. Il est fou, & il prescrit sérieusement la maniere de le devenir ; & il appelle cela s’unir à Dieu, aux anges, & imiter la nature.

Gilles Gushmann & Jule Sperber enchérirent sur Paracelse. Voyez l’ouvrage que le premier a publié sous le titre de : Revelatio divinæ majestatis, quâ explicatur quo pacto in principio omnibus sese Deus creaturis suis, & verbo, & facto manifestaverit, & quâ ratione opera sua omnia, eorumque virtutem, attributa, & operationes fcripto brevi eleganter comprehenderit, atque primo homini ad suam imaginem ab ipso condito tradiderit. Et l’écrit du second qui a paru sous celui de : Isagoge in veram triunius Dei & naturæ cognitionem. C’est un système de platonico-pithagorico-péripatico-paracelsico-christianisme.

Valentin Weigel, qui parut dans le quinzieme siecle, laissa des ouvrages de théosophie, qui firent grand bruit dans le seizieme & dix-septieme. Il prétendoit que les connoissances ne naissoient point dans l’homme du dehors ; que l’homme en apportoit en naissant les germes innés ; que le corps étoit d’eau & de terre ; l’ame, d’air & de feu ; & l’esprit, d’une substance astrale. Il soumettoit sa destinée aux influences des cieux ; il disoit que par la lumiere de la révélation, deux contradictions se pouvoient combiner. Leibnitz, qui lui accordoit du génie, lui reproche un peu de spinosisme.

Robert fut dans le xvij. siecle, ce que Paracelse avoit été au xvj. Jamais on n’extravagua avec tant de talent, de génie, de profondeur, & de connoissances. Celui-ci donna dans la Magie, la Cabale, l’Astrologie ; ses ouvrages sont un cahos de physique, de chimie, de méchanique, de médecine, de latin, de grec, & d’érudition ; mais si bien brouillé, que le lecteur le plus opiniâtre s’y perd.

Boehmius fut successivement pâtre, cordonnier, & théosophe : voici les principes qu’il s’étoit fait ; il disoit :

Dieu est l’essence des essences ; tout émane de lui ; avant la création du monde, son essence étoit la seule chose qui fût ; il en a tout fait ; on ne conçoit dans l’esprit d’autres facultés que celles de s’élever, de couler, de s’insinuer, de pénétrer, de se mouvoir, & de s’engendrer. Il y a trois formes de génération, l’amer, l’acerbe, & le chaud ; la colere & l’amour, ont un même principe ; Dieu n’est ni amer, ni acerbe, ni chaud, ni eau, ni air, ni terre ; toutes choses sont de ces principes, & ces principes sont de lui ; il n’est ni la mort ni l’enfer ; ils ne sont point en lui ; ils sont de lui. Les choses sont produites par le soufre, le mercure & le sel ; on y distingue l’esprit, la vie, & l’action ; le sel est l’ame, le soufre la matiere premiere.

Le reste des idées de cet auteur sont de la même force, & nous en ferons grace au lecteur : c’est bien ici le lieu de dire, qu’il n’est point de fou qui ne trouve un plus fou qui l’admire. Boehmius eut des sectateurs, parmi lesquels on nomme Quirinus Kuhlmann, Jean Podage, & Jacques Zimmermann.

Ils prétendoient tous que Dieu n’étoit autre chose que le monde développé : ils considéroient Dieu sous deux formes, & en deux périodes de tems ; avant la création & après la création ; avant la création, tout étoit en Dieu ; après la création, il étoit en tout ; c’étoit un écrit roulé ou déplié ; ces idées singulieres n’étoient pas nouvelles.

Jean-Baptiste Van-helmont naquit à Bruxelles en 1474 ; il étudia les Lettres, les Mathématiques, l’Astronomie ; son goût, après s’être porté légerement sur la plûpart des sciences & des arts, se fixa à la Médecine & à la Chimie ; il avoit reçu de la nature de la pénétration ; personne ne connut mieux le prix du tems ; il ne perdit pas un moment ; il passa dans son laboratoire tous les instans qu’il ne donna pas à la pratique de la Médecine ; il fit des progrès surprenans en Chimie ; il exerça l’art de guérir les maladies avec un succès incroyable ; son nom a été mis à côté de ceux de Bacon, de Boyle, de Galilée, & de Descartes. Voici les principes de sa Philosophie.

