L’Encyclopédie/1re édition/RAGHLES

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RAGHLES, (Géogr. mod.) petite ile d’Irlande, dans le lac qui porte le nom de Dirg. Ce lac est dans l’Irlande septentrionale, au comté de Dungall, vers les confins du comté de Fermanagh, & s’appelloit autrefois Liffer. Au milieu de ce lac est l’île de Raghles, fort célebre avant la réformation, parce qu’on la regardoit comme le faubourg du purgatoire. Les moines y avoient bâti une cellule auprés d’une profonde caverne, & faisoient accroire au peuple que quiconque auroit le courage d’entrer dans cette caverne, iroit de-là en purgatoire, où il verroit & entendroit des choses extraordinaires.

Pour accréditer cette fourberie, ils disoient que saint Patrice prêchant dans cette île à des Irlandois incrédules, obtint de Dieu par ses prieres que la terre s’ouvrît dans cet endroit jusqu’au purgatoire, afin que ses auditeurs fussent convaincus par leurs propres yeux de la vérité de sa prédication, au sujet des peines des méchans après cette vie. Mais il est certain que dans le tems de saint Patrice on ne connoissoit pas même cette petite île, & qu’on n’en a oui parler que plusieurs siecles après sa mort.

Vers la fin du regne de Jacques I. deux seigneurs, Richard Boyle, comte de Corck, & Adam Lostus, chancelier d’Irlande, avides de découvrir le vrai, envoyerent faire d’exactes perquisitions sur les lieux, par des personnes de probité. L’on trouva que cette caverne, que l’on donnoit pour être le chemin du purgatoire, n’étoit autre chose qu’une cellule assez étroite creusée dans le roc, où il n’entroit de jour que par la porte, qui étoit si basse, qu’un homme de grande taille pouvoit à peine s’y tenir debout.

Quand il venoit quelqu’un dans l’île assez curieux pour hasarder le voyage du purgatoire, un petit nombre de moines qui demeuroient proche de la caverne, le faisoient long-tems jeûner & veiller en même tems ; ils ne l’entretenoient que des étranges choses qu’il verroit. Toutes ces idées affreuses de diables, de flammes, de feu, de damnés, s’imprimoient fortement dans la cervelle affoiblie par les jeûnes & les insomnies ; & le pauvre voyageur croyoit avoir vu tout ce qu’on lui avoit dit.

Les seigneurs qu’on a nommés ayant découvert ces honteuses impostures, qui déshonoroient la religion, obligerent les moines à se retirer de-là ; & pour empêcher à l’avenir leurs fourberies, ils firent démolir leurs habitations & ouvrir la caverne, qui a toujours été découverte & exposée aux yeux du public depuis ce tems-là. (D. J.)