L’Encyclopédie/1re édition/FOUGERE

◄  FOUGER
FOUGON  ►

FOUGERE, (Botan. géner.) s. f. filix, genre de plante qu’on peut nommer capillaire, & dont les feuilles sont composées de plusieurs autres feuilles rangées sur les deux côtés d’une côté, & profondément découpées. Ajoûtez aux caracteres de ce genre le port de la plante. Tournefort, inst. rei herb. Voyez Plante.

Fougere, (Botan.) c’est à M. William Cole en Angleterre, & à Swammerdam en Hollande, qu’on doit la découverte des semences de la fougere. M. Cole date la sienne de 1669, & Swammerdam de 1673.

M. Cole remarque 1°. que dans ces sortes de plantes, les loges ou capsules des graines sont deux fois plus petites que le moindre grain de sable ordinaire. 2°. Que dans quelques especes, ces capsules n’égalent pas la troisieme, ni même la quatrieme partie d’un grain de sable, & paroissent comme de petites vessies entourées d’anneaux ou de bandelettes en forme de vers. 3°. Que néanmoins quelques-unes de ces petites vessies contiennent environ cent graines si petites, qu’elles sont absolument invisibles à l’œil, & qu’on ne peut les distinguer qu’à l’aide d’une excellente lentille. 4°. Que l’osmonde ou la fougere fleurie, qui surpasse en grandeur les fougeres communes, a des capsules ou vésicules séminales d’une grosseur égale à celles des autres qui appartiennent au même genre. 5°. Enfin, que l’extrème petitesse de ces vésicules, étant comparées avec la grandeur de la plante, on n’y trouve pas la moindre proportion, ensorte qu’on ne pourroit s’empêcher d’admirer qu’une aussi grande plante soit produite d’une aussi petite graine, si on ne voyoit souvent de semblables exemples dans la nature.

Les observations de Swammerdam sur les graines de la fougere, se trouvent dans son livre de la nature (biblia naturæ) ; nous y renvoyons le lecteur, parce qu’elles ne sont guere susceptibles d’un extrait. Il suffira de dire à leur honneur, que M. Miles reconnoît après les avoir vérifiées, qu’on ne peut trop admirer leur justesse & leur exactitude. Passons donc à celles de M. de Tournefort, qui ne sont pas moins vraies.

La fougere, suivant cet illustre botaniste, porte ses fruits sur le dos des feuilles, où ils sont le plus souvent rangés à double rang, le long de leur découpures ; ils ont la figure d’un fer à cheval, appliqué immédiatement sur les feuilles, & comme rivé par-derriere ; chaque fruit est couvert d’une peau relevée en bossette, & qui paroît comme écailleuse ; cette peau se flétrit ensuite, se ride, & se réduit en petit volume au milieu du fruit ; elle laisse voir alors un tas de coques ou de vessies presqu’ovales, entourées d’une cordon à grains de chapelet, par le racourcissement duquel chaque coque s’ouvre en travers, comme par une espece de ressort, & jette beaucoup de semences menues. Les graines de la fougere femelle sont placées différemment sur le dos des feuilles, que ne le sont les semences de la fougere mâle ; car dans la fougere femelle elles sont cachées sur les bords des petites feuilles, qui se prolongent, se refléchissent tout-autour en automne, & forment des especes de sinuosités où naissent les feuilles.

L’ingénieux M. Miles a observé de plus : 1°. que les capsules des graines de la fougere commune, de la rue de montagne, de la langue de cerf, de la diante, & autres capillaires, étoient toutes semblables dans leur forme générale, & que la seule différence consistoit dans la grosseur des graines, leur arrangement, & leur quantité. 2°. Que les especes où les graines sont en petit nombre, ont une substance spongieuse assez semblable à l’oreille de judas, & qui semble leur être donnée pour mettre les semences à couvert. 3°. Que lorsqu’elles sont tombées, on découvre sur la plante de petites membranes un peu frisées, qui paroissent comme si elles eussent été élevées adroitement de dessus la surface de la feuille avec une pointe de canif. 4°. Que le cordon élastique par lequel les coques s’ouvrent & jettent leurs graines, est composé de fibres annulaires, comme le gosier d’un petit oiseau. 5°. Qu’on peut voir le jet même de ces graines & l’opération de la nature, sous le microscope, en faisant les expériences avec la fougere fraîchement cueillie au commencement de Septembre. 6°. Que quand il arrive que la capsule est dans son juste point de maturité, le jet se fait insensiblement, & par degré. 7°. Qu’il s’écoule quelquefois un gros quart-d’heure avant que la capsule s’ouvre, & que la corde à ressort jette la graine, mais qu’alors on est dédommagé de son attente, parce qu’on voit distinctement & complettement le procédé de la nature. 8°. Enfin, que quand on frotte les feuilles de la plante pour en avoir les graines, elles s’envolent en forme de poussiere, qui entre souvent dans les pores de la peau, & y cause une espece de demangeaison, comme ces especes d’haricots des îles de l’Amérique, qu’on appelle pois grattés. Mais il faut lire les détails de tous ces faits dans les Trans. philos. n°. 461. pag. 774. & suiv. où l’auteur indique la maniere de répéter ces expériences, & de les vérifier. On peut actuellement caractériser la fougere.

Nous la nommerons donc une plante épiphyllosperme, c’est-à-dire portant ses graines sur le dos des feuilles, renfermées dans de petites vésicules, qui lors de leur maturité, s’ouvrent en-travers par une espece de ressort. Sa feuille cotonneuse, est composée d’autres feuilles attachées à une côte, de maniere qu’il y a des loges de l’un & de l’autre côté. Ses lobes sont découpés, & la découpure pénetre jusqu’à la côte principale ; on n’a point encore découvert ses fleurs.

Parmi la quantité de fougeres que nous présentent l’un & l’autre monde, il y en a trois principales d’usage dans les boutiques ; savoir la fougere mâle, la fougere semelle, & la fougere fleurie.

La fougere mâle s’appelle chez nos botanistes filix, filix mas, &c. sa racine est épaisse, branchue, fibreuse, noirâtre en-dehors, pâle en dedans, garnie de plusieurs appendices, d’une saveur d’abord douçâtre, ensuite un peu amere, un peu astringente, sans odeur. Elle jette au printems plusieurs jeunes pousses, recourbées d’abord, couvertes d’un duvet blanc, lesquelles se changent dans la suite en autant de feuilles larges, hautes de deux coudées, droites, cassantes, d’un verd-gai, qui sont composées de plusieurs autres petites feuilles placées alternativement sur une côte garnie de duvet brun ; chaque petite feuille est découpée en plusieurs lobes ou crêtes larges à leur base, obtuses & dentelées tout-autour. Il regne une ligne noire dans le milieu des feuilles, & chaque lobe est marqué en-dessus de petites veines, & en-dessous de deux rangs de petits points de couleur de rouille de fer. Ces points sont sa graine, qui croît en petits globes sur le revers de la feuille. Cette plante paroît n’avoir point de fleur, ou si elle en a, on ne les a pas encore découvertes. Elle croît à l’ombre des haies, dans les sentiers étroits, dans les forêts, & comme dit Horace dans les champs incultes.

Neglectis urenda filix jam naseitur agris.

La fougere commune ou la fougere femelle a dans nos auteurs les noms de filix fæmina, filix fæmina vulgaris, filix non raniosa, thilypteris. Dilleu, &c. sa racine est quelquefois de la grosseur du doigt, noirâtre en-dehors, blanche en-dedans, rampante de tous côtes dans la terre, d’une odeur forte, d’une saveur amere, empreinte d’un suc gluant ; & étant coupée à sa partie supérieure, elle représente une espece d’aigle à deux têtes.

Sa tige, ou plûtôt son pédicule est haut de trois ou quatre coudées, roide, branchue, solide, lisse, & un peu anguleuse. Ses feuilles sont découpées en aîles : & ces ailes sont partagées en petites feuilles étroites, oblongues, pointues, dentelées quelquefois legerement, d’autres fois entieres, vertes en-dessus, blanches en-dessous. Ses fruits ou ses vésicules sont ovales comme celles de la fougere mâle, mais placées un peu différemment sur le dos des feuilles, comme nous l’avons dit ci-dessus, d’après les observations de Tournefort.

Elle vient presque par-tout, principalement dans les bruyeres, dans les lieux incultes & stériles. Sa racine est la seule partie dont on se serve en Medecine. Elle est d’une odeur forte, différente de celle de la fougere male, & ne rougit point le papier bleu. Il y a apparence qu’elle contient un sel analogue, ou sel de corail, embarrassé dans un suc glaireux que le fruit détruit, & qui suivant Tournefort, est un mélange de phlegme, d’acide, & de terre.

La fougere fleurie s’appelle plus communément osmonde ; voyez-en l’article sous ce nom ; & pour ce qui regarde les fougeres exotiques, voyez le P. Plumier, de filicibus americanis ; l’hist. de la Jamaïque du chevalier Hans-Sloane ; Petiver, pterygraphia americana continens plusquam 400. filices varias, &c. Lond. 1695. fol. cum fig. Ce sont trois ouvrages magnifiques à la gloire des fougeres. Il n’y a point de plantes à qui l’on ait fait tant d’honneur. (D. J.)

Fougere, (Agriculture.) la fougere femelle commune est pour les laboureurs une mauvaise herbe, qui leur nuit beaucoup, & qui est très-difficile à détruire quand elle a trouvé un terrein favorable pour s’y enraciner : car souvent elle pénetre par ses racines jusqu’à 8 piés de profondeur ; & traçant au long & au large, elle s’éleve ensuite sur la surface de la terre, & envoye de nouvelles fougeres à une grande distance. Quand cette plante pullule dans les pacages, la meilleure maniere de la faire périr est de faucher l’herbe trois fois l’année, au commencement du printems, en Mai, & en Août. Les moutons que l’on met dans un endroit où il y a beaucoup de fougere, la détruisent assez promptement ; en partie par leur fumier & leur urine, & en partie en marchant dessus. Mais la fougere qu’on coupe quand elle est en sêve, & qu’on laisse ensuite pourrir sur la terre, est une bonne marne pour lui servir de fumier, & pour l’engraisser considérablement. Les arbres plantes dans des lieux où la fougere croît, réussissent très-bien, même dans un sable chaud ; la raison est, que la fougere sert d’abri aux racines, & les conserve humides & fraîches. Enfin on répand de la cendre de fougere sur les terres pour les rendre plus fertiles. (D. J.)

Fougere, (Matiere médicale & Pharmacie.) On distingue chez les Apothicaires deux especes de fougere, l’une appellée fougere mâle, l’autre fougere femelle ; il y en a encore une troisieme qui est la fougere fleurie ou l’osmonde ; mais on employe fort rarement cette derniere. Quant aux deux autres, on les confond assez souvent, & l’on prend sans scrupule l’une pour l’autre, c’est-à-dire que l’on employe celle qu’on se peut procurer le plus facilement. Les auteurs sont pourtant partagés au sujet de leurs vertus ; les uns donnent la préférence à la fougere mâle, d’autres à la femelle.

Il est fort peu important d’accorder ces diverses opinions, parce que cette plante qui étoit très-usitée chez les anciens, n’est presque plus employée dans la pratique moderne : peut-être par le dégoût qu’en ont pris les malades, selon l’idée de M. Geoffroi ; peut-être par celui qu’en ont pris les Medecins, après l’avoir employée inutilement ; peut-être aussi parce que nous avons restreint à un très-petit nombre de plantes nos remedes contre les maladies chroniques. Ce n’est presque plus que comme vermifuge que nous employons aujourd’hui cette racine dont nous faisons prendre la décoction, & plus ordinairement encore & avec plus de succès la poudre au poids d’un gros ou de deux. Cette poudre passe pour un spécifique contre les vers plats ; & c’est-là le principal secret des charlatans qui entreprennent la guérison de ce mal. (b)

Mais si les charlatans ont quelque succès dans ce cas, c’est qu’alors ils joignent adroitement & en cachette à la racine de fougere réduite en poudre le mercure, l’æthiops minéral, ou quelqu’autre préparation mercurielle, qui sont seules le vrai poison des vers.

Les vertus de la fougere dépendent, les unes de son huile, les autres de son sel essentiel, qui est tartareux, austere, accompagné d’un sel neutre, lequel ne s’alkalise point. Elle agit en dissolvant les humeurs épaisses par son sel essentiel, & en resserrant les fibres solides par ses particules terreuses astringentes. On peut donc la prescrire utilement pour base des boissons apéritives & desobstruentes dans les maladies spléniques & hypochondriaques, pourvû que les malades soient capables d’en continuer l’usage quelque tems, sans le dégoût ordinaire, très difficile à surmonter.

Le suc des racines de fougere mêlé avec de l’eau-rose, ou autre semblable, est un assez bon remede pour bassiner les parties legerement brûlées, à cause du suc visqueux & mucilagineux dont cette plante est empreinte. (D. J.)

Fougere, (Arts.) On tire un grand parti de la fougere dans les Arts. Il est même arrivé quelquefois dans la disette de vivres, qu’on a fait du pain de la racine de fougere. M. Tournefort raconte qu’il en a vû à Paris en 1693, que l’on avoit apporté d’Auvergne ; mais ce pain étoit fort mauvais, de couleur rousse, presque semblable aux mottes d’écorce de chêne, qui sont d’usage pour tanner le cuir, & qu’on appelle mottes-à-brûler.

On employe la fougere dans le comté de Saxe pour chauffer les fours & pour cuire la chaux, parce que la flamme en est fort violente & très-propre à cet emploi.

Le pauvre peuple en plusieurs parties du nord de l’Angleterre, se sert de cendres de fougere au lieu de savon pour blanchir le linge. Ils coupent la plante verte, la réduisent en cendres, & forment des balles avec de l’eau, les font sécher au soleil, & les conservent ainsi pour leurs besoins. Avant que d’en faire usage, ils les jettent dans un grand feu jusqu’à ce qu’elles rougissent ; & étant calcinées de cette maniere, elles se réduisent facilement en poudre.