Toute cause physique efficiente n’est point extérieure, mais intérieure, essentielle en nature.

Ce qui constitue, ce qui agit, la cause intérieure, je l’appelle archée.

Il ne faut à un corps naturel, quel qu’il soit, que des rudimens corporels ; ces rudimens sont sujets à des vicissitudes momentanées.

Il n’y a point de privation dans la nature.

Il n’y faut point imaginer une matiere indéterminée, nue, premiere ; cette matiere est impossible.

Il n’y a que deux causes, l’efficiente & la matérielle.

Les choses particulieres supposent un suc générique, & un principe séminal, efficient, générateur ; la définition ne doit renfermer que ces deux élémens.

L’eau est la matiere dont tout est fait.

Le ferment séminal & générateur est le rudiment par lequel tout commence & se fait.

Le rudiment ou le germe, c’est une même chose.

Le ferment séminal est la cause efficiente du germe.

La vie commence avec la production du germe.

Le ferment est un être créé ; il n’est ni substance, ni accident ; sa nature est neutre ; il occupe dès le commencement du monde les lieux de son empire ; il prépare les semences ; il les excite ; il les précede.

Les fermens ont été produits par le Créateur ; ils dureront jusqu’à la consommation des siecles ; ils se régénerent ; ils ont leurs semences propres qu’ils produisent & qu’ils excitent de l’eau.

Les lieux ont un ordre, une raison assignée par la Divinité, & destinée à la production de certains effets.

L’eau est l’unique cause matérielle des choses ; elle a en elle la qualité initiante ; elle est pure ; elle est simple ; elle est résoluble, & tous les corps peuvent s’y réduire comme à une matiere derniere.

Le feu a été destiné à détruire, & non à engendrer ; son origine n’est point séminale, mais particuliere ; il est entre les choses créées, un être un, singulier & incomparable.

Entre les causes efficientes en nature, les unes sont efficiemment efficientes ; les autres effectivement ; les semences & leurs esprits ordinateurs, composent la premiere classe ; les réservoirs & les organes immédiats des semences, les fermens qui disposent extérieurement de la matiere, les palingénésies composent la seconde.

Le but de tout agent naturel est de disposer la matiere qui lui est soumise, à une fin qui lui est connue, & qui est déterminée, du-moins quant à la génération.

Quelque opaques & dures que soient les choses, elles avoient avant cette solidité que nous leur remarquons, une vapeur qui fécondoit la semence, & qui y traçoit les premiers linéamens déliés & subtils de la génération conséquente. Cette vapeur ne se sépare point de l’engendré ; elle le suit jusqu’à ce qu’il disparoisse de la scene ; cette cause efficiente intérieure est l’archée.

Ce qui constitue l’archée, c’est l’union de l’aure séminale, comme matiere, avec l’image séminale, ou le noyau spirituel intérieur qui fait & contient le principe de la fécondité de la semence ; la semence visible n’est que la silique de l’archée.

L’archée auteur & promoteur de la génération, se revétit promptement lui-même d’une enveloppe corporelle : dans les êtres animés, il se meut dans les replis de sa semence ; il en parcourt tous les détours & toutes les cavités secretes ; il commence à transformer la matiere, selon l’entéléchie de son image, & il reste le dispositeur, le maître, & l’ordinateur interne des effets, jusqu’à la destruction derniere.

Une conclusion forme une opinion, & non une démonstration.

Il préexiste nécessairement en nous la connoissance de la convenance des termes comparés dans le syllogisme avant la conclusion ; en sorte qu’en général je savois d’avance ce qui est contenu dans la conclusion, & ce qu’elle ne fait qu’énoncer, éclaircir, & développer.

La connoissance que nous recevons par la démonstration, étoit antérieurement en nous ; le syllogisme la rend seulement plus distincte, mais le doute n’est jamais entierement dissipé ; parce que la conclusion suit le côté foible des prémisses.

La science est dans l’entendement comme un feu sous la cendre, qu’il peut écarter de lui-même, sans le secours des modes & des formes syllogistiques.

La connoissance de la conclusion n’est pas renfermée nécessairement dans les prémisses.

