L’Encyclopédie/1re édition/GÉNÉREUX

GÉNÉREUX, adj. GÉNÉROSITÉ, s. f. (Mor.) La générosité est un dévoüement aux intérêts des autres, qui porte à leur sacrifier ses avantages personnels. En général, au moment où l’on relâche de ses droits en faveur de quelqu’un, & qu’on lui accorde plus qu’il ne peut exiger, on devient généreux. La nature en produisant l’homme au milieu de ses semblables, lui a prescrit des devoirs à remplir envers eux : c’est dans l’obéissance à ces devoirs que consiste l’honnêteté, & c’est au-delà de ces devoirs que commence la générosité. L’ame généreuse s’éleve donc au-dessus des intentions que la nature sembloit avoir en la formant. Quel bonheur pour l’homme de pouvoir devenir ainsi supérieur à son être, & quel prix ne doit point avoir à ses yeux la vertu qui lui procure cet avantage ! On peut donc regarder la générosité comme le plus sublime de tous les sentimens, comme le mobile de toutes les belles actions, & peut-être comme le germe de toutes les vertus ; car il y en a peu qui ne soient essentiellement le sacrifice d’un intérêt personnel à un intérêt étranger. Il ne faut pas confondre la grandeur d’ame, la générosité, la bienfaisance & l’humanité : on peut n’avoir de la grandeur d’ame que pour soi, & l’on n’est jamais généreux qu’envers les autres ; on peut être bienfaisant sans faire de sacrifices, & la générosité en suppose toûjours ; on n’exerce guere l’humanité qu’envers les malheureux & les inférieurs, & la générosité a lieu envers tout le monde. D’où il suit que la générosité est un sentiment aussi noble que la grandeur d’ame, aussi utile que la bienfaisance, & aussi tendre que l’humanité : elle est le résultat de la combinaison de ces trois vertus ; & plus parfaite qu’aucune d’elles, elle peut y suppléer. Le beau plan que celui d’un monde où tout le genre humain seroit généreux ! Dans le monde tel qu’il est, la générosité est la vertu des héros ; le reste des hommes se borne à l’admirer. La générosité est de tous les états : c’est la vertu dont la pratique satisfait le plus l’amour-propre. Il est un art d’être généreux : cet art n’est pas commun ; il consiste à dérober le sacrifice que l’on fait. La générosité ne peut guere avoir de plus beau motif que l’amour de la patrie & le pardon des injures. La libéralité n’est autre chose que la générosité restreinte à un objet pécuniaire : c’est cependant une grande vertu, lorsqu’elle se propose le soulagement des malheureux ; mais il y a une économie sage & raisonnée qui devroit toûjours régler les hommes dans la dispensation de leurs bienfaits. Voici un trait de cette économie. Un prince[1] donne une somme d’argent pour l’entretien des pauvres d’une ville, mais il fait ensorte que cette somme s’accroisse à mesure qu’elle est employée, & que bien-tôt elle puisse servir au soulagement de toute la province. De quel bonheur ne joüroit-on pas sur la terre, si la générosité des souverains avoit toûjours été dirigée par les mêmes vûes ! On fait des générosités à ses amis, des libéralités à ses domestiques, des aumônes aux pauvres[2].


  1. Il s’agit dans cet endroit du Roi de Pologne Duc de Lorraine : ce Prince a donné aux magistrats de la ville de Bar dix mille écus qui doivent être employés à acheter du blé, lorsqu’il est à bas prix, pour le revendre aux pauvres à un prix médiocre, lorsqu’il est monté à certain point de cherté. Par cet arrangement, la somme augmente toûjours ; & bien-tôt on pourra la répartir sur d’autres endroits de la province.
  2. Ce n’est là qu’une partie des idées qui étoient renfermées dans un article sur la générosité, qu’on a communiqué à M. Diderot. Les bornes de cet Ouvrage n’ont pas permis de faire usage de cet article en entier.