L’Encyclopédie/1re édition/QUADRATURE
QUADRATURE, s. f. terme de Géométrie ; maniere de quarrer ou de réduire une figure en un quarré, ou de trouver un quarré égal à une figure proposée.
Ainsi la quadrature d’un cercle, d’une parabole, d’une ellipse, d’un triangle, ou autre figure semblable, consiste à faire un quarré égal en surface à l’une ou à l’autre de ces figures. Voyez Cercle. &c.
La quadrature des figures rectilignes est du ressort de la Géométrie élémentaire ; il ne s’agit que de trouver leurs airs ou superficie, & de la transformer en un parallelogramme rectangle.
Il est facile ensuite d’avoir un quarré égal à ce rectangle, puisqu’il ne faut pour cela que trouver une moyenne proportionnelle entre les deux côtés du rectangle. Voyez Aire, Quarré. Voyez aussi les méthodes particulieres de trouver les superficies de ces figures aux mots Triangle, Parallelogramme, Trapese, &c.
La quadrature des courbes, c’est-à-dire la maniere de mesurer leur surface, ou de trouver un espace rectiligne égal à un espace curviligne, est une matiere d’une spéculation plus profonde, & qui fait partie de la Géométrie sublime. Archimede paroît être le premier qui ait donne la quadrature d’un espace curviligne, en trouvant la quadrature de la parabole.
Quoique la quadrature des figures, sur-tout celle du cercle, ait été l’objet de l’application des plus fameux mathématiciens de l’antiquité, on peut dire qu’on n’a rien fait de considérable sur cette matiere, que vers le milieu du dernier siecle ; savoir en 1657, que MM. Neil & Brounker, & après eux M. Christophle Wren, ont trouvé les moyens de démontrer géométriquement l’égalité de quelques espaces curvilignes courbes, avec des espaces rectilignes.
Quelques tems après, plusieurs géometres, tant anglois que des autres nations, firent les mêmes tentatives sur d’autres courbes, & réduisirent le probleme au calcul analytique. Mercator en publia pour la premiere fois l’essai en 1688, dans une démonstration de la quadrature de l’hyperbole de milord Brownker, dans laquelle il se servit de la méthode de Wallis pour réduire une fraction en une suite infinie par le moyen de la division.
Il paroît cependant, pour le dire en passant, que M. Newton avoit deja découvert le moyen de trouver la quadrature des courbes par sa méthode des fluxions, avant l’année 1668. Voyez Fluxion.
Messieurs Christophe Wrend & Huyghens se disputent la gloire d’avoir découvert la quadrature d’une portion de la cycloïde. M. Leibnitz découvrit ensuite celle d’une autre portion ; & en 1699. M. Bernoulli découvrit celle d’une infinité de segmens & de secteurs de cycloïde. Voyez les mém. de l’acad. de 1699.
Quadrature du cercle, est la maniere de trouver un quarré égal à un cercle donné. Ce probleme a occupé inutilement les mathématiciens de tous les siecles. Voyez Cercle.
Il se réduit à déterminer le rapport du diametre à la circonférence, ce qu’on n’a pu faire encore jusqu’ici avec précision.
Si ce rapport étoit connu, on auroit aisément la quadrature du cercle, puisqu’il est démontré que sa surface est égale à celle d’un triangle rectangle qui a pour hauteur le rayon du cercle, & pour base une ligne égale à sa circonférence. Il n’est donc besoin pour quarrer le cercle que de le rectifier. Voyez Circonference & Rectification.
Le probleme de la quadrature du cercle consiste proprement dans l’alternative de trouver cette quadrature ou de la démontrer impossible. La plûpart des géometres n’entendent par quadrature du cercle que la premiere partie de cette alternative ; cependant la seconde resoudroit parfaitement le problême. M. Newton a déja démontré dans le premier livre de ses principes mathématiques, sect. VI. tom. XXVIII. que la quadrature indéfinie du cercle, & en général de toute courbe ovale, étoit impossible, c’est-à-dire qu’on ne pouvoit trouver une méthode pour quarrer à volonté une portion quelconque de l’aire du cercle ; mais il n’est pas encore prouvé qu’on ne puisse avoir la quadrature absolue du cercle entier. Si on avoit le rapport du diametre à la circonférence, on auroit, comme on l’a déja dit, la quadrature du cercle, d’où il suit que pour quarrer le cercle il suffit de le rectifier, ou plutôt que l’un ne peut se faire sans l’autre. Il n’y a point de courbe qui réellement & en elle-même ne soit égale à quelque ligne droite, car il n’y en a point que l’on ne puisse concevoir exactement enveloppée d’un fil, & puis développée ; mais il faut pour les géometres que ce qu’ils connoissent de la nature de la courbe puisse leur servir à trouver cette ligne droite, ou ce qui revient au même, il faut que cette ligne soit renfermée dans des rapports connus, de maniere à pouvoir elle-même être exactement connue. Or quoiqu’elle y soit toujours renfermée, elle ne l’est pas toujours de la maniere dont nous aurions besoin ; au-delà d’un certain point qui n’est pas même fort éloigné, nos lumieres nous abandonnent & aboutissent à des ténebres.
