L’Encyclopédie/1re édition/IMMORTALITÉ, IMMORTEL

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 576-577).
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IMMORTALITÉ, IMMORTEL, (Gramm. & Métaphys.) qui ne mourra point, qui n’est point sujet à la dissolution & à la mort. Dieu est immortel ; l’ame de l’homme est immortelle, non parce qu’elle est spirituelle, mais parce que Dieu qui est juste, & qui a voulu que les bons & les méchans éprouvassent dans l’autre monde un sort digne de leurs œuvres dans celui-ci, a décidé & a dû décider qu’elle resteroit après la séparation d’avec le corps. Dieu a tiré l’ame du néant ; si elle n’y retombe pas, c’est qu’il lui plaît de la conserver. Matérielle ou spirituelle, elle subsisteroit également, s’il lui plaisoit de la conserver. Le sentiment de la spiritualité & de l’immortalité, sont indépendans l’un de l’autre ; l’ame pourroit être spirituelle & mortelle, matérielle & immortelle. Socrate qui n’avoit aucune idée de la spiritualité de l’ame, croyoit à son immortalité. C’est par Dieu & non pas par elle-même que l’ame est ; c’est par Dieu, & ce ne peut être que par Dieu, qu’elle continuera d’être. Les Philosophes démontrent que l’ame est spirituelle, & la foi nous apprend qu’elle est immortelle, & elle nous en apprend aussi la raison.

L’immortalité se prend encore pour cette espece de vie, que nous acquérons dans la mémoire des hommes ; ce sentiment qui nous porte quelquefois aux plus grandes actions, est la marque la plus forte du prix que nous attachons à l’estime de nos semblables. Nous entendons en nous-mêmes l’éloge qu’ils feront un jour de nous, & nous nous immolons. Nous sacrifions notre vie, nous cessons d’exister réellement, pour vivre en leur souvenir. Si l’immortalité considérée sous cet aspect est une chimère ; c’est la chimère des grandes ames. Ces ames qui prisent tant l’immortalité, doivent priser en même proportion les talens, sans lesquels elles se la promettroient en vain ; la Peinture, la Sculpture, l’Architecture, l’Histoire & la Poësie. Il y eut des rois avant Agamemnon, mais ils sont tombés dans la mer de l’oubli, parce qu’ils n’ont point eu un poëte sacré qui les ait immortalisés : la tradition altere la vérité des faits, & les rend fabuleux. Les noms passent avec les empires, sans la voix du poëte & de l’historien qui traverse l’intervalle des tems & des lieux, & qui les apprend à tous les siecles & à tous les peuples. Les grands hommes ne sont immortalisés que par l’homme de lettres qui pourroit s’immortaliser sans eux. Au défaut d’actions célebres, il chanteroit les transactions de la nature & le repos des dieux, & il seroit entendu dans l’avenir. Celui donc qui méprisera l’homme de lettres, méprisera aussi le jugement de la postérité, & s’élevera rarement à quelque chose qui mérite de lui être transmis.

Mais, y a-t-il en effet des hommes en qui le sentiment de l’immortalité soit totalement éteint, & qui ne tiennent aucun compte de ce qu’on pourra dire d’eux quand ils ne seront plus ? je n’en crois rien. Nous sommes fortement attachés à la considération des hommes avec lesquels nous vivons ; malgré nous, notre vanité excite du néant ceux qui ne sont pas encore, & nous entendons plus ou moins fortement le jugement qu’ils porteront de nous, & nous le redoutons plus ou moins.

Si un homme me disoit, je suppose qu’il y ait dans un vieux coffre relégué au fond de mon grenier, un papier capable de me traduire chez la postérité comme un scélérat & comme un infâme ; je suppose encore que j’aye la démonstration absolue que ce coffre ne sera point ouvert de mon vivant ; eh bien, je ne me donnerois pas la peine de monter au haut de ma maison, d’ouvrir le coffre, d’en tirer le papier, & de le brûler.

Je lui répondrois, vous êtes un menteur.

Je suis bien étonné que ceux qui ont enseigné aux hommes l’immortalité de l’ame, ne leur ayent pas persuadé en même tems qu’ils entendront sous la tombe les jugemens divers qu’on portera d’eux, lorsqu’ils ne seront plus.