L’Encyclopédie/1re édition/EXPECTATIVE

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EXPECTATIVE, s. f. (Jurisp.) en matiere bénéficiale, ou grace expectative, est l’espérance ou droit qu’un ecclésiastique a au premier bénéfice vacant, du nombre de ceux qui sont sujets à son expectative.

On ne connut point les expectatives tant que l’on observa l’ancienne discipline de l’Eglise, de n’ordonner aucun clerc sans titre : chaque clerc étant attaché à son église par le titre de son ordination, & ne pouvant sans cause légitime être tranféré d’une église à une autre, aucun d’entr’eux n’étoit dans le cas de demander l’expectative d’un bénéfice vacant.

Il y eut en Orient dès le v. siecle quelques ordinations vagues & absolues, c’est-à-dire faites sans titre, ce qui fut défendu au concile de Chalcédoine, & cette discipline fut conservée dans toute l’Eglise jusqu’à la fin du xj. siecle ; mais on s’en relâcha beaucoup dans le xij. en ordonnant des clercs sans titre, & ce fut la premiere cause qui donna lieu aux graces expectatives & aux reserves ; deux manieres de pourvoir d’avance aux bénéfices qui viendroient à vaquer dans la suite.

Adrien IV. qui tenoit le saint siége vers le milieu du xij. siecle, passe pour le premier qui ait demandé que l’on conférât des prébendes aux personnes qu’il désignoit. Il y a une lettre de ce pape qui prie l’évêque de Paris, en vertu du respect qu’il doit au successeur du chef des apôtres, de conférer au chancelier de France la premiere dignité ou la premiere prébende qui vaqueroit dans l’église de Paris. Les successeurs d’Adrien IV. regarderent ce droit comme attaché à leur dignité, & ils en parlent dans les decrétales comme d’un droit qui ne pouvoit leur être contesté.

Les expectatives qui étoient alors usitées, étoient donc une assûrance que le pape donnoit à un clerc, d’obtenir un bénéfice lorsqu’il seroit vacant ; par exemple, la premiere prébende qui vaqueroit dans une telle église cathédrale ou collégiale. Cette forme de conférer les bénéfices vacans ne fut introduite que par degrés.

D’abord l’expectative n’étoit qu’une simple recommandation que le pape faisoit aux prélats en faveur des clercs qui avoient été à Rome, ou qui avoient rendu quelque service à l’Eglise. Ces recommandations furent appellées mandata de providendo, mandats apostoliques, expectatives, ou graces expectatives.

Les prélats déférant ordinairement à ces sortes de prieres, par respect pour le saint siége, elles devinrent si fréquentes que les évêques, dont la collation se trouvoit gênée, négligerent quelquefois d’avoir égard aux expectatives que le pape accordoit sur eux.

Alors les papes, qui commençoient à étendre leur pouvoir, changerent les prieres en commandemens ; & aux lettres monitoriales qu’ils donnoient d’abord seulement, ils en ajoûterent de préceptoriales, & enfin y en joignirent même d’exécutoriales, portant attribution de jurisdiction à un commissaire pour contraindre l’ordinaire à exécuter la grace accordée par le pape, ou pour conférer, au refus de l’ordinaire ; & pour le contraindre on alloit jusqu’à l’excommunication : cela se pratiquoit dès le xij. siecle. Etienne, évêque de Tournai, fut nommé par le pape, exécuteur des mandats ou expectatives adressés au chapitre de S. Agnan, & il déclara nulles les provisions qui avoient été accordées par ce chapitre au préjudice des lettres apostoliques.

Les expectatives s’accordoient si facilement à tous venans, que Grégoire IX. fut obligé en 1229 d’y insérer cette clause, si non scripsimus pro alio. Il régla aussi que chaque pape ne pourroit donner qu’une seule expectative dans chaque église. Ses successeurs établirent ensuite l’usage de révoquer au commencement de leur pontificat, les expectatives accordées par leurs prédécesseurs, afin d’être plus en état de faire grace à ceux qu’ils voudroient favoriser.