Ceux qui desireront un plus grand détail sur la quadrature du cercle, peuvent avoir recours à l’ouvrage que M. Montucla a publié en 1754. sur ce sujet, sous le titre d’histoire des recherches sur la quadrature du cercle. Ils y trouveront un recit fidele, savant & raisonné des travaux des plus grands géometres sur cette matiere, & ils y apprendront à se prémunir contre les promesses, les jactances & les inepties des quadrateurs. Une de leurs principales prétentions est de croire que le problème de la quadrature du cercle est fort important pour les longitudes ; en quoi ils se trompent grossierement, ces deux problêmes n’ayant aucun rapport.
Plusieurs géometres ont approché fort près de ce rapport. Archimede paroît avoir été un des premiers qui ont tenté de la decouvrir, & a trouvé par le moyen des polygones réguliers de 96 côtés inscrits & circonscrits au cercle, que ce rapport est comme 7 à 22. Voyez Polygone.
Quelques-uns des modernes ont approché beaucoup plus près, sur-tout Ludolphe de Ceulen qui a trouvé après des calculs infinis, qu’en supposant que ce diametre soit 1, la circonference est plus petite que 3. 14159265358979323846264338387950 ; mais plus grande que ce même nombre en mettant l’unité pour dernier chifre.
Les géometres ont encore eu recours à d’autres moyens, sur-tout à des especes de courbes particulieres qu’on appelle quadratrices ; mais comme ces courbes sont méchaniques ou transcendantes, & non point géométriques, elle ne satisfait point exactement à la solution du problème. Voyez Transcendant, Méchanisme & Quadratrice.
On a donc employé à l’analyse, & tenté de resoudre ce problème par plusieurs méthodes différentes, & principalement en employant certaines séries qui donnent la quadrature approchée du cercle par une progression de termes. Voyez Série ou Suite.
En cherchant par exemple une ligne droite égale à la circonférence d’un cercle, on trouve en supposant pour le diametre, que la circonférence doit être &c. qui forment une suite infinie de fractions dont le numérateur est toujours 4, & dont les dénominateurs sont dans la suite naturelle des nombres inégaux ; & tous ces termes sont alternativement trop grands & trop petits.
Si l’on pouvoit trouver la somme de cette suite, on auroit la quadrature du cercle ; mais on ne l’a point encore trouvée, & il y a même apparence qu’on ne la découvrira de long-tems. On n’a point cependant démontré que la chose soit impossible, ni par conséquent que la quadrature du cercle le soit aussi.
D’ailleurs comme on peut exprimer la même grandeur par différentes séries, il peut se faire aussi que l’on puisse exprimer la circonférence d’un cercle par quelque autre série dont on puisse trouver la somme. Nous avons deux suites infinies qui expriment la raison de la circonférence au diametre, quoique d’une maniere indéfinie. La premiere a été découverte par M. Newton, qui a trouvé, en supposant pour le rayon, que le quart de la circonférence est , &c. La seconde est de M. Léibnitz, qui trouve de même que le rayon étant l’arc de 45 degrés, est la moitié de , &c. Voici la maniere de trouver chacune de ces séries par le calcul intégral ; on la doit à M. Newton.
Quadrature du cercle par M. Newton. Soit le rayon du cercle (Planch. d’anal. fig. 24.) , , & , &c. à l’infini. Voyez Binome. Donc &c, à l’infini.
Et à l’infini.
Lorsque x devient égal au rayon CA, l’espace DCPM se change en un quart de cercle. Substituant donc 1 à x, le quart de cercle sera , &c. à l’infini. Cette même série peut servir à mesurer la surface entiere du cercle, en supposant son diametre = 1.
