L’Encyclopédie/1re édition/OSTENDE ou OOSTENDE

OSTENDE ou OOSTENDE, (Géog.) forte & considérable ville maritime des Pays bas dans la Flandre autrichienne, au quartier de Bruges, avec un bon port. Elle est sur la mer, à 4 lieues de Bruges, 3 de Nieuport, 6 de Dunkeique, & 3 de Bruxelles. Long. selon Cassini, 20. 21′. 33″. lat. 51. 10′. 36″.

Ostende n’étoit qu’un petit village en 814. Il devint bourg en 1072. Des pêcheurs l’entourerent d’une pallissade en 1372. Philippe le Bon l’environna de murailles en 1445. Enfin Ostende fut régulierement fortifiée en 1583 par le prince d’Orange, lorsqu’il étoit maître de Gand & de Bruges. Les Etats-Généraux l’ont cédée à l’empereur par le traité de Barriere conclu en 1715.

Entre les événemens qui regardent cette ville, il n’en est point de plus fameux que son siége par les Espagnols. Il leur en couta plus de 80 mille hommes, & les assiégés, dont la garnison fut renouvellée plusieurs fois, perdirent au-delà de 50 mille hommes. Le siege dura plus de trois ans ; car il commença le 5 Juillet 1601, & Ambroise Spinola prit la place le 14 Septembre 1604. Tout le monde ne sait pas les beaux vers que Grotius composa sur cette malheureuse ville avant la capitulation ; les voici.

Area parva ducum, totus quam respicit orbis,
Celsior una malis, & quam damnare ruinæ,
Nunc quoque fata timent ; alieno in littore resto.
Tertius annus abit : toties mutavimus hostem,
Sævit hyems pelago, morbisque furentibus æstas :
Et minimum est quod fecit iber. Crudelior armis,
In nos orta lues : nullum est sine funere funus :
Nec perimit mors una semel. Fortuna, quid hæres ?
Quâ mercede tenes mistos in sanguine manes ?

Quis tumulos moriens hos occupet, hoste perempto
Quæritur, & sterili tantum de pulvere pugna est.

Ces vers furent traduits en françois par Duvair, par Nicolas Rapin & par Malherbe ; mais aucune de ces traductions ne vaut l’original. (D. J.)

Ostende, compagnie d, (Com. marit.) fameuse compagnie des Pays-bas autrichiens qui se forma en 1718, & dont personne un peu instruit des affaires de commerce, n’ignore le sort.

Rien n’étoit mieux conçu que le plan de cette société. Le fonds fut arrêté à six millions de florins argent de change, divisé en 6 mille actions, de mille florins chacune. Les directeurs fixés au nombre de 8, furent choisis parmi les plus riches & les plus habiles négocians du pays, pour rester seulement six ans en direction. Le principal établissement aux Indes devoit être à Sandraspatan, frontiere des royaumes de Gingi & de Carnate, sur la côte de Coromandel, & l’empereur du Mogol avoit permis à la compagnie de bâtir un fort dans ses états. Le retour des marchandises devoit aborder à Bruges ou à Ostende, & être vendu dans une de ces deux villes.

Cette société formée dans l’espérance assurée d’obtenir la concession du prince, arma d’abord quelques vaisseaux pour l’Orient. Son crédit augmentant, elle multiplia le nombre de ses vaisseaux, elle en envoya cinq en 1720, six autres en 1721, & fit une vente en 1722, qui la mit en état de continuer son commerce avec succès. En 1723 elle eut son octroi gratis de l’empereur pour trente ans, avec les privileges les plus nobles & les plus amples qu’aucune compagnie de commerce ait encore reçue de son souverain. Non-seulement L. M. I. firent pour trois années la remise des droits d’entrée & de sortie, mais elle y ajouta un don gratuit de 300 mille écus pour favoriser ses premier commencemens. Aussi-tôt après l’enregistrement des lettres patentes, les livres furent ouverts pour les souscriptions, & elles furent remplies en un seul jour ; sur la fin du même mois elles gagnoient déja 12 à 15 pour cent.

Ces brillans avantages causerent la chute de cette compagnie ; car en même tems qu’ils enflerent le cœur de toutes les personnes qui y étoient intéressées, ils augmenterent la jalousie des compagnies hollandoises des Indes orientales & occidentales, qui ne pouvant plus voir de si puissans & de si voisins compétiteurs, prêts à partager leur commerce, demanderent aux Etats-Généraux la liberté de le maintenir par la force, assurés du succès de leur requête, du soutien de l’Angleterre, & tout au-moins de la neutralité de la France.

Lorsque l’empereur gagna la bataille de Belgrade, on ne fut point inquiet des conquêtes qui pouvoient en être la suite ; mais quand on le vit disposé à soutenir la compagnie d’Ostende, on en fut alarmé : la France même défendit à ses sujets de s’intéresser dans cette compagnie. Ce fut bien pis après l’expédition des lettres-patentes, revêtue de toutes les graces qui pouvoient leur donner du poids ; alors les puissances maritimes ne garderent plus de ménagement ; elles menacerent l’empereur de la guerre la plus opiniâtre, & leurs menaces devinrent l’objet de l’agitation de l’Europe en 1725 ; enfin, comme tout étoit prêt à s’armer, l’empereur prit le parti qu’impose la nécessité, celui de céder à la force, & de suspendre son octroi. On comprend bien que l’inaction de la compagnie d’Ostende depuis ce tems-là jusqu’à ce jour 1760, est une suppression réelle sous un nom plus adouci ; & les négocians des Pays-bas autrichiens ne sauroient encore s’en consoler.

Il est vrai que l’empereur n’étoit pas trop fondé dans ses prétentions. On avoit stipulé dans les traités d’Utrecht, & dans celui de la Barriere, conclu à Anvers en 1715, qu’il ne posséderoit les Pays-bas espagnols, qu’avec les mêmes droits & les mêmes prérogatives que Charles II. les avoit possédés. Or ce prince ne pouvoit pas établir dans ses domaines une compagnie pour le commerce des Indes ; d’où il résulte que son successeur étoit astreint à la même clause ; mais quand Charles VI. auroit pu, avec justice, défendre sa compagnie d’Ostende, il est vraissemblable que cet établissement auroit allumé le feu d’une guerre ruineuse, & que sa nouvelle compagnie n’auroit jamais pû se soutenir. (D. J.)