Le syllogisme ne conduit point à l’invention des Sciences ; il dissipe seulement les ténebres qui les couvrent.

Les vraies sciences sont indémontrables ; elles n’émanent point de la démonstration.

La méthode des Logiciens n’est qu’un simple resumé de ce qu’on sait.

Le but de cette méthode se termine donc à transmettre son opinion d’une maniere claire & distincte à celui qui nous écoute, & à réveiller facilement en lui la réminiscence, par la force de la connexion.

Il n’y a qu’ignorance & erreur dans la physique d’Aristote & de Galien ; il faut recourir à des principes plus solides.

Le ciel, la terre, & l’eau, ont été dans le commencement la matiere créée de tous les êtres futurs ; le ciel contenoit l’eau & la vapeur fécondante ou l’ame.

Il ne faut pas compter le feu parmi les élémens ; on ne voit point qu’il ait été créé.

La terre n’est point une partie du mixte ; elle n’est point la mere, mais la matrice des corps.

L’air & l’eau ne convertissent rien en eux.

Au commencement la terre étoit continue, indivisée ; une seule source l’arrosoit ; elle fut séparée en portions diverses par le déluge.

L’air & l’eau ne se convertissent point l’un en l’autre.

Le globe, composé d’eau & de terre, est rond ; il va d’orient en orient par l’occident ; il est rond dans le sens de son mouvement, elliptique d’ailleurs.

Le gas & le blas sont deux rudimens physiques que les anciens n’ont point connus ; le gas est une exhalaison de l’eau, élevée par le froid du mercure, & atténuée de plus en plus par la dessiccation du soufre ; le blas est le mouvement local & alternatif des étoiles : voilà les deux causes initiantes des météores.

L’air est parsemé de vuides ; on en donne la démonstration méchanique par le feu.

Quoique les porosités de l’air soient actuellement vuides de toute matiere, il y a cependant un être créé & réel ; ce n’est pas un lieu pur ; mais quelque chose de moyen entre l’esprit & la matiere, qui n’est ni accident ni substance, un neutre, je l’appelle magnale.

Le magnale n’est point lumiere, c’est une certaine forme unie à l’air, les mélanges sont des produits matériels de l’eau seule, il n’y a point d’autre élément : ôtez la semence, & le mercure se résoudra en une eau insipide ; les semences, parties similaires des concrets, se résolvent en sel, en soufre, & en mercure.

Le ferment qui empreint de semence la masse, n’éprouve aucune vicissitude séminale.

Il y a deux sortes de fermens dans la nature ; l’un contient en lui-même l’aure fluante, l’archée séminal qui tend dans son progrès à l’état d’ame vivante ; l’autre est le principe initiant du mouvement ou de la génération d’une chose dans une chose.

Celui qui a tout fait de rien, crée encore la voie, l’origine, la vie & la perfection en tout : l’effet des causes secondes n’est que partiel.

Dieu créa les hommes de rien.

Dieu est l’essence vraie, parfaite & actuelle de tout. Les essences des choses sont des choses, ce n’est pas Dieu.

Lorsque la génération commence, l’archée n’est pas lumineux ; c’est une aure où la forme, la vie, l’ame sensitive du générateur est obscure, jusqu’à ce que dans le progrès de la génération il s’éclaire & imprime à la chose une image distincte de son éclat.

Cette aure tend par tous les moyens possibles à organiser le corps & à lui transmettre sa lumiere & toutes les qualités qui en dépendent ; elle s’enflamme de plus en plus ; elle se porte avec ardeur sur le corps ; elle cherche à l’informer & à le vivifier : mais cet effet n’a lieu que par le concours de celui qui est la vie, la vérité & la lumiere.

Lorsqu’un être a conçu l’archée, il est en lui le gardien de la vie, le promoteur des transmutations depuis la premiere jusqu’à la derniere.

Il y a de la convenance entre les archées, par leur qualité vitale commune & par leur éclat ; mais ils ne se reçoivent point réciproquement, ils ne se troublent point dans leur ordre & leur district.

La vicissitude en nature n’est point l’effet de la matiere, mais du feu.

La corruption est une certaine disposition de la matiere conséquente à l’extinction du feu recteur ; ce n’est point une pure privation, ses causes sont positives.

Ce sont les fermens étrangers qui introduisent la corruption ; c’est par eux qu’elle commence, se continue, & s’acheve.

Entre les choses, les unes périssent par la dissipation du baume de nature, d’autres par la corruption.

La nature ignore & n’admet rien de contraire à son vœu.

Il y a deux blas dans l’homme, l’un mu naturellement, l’autre volontairement.

La chaleur n’est point la cause efficiente de la digestion, qu’elle excite seulement. Le ferment stomachique est la cause efficiente de la digestion.

La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse.

L’ame ne se connoit ni par la raison ni par des images : la vérité de l’essence & la vérité de l’entendement se pénetrent en unité & en identité ; voilà pourquoi l’entendement est un être immortel.

Il y a plusieurs sortes de lumieres vitales. La lumiere de l’ame est une substance spirituelle, une matiere vitale & lumineuse.

Ceux qui confondent notre identité avec l’immensité de Dieu, & qui nous regardent comme des parties de ce tout, sont des athées.

L’entendement est uni substantiellement à la volonté qui n’est ni puissance ni accident, mais lumiere, essence spirituelle, indivise, distincte de l’entendement par abstraction.

Il faut reconnoître dans l’ame une troisieme qualité, l’amour ou le desir de plaire. Ce n’est point un acte de la volonté seule ni de l’entendement seul, mais de l’un & de l’autre conjointement.

L’esprit est un acte pur, simple, formel, homogene, indivis, immortel, image de Dieu, incompréhensible, où tous les attributs qui conviennent à sa nature sont rassemblés dans une unité.

L’entendement est la lumiere de l’esprit, & l’esprit est l’entendement éclairé ; il comprend, il voit, il agit séparément du corps.

L’entendement est lié aux organes du corps ; il est soumis aux actions de l’ame sensitive : c’est par cette union qu’il se revêtit de la qualité qu’on appelle imagination.

Il n’y a rien dans l’imagination qui n’ait été auparavant dans la sensation ; les especes intellectuelles sont toutes émanées des objets sensibles.

La force intelligente concourt avec la faculté phantastique de l’ame sensitive, sur le caractere de l’organe, & lui est soumise.

L’ame a son siége particulier à l’orifice supérieur de l’estomac ; la mémoire a son siége dans le cerveau.

L’entendement est essentiel à l’ame ; la volonté & la mémoire sont des facultés caduques de la vie sensitive.

L’entendement brille dans la tête, mais d’une lumiere dépendante de la liaison de l’ame avec le corps, & des esprits étherés.

L’intelligence qui naît de l’invention & du jugement, passe par une irradition qui se fait de l’orifice de l’estomac au cerveau.

L’orifice de l’estomac est comme un centre d’où l’ame exerce son énergie en tout sens.

L’ame, image de la Divinité, ne pense rien principalement, ne connoît rien intimement, ne contemple rien vraiment que Dieu, ou l’unité premiere, à laquelle tout le reste se rapporte.

Si une chose s’atteint par le sens ou par la raison, ce ne sera point encore une abstraction pure & complette.

Le moyen d’atteindre à l’abstraction pure & complette est très-éloigné ; il faut être séparé de l’attention à toutes choses créées, & même incréées ; il faut que l’activité de l’ame soit abandonnée à elle-même ; qu’il n’y ait aucun discours ni intérieur ni extérieur ; aucune action préméditée, aucune contemplation déterminée ; il faut que l’ame n’agisse point, qu’elle attende dans un repos profond l’influence gratuite d’enhaut ; qu’il ne lui reste aucune impression qui la ramene à elle ; qu’elle se soit parfaitement oubliée ; en un mot qu’elle demeure absorbée dans une inexistence, un oubli, une sorte d’anéantissement qui la rende absolument inerte & passive.

Rien ne conduit plus efficacement & plus parfaitement à ce dépouillement, à ce silence, à cette privation de lumiere étrangere, à ce défaut général de distraction, que la priere, son silence & ses délices : exercez-vous à l’adoration profonde.

Dans cette profondeur d’adoration l’ame se perdra, les sens seront suspendus, les ténebres qui l’enveloppent se retireront, & la lumiere d’enhaut s’y réflechira : alors il ne lui restera que le sentiment de l’amour qui l’occupera toute entiere.

