L’Encyclopédie/1re édition/PAIRIE, comté-pairie

PAIRIE, comté-pairie, s. f. (Jurisp.) nous avons dit à cet article que « les justices de ces grands fiefs (comtés-pairies), ainsi que celles des duchés-pairies, sont toutes justices royales. L’érection d’une terre en comté-pairie mettant nécessairement cette terre dans la mouvance directe & immédiate de la couronne, il seroit absurde que la justice attachée à une dignité, à un fief de cette nature, fut seigneuriale ».

Il est très-certain que les justices des duchés-pairies & comtés-pairies nommément celles des évêchés de Beauvais, Châlons & Noyon, sont des justices seigneuriales, qu’elles s’exercent par des baillis, lieutenans, avocats & procureurs-fiscaux, nommés par les évêques de ces trois villes, & qui ne tiennent leurs offices que de ces comtes & pairs ; que ces officiers n’ont aucune provision du roi ; que leurs sentences ne sont point scellées du scel royal, & n’ont d’exécution qu’en vertu de la signature du bailli pour scel ; en un mot, que ces officiers sont de vrais officiers de justices seigneuriales, tels que ceux que les seigneurs établissent dans leurs terres. La seule prérogative qui résulte de la pairie est que l’appel des sentences de ces officiers même en matiere civile est porté directement au parlement, omisso medio, c’est-à-dire sans passer par le bailliage royal dans l’étendue duquel se trouve cette comté-pairie. Otez ce privilege qui leur est commun en matieres criminelles avec toutes les justices seigneuriales du royaume, elles n’en different en rien, elles n’enregistrent point les ordonnances, édits & réglemens ; elles ne connoissent point des cas royaux, des substitutions, des matieres bénéficiales, droits & domaines du roi, de ceux des églises, des délits des clercs & autres privilégiés, ni d’aucune des matieres qui sont réservées aux juges royaux.

Il y a dans chacune de ces trois villes, Beauvais, Châlons & Noyon, des bailliages royaux, dont les officiers connoissent de toutes matieres civiles, criminelles, bénéficiales, cas royaux, &c. & qui y ont la jurisdiction ordinaire sur tous les sujets du roi privilégiés & non-privilégiés, sauf en tout les droits des justices seigneuriales, tant de l’évêque comte & pair, que des autres hauts-justiciers de chacun de ces bailliages, lesquels peuvent revendiquer les causes de leurs vassaux dans les matieres dont les hauts-justiciers peuvent connoître.

Voilà la vraie idée qu’il faut prendre de l’espece de jurisdiction que les comtes & pairs font exercer en leurs noms dans leur territoire. Qu’il y ait quelque absurdité dans ce mélange de jurisdiction royale & seigneuriale en un même territoire, dans cette espece d’aliénation d’un des plus beaux droits de la couronne, dans cette concurrence journaliere de pouvoir & d’autorité entre le monarque & les sujets, il y a long-tems que les gens désintéressés forment des vœux pour la réunion de toutes ces branches au trône, & pour la cessation des conflits perpétuels & indécens qui naissent de cette bigarrure. Il seroit bien facile au ministre de satisfaire des vœux si légitimes, il ne faudroit peut-être qu’attirer son attention de ce côté-là.