L’usage des expectatives & des reserves ne s’étendit pas d’abord sur les bénéfices électifs, mais seulement sur ceux qui étoient à la collation de l’ordinaire ; mais peu-à-peu les papes s’approprierent de diverses façons la collation de presque tous les bénéfices.

La facilité avec laquelle les papes accordoient ces expectatives, fut cause que la plus grande partie des diocèses devint deserte, parce que presque tous les clercs se retiroient à Rome pour y obtenir des bénéfices.

La pragmatique sanction ou ordonnance qui fut publiée par S. Louis en 1268, abolit indirectement les expectatives & mandats apostoliques, en ordonnant de conserver le droit des collateurs & des patrons. Quelques-uns ont voulu révoquer en doute l’authenticité de cette piece, sous prétexte qu’elle n’a commencé à être citée que dans le xvj. siecle ; mais elle paroît certaine, & en effet elle a été comprise au nombre des ordonnances de S. Louis dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, qui s’imprime au louvre par ordre du Roi.

Quelque tems après saint Louis, on se plaignit en France des expectatives & des mandats ; le célebre Durant, évêque de Mende, les mit au nombre des choses qu’il y avoit lieu de réformer dans le concile général : cependant celui qui fut assemblé à Vienne en 1311, n’eut aucun égard à cette remontrance, & les papes continuerent de disposer des bénéfices, comme ils faisoient auparavant.

L’autorité des fausses decrétales, qui s’accrut beaucoup sous Clément V. & Boniface VIII. contribua encore à multiplier les graces expectatives.

Mais dans le tems que les mandats & les reserves étoient ainsi en usage, les papes en accordoient ordinairement à ceux qui étudioient dans les universités. Boniface VIII. conféra souvent des bénéfices aux gens de Lettres, ou leur accorda des expectatives pour en obtenir.

L’université de Paris envoya elle-même en 1343 au pour Clément VI. la liste de ceux de ses membres auxquels elle souhaitoit que le pape accordât de ces graces.

Pendant le tenesme qui partagea l’Eglise depuis la mort de Grégoire XI. les François s’étant soustraits à l’autorité des papes, de l’une & de l’autre obédience, firent plusieurs réglemens contre les reserves, les expectatives & les mandats apostoliques. Il y a entr’autres des lettres de Charles VI. données à Paris le 7 Mai 1399, qui portent qu’en conséquence de la soustraction de la France à l’obédience de Benoît XIII. on pourvoiroit par élection aux bénéfices électifs ; & que les ordinaires conféreroient ceux qui étoient de leur collation, sans avoir égard aux graces expectatives données par Clément VII. & par Benoît XIII. & par leurs prédécesseurs.

Mais ces réglemens ne furent exécutés que pendant cette séparation, qui ne fut pas de longue durée ; & l’expectative des gradués étoit si favorablement reçûe en France, que l’assemblée des prélats françois, tenue en 1408, s’étant soustraite à l’obédience des deux papes, ordonna en même tems que l’on conféreroit des bénéfices à ceux qui étoient compris dans la liste de l’université.

Le concile tenu à Basle en 1438, révoqua toutes les graces expectatives, laissant seulement au pape la faculté d’accorder une fois en sa vie un mandat pour un seul bénéfice, dans les églises où il y a plus de dix prébendes, & deux mandats, dans les églises où il y a cinquante prébendes ou plus. Il ordonne aussi de donner la troisieme partie des bénéfices à des gradués, docteurs, licentiés ou bacheliers dans quelque faculté. C’est là l’origine du droit des gradués ; qu’on appelle aussi expectative des gradués, parce qu’en vertu de leurs grades ils requierent d’avance le premier bénéfice qui viendra à vaquer. Voyez Gradué.

La pragmatique sanction faite à Bourges dans la même année, abolit entierement les graces expectatives, & rétablit les élections.

Mais par le concordat passé entre Léon X. & François I. on renouvella le réglement qui avoit été fait au concile de Basle, par rapport aux expectatives & mandats apostoliques.

Depuis, le concile de Trente a condamné en général toutes sortes de mandats apostoliques & de lettres expectatives, même celles qui avoient été accordées aux cardinaux.

Il ne reste plus en France de graces expectatives que par rapport aux gradués, aux indultaires, aux brevetaires de joyeux avenement, de serment de fidélité, & de premiere entrée : il faut néanmoins excepter l’église d’Elna, autrement de Perpignan, dans laquelle le pape donne à des chanoines encore vivans des coadjuteurs, sub expectatione futuræ præbenda ; mais cette église est du clergé d’Espagne, & ne se conduit pas selon les maximes du royaume.

La disposition du concile de Trente, qui abolit nommément les expectatives accordées aux cardinaux, jointe à l’abrogation génerale, a fait douter si le concile ne comprenoit pas les souverains aussi bien que les cardinaux ; mais les papes & la congrégation du concile ont déclaré le contraire en faveur des empereurs d’Allemagne, en leur conservant le droit de présenter à un bénéfice de chaque collateur de leur dépendance, qui est ce que l’on appelle droit de premiere priere.

Cet usage a passé d’Allemagne en France dans le xvj. siecle, & Henri III. par des lettres patentes du 9 Mars 1577, vérifiées au grand-conseil, mit les brevets de joyeux avenement au nombre des droits royaux. Voyez Joyeux Avenement.

Les brevets de joyeux avenement sont des especes de mandats par lesquels le roi nouvellement parvenu à la couronne, ordonne à l’évêque ou au chapitre qui confere les prébendes de l’église cathédrale, de conférer la premiere dignité ou la premiere prébende de la cathédrale qui vaquera, à un clerc capable qui est nommé par le brevet du roi.

L’indult des officiers du parlement de Paris est aussi une espece de mandat, par lequel le roi, en vertu du pouvoir qu’il a reçû du saint siége, nomme un clerc, officier ordinaire du parlement de Paris, ou un autre clerc capable, sur la présentation de l’officier du parlement à un collateur du royaume, ou à un patron ecclésiastique, pour qu’il dispose en sa faveur du premier bénéfice qui vaquera à sa collation ou à sa présentation.

L’usage des mandats accordés par le pape aux officiers du parlement de Paris sur la recommandation des officiers de cette compagnie, commença dès la fin du xiij. siecle : on voit un rôle de ces nominations dès l’an 1305. Benoît XII. Boniface IX. Jean XXIII. & Martin V. donnerent aux rois de France des expectatives pour les officiers du parlement : ce droit se regle présentement suivant les bulles de Paul III. & de Clément IX. Voyez Indult.

Les brevetaires de serment de fidélité, dont le droit a été établi par une déclaration du dernier Avril 1599, vérifiée au grand-conseil, sont encore des expectans ; le brevet de serment de fidélité étant de même une espece de mandat ou grace expectative, par lequel le roi ordonne au nouvel évêque, après qu’il lui a prêté serment de fidélité, de conférer la premiere prébende de l’église cathédrale à sa collation, qui vaquera par mort, au clerc capable d’en être pourvû, qui est nommé par le brevet. Voyez Serment de Fidélité.

Enfin nos rois sont en possession immémoriale de conférer par forme d’expectative une prébende, après leur premiere entrée dans les églises dont ils sont chanoines. Le parlement confirme ce droit, comme étant fondé sur des traités particuliers ou sur des usages fort anciens.

Quelques évêques joüissent d’un droit semblable à leur avenement à l’épiscopat, notamment l’évêque de Poitiers.

Sur les graces expectatives on peut voir Rebuffe, prax. benef part. I. de expectativo ; Franc. Marc, tome I. quest. 1100. & 1186 ; Chopin, de sacr. lib. I. tit. iij. n. 18. les traités faits par Joa. Staphileus, Ludovic. Gomesius, & Joan. Nic. Gimonteus. Voyez aussi les mem. du Clergé, premiere édit. tome II. part. II. tit. xj. les lois eccles. de d’Hericourt, part. I. chap. viij. & suiv. le recueil de jurispr. can. au mot Expert. (A)