L’Encyclopédie/1re édition/QUERNFURT

QUERNFURT, (Géog. mod.) principauté ou seigneurie d’Allemagne dans la Thuringe, & qui appartient aux électeurs de Saxe. On y compte quatre bailliages, dont le principal se nomme Saxenbourg.

C’est dans ce dernier bailliage qu’est né, l’an 1556, Calvisius (Seth) célebre chronologiste. Il étoit fils d’un pauvre paysan, & n’ayant point de moyens d’étudier, il commença par gagner sa vie à chanter de porte en porte. Il amassa par ce secours une petite somme qui le mit en état de s’entretenir à Leipsick, où il fut établi chantre de l’école illustre, & finalement chef de la musique. Se trouvant à son aise, il s’attacha fortement à l’étude de l’histoire & de la chronologie pendant l’espace de vingt ans, au bout desquels il publia son ouvrage de chronologie.

Il découvrit en y travaillant, que toute la certitude de cette science dépend des regles de l’Astronomie, & que les Chronologistes qui ont négligé les calculs astronomiques, sont tombés dans les fautes les plus grossieres. Il examina donc soigneusement toutes les époques, calcula plus de cent cinquante éclipses, dont les historiens font mention, pour déterminer par-là le tems précis des événemens.

Il dressa des tables astronomiques, par lesquelles on peut connoître facilement le mouvement de la lune, tant pour la longitude, que pour la latitude ; ensorte qu’à la faveur de ces tables, une personne qui n’entend point l’astronomie, peut dire certainement, que les éclipses indiquées par les historiens, pour déterminer certains événemens, sont arrivées au tems marqué. Il y ajouta des tables de la précession des équinoxes & des solstices, & plusieurs autres tables, montrant par les regles les plus sûres, comment on peut comparer avec précision une époque avec une autre époque, ce qu’aucun autre chronogiste n’avoit fait avant lui. Il joignit à tout cela une chronologie depuis la création du monde, où il fit entrer l’histoire de tous les tems, caractérisée par des circonstances, qui mettent des enfans même à portée de comprendre & de retenir la suite de l’histoire.

Cet ouvrage attaqué avec peu de succès, fut extrèmement approuvé par Scaliger, & l’a été depuis par les autres savans de l’Europe. Il couta vingt années de travail à l’auteur, & lui acquit la plus haute réputation. Il mourut l’an 1615. L’index expurgatoire de Madrid de 1667, le mit au rang des hérétiques ; mais comme il n’a jamais publié d’ouvrages théologiques, je ne lui connois d’autre hérésie, que celle d’avoir combattu dans ses écrits le calendrier Grégorien.

Ces ridicules indices expurgatoires sont, pour le dire en passant, les fruits de l’intolérance & de la barbarie. Ils ne servent à rien ; & d’ailleurs tout livre étranger, jusqu’aux almanachs inclusivement, doit être hérétique en Espagne : c’est pourquoi je pense que les auteurs de leurs indices expurgatoires ne peuvent rien faire de mieux que de se reposer, & défendre sans exception l’entrée dans leur pays, pour tout livre imprimé & à imprimer, sur quelque art & quelque science que ce puisse être. L’objet de cette défense sera d’autant plus sage, qu’à présent le venin des hérésies se prépare trop finement, pour que les artistes Espagnols le découvrent. Joignez au venin subtilement préparé, les livres ouvertement hérétiques, qui paroissent chaque jour dans toute l’Europe, & vous trouverez que leur liste, un peu complette, produiroit un catalogue annuel plus grand que celui des manuscrits de la bibliotheque du roi. Mais si les inquisiteurs prennent le parti que je viens de proposer, la nation espagnole ne se nourrira que de ses propres ouvrages de Théologie scholastique, de Droit canon, de Philosophie aristotélicienne, &c. & on les verra refleurir dans leur royaume, au grand étonnement de l’Europe savante, & à la satisfaction des inquisiteurs. (D. J.)