L’Encyclