L’Encyclopédie/1re édition/FORT

FORTAGE  ►

FORT, adj. voyez les articles Force.

FORT, s. m. c’est dans l’Art militaire, un lieu ou un terrein de peu d’étendue fortifié par l’art ou par la nature, ou par l’un & l’autre en même tems.

Les forts different des villes fortifiées, non-seulement parce qu’ils renferment un espace plus petit, mais encore parce qu’ils ne sont ordinairement occupés ou habités que par des gens de guerre. Ce sont des especes de petites citadelles destinées à garder des passages importans, comme le fort des Barraux. Ils servent encore à occuper des hauteurs sur lesquelles l’ennemi pourroit s’établir avantageusement, à couvrir des écluses, des têtes de chaussées, &c. Tel est le fort de Scarpe auprès de Doüay, celui de Nieulay à Calais, de saint François à Aire, &c.

Lorsque la ligne de défense de ces forts a 120 toises, ou environ, on les appelle forts royaux. (Q)

Fort de Campagne ; c’est une espece de grande redoute dont les côtés se flanquent réciproquement, & qui ne se construit que pendant la guerre. On s’en sert alors pour couvrir & garder des postes ou des passages importans.

Lorsque les forts de campagne sont triangulaires ou quarrés, & qu’ils sont ouverts d’un côté, on leur donne le nom de redoutes. Voyez Redoute. Mais quand ils sont fermés de tous côtés, & qu’ils donnent des feux croisés, c’est alors qu’ils portent proprement le nom de forts.

La grandeur des forts de campagne varie suivant l’usage auquel on les destine ; mais leur ligne de défense doit toûjours être plus petite que celle des villes fortifiées. On peut la fixer entre 40 & 60 toises au plus, ce qui est à-peu-près la plus grande longueur que l’on peut donner aux côtés de ces forts. Ils sont formés d’un fossé de 10 ou 12 piés de profondeur sur 15 ou 18 de largeur ; d’un parapet de huit ou neuf piés d’épaisseur & de sept de hauteur, & assez ordinairement d’un chemin couvert, palissadé lorsqu’on a la commodité de le faire.

Pour construire un fort de campagne triangulaire, décrivez d’abord un triangle équilatéral. Divisez chacun de ses côtés en trois parties égales ; prolongez une de ces parties au-delà du triangle, & faites ce prolongement égal à cette partie. Tirez ensuite de son extrémité au sommet de l’angle opposé au côté prolongé, la ligne de défense. Faites la gorge égale au tiers du côté, & élevez le flanc de maniere qu’il fasse un angle à-peu-près de 100 degrés, avec les deux autres tiers du même côté. Faites après cela la même chose sur les autres côtés du triangle ; & il sera fortifié par trois demi-bastions. Il y a des auteurs qui fortifient le triangle avec des bastions entiers ; mais les angles de ces bastions se trouvent alors si aigus, qu’ils n’ont aucune solidité.

La fortification du quarré avec des demi-bastions se fait de la même maniere que celle du triangle ; excepté qu’au lieu de diviser le côté en trois parties égales, on le partage en quatre, & que le prolongement de chaque côté est pris du quart de ce côté, de même que la gorge du demi-bastion.

Cette sorte de fortification donne des angles morts ou rentrans, qui ne sont pas défendus ; mais le peu d’élévation des forts de campagne rend ces angles bien moins défectueux ou préjudiciables que dans les villes de guerre, parce que l’espace qui n’est pas défendu se trouve alors beaucoup plus petit.

Parmi les forts de campagne, il y en a qu’on nomme forts à étoile, parce qu’ils en ont à-peu-près la figure. Ils sont formés de quatre, cinq, ou six côtés qui donnent autant d’angles saillans & rentrans.

Pour faire un fort en étoile qui soit exagonal ou qui ait six angles rentrans, il faut d’abord décrire un triangle équilatéral, diviser chaque côté en trois parties égales des deux extrémités de la partie du milieu de chaque côté & de son intervalle, décrire deux arcs qui se coupent dans un point en-dehors le triangle ; tirant de ce point des lignes aux centres de ces arcs, on aura le fort tracé.