Personne n’ignore qu’on employe les cendres de fougere à la place de nitre, que l’on jette ces cendres sur les cailloux pour les fondre & les réduire en verre de couleur verte ; c’est-là ce qu’on nomme verres de fougere, si communs en Europe. V. Verre.

Les cendres de la fougere femelle commune présentent un autre phénomene bien singulier, quand on en tire le sel suivant la méthode ordinaire, à la quantité de quelques livres ; la plus grande partie de ce sel étant séchée, & le reste qui est plus humide étant exposé à l’air, pour en recevoir l’humidité, il devient promptement fluide, ou une huile, comme on l’appelle improprement, par défaillance : ensuite le reste du lixivium qui est très-pesant & d’un rouge plus ou moins foncé, étant mis à-part dans un vaisseau de verre qu’on tient débouché pendant cinq ou six mois, laisse tomber au fond de la liqueur une assez grande quantité de sel précipité, jusqu’à l’épaisseur d’environ deux pouces au fond du vaisseau. La partie inférieure de la liqueur est pleine de saletés, mais la partie du haut est blanche & limpide. Sur la surface de cette partie se forment des crystallisations de sel d’une figure réguliere, semblable à plusieurs plantes de fougere commune, qui jetteroient un grand nombre de feuilles de chaque côté de la tige ; ces ramifications salines subsistent plusieurs semaines dans leur état, si l’on ne remue point le vaisseau ; mais elles sont si tendres, que le moindre mouvement les détruit, & alors elles ne se réforment jamais. Voyez les Transact. philos. n°. 105.

Enfin les Chinois se servent dans leurs manufactures de porcelaine d’une espece de vernis qu’ils font avec de la fougere & de la chaux ; ils y parviennent si aisément, qu’il ne seroit pas ridicule de l’essayer dans nos manufactures de porcelaine. Voici le procédé & la maniere.

Ils prennent une quantité de fougere bien séchée qu’ils répandent par lits sur un terrein suffisant à la quantité de vernis dont ils ont besoin. Sur cette fougere ils font une autre couche de pierres de chaux fraîchement calcinées, sur laquelle ils jettent avec la main une petite quantité d’eau suffisante pour l’éteindre ou la délayer. Ils couvrent cette couche de chaux d’une troisieme couche de fougere, & multiplient toûjours alternativement ces couches jusqu’à la hauteur de huit ou dix piés ; alors ils mettent le feu à la fougere qui se brûle en peu de tems, & qui laisse un mélange de chaux & de cendres. Ce mélange est porté de la même maniere sur d’autres couches de fougere qu’on brûle de même. Cette opération est répétée cinq ou six fois.

Quand la derniere calcination est finie, ce mélange de chaux & de cendres est soigneusement rassemblé & jetté dans de grands vaisseaux pleins d’eau ; & sur chaque quintal de poids, ils y mettent une livre de kékio. Ils remuent le tout ensemble ; & quand la partie la plus grossiere est tombée au fond, ils enlevent la plus fine qui surnage au-dessus en forme de creme, qu’ils mettent dans un autre vaisseau d’eau, ils la laissent tomber au fond par le séjour ; alors ils versent l’eau du vaisseau, & y laissent le résidu en forme d’une huile épaisse.

Ils mêlent cette liqueur avec de l’huile de cailloux préparée, en pulvérisant & en blanchissant de la même maniere une sorte particuliere de pierre-à-caillou, & ils en couvrent tous les vaisseaux qu’ils ont intention de vernisser. Ces deux huiles, comme on les nomme, sont toûjours mêlées ensemble, & ils les font soigneusement de la même épaisseur, parce qu’autrement la vernissure ne seroit point égale. Les cendres de fougere ont une grande part dans l’avantage que cette huile a au-dessus de nos vernis communs. On dit que la manufacture de Bristol est parvenue à attraper la beauté du vernis qu’elle possede, par l’imitation des deux huiles dont les Chinois vernissent leurs porcelaines. (D. J.)

Fougere, sorte d’agrémens dont les femmes ornent leurs ajustemens & leurs habits.

Fougeres, (Géog.) petite ville de France en Bretagne sur le Coesnon, entre Rennes, Avranches, & Dole, aux confins de la Normandie & du Maine ; son nom lui vient, selon M. de Valois, de ce que ses environs étoient autrefois remplis de fougere. Longit. 16. 22. latit. 48. 20.

Elle est la patrie de René le Païs, né en 1636, mort en 1690 ; c’étoit un écrivain très-médiocre, qui donnoit comme Voiture, dont il étoit le singe, sans avoir certaines graces de son modele, dans un mauvais goût de plaisanterie. On sait à ce sujet le vers ironique de Despréaux, sat. iij.

Le Païs sans mentir est un bouffon plaisant.

(D. J.)