L’Encyclopédie/1re édition/EMPORTER

EMPOTER  ►

* EMPORTER, v. act. se dit en général d’une action en conséquence de laquelle un corps auquel cette action est appliquée, passe d’un lieu dans un autre. On y joint pourtant cette vûe de l’esprit, que la cause qui transporte est regardée comme continuellement appliquée à la chose emportée. On se sert de ce terme au simple & au figuré, au moral & au physique ; mais le substantif emportement ne se prend qu’au moral, & marque une agitation violente de l’ame. Le participe emporté se prend au physique & au moral : on dit, on a emporté cette armoire, & c’est un emporté.

Emporter, Remporter, synon. On dit toûjours remporter la victoire, & non pas emporter la victoire ; mais on dit au contraire emporter le butin, & non pas remporter le butin. Ces deux mots ont également leur bisarrerie d’usage, quand on les employe au figuré. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.

Emporter, (Marine.) se dit de ce que le vent ou les coups de mer enlevent du vaisseau. On a vû des voiles & des vergues emportées par le vent, des galeries emportées par des coups de mer, & quelquefois des mâts. (Z)

Emporter (s’) v. pass. (Manége.) terme usité parmi nous pour désigner en général l’action d’un cheval que le cavalier ne peut arrêter, & qui fuit avec fougue & avec impétuosité malgré tous les efforts que l’on fait pour le retenir.

Ce défaut est plus ou moins considérable selon ses causes & sa source.

Il procede souvent de l’ignorance d’une main dure & cruelle, incapable de reconnoître & de sentir le fond de la bouche de l’animal, & qui, par un appui forcé & toûjours constant dans le même degré, en échauffe tellement toutes les parties qu’elle les prive de toute sensibilité (voyez Main). Il peut être encore occasionné par tous les vices qui tendent à égarer une bouche (voyez Egarer), par l’habitude de forcer la main (voyez Forcer), par la gaieté du cheval qui s’émeut & s’excite lui-même à la vûe ou à l’ouie d’un autre cheval qui galope ; par sa timidité, lorsqu’à l’occasion de quelque bruit il fuit & s’échappe ; par de mauvaises leçons ; par la facilité avec laquelle le cavalier se sera laissé maîtriser, &c.

Il est certain que ce n’est qu’autant que toutes les portions de la bouche, & principalement les barres, n’auront point été véritablement endommagées, que nous pourrons remédier à ce vice d’autant plus essentiel, que les suites en peuvent être extrèmement funestes. Si ces mêmes portions sont en effet dans un état desesperé, & qu’il ne nous soit plus absolument permis d’y rappeller par aucun moyen le sentiment qu’elles ont perdu, vainement tenterions-nous d’en corriger l’animal. Ou cette action de fuir est tournée en habitude, ou elle n’est que passagere.

Dans le premier cas, il s’agira de travailler le cheval lentement & au pas, & avec toute l’attention que demande une bouche sujette à s’échauffer ; du pas, on le conduira insensiblement au trot, & du trot on le ramenera au pas pour le remettre au trot, & successivement au galop, en le ralentissant toûjours & en entremêlant prudemment ces différentes allures. Le galop étant incontestablement la plus vive & la plus prompte, est aussi très-communément celle dans laquelle il s’anime davantage, & où il est le plus sujet à s’emporter ; on ne l’y exercera par conséquent que lorsque dans les autres il obéira exactement à toutes les impressions de la main, on en augmentera aussi la rapidité, on en diminuera de tems en tems la vîtesse ; & les arrêts multipliés selon le besoin, ainsi que la répétition de la leçon du reculer, étoufferont enfin en lui cette vivacité & cette ardeur, ou du moins le remettront sous les lois d’une entiere obéissance.

L’emportement n’est-il que passager ? n’a-t-il lieu que dans la circonstance d’un autre cheval qui court rapidement, ou à raison de la surprise & de la crainte que lui inspirent certains bruits auxquels ses oreilles ne sont point accoûtumées ? n’est-il, en un mot, suscité qu’à l’occasion des objets extérieurs dont il est frappé ? on doit 1°. nécessairement l’habituer au son & à la vûe de ces mêmes objets : 2°. le retenir & le renfermer dans l’instant même du premier effort qu’il fait pour s’échapper, & rendre la main dans l’instant qui le suit, sauf à le reprendre de nouveau s’il témoigne encore le moindre desir de fuir. Sans cette précision avec laquelle le cavalier saisit le moment, l’animal se dérobe toûjours pendant un espace plus ou moins considérable de terrein ; & cette espece de victoire qu’il remporte l’enhardit, pour ainsi dire, & peut non-seulement le confirmer dans ce leger défaut, mais occasionner ces mouvemens fougueux auxquels on s’oppose inutilement. Il est même très-à-propos de joindre quelquefois le châtiment à l’action, de saisir le tems, afin de faire sentir à l’animal renfermé & puni, que cette passion immodérée d’une course que le cavalier ne sollicite point, est une faute qui lui attire la correction qu’il redoute ; ainsi serrez vivement les deux talons en mettant la main près de vous, rendez & reprenez sur le champ, bientôt le cheval ne reconnoîtra plus rien qui puisse l’engager à s’emporter.

La plûpart des hommes imaginent que la voie la plus sûre de retenir un cheval qui fuit, est de s’attacher à la main. Ils employent tout leur pouvoir & toutes leurs forces dans l’espérance de l’arrêter, mais leurs efforts sont toûjours superflus & sans succès. La raison en est simple ; d’une part, ces mêmes efforts exercés directement sur la bouche falsifient si considérablement l’appui, que le cheval méconnoît entierement la main & tous les effets qui auroient pû résulter de celle qui n’auroit été que douce & legere. D’un autre côté, en supposant qu’il puisse encore rencontrer un sentiment quelconque, il est certain que l’impression de la main augmentera le pli ou la flexion du derriere ; car telle est l’efficacité des renes mues & approchées de notre corps, qu’elles surchargent l’arriere-main : or ce même arriere-main chassant, & ne pouvant que continuellement chasser l’animal au moyen de la flexion répétée de ses parties, il s’ensuit que plus la tension des renes est constante & augmentée, plus les forces de l’animal qui s’emporte sont accrues & multipliées ; ainsi bien loin de l’arrêter, on lui fournit les moyens de résister avec plus d’empire. Il est donc incontestablement assuré qu’on ne retient jamais plus aisément & plus véritablement un cheval, qu’en rendant & en cessant, pour ainsi dire, de le retenir, pourvû qu’on le reprenne dans la main successivement & de tems en tems. (e)

Emporter, (Jardinage.) on dit qu’un arbre s’emporte, quand il pousse avec trop de vivacité, & qu’il est à craindre que le trop de vivacité ne le fasse avorter. (K)