L’Encyclopédie/1re édition/HYMNE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 395-397).
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HYMNE, sub. m. (Littérature.) Hymne vient de ὑδεῖν, louer, célébrer ; l’hymne est donc, suivant la force du mot, une louange, soit qu’il emploie le langage de la Poésie, comme les hymnes d’Homere & de Callimaque, soit qu’il se borne au langage ordinaire, comme les hymnes de Platon, & d’Aristide ; mais si l’on fait attention à son principal & plus noble emploi, c’est une louange à l’honneur de quelque divinité.

Les hymnes ont fait dans tous les tems une partie essentielle du culte religieux ; sans parler encore des Grecs ni des Romains ; en orient les Chaldéens & les Perses ; les Gaulois, les Lusitaniens en occident ; toutes les nations enfin, soit barbares, soit policées, ont également célébré par des hymnes ou des cantiques, les louanges de leurs divinités.

L’homme, suivant l’expression de Sophocle, se fit des dieux autant qu’il ressentit de besoins. Il pria ces dieux d’écarter les maux qui le menaçoient, & de lui accorder les biens qu’il desiroit. Il les remercia lorsqu’il crut avoir éprouvé les effets de leur protection, & il s’efforça de les appaiser, lorsqu’il se persuada qu’ils étoient irrités contre lui. Tell est l’origine des hymnes ; & ces hymnes furent plus ou moins parfaits dans leur genre, à mesure que les siecles qui les produisirent, furent plus ou moins éclairés.

Les critiques partagent ordinairement les hymnes anciens en diverses classes, qu’ils fondent sur la différence des noms, parce qu’outre les termes d’hymne & de pæan, tous deux génériques, les Grecs avoient des noms affectés à leurs différens hymnes, selon les divinités qui en faisoient l’objet. C’étoit des lithierses pour Cybele, des jules pour Cérès, des pæans proprement dits pour Apollon, des dithyrambes pour Bacchus. Mais comme l’inutilité d’une telle division, & autres semblables, saute aux yeux, nous partagerons les hymnes anciens en théurgiques ou religieux, en poétiques ou populaires, en philosophiques ou propres aux seuls Philosophes ; trois especes d’hymnes réelles, dont nous avons des exemples dans les ouvrages de l’antiquité. Telle est aussi la division que M. Souchay a fait des hymnes anciens, dans deux mémoires très-curieux sur cette matiere. On les trouvera parmi ceux du recueil de Littérature ; nous n’en donnerons ici que le précis.

Les hymnes théurgiques ou religieux, sont ces hymnes que les initiés chantoient dans leurs cérémonies religieuses ; les hymnes d’Orphée sont les seuls de ce caractere, qui soient venus jusqu’à notre tems, & ce sont les plus anciens de tous. Pausanias nous apprend que les initiés aux mysteres orphiques, avoient leurs hymnes composés par Orphée même ; que ces hymnes étoient moins travaillés, moins agréables, que ceux d’Homere, mais plus religieux & plus saints ; & que les Lycomides qui rapportoient leur origine à Lycus fils de Pandion, les apprenoient aux initiés.

En effet, c’est pour eux seuls qu’ils semblent composés ; les initiés n’y sont occupés que de leurs propres intérêts ; soit qu’ils veuillent appaiser les mauvais génies, ou se les rendre favorables ; soit qu’ils demandent aux dieux les biens de l’esprit, du corps, ou les biens extérieurs, comme la salubrité des eaux, la température de l’air, la fertilité des saisons, ils rapportent tout à eux, & jamais ils ne parlent pour les prophanes. « Accordez à vos initiés une santé durable, une vie heureuse, une longue & lente vieillesse ; détournez de vos initiés, les vains phantomes, les terreurs paniques, les maladies contagieuses ». Μύδαις, πέμπε, ils ne connoissent point d’autres formules dans leurs demandes.

Les hymnes dont nous parlons, sont aussi plus religieux que les hymnes d’Homere, de Callimaque, & des tragiques ; les seuls qui nous restent des Grecs, dans le genre que nous avons nommé poétique, ou populaire. Ils ne renferment avec l’invocation que des surnoms multipliés, qui expriment le pouvoir, ou les attributs des dieux. Le soleil y est nommé resplendissant, agile dans sa course, pere & modérateur des saisons, l’œil & le maître du monde, les délices des humains, la lumiere de la vie. On y donne à Cybele, les titres de mere des dieux, d’auguste épouse de Saturne, de principe des élemens. Voilà ce qui fait la sainteté de ces hymnes, & par où ils remplissent l’idée que Pausanias attache aux hymnes d’Orphée.

Les invocations dans ce genre d’hymnes, frappent encore davantage : rien de plus énergique & de plus pressant, que ces invocations. Ecoutez-moi, exaucez-moi, κλῦθι, je vous invoque, je vous appelle, καλέω, κικλήσκω.

