L’Encyclopédie/1re édition/SATYRIASIS

SATYRIASIS, s. m. (Médecine.) maladie qui met les hommes qu’elle attaque dans cet état de salacité, qui, suivant la mythologie, caractérisoit les satyres, voyez ce mot. Ces malades n’ont quelquefois d’autre incommodité, qu’un appétit violent des plaisirs vénériens, qui dégénere presque en fureur : il est déterminé par une érection constante & voluptueuse de la verge ; cet état en faisant naitre les desirs les plus vifs, est dans la plûpart la suite & le signe d’un besoin pressant, & la source & l’avant-coureur de la volupté, en quoi le satyriasis differe, comme nous l’avons observé du priapisme, voyez ce mot ; mais cet appetit est tel dans plusieurs, qu’il subsiste même après qu’on l’a satisfait, & qu’il exige qu’on réitere souvent l’acte qui en est le but & qui le fait ordinairement cesser.

Baldassar Timéus rapporte l’histoire d’un musicien, dont le satyriasis étoit porté au point que le coït répeté plusieurs fois dans l’espace de quelques heures, étoit encore insuffisant pour émousser l’aiguillon qui l’y excitoit. Casuum medicin. lib. III. consult. 52. il semble même qu’alors le satyriasis en est plus irrité ; il cesse pendant quelques instans, & reprend bientôt après avec une nouvelle vigueur ; il en est de ces cas particuliers, comme de la demangeaison des yeux qu’on calme en les frottant, mais qui peu de tems après en est augmentée, & dégénere en cuisson douloureuse.

Les causes du satyriasis consistent dans un vice de la semence & des parties génitales ; la semence péche par sa quantité, lorsqu’une continence exacte l’a laissé ramasser en trop grande abondance, ou que des médicamens actifs, aphrodisiaques, en ont fait augmenter la secrétion ; elle péche en qualité, lorsque par quelque vice du sang ou par l’usage des remedes âcres échauffans, elle devient plus âcre, plus active, plus propre à irriter les reservoirs où elle se ramasse. La disposition vicieuse des parties génitales consiste dans une tension plus grande, une sensibilité excessive qui les rend susceptibles des plus legeres impressions, obéissantes au moindre aiguillon ; cet effet peut être produit par les mêmes causes ; c’est de leur concours que dépend le satyriasis qui survient aux phthisiques, aux personnes qui ont fait usage des cantharides, du satyrion, ou autre remede semblable ; on peut ajouter à ces causes, la débauche, la crapule, la manustupration, les lectures deshonnêtes, les peintures obscenes, les conversations libertines, les attouchemens impudiques, &c. alors l’érection devient un état presque habituel de la verge, l’irritation constante de ces parties y attire une plus grande quantité d’humeurs qui forment une espece de semence, & en rendant la secrétion plus abondante, fournissent aux excès de son excrétion.

Les hommes sont les seuls sujets au satyriasis proprement dit, les femmes ne sont cependant pas exemptes des maladies qui ont pour caractere un desir insatiable des plaisirs vénériens ; le besoin est le même dans l’un & l’autre sexe, & les fautes sont générales ; les femmes en sont même plus punies que les hommes, les maladies de cette espece font chez elles plus de progrès, & sont beaucoup plus violentes ; leur imagination plus échauffée s’altere par la contrainte où les lois de leur éducation les obligent de vivre ; le mal empire par la retenue, bien-tôt il est au point de déranger la raison de ces infortunées malades ; alors soustraites à son empire & n’écoutant plus que la voix de la nature, elles cherchent à lui obéir ; elles ne connoissent plus, ni décence, ni pudeur ; rien ne leur paroît deshonnête pourvû qu’il tende à satisfaire leurs desirs ; elles agacent tous les hommes indifféremment & se précipitent avec fureur entre leurs bras, ou tâchent par des moyens que la nature indique & que l’honnêteté proscrit, de suppléer à leur défaut ; cette maladie est connue sous les différens noms de fureur utérine, d’érotomanie, nimphomanie, &c. Voyez ces articles.

Le satyriasis qu’excite une trop grande quantité de semence retenue, se dissipe d’ordinaire par son excrétion légitime, & n’a point de suite fâcheuse : mais celui qui se prend du trop d’activité de la semence & d’une tension immoderée des parties de la génération, est plus lent & plus difficile à guérir ; s’il persiste trop long-tems, il donne naissance à des symptomes dangereux, tels que la mélancholie ; difficulté de respirer, dysurie, constipation, feu intérieur, soif, dégoût, fievre lente enfin, & phthisie dorsale qui préparent une mort affreuse. Tous ces accidens sont l’effet d’une excrétion immoderée de semence, Voyez ce mot & Manustupration. Themison, un des plus anciens auteurs qui ait écrit sur cette maladie, assure que plusieurs personnes moururent en Crete, attaquées du satyriasis.

