L’Encyclopédie/1re édition/INTÉRIEURE, vie

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 829).
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INTÉRIEURE, vie, (Morale.) c’est un commerce spirituel & réciproque qui se fait au-dedans de l’ame entre le créateur & la créature par les opérations de Dieu dans l’ame, & la coopération de l’ame avec Dieu. Les peres distinguent trois différens degrés par lesquels passe l’ame fidele, ou trois sortes d’amours auxquels Dieu éleve l’homme qui s’est occupé de lui. Ils appellent le premier amour de préférence, ou vie purgative ; c’est l’état d’une ame que les touches de la grace divine, & les remords d’une conscience justement allarmée, ont pénétré des vérités de la religion, & qui occupée de l’éternité, ne veut plus rien qui ne tende vers ce terme. L’homme dans cette situation s’occupe tout entier à mériter les biens ineffables que la religion promet, & à éviter les peines éternelles dont elle menace. Dans ce premier état l’ame regle sa conduite sur ses devoirs, & donne toujours la préférence au créateur sur tout ce qui est créé. L’esprit de pénitence lui fait embrasser une mortification qui asservit en même tems les passions & les sens, alors toutes ses pensées étant élevées vers Dieu, chaque action n’a d’autre principe ni d’autre fin que lui seul ; la priere devient habituelle. L’ame n’est plus interrompue par les travaux extérieurs qu’elle embrasse cependant autant que les devoirs particuliers de son état ou ceux de la charité l’y obligent. Mais l’esprit de recueillement les fait entrer dans l’exercice même de la priere. Néanmoins la méditation se fait encore par des actes méthodiques. L’ame s’occupe d’une maniere réfléchie des paroles de l’Ecriture-sainte, & d’actes dictés pour se tenir dans la présence de Dieu. Dans l’ordre des choses spirituelles, les biens augmentent à proportion de la fidélité de l’ame ; & de ce premier état elle passe bientôt à un degré plus élevé & plus parfait appellé vie illuminative ou amour de complaisance. En effet l’ame qui a contracté l’heureuse habitude de la vertu acquiert un nouveau degré de faveur, elle goute dans sa pratique une facilité & une satisfaction qui lui rend précieuses toutes les occasions de sacrifice, & quoique les actes de son amour soient encore discursifs, c’est-à-dire, sentis & réfléchis, elle ne délibere plus entre l’intérêt temporel, & le devoir qu’elle doit à Dieu est alors son plus grand intérêt. Ce n’est plus assez pour elle de faire le bien, elle veut le plus grand bien, ensorte que de deux actes bons en eux-mêmes, elle accomplit toujours le plus parfait, parce qu’elle ne se regarde plus elle-même du moins volontairement, mais la gloire & la plus grande gloire de Dieu. C’est ce degré d’amour qui fait chérir aux solitaires le silence, la mortification, & la dépendance des cloîtres si opposés à la nature, & en apparence si contraire à la raison, dans lesquels cependant ils goûtent des sentimens plus doux, des plaisirs plus sensibles, des transports plus réels, que tout ce que le monde offre de plus séduisant ; ces vérités sont d’expérience, & ceux qui ne les ont pas pratiquées ne peuvent ni ne doivent les comprendre, comme le dit le cardinal Bona ; elles sont attestées par une suite constante d’expériences, depuis l’apôtre saint Paul jusqu’à saint François de Sales.

Rien n’apprend mieux à l’homme ce qu’il est que la connoissance du Dieu qui l’a formé ; la grandeur du Créateur lui donne une juste idée de la petitesse de la créature ; la disproportion infinie qu’il apperçoit entre l’être suprême & les hommes, lui apprend ce qu’ils sont, & combien sont méprisables les vanités qui les distinguent, & les frivolités qui les occupent. Ainsi les graces que Dieu n’accorde qu’aux humbles rendent encore leur humilité plus profonde. C’est la disposition où doit être l’ame fidelle pour arriver au troisieme degré de la vie intérieure appellée vie unitive ou amour d’union, & à laquelle les épreuves extérieures & intérieures servent de préparation. Cet état a été défini, un acte passif où il semble que Dieu agit seul, & que l’ame ne fait qu’obéir à la force impulsive qui la porte vers lui ; mais cet état est rarement habituel, & il reste toujours des actes distincts qui spécifient les vertus. Dieu n’éleve ses Saints sur la terre à ce degré que d’une maniere momentanée par anticipation des biens célestes. C’est l’habitude de la contemplation & l’union de l’amour qui ont mérité dans plusieurs des Saints dont l’église a canonisé les vertus, ces extases, ces ravissemens, ces révélations qu’on doit regarder comme des miracles que Dieu, quand il lui plaît, fait éprouver à l’ame fidelle ; mais qu’il ne nous appartient pas de demander. Ces états extraordinaires & ineffables, devenus l’objet de l’ambition de quelques mystiques, ont donné lieu a bien des illusions qui ont perdu ceux qui d’eux-mêmes ont voulu s’introduire dans le sanctuaire de ces graces de prédilection. Dieu n’en gratifie que celui qui s’en croit vraiment indigne, & dans lequel ces dons divins produisent une foi plus vive, une charité plus ardente, une humilité plus profonde, un dénuement plus parfait, une pratique plus généreuse de ce qu’il y a d’héroïque dans toutes les vertus. Les autres chez lesquels ces états surnaturels ne sont pas précédés de l’exercice des vertus & n’en perfectionnent pas la pratique, tombent dans une illusion bien dangereuse. Tel est l’état de ces femmes prétendues dévotes, dans lesquelles la sensibilité du cœur, la vivacité des passions & la force de l’imagination ont des effets qu’elles prennent pour des graces singulieres, & qui souvent ont des causes toutes humaines, quelquefois même criminelles. Ces déplorables égaremens ont donné lieu à des extravagances dont l’opprobre est retombé par une suite aussi ordinaire qu’injuste sur les opérations même de la grace. Il y a eu de faux mystiques dès le commencement de l’Eglise depuis les Gnostiques jusqu’aux Quiétistes, dont les erreurs, quoique condamnées précédemment dans le concile de Vienne, ont paru vouloir se renouveller le siecle passé. Voyez Quiétisme.