Je passe aux hymnes poétiques ou populaires, que nous nommons ainsi, parce qu’ils renferment la créance du peuple, & qu’ils sont l’ouvrage des poëtes ses théologiens. En effet, le peuple parmi les Grecs & les Romains, avoit reçû tous les dieux que les Poëtes avoient présentés, comme il avoit adopté toutes les avantures qu’ils en racontoient. Les dieux anciens furent les premiers objets des hymnes populaires ; car Jupiter n’étoit considéré que comme un roi puissant, qui gouverne un peuple céleste ; & les autres dieux partageant avec lui les attributs de la divinité, devoient aussi partager les mêmes honneurs. Or, au langage des Poëtes, les hymnes sont la récompense, le salaire des immortels.

Les héros participerent ensuite au même tribut de louanges que les dieux ; le tems nous a conservé beaucoup d’hymnes, soit grecs, soit latins, pour Hercule, & pour ces autres demi-dieux, qu’Hesiode appelle race humaine & divine, parce qu’on les supposoit nés d’un dieu & d’une mortelle, ou d’un mortel & d’une déesse.

On étendit encore plus loin les hymnes populaires ; la politique & la flaterie en multiplierent les objets. La politique des Grecs produisit ce phénomene, en déifiant les hommes extraordinaires, dont on célébra les talens ou les vertus utiles à la société, & la flaterie des Romains, en décernant le même honneur aux Césars.

Enfin, l’orgueil de quelques princes, tels que Démétrius-Poliorcete, & tel que ce roi de Syrie qui fut appellé dieu par les Milésiens, les porta à faire composer des hymnes pour eux-mêmes, comme on l’assure d’Auguste, & de quelques-uns de ses successeurs, à souffrir du-moins qu’on leur en adressât.

En général, la matiere des hymnes populaires n’avoit pas moins d’étendue que l’histoire même des dieux. Les prétendues merveilles de leur naissance, leurs intrigues amoureuses, leurs avantures, leurs amusemens, tout jusqu’aux actions les plus indécentes, devint entre les mains des Poëtes, comme un fonds inépuisable de louanges pour les dieux. Ainsi la naissance de Vénus fournit à Homere, ou à l’auteur des hymnes qui portent son nom, la matiere d’un hymne peu religieux sans doute, mais plein d’images agréables. « La déesse à peine sortie de la mer, est portée sur les eaux par un zéphir ; elle arrive en Cypre : les heures filles de Thémis & de Jupiter, accourent sur le rivage pour la recevoir ; & après l’avoir parée comme une immortelle, elles la conduisent au palais des dieux, qui, frappés de sa beauté, recherchent à l’envi son alliance ». Une autre hymne à la même déesse est employé tout en entier à peindre ses amours avec Anchise, & les couleurs n’y sont que trop assorties au sujet.

Les hymnes qui s’adressent à Mercure, roulent communément sur son adresse inimitable à dérober. « Vous n’étiez encore qu’enfant, dit Horace, dans l’hymne qu’il lui adresse, lorsque vous dérobâtes si finement les bœufs d’Apollon ; il eut beau prendre un ton menaçant pour vous forcer à les rendre, il ne put s’empêcher de rire, en se voyant sans carquois ».

Il est pourtant vrai, que les hymnes poétiques ne sont pas toûjours de ce caractere. On trouve quelquefois, & principalement dans ceux de Callimaque, des traits propres à inspirer la vertu, ou le respect pour les dieux. Si dans l’hymne à Diane, cet aimable poëte décrit les plaisirs & les amusemens de la déesse, il peint aussi, mais d’une maniere vive & touchante le bonheur du juste, & le malheur des méchans. S’il dit ailleurs, que Jupiter prit naissance en Arcadie, il ajoute incontinent, que ce dieu tire de lui seul toute sa puissance, qu’il est le maître & le juge des rois, & qu’il distribue à son gré les couronnes & les empires.

Il est même arrivé que la plûpart des hymnes poétiques, ceux de Callimaque sur-tout, passerent dans le culte public. On les chantoit dans les solemnités durant la cérémonie du sacrifice, & dans les veillées qui précédoient ces solemnités, pendant que le peuple s’assembloit. L’hymne de Callimaque pour Jupiter, dont nous venons de parler, fut chanté, tandis qu’on offroit au dieu le sacrifice, ou les libations ordinaires, &c. L’hymne intitulé Pervigilium Veneris, & qu’un magistrat illustre dans les Lettres, M. Bouhier, rapporte au siecle des premiers Césars, semble être un de ces cantiques, que l’on chantoit aux veillées de Vénus.

On sait que ceux qui chantoient les hymnes, s’appelloient hymnodes ; & que ceux qui les composoient, se nommoient hymnographes. Voyez Hymnodes, & Hymnographes.

J’entends par hymnes philosophiques, ceux que les Philosophes ont composés suivant leur système religieux ; non que les Philosophes eussent un culte particulier, différent du culte populaire ; ils se conformoient au peuple dans la pratique, & venoient par bienséance, ramper avec lui aux piés des idoles ; mais ils différoient bien du peuple par la croyance. Ils reconnoissoient un Dieu suprème, source & principe de tous les êtres. Plusieurs admettoient avec ce Dieu suprème, des êtres subalternes, qui faisoient mouvoir les ressorts de la nature, & en régloient les opérations. Pour les avantures des dieux poétiques, les idoles, & les apothéoses, ils les mettoient au rang des fictions insoutenables.

