L’Encyclopédie/1re édition/TÉTRACORDE

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TÉTRACORDE, s. m. dans la musique ancienne, étoit, selon l’opinion commune, un ordre ou système particulier de sons résultans de quatre cordes différemment ordonnées, selon le genre & l’espece.

Je trouve de grandes difficultés à concilier les autorités des anciens sur ce qu’ils ont dit de la formation des premiers tétracordes.

Nicomaque, au rapport de Boëce, dit que la musique, dans sa premiere simplicité, n’avoit que quatre sons ou cordes, dont les deux extrèmes sonnoient le diapason entre elles, & que les moyennes, distantes d’un ton l’une de l’autre, sonnoient chacune la quarte avec l’extrème dont elle étoit la plus proche, & la quinte avec celle dont elle étoit la plus éloignée, & il ajoute qu’on attribuoit à Mercure l’invention de ce tétracorde.

Boëce dit encore qu’après l’addition des trois cordes faites par différens auteurs, Lychaon, samien, en ajouta une huitieme, qu’il plaça entre la trite ou paramese, qui étoient alors la même corde, & la mese ; ce qui rendit l’octacorde complet, & composé de deux tétracordes dis joints, de conjoints qu’ils étoient auparavant dans l’eptacorde.

J’ai consulté là-dessus l’ouvrage de Nicomaque, & je trouve qu’il ne dit rien de tout cela. Il dit au contraire que Pythagore s’appercevant que, bien que le son moyen des deux tétracordes conjoints sonnât la consonance de la quarte avec chacun des extrèmes, ces extrèmes comparés entre eux se trouvoient dissonans, il ajouta une huitieme corde qui, écartant d’un ton les deux tétracordes, produisit le diapason entre leurs extrèmes, & introduisit encore une nouvelle consonnance, qui est la quinte entre chacun de ces extrèmes & celle des deux cordes moyennes qui lui étoit opposée.

Sur la maniere dont se fit cette addition, Nicomaque & Boëce sont tous deux également embrouillés, & non contens de se contredire entre eux, chacun d’eux se contredit encore avec soi-même. Voyez Système, Trite, Paramese

Si l’on avoit égard à ce que disent Boëce & plusieurs autres anciens écrivains, on ne pourroit donner de bornes fixes à l’étendue du tétracorde ; mais soit que l’on compte ou qu’on pese les voix, on trouvera également que la définition la plus exacte est celle du vieux Bacchius, qui définit le tétracorde un son modulé de suite dont les cordes extrèmes sonnent la quarte entre elles.

En effet, cet intervalle de quarte est essentiel au tétracorde, c’est pourquoi les sons qui le forment sont appellés immuables par les anciens, à la différence des sons moyens qu’ils appelloient mobiles ou changeans, parce qu’ils pouvoient s’accorder de plusieurs manieres.

Il n’en étoit pas de même du nombre de quatre cordes, d’où le tétracorde a pris son nom : ce nombre lui étoit si peu essentiel, qu’on voit dans l’ancienne musique des tétracordes qui n’en avoient que trois. Tel fut, selon quelques-uns, le tétracorde de Mercure ; tels ont été durant quelque tems les tétracordes enharmoniques ; tel étoit, selon Meibomius, le second tétracorde disjoint du système ancien, avant qu’on y eût ajouté une nouvelle corde. Quant au premier, il étoit certainement complet avant Pythagore, ainsi qu’il est aisé de voir dans le pythagoricien Nicomaque ; ce qui n’empêche pas M. Rameau de dire très-décisivement, à son ordinaire, que, selon le rapport unanime, Pythagore trouva le ton, le di-ton, le semi-ton, & que du tout il forma le tétracorde diatonique ; au-lieu de dire qu’il trouva seulement les raisons de tous ces intervalles, lesquels, selon un rapport plus unanime & plus vrai, étoient trouvés bien long-tems avant Pythagore.

Les tétracordes ne demeurerent pas long-tems bornés au nombre de deux, il s’en forma bientôt un troisieme, puis un quatrieme ; nombre auquel le système des Grecs demeura borné. Tous ces tétracordes étoient conjoints, c’est-à-dire que la derniere corde de l’un servoit toujours de premiere corde au suivant, excepté un seul lieu à l’aigu ou au grave du troisieme tétracorde où il y avoit disjonction, c’est-à-dire un ton d’intervalle entre la corde qui terminoit le tétracorde, & celle qui commençoit le suivant. Voyez Conjoint, Disjoint, Synaphe, Diazeuxis. Or comme cette disjonction du troisieme tétracorde se faisoit, tantôt avec le second, & tantôt avec le quatrieme, cela fit approprier à ce tétracorde un nom particulier pour chacune de ces deux circonstances.

Voici les noms de tous ces tétracordes. Le plus grave des quatre, & qui se trouvoit placé un ton au-dessus de la corde proslambanomene ou ajoutée, s’appelloit le tétracorde hypathon ou des principales, selon la traduction d’Albinus. Le second en montant, lequel étoit toujours conjoint au premier, s’appelloit tétracorde meson ou des moyennes. Le troisieme, quand il étoit conjoint au second & disjoint du quatrieme, s’appelloit tétracorde synnemenon ou des conjoints ; mais quand la conjonction se faisoit avec le quatrieme, & par conséquent la disjonction avec le second ; alors ce même troisieme tétracorde prenoit le nom de tétracorde diezeugmenon ou des divisées ; enfin le quatrieme s’appelloit le tétracorde hyperboleon ou des excellentes. L’Arétin ajouta à tout cela, un cinquieme tétracorde que Meibomius prétend qu’il n’a fait que rétablir ; quoi qu’il en soit, les systèmes particuliers des tétracordes firent bientôt place à celui de l’octave qui les contient tous.

Les cinq tétracordes dont je viens de parler étoient appellés immuables, parce que leur accord ne changeoit jamais ; mais ils contenoient chacun deux cordes qui, bien qu’accordées de la même maniere dans tous les cinq tétracordes, étoient pourtant sujettes, comme je l’ai dit, à être haussées ou baissées, selon le genre, ce qui se faisoit dans tous les tétracordes également ; c’est pour cela que ces cordes s’appelloient mobiles.

L’accord diatonique ordinaire du tétracorde formoit trois intervalles, dont le premier étoit toujours d’un semi-ton, & les deux autres d’un ton chacun, de cette maniere, mi fa sol la.

Pour le genre chromatique, il falloit baisser d’un semi-ton la troisieme corde, & l’on avoit deux semi-tons consécutifs, puis une tierce mineure mi fa fa diese, la.

Enfin, pour le genre enharmonique il falloit baisser les deux cordes du milieu jusqu’à ce qu’on eût deux quarts de ton consécutifs, puis une tierce majeure : ainsi mi mi demi-diese fa la ; ou bien, à la maniere des Pythagoriciens, mi mi diese fa & la.

Il y avoit après cela plusieurs autres modifications de chaque genre qu’on pourra voir aux mots Syntonique, Tonique mol, Hémiolien. (S)