On ne peut esperer de guerison plus prompte & plus certaine dans le satyriasis qui est l’effet d’une rigoureuse continence, que par l’évacuation de l’humeur superflue qui l’excite ; il faut conseiller à ces malades de se marier ; c’est le seul moyen autorisé par la religion, les lois & les mœurs, de rendre l’excrétion de semence légitime, mais ce n’est pas le seul qui la rende avantageuse ; le médecin est cependant obligé de s’y tenir & d’y sacrifier souvent la santé de ses malades ; il est d’ailleurs destitué de remedes qui puissent procurer cette excrétion, de même que les purgatifs procurent celle des sucs intestinaux ; les diurétiques celle des urines, &c. L’usage immoderé de la biere occasionne bien un flux gonorrhoïque, mais ce n’est que de l’humeur des prostates. Je ne doute pas que s’il connoissoit de pareils secours, il ne pût en toute sureté de conscience les administrer dans le cas de nécessité. Si donc le malade ne peut pas absolument se marier ; il faudra chercher des remedes à ses maux dans les rafraîchissans, dans le travail, l’exercice outré, les veilles, & le gorger de boissons nitreuses, de tisanes de nymphea, d’émulsions préparées avec les graines de pavot, les semences de chanvre, d’agnuscastus & le syrop de nymphea, lui faire prendre des bains froids, le mettre à une diete un peu sévere, ne le nourrir que d’alimens legers & adoucissans ; lui interdire l’usage du vin & des liqueurs spiritueuses ; enfin l’exténuer de différentes façons ; & pour le délivrer d’une simple incommodité, si facile à dissiper par des moyens illégitimes, lui donner à leur défaut une maladie très-sérieuse ; encore par cette méthode risque-t-on souvent de manquer son but ; la maladie en s’invéterant s’opiniâtre, la semence par un long séjour devient âcre & plus active, les érections sont en conséquence plus fortes & plus fréquentes ; & le satyriasis entretenu par les vices de quantité & qualité de la semence, & par la disposition maladive des parties de la génération, devient plus difficile à guérir ; on n’a cependant lieu d’attendre du soulagement que dans l’usage continuel des secours proposés ; on peut y joindre les préparations du plomb, le sel de Saturne en très-petite quantité ; il seroit dangereux d’insister encore trop long-tems sur ce remede, personne n’ignore les terribles effets que son usage intérieur produit ; on peut aussi avoir recours aux applications locales sur la région des lombes qui passent pour amortir les feux de l’amour ; telles sont les fomentations avec l’oxicrat, la liqueur de Saturne, les ceintures de l’herbe de nymphea, l’application d’une plaque de plomb, les immersions fréquentes des parties affectées dans de l’eau bien froide, &c. Parmi tous ces remedes, l’expérience heureuse de Timeus paroît avoir particulierement consacré la vertu du nitre & du nymphea ; cet auteur rapporte qu’ayant épuisé tous les rafraichissans que la matiere médicale fournit, sur le musicien attaqué du satyriasis, dont nous avons parlé au commencement de cet article, il lui conseilla de se marier, suivant l’axiome de saint Paul, qu’il vaut mieux se marier que brûler. Le malade suit le conseil, épouse une robuste villageoise, & laisse entre ses bras une partie de sa maladie, quelque tems après le satyriasis reparoît avec plus de violence, il lasse son épouse & s’énerve de plus en plus ; il demande de nouveaux remedes : Timeus propose le jeûne & la priere, mais il n’en éprouve d’autre effet qu’un dérangement d’estomac, & sa maladie augmente au point, que fatigué & anéanti par les fréquentes excrétions auquelles il ne pouvoit se refuser, & croyant tous les secours inutiles, il imaginât de mettre fin à ses maux par une opération, dont l’effet étoit immanquable, mais trop fort. Timeus la déconseille & l’en détourne, en lui représentant le danger pressant qu’elle entraînoit ; enfin, se rappellant qu’un néphrétique après un long usage du nitre étoit resté impuissant, il essaye ce remede & donne une prise de ce sel le matin & le soir dans de l’eau de nymphea ; ce dernier secours fut si efficace, qu’en moins d’un mois les feux de ce musicien furent amortis, de façon qu’à peine il pouvoit satisfaire aux devoirs que lui imposoit le mariage vis-à-vis son épouse, lui qui auparavant eût été un champion digne de la fameuse Messaline.

Quæ resupina jacens multorum absorbuit ictus,
Et lassata viris nondum satiata recessit.

(m)