Le Dieu suprème est donc en général l’objet des hymnes philosophiques ; il est seulement quelquefois déguisé sous le nom de Jupiter, ou du soleil ; & quelquefois caché sous le voile de l’allégorie. Sa toute-puissance, son immensité, sa providence, & ses autres attributs, en sont la matiere ordinaire.

Nous aurions un exemple ancien & précieux, d’un hymne philosophique simple, si l’hymne que les peres de l’Eglise défenseurs de notre foi, S. Julien, S. Clément, Eusebe, & autres, ont cité sous le titre de Palinodie, étoit véritablement d’Orphée. Je dis que cet exemple seroit précieux, car il surprend pour le fond des choses, & la grandeur des images. « Tel est (dit cet hymne) l’Etre suprème, que le ciel tout entier ne fait que sa couronne ; il est assis sur son trone entouré d’anges infatigables ; ses piés touchent la terre ; de sa droite, il atteint jusqu’à l’extrémité de l’Océan ; à son aspect, les plus hautes montagnes tremblent, & les mers frissonnent dans leurs profonds abîmes ». Mais la critique range cette piece parmi les fraudes pieuses qui ne furent pas inconnues aux premiers siecles du Christianisme.

Si l’hymne qu’on vient de lire appartient au péripatéticien Aristobule, comme on le croit, il est encore moins ancien qu’un autre hymne semblable que Stobée nous a conservé, & que l’on attribue à Cléanthe, second fondateur du Portique ; c’est d’ailleurs un des plus beaux monumens qui nous soit resté en ce genre, le lecteur en va juger.

« O pere des dieux (dit Cléanthe) vous qui réunissez plusieurs noms, & dont la vertu est une & infinie ; vous qui êtes l’auteur de cet univers, & qui le gouvernez suivant les conseils de votre sagesse ; je vous salue, ô roi tout-puissant ; car vous daignez nous permettre de vous invoquer. Vous serez, ô Jupiter, la matiere de mes louanges, & votre souveraine puissance sera le sujet ordinaire de mes cantiques. Tout plie sous votre empire ; tout redoute les traits dont vos mains invincibles sont armées : sans vous rien n’a été fait, rien ne se fait dans la nature : vous voulez les biens & les maux selon les conseils de votre loi éternelle. Grand Jupiter, qui faites entendre votre tonnerre dans les nues, daignez éclairer les foibles humains, ôtez-leur cet esprit de vertige qui les égare ; donnez-leur une portion de cette sagesse avec laquelle vous gouvernez le monde. Alors ils ne chériront d’autre occupation, que celle de chanter éternellement cette loi universelle qu’ils méconnoissent ».

Tel est le caractere des hymnes philosophiques ; je recueille tout ce détail en deux mots.

Les hymnes théurgiques n’étoient propres qu’aux initiés, & ils ne renferment, avec des invocations singulieres, que les attributs divins, exprimés par des noms mystiques. Les hymnes poëtiques ou populaires, en général, faisoient partie du culte public, & ils roulent sur les avantures fabuleuses des dieux. Enfin, les hymnes philosophiques ou n’étoient point chantés, ou ils l’étoient seulement dans les festins décrits par Athénée ; & ils sont, à proprement parler, un hommage secret que les Philosophes ont rendu à la divinité.

Je laisse à des mains savantes le soin de prouver les avantages qu’on peut retirer des différentes especes d’hymnes qui ont passé jusqu’à nous. Il me suffit de dire que les hymnes théurgiques peuvent répandre de la lumiere sur les initiations ; que les hymnes poétiques d’Homere & de Callimaque donnent au moins pour les tems où ils furent composés, une idée de la croyance populaire des anciens par rapport à la religion publique ; enfin, que les hymnes philosophiques sont de quelque secours pour nous instruire de la croyance religieuse des Philosophes. J’ajoûte que les hymnes de Callimaque, de Pindare, d’Horace, & d’autres poëtes, outre des dogmes & des usages religieux, renferment encore des traits pour l’Histoire prophane, dont les Littérateurs, vraiment éclairés, sauront toûjours habilement profiter.

Dans notre usage moderne, nous entendons par hymne, une ode, un petit poëme consacré à la louange de Dieu, ou des mysteres. Mais nous avons très-peu d’hymnographes recommandables. Santeuil s’est quelquefois distingué dans cette carriere, car tous ses hymnes ne sont pas également bons ; une vûe d’intérêt en a gâté la plus grande partie, & les connoisseurs sentent bien que les inspirations de sa muse étoient souvent réglées par le profit qu’elle en retiroit. Les odes sacrées de Rousseau nous offrent tout ce que nous avons de plus parfait en ce genre. Pour des hymnes rimés du douze & treizieme siécle, ils sont le sceau de la barbarie ; ce n’étoit pas sur ce ton qu’Horace chantoit les jeux séculaires. (D. J.)