L’Encyclopédie/1re édition/SPINA VENTOSA

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SPINA VENTOSA, s. m. maladie de Chirurgie, qui consiste dans une carie interne des os, principalement vers les jointures où elle a coutume de commencer sans douleur ; ensuite la face interne du corps de l’os & la moëlle même se corrompent. La carie pénetre peu-à-peu jusqu’à la surface externe ; les os deviennent mous ou vermoulus, & se cassent quelquefois, ne pouvant résister à l’effort des muscles dans les mouvemens violens & subits auxquels ils sont exposés ; ou bien ils se gonflent, & il y survient une exostose. Quand l’os est carié, le périoste se détache & se corrompt aussi sans qu’il paroisse aucune tumeur au-dehors. Pendant que l’humeur qui cause cette maladie, ronge le périoste, il s’y excite à cause de sa sensibilité, une douleur vive & piquante, comme si l’on étoit percé par une épine, d’où vient le nom de ce cruel mal, c’est-à-dire du mot latin spina, épine. Lorsque le périoste est consumé, la douleur cesse, l’humeur s’épanche dans les chairs & forme une tumeur lâche, molle, indolente, sans changement de couleur à la peau ; & parce que cette tumeur semble remplie d’une humeur venteuse ou flatueuse, qu’elle imite l’édème, & que ventosité chez les Arabes signifie tumeur édémateuse, on a ajouté au mot de spina, celui de ventosa ou ventositas spinæ. Cette espece d’abscès étant ouvert par lui-même ou par l’opération, il en sort un pus séreux, & il en résulte un ulcere sinueux ou fistuleux, qui ne se peut guérir que la carie ne soit enlevée par le fer ou par le feu. Il s’y joint ordinairement une fievre lente, & le malade meurt souvent en consomption.

La cause de cette maladie est souvent un virus vénérien dégénéré, ou un virus scorbutique ou écrouelleux.

Avicenne a parlé du spina ventosa, lib. IV. fenit. 4. tract. 4. c. ix. Pandolfin en a fait un traité entier, auquel Mercklin a ajouté des notes. M. A. Sévérius en a écrit aussi un traité, sous le nom de pædarthrocace, terme composé de trois mots grecs, παῖς, παιδὸς, puer, enfant, jeune personne, ἄρθρον, articulus, articulation, & κακὴ, malum, mal, à cause que ce mal attaque principalement les enfans & les jeunes gens, & rarement ceux de 25 ou 30 ans, à moins qu’ils n’en aient été incommodés auparavant sans être guéris, & parce qu’il commence presque toujours par les jointures.

Le prognostic est fort douteux, on a souvent vu cette maladie se reproduire ailleurs, après l’avoir détruite dans une partie.

Dans le commencement, lorsqu’il n’y a point encore ulcération à l’os, on peut tâcher de guérir cette maladie après les remedes généraux, par un régime convenable. L’usage de la décoction des bois sudorifiques, l’application extérieure des cataplames résolutifs & aromatiques, les onctions mercurielles, & autres remedes suivant la sagacité du guérisseur. Si ces secours loin de diminuer les accidens semblent augmenter les douleurs, c’est un signe qu’il se fait abscès dans l’os ; on ne peut l’ouvrir trop promptement, pour éviter les progrès de la carie que le pus occasionne dans l’intérieur. M. Petit rapporte dans son Traité des maladies des os, à l’article de la carie, avoir donné issue par l’opération du trépan, à un abscès dans la cavité du tibia. Un homme avoit été traité méthodiquement de la vérole, traitement qui fit disparoître une tumeur à la partie moyenne du tibia. Les douleurs ne cesserent pas entierement ; elles augmenterent quinze jours après être sorti de chez M. Petit. Le malade avoit de la fievre ; sa jambe étoit devenue rouge, & même douloureuse à l’extérieur. On délibera dans une consultation qu’il falloit ouvrir l’endroit où il y avoit eu tumeur, pour donner issue à quelque matiere qu’on soupçonnoit être infiltrée dans le périoste, & causer ces accidens. L’incision ne procura aucun soulagement ; on se détermina deux jours après à l’application du trépan qui procura une évacuation considérable d’un pus très-fétide. La moëlle étoit toute fondue, & le canal paroissant presque vuide. M. Petit appliqua trois autres couronnes de trépan, & coupa les ponts qui restoient des uns aux autres. Le cautere actuel fut appliqué plusieurs fois pour détruire la carie, & le malade guérit. Il y a plusieurs observations de cette nature, & on réussit presque toujours lorsque l’opération n’a pas été trop differée. Ce spina ventosa est une exostose suppurée. Voyez Exostose.

Il n’est pas toujours possible de détruire ces exostoses & ces caries. Lorsque par leur situation elles ne sont pas accessibles, il faut en venir au remede extérieur, qui est l’amputation du membre. J’ai eu occasion d’ouvrir une tumeur qui sembloit aquoflatueuse, à la partie interne & inférieure de la cuisse d’un jeune homme de 20 ans. Cette tumeur qui étoit sans changement de couleur à la peau, avoit été précédée par des douleurs assez vives dans l’os du fémur, ce qui caractérisoit un spinosa ventosa. Après avoir donné issue par une incision, à une grande quantité de matiere assez fétide, je portai mon doigt dans le foyer de cet abscès, il passa par-dessus le muscle vaste interne, à la partie postérieure du fémur, où je sentis un trou à l’os qui pénétroit dans la cavité. Il fallut nécessairement faire l’amputation de la cuisse, n’étant pas possible de travailler à la destruction de la carie dans un lieu où l’os est recouvert d’une aussi grande quantité de muscles & de vaisseaux considérables. (Y)