Nous pourrions ajouter beaucoup d’autres propositions tirées des ouvrages de cet auteur à celles qui précedent, mais elles n’instruiroient pas davantage. D’ailleurs ce Van-helmont s’exprime d’une maniere si obscure & si barbare, qu’on est bientôt dégoûté de le suivre, & qu’on ne peut jamais se promettre de le rendre avec quelque exactitude. Qu’est-ce que son blas, son gas, & son archée lumineux ? qu’est-ce que cette méthode de s’abrutir, pour s’unir à Dieu, de se séparer de ses connoissances, pour arriver à des découvertes, & de s’assoupir pour penser plus vivement ?

Je conjecture que ces hommes, d’un tempérament sombre & mélancolique, ne devoient cette pénétration extraordinaire & presque divine qu’on leur remarquoit par intervalles, & qui les conduisoit à des idées tantôt si folles, tantôt si sublimes, qu’à quelque dérangement périodique de la machine. Ils se croyoient alors inspirés & ils étoient fous : leurs accès étoient précédés d’une espece d’abrutissement, qu’ils regardoient comme l’état de l’homme sous la condition de nature dépravée. Tirés de cette léthargie par le tumulte subit des humeurs qui s’élevoient en eux, ils imaginoient que c’étoit la Divinité qui descendoit, qui les visitoit, qui les travailloit ; que le souffle divin dont ils avoient été premierement animés, se ranimoit subitement & reprenoit une portion de son énergie ancienne & originelle, & ils donnoient des préceptes pour s’acheminer artificiellement à cet état d’orgasme & d’ivresse où ils se trouvoient au-dessus d’eux-mêmes & qu’ils regrettoient ; semblables à ceux qui ont éprouvé l’enchantement & le délire délicieux que l’usage de l’opium porte dans l’imagination & dans les sens ; heureux dans l’ivresse, stupides dans le repos, fatigués, accablés, ennuiés, ils prenoient la vie commune en dégoût ; ils soupiroient après le moment d’exaltation, d’inspiration, d’aliénation. Tranquilles ou agités, ils fuyoient le commerce des hommes, insupportables à eux-mêmes ou aux autres. O que le génie & la folie se touchent de bien près ! Ceux que le ciel a signés en bien & en mal sont sujets plus ou moins à ces symptomes : ils les ont plus ou moins fréquens, plus ou moins violens. On les enferme & on les enchaîne, ou on leur éleve des statues : ils prophétisent ou sur le trône, ou sur les théatres, ou dans les chaires ; ils tiennent l’attention des hommes suspendue ; ils en sont écoutés, admirés, suivis, ou insultés, bafoués, lapidés ; leur sort ne dépend point d’eux, mais des circonstances dans lesquelles ils se montrent. Ce sont les tems d’ignorance & de grandes calamités qui les font naître : alors les hommes qui se croyent poursuivis par la Divinité, se rassemblent autour de ces especes d’insensés, qui disposent d’eux. Ils ordonnent des sacrifices, & ils sont faits ; des prieres, & l’on prie ; des jeûnes, & l’on jeûne ; des meurtres, & l’on égorge ; des chants d’allegresse & de joie, & l’on se couronne de fleurs & l’on danse & l’on chante ; des temples, & l’on en éleve ; les entreprises les plus desespérées, & elles réussissent ; ils meurent, & ils sont adorés. Il faut ranger dans cette classe Pindare, Eschile, Mahomet, Shakespear, Roger Bacon, & Paracelse. Changez les instans, & celui qui fut poëte eût été ou magicien, ou prophete, ou législateur. O hommes à qui la nature a donné cette grande & extraordinaire imagination, qui criez, qui subjuguez, que nous qualifions insensés ou sages, qui est-ce qui peut prédire votre destinée ? Vous naquîtes pour marcher entre les applaudissemens de la terre ou l’ignominie, pour conduire les peuples au bonheur ou au malheur, & laisser après vous le transport de la louange ou de l’exécration.

François-Mercure Van-helmont, fils de Jean-Baptiste, naquit en 1518 ; il n’eut ni moins de génie, ni moins de connoissances que son pere. Il posséda les langues anciennes & modernes, orientales & européennes. Il se livra tout entier à la Chimie & à la Médecine, & il se fit une grande réputation par ses découvertes & par ses cures. Il donna éperdument dans la cabale & la théosophie. Né catholique, il se fit quaker. Il n’y a peut-être aucun ouvrage au monde qui contienne autant de paradoxes que son ordo seculorum. Il le composa à la sollicitation d’une femme qui l’écrivit sous sa dictée.