Quadrature du cercle par M. Léibnitz. Soit la tangente KB (Pl. d’analyse fig. 25.) = x, BC = 1 ; la secante AC infiniment proche de CK ; décrivez avec le rayon CK le petit arc KL : vous aurez AK = dx, . Maintenant puisque les angles B & L sont droits, & l’angle BKC = KAC, à cause de la petitesse infinie de l’angle KCL, nous aurons KC : BC :: KAKL, c’est-à-dire
De plus, CK : KL :: CM : mM ; c’est-à-dire
: :: 1 ::
Donc le secteur &c. & l’on trouve, par le calcul intégral, le secteur BCM (dont la tangente KB est x) &c. & ainsi à l’infini. C’est pourquoi si BM est la huitieme partie du cercle ou un arc de 45d. le secteur sera &c. à l’infini. Donc le double de cette série &c. à l’infini, est le quart de cercle.
Quadrature des lunules. Quoiqu’on n’ait point encore trouvé jusqu’ici la quadrature parfaite du cercle entier, on a cependant découvert les moyens de quarrer plusieurs de ses portions. Hippocrate de Chio est le premier qui ait quarré une portion du cercle à qui sa figure a fait donner le nom de lunule. Voyez Lunule.
Cette quadrature ne dépend point de celle du cercle ; mais aussi ne s’étend-elle que sur la lunule entiere ou sur sa moitié.
Quelques géometres modernes ont cependant trouvé la quadrature d’une portion de la lunule à volonté, indépendamment de celle du cercle ; mais elle est toujours sujette à certaine restriction, qui empêche que la quadrature ne soit parfaite, ou, pour me servir du langage des Géometres, absolue & indéfinie.
M. le Marquis de l’Hopital a donné en 1701 une nouvelle maniere de quarrer les parties de la lunule prises en différentes manieres & sous différentes conditions ; mais elle est sujette aux mêmes imperfections que les autres.
Quadrature de l’ellipse. L’ellipse est une courbe dont on n’a point encore trouvé la quadrature exacte ; ce qui oblige d’avoir recours à une série. Soit AC (Planc. anal. fig. 26.) = a, GC = C, PC = x, on aura
mais < à l’infini. Donc , &c. à l’infini.
Si l’on substitue a au lieu de x, le quart de l’ellipse sera , &c. à l’infini.
Il suit de là 1°. que si on fait , l’aire de l’ellipse sera , &c. à l’infini. D’où il est évident qu’une ellipse est égale à un cercle dont le diametre est moyen proportionnel entre les axes conjugués de cette même ellipse. 2°. Qu’une ellipse est à un cercle dont le diametre est égal au grand axe, comme ac à a2 ; c’est à-dire comme c à a, ou comme le petit axe est au grand. D’où il suit que la quadrature du cercle donne celle de l’ellipse ; & au contraire.
Quadrature de la parabole. Soit l’équation de la parabole, donc : donc . Donc .
D’où il suit que l’espace parabolique est au rectangle de la demi-ordonnée par l’abscisse comme à xy, c’est-à-dire comme 2 à 3.
Si la courbe n’étoit point décrite, & que l’on n’eût que son équation, en sorte que l’on ne sût point où l’on doit fixer l’origine de x, on feroit x = 0 dans l’intégrale ; & effaçant tout ce qui est multiplié par x, on ajouteroit le restant, supposé qu’il y en eût, avec un signe contraire, & l’on auroit la quadrature cherchée. Mais cela demanderoit un détail trop profond pour appartenir à cet ouvrage : on en verra un exemple à la fin de cet article.
Quadrature de l’hyperbole. Mercator de Holstein, l’inventeur des suites infinies, est le premier qui en ait donné la quadrature analytique : il trouvoit sa suite par la division ; mais MM. Newton & Léibnitz ont perfectionné sa méthode.
Maniere de quarrer l’hyperbole entre ses asymptotes, suivant la méthode de Mercator. Puisque dans une hyperbole entre ses asymptotes, ; si , ce que l’on peut supposer, puisque la détermination de b est arbitraire, on aura
c’est-à-dire (en faisant actuellement la division)
à l’infini.
Quadrature de la cycloïde. On a dans cette courbe (Pl. anal. fig. 27.) AQ : QP ∷ MS : mS.
Soit donc , , on aura & . Mais il est démontré que &c. à l’infini. Donc les numérateurs des exposans étant diminués d’une unité dans la division par x) x^{-1:2}dx - 1/2 x^{1:2}dx - 1/8 x^{3:2}dx - 1/16 x^{5:2}dx à l’infini. Donc la somme &c. à l’infini, est la demi-ordonnée de la cycloïde QM comparée à l’axe AP. D’où il suit que AMQ ou l’élément QMSq de l’espace cycloïdal &c. à l’infini. Donc la somme &c. à l’infini, exprime le segment de la cycloïde AMQ.
