L’Encyclopédie/1re édition/IMPÉNÉTRABILITÉ

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 585).

IMPÉNÉTRABILITÉ, s. f. (Métaphysiq. & Phis.) qualité de ce qui ne se peut pénétrer ; propriété des corps qui occupent tellement un certain espace, que d’autres corps ne peuvent plus y trouver de place. Voyez Matiere.

Quelques auteurs définissent l’impénétrabilité, ce qui distingue une substance étendue d’avec une autre, ou ce qui fait que l’extension d’une chose est différente de celle d’une autre ; ensorte que ces deux choses étendues ne peuvent être en même lieu, mais doivent nécessairement s’exclure l’une l’autre. Voyez Solidité.

Il n’y a aucun doute sur cette propriété à l’égard des corps solides, car il n’y a personne qui n’en ait fait l’expérience, en pressant quelque métal, pierre, bois, &c. Quant aux liquides, il y a des preuves qui les démontrent à ceux qui pourroient en douter. L’eau, par exemple, renfermée dans une boule de métal, ne peut être comprimée par quelque force que ce soit. La même chose est vraie encore à l’égard du mercure, des huiles & des esprits. Pour ce qui est de l’air renfermé dans une pompe, il peut en quelque sorte être comprimé, lorsqu’on pousse le piston en bas ; mais quelque grande que soit la force qu’on emploie pour enfoncer le piston dans la pompe, on ne lui pourra jamais faire toucher le fond.

En effet, dès que l’air est fortement comprimé, il fait autant de résistance qu’en pourroit faire une pierre.

Les Cartésiens prétendent que l’étendue est impénétrable par la nature : d’autres philosophes distinguent l’étendue des parties pénétrables & immobiles qui constituent l’espace, & des parties pénétrables & mobiles qui constituent les corps. Voyez Etendue, Espace & Matiere.

Si nous n’eussions jamais comprimé aucun corps, quand même nous eussions vû son étendue, il nous eût été impossible de nous former aucune idée de l’impénétrabilité. En effet, on ne se fait d’autre idée d’un corps lorsqu’on le voit, sinon qu’il est étendu de la même maniere que lorsqu’on se trouve devant un miroir ardent de figure sphérique & concave, on apperçoit entre le miroir & son œil d’autres objets représentés dans l’air, lesquels personne ne pourroit jamais distinguer des objets solides & véritables, si l’on ne cherchoit à les toucher avec la main, & si l’on ne découvroit ensuite que ce ne sont que des images. Si un homme n’eût vû pendant toute sa vie que de pareils fantômes, & qu’il n’eût jamais senti aucun corps, il auroit bien pû avoir une idée de l’étendue, mais il n’en auroit eu aucune de l’impénétrabilité. Les Philosophes qui dérivent l’impénétrabilité de l’étendue, le font parce qu’ils veulent établir dans la seule étendue la nature & l’essence du corps. C’est ainsi qu’une erreur en amene une autre. Ils se fondent sur ce raisonnement. Par-tout où il y a une étendue d’un pié cube, il ne peut y avoir aucune autre étendue d’un second pié cube, à moins que le premier pié cube ne soit anéanti : par conséquent l’étendue oppose à l’étendue une résistance infinie, ce qui marque qu’elle est impénétrable. Mais c’est une pure pétition de principe, qui suppose ce qui est en question, que l’étendue soit la seule notion primitive du corps, laquelle étant posée, conduit à toutes les autres propriétés. Article de M. Formey.