Pierre Poiret naquit à Metz en 1546 de parens pauvres, mais honnêtes. Il étudia autant que sa santé le lui permit. Il fut successivement syncretiste, éclectique, cartésien, philosophe, théologien & théosophe. Attaqué d’une maladie dangereuse, il fit vœu, s’il en guérissoit, d’écrire, en faveur de la religion, contre les athées & les incrédules. C’est à cette circonstance qu’on dut l’ouvrage qu’il publia sous le titre de cogitationes rationales de Deo, animâ & malo. Il fit connoissance étroite à Hambourg avec la fameuse Antoinette Bourignon, qui l’entraîna dans ses sentimens de mysticité. Il attendit donc, comme elle, l’illumination passive, & il se rendit l’apologiste du silence sacré de l’ame & de la suspension des sens, & le détracteur de la philosophie & de la raison. Il mourut en Hollande âgé de soixante-trois ans, après avoir passé dans la retraite la plus profonde, les dernieres années de sa vie : entre les qualités de cœur & d’esprit qu’on lui reconnoît, on peut louer sa tolérance. Quoiqu’il fût très-attaché à ses opinions religieuses, il permettoit qu’on en professât librement de contraires : ce qui suffit seul pour caractériser un honnête homme & un bon esprit.

Ce fut dans ce tems, au commencement du xvij. siecle, que se forma la fameuse société des rose-croix, ainsi appellée du nom de celui qu’elle regarda comme son fondateur ; c’étoit un certain Rosencreuz, né en Allemagne en 1388. Cet homme fit un voyage en Palestine, où il apprit la magie, la cabale, la chimie & l’alchimie. Il se fit des associés, à qui il confia ses secrets. On ajouta qu’il mourut âgé de cent vingt ans. L’association se perpétua après sa mort. Ceux qui la composoient se prétendoient éclairés d’en-haut. Ils avoient une langue qui leur étoit propre, des arcanes particuliers ; leur objet étoit la réformation des mœurs des hommes dans tous les états, & de la science dans toutes ses branches ; ils possédoient le secret de la pierre philosophale & de la teinture ou médecine universelle. Ils pouvoient connoître le passé & prédire l’avenir. Leur philosophie étoit un mélange obscur de paracelsisme & de théosophie. Les merveilles qu’ils disoient d’eux, leur attacherent beaucoup de sectateurs, les uns fourbes, les autres dupes. Leur société répandue par toute la terre n’avoit point de centre. Descartes chercha par-tout des Rose-croix, & n’en trouva point. Cependant on publia leurs statuts : mais l’histoire des Rose-croix s’est tellement obscurcie depuis, que l’on regarde presqu’aujourd’hui ce qu’on en débitoit autrefois comme autant de fables.

Il suit de ce que précede qui les Théosophes ont été des hommes d’une imagination ardente ; qu’ils ont corrompu la Théologie, obscurci la Philosophie, & abusé de leurs connoissances chimiques, & qu’il est difficile de prononcer s’ils ont plus nui que servi au progrès des connoissances humaines.

Il y a encore quelques théosophes parmi nous. Ce sont des gens à demi-instruits, entêtés de rapporter aux saintes Ecritures toute l’érudition ancienne & toute la philosophie nouvelle ; qui deshonorent la révélation par la stupide jalousie avec laquelle ils défendent ses droits ; qui retrécissent autant qu’il est en eux l’empire de la raison, dont ils nous interdiroient volontiers l’usage ; qui sont toujours tout prêts à attacher l’épithete d’hérésie à toute hypothese nouvelle ; qui réduiroient volontiers toute connoissance à celle de la religion, & toute lecture aux livres de l’ancien & du nouveau Testament, où ils voient tout ce qui n’y est pas & rien de ce qui y est ; qui ont pris en aversion la Philosophie & les Philosophes, & qui réussiroient à éteindre parmi nous l’esprit de découvertes & de recherches, & à nous replonger dans la barbarie, si le gouvernement les appuioit, comme ils le demandent.