Si l’on multiplie par , on aura l’élément de l’aire qui étant le même que l’élément du segment de cercle APQ, l’espace AMG sera égal au segment de cercle APQ, & par conséquent l’aire ADC égale au demi-cercle APB.
Puis donc que CB est égal à la moitié de la circonférence du cercle, si l’on suppose celle-ci = p & AB = a, le rectangle BCDA sera = ap ; & le demi-cercle APB, & par conséquent l’espace cycloïdal externe . Donc l’aire de la moitié de la cycloïde , & AMCBPA = ap. D’où il suit que l’aire de la cycloïde est triple du cercle générateur.
Quadrature de la logarithmique. Soit la soutangente PT (Pl. anal. fig. 28.) = a, PM = x, Pp = dx, on aura
Donc l’espace indéterminé HPMI est égal au rectangle de PM par PT. Soit 1°. Qs = z : pour lors l’espace 1 SQH = az ; & par conséquent ; c’est-à-dire que l’espace compris entre deux ordonnées est égal au rectangle de la soutangente, par la différence de ces ordonnées. 2°. Donc l’espace BAPM est à l’espace PMSQ comme la différence des ordonnées AB & PM est à celle des ordonnées PM & SQ.
Quadrature de la courbe de Descartes, exprimée par l’équation b2 : x2 :: b-x : y.
Quadrature de toutes les courbes comprises sous l’équation générale
Pour rendre l’élément intégrable, supposons
soit le restant . Donc l’aire de la courbe .
Cette derniere opération est fondée sur deux principes. 1°. que l’aire de la courbe doit être nulle quand x = 0. 2°. Il faut que l’aire de la courbe soit telle que sa différence soit . Or en ajoutant le , avec un signe contraire, on satisfait à ces deux conditions, comme il est facile de s’en assûrer.
Comme les méthodes pour la quadrature des courbes sont presque toutes fondées ou sur les suites, ou sur le calcul intégral, il s’ensuit que pour se mettre au fait de cette matiere, il faut se rendre familier l’usage des suites & les méthodes du calcul integral. Voyez Suite &. (O)
Quadrature de la lune, en Astronomie, est l’aspect ou la situation de la lune, lorsque sa distance au soleil est de 90 degrés. Voyez Lune.
La quadrature de la lune arrive lorsqu’elle est dans un point de son orbite également distant des points de conjonction & d’opposition ; ce qui arrive deux fois dans chacune de ses révolutions, savoir au premier & troisieme quartier. Voyez Orbite, Opposition, & Conjonction.
Quand la lune est en quadrature on ne voit que la moitié de son disque ; on dit alors qu’elle est dichotome, comme qui diroit coupée en deux. Voyez Phase & Dichotomie.
Lorsqu’elle avance des sysygies à la quadrature, sa gravitation vers la terre est d’abord diminuée par l’action du soleil, & son mouvement est retardé par la même raison, ensuite la gravitation de la lune est augmentée jusqu’à ce qu’elle arrive aux quadratures. Voyez Gravitation.
A mesure qu’elle s’éloigne de ses quadratures en avançant vers les sysygies, sa gravitation vers la terre est d’abord augmentée, puis diminuée. Voyez Sysygies.
C’est ce qui fait, selon M. Newton, que l’orbite de la lune est plus convexe toutes choses d’ailleurs égales à ses quadratures qu’à ses sysygies ; c’est aussi ce qui fait que la lune est moins distante de la terre aux sysygies, & l’est plus aux quadratures toutes choses égales. Voyez Orbite.
Lorsque la lune est aux quadratures, ou qu’elle n’en est pas fort éloignée, les apsides de son orbite sont rétrogrades ; mais elles sont progressives aux sysygies. Voyez Apsides.
L’orbite de la lune souffre plusieurs altérations pendant le cours de chacune de ses révolutions. Son excentricité est la plus grande quand la ligne des apsides est aux sysygies ; & la moindre lorsque cette ligne est aux quadratures. Voyez Excentricité.
Toutes ces inégalités viennent de l’action du soleil sur la lune, comme l’a fait voir M. Newton dans les coroll. de la prop. 66. du premier livre de ses principes de la philosophie naturelle. Voyez Lune. (O)
Quadrature, terme d’Horlogerie, voyez Cadrature.