Si l’on veut un fort pentagonal à étoile, on commencera par décrire un pentagone de la grandeur qu’on jugera nécessaire ; on divisera ensuite chaque côté en deux également, & du point du milieu on élevera une perpendiculaire en-dedans le pentagone. On donnera à cette perpendiculaire le quart du côté ; & par son extrémité on tirera aux angles du pentagone des lignes qui formeront les angles rentrans de ce polygone.

Si l’on trouve que cette construction donne les angles saillans trop aigus, on les augmentera en diminuant un peu la grandeur de la perpendiculaire, qui peut être réduite à la cinquieme ou à la sixieme partie du côté du pentagone.

On construira de la même maniere un quarré en étoile, en donnant environ la septieme ou la huitieme partie du côté du quarré à la perpendiculaire élevée en-dedans sur le milieu de chaque côté.

Si l’on veut faire un fort à étoile à huit angles, il faut commencer par en construire un à quatre, de la maniere qu’on vient de l’enseigner ; ensuite, de l’extrémité du tiers de chaque côté, pris de part & d’autre du sommet des angles rentrans, & de l’intervalle de ces deux extrémités, décrire deux arcs qui se couperont dans un point ; tirant de ce point des lignes au centre de ces arcs, on aura l’étoile à huit angles.

Les angles rentrans des forts à étoiles ne sont pas propres à être défendus (voyez Angle mort) ; & cette considération a fait dire à quelques auteurs que ces forts étoient des cometes fatales à ceux qui les construisoient. Mais ce jugement est un peu rigoureux ; car il est certain qu’on peut s’en servir assez avantageusement pour garder différens postes à la guerre. Ils étoient autrefois en usage dans les lignes de circonvallation ; on s’en sert plus rarement aujourd’hui. M. de Clairac dit dans son livre de l’ingénieur de campagne, qu’il en fit construire un de cette espece sur la Queich en 1743, qui fut approuvé. (Q)

Fort à Etoile, voyez ci devant Fort de Campagne. (Q)

Fort Royal ; c’est celui dont la ligne de défense a environ 120 toises. Voyez Ligne de Défense & Fort. (Q)

Fort & Forts, s. m. nom donné à une espece de monnoie d’or, frappée par les ordres de Charles de France, duc d’Aquitaine, fils de Charles VII. & frere de Louis XI.

Ce prince y étoit représenté d’un côté la couronne en tête, déchirant un lion, avec ces mots : Karolus Francorum Regis filius Acquitanorum Dux. On voit au revers une croix fleurdelisée & cantonnée de lis & de léopards ; au milieu est l’écu du prince, qui porte écartelé au 1er & au 4e de France, au 2e & 3e d’Aquitaine, qui est d’or au léopard de gueules ; on lit autour : Tu es Domine Deus meus, fortitudo mea et laux mea.

Le nom de cette monnoie se trouve conservé dans le traité de Budé, de asse & partibus ejus, où en parlant en général des monnoies d’Angleterre, & en particulier de celle qu’on appella des nobles à la rose, qu’Edoüard prince de Galles & duc d’Aquitaine fit faire en grande quantité, il dit qu’elles étoient moins pesantes que celles de Charles d’Aquitaine, qu’on appelloit des forts. Rosatos, Edoüardeosque pondere superant Carolei Aquitaniæ nummi qui fortes appellantur.

Il est aisé de comprendre pourquoi on donna le nom de fort à cette monnoie. Elle étoit plus forte que celle des ducs prédécesseurs de Charles de France ; d’ailleurs l’action dans laquelle ce prince étoit représenté, avoit pû contribuer à cette dénomination qui s’accorde encore avec le mot fortitudo qu’on lit dans l’inscription du revers. Enfin ce nom pouvoit avoir été pris par opposition à celui de hards, qu’on avoit donné aux monnoies des princes anglois, derniers ducs d’Aquitaine, & prédécesseurs de Charles de France, qui y étoient représentés tenant une épée nue. Ce nom qui se communiqua aux petites especes de cuivre & de billon, a formé selon toutes les apparences celui de liard, dont nous nous servons, comme qui diroit li hardi, c’est-à-dire en vieux françois le hardi. Mém. de l’acad. des Belles-Lettres, tom. I. (G)

Fort, Denier fort, prêter son argent au denier fort, c’est le prêter sur un pié au-delà du taux ordonné par le prince, ou le donner à un plus haut prix que celui qui est reglé par le courant de la place. Ceux qui prêtent leur argent au denier fort, sont réputés usuriers. Voyez Usure. Diction. du Comm. & Chamb. (G)

Fort se dit des poids & des mesures. On dit qu’une mesure est plus forte dans un endroit que dans un autre, pour faire entendre qu’elle contient davantage dans un lieu que dans l’autre ; qu’une balance est trop forte, lorsqu’elle ne trebuche pas avec facilité ; qu’un poids est trop fort, lorsqu’il n’est pas juste, & qu’il est plus pesant qu’il ne faut.

On appelle le fort de la balance romaine, le côté le moins éloigné du centre de la balance, qui sert à peser les marchandises les plus pesantes. Diction. de Comm. & Chamb. (G)

Fort, parmi les Commerçans, & sur-tout à Paris, signifie un porte-faix, un crocheteur, un gagne denier qui travaille à la décharge ou au transport des marchandises.

Les principaux lieux de Paris où il y a des forts établis, sont la douane, la halle aux draps, la halle aux toiles, le port Saint-Paul, & le port Saint-Nicolas.

Les forts de la douane dépendent des fermiers-généraux : ceux de la halle aux draps sont préposés par les maîtres & gardes-drapiers & merciers : ceux de la halle aux toiles sont placés par les officiers de cette halle ; & ceux des ports sont autorisés par les prevôt des marchands & échevins.

Dans chacun de ces endroits, il n’y a qu’un certain nombre de forts reglé, n’étant pas permis à d’autres personnes de la ville d’y venir travailler à leur préjudice. Voyez Gagne-denier. Dictionnaire de Commerce. (G)

Fort, adv. en Musique, s’écrit dans les parties pour marquer qu’il faut forcer le son avec véhémence, mais sans le hausser ; chanter à pleine voix, tirer beaucoup de son de l’instrument ; ou bien, pour détruire le mot doux sur les notes où l’on veut faire cesser de chanter ou joüer doux. Voyez Doux.

Les Italiens ont encore le superlatif fortissimo, dont on n’a guere besoin dans la Musique françoise : car on y chante ordinairement très-fort. (S)

Fort de bouche, (Manége.) cheval dont la bouche est forte, cheval qui a de la gueule. Voy. Mors. (e)

Fort, on dit volée de poing fort, c’est quand on jette les oiseaux de poing après le gibier.

Fort, (Bot. & Arts méch.) est l’épaisseur du bois.

Fort-Dauphin, (Géog.) fort de l’île de Madagascar, sur la pointe méridionale de la province d’Anossi. Il a été bâti par les François, présentement abandonné, & est à 1d 37′ 20″. au-delà du tropique du Capricorne. (D. J.)

Fort de l’Ecluse, (Géog.) arx clausulæ ; fort de France sur un grand rocher, & à quelques lieues de Genêve, à la droite du Rhône. Long. 23. 48. lat. 46. 12. (D. J.)

Fort-Louis, (le) Géog. Arx Ludovicia ; place forte de France, en Alsace, bâtie par Louis XIV. dans une île formée par le Rhin, à 8 lieues de Strasbourg & de Landau, 12 de Philisbourg, 5 de Weissenbourg. Longit. 25d 44′ 0″. latit. 48d 48′ 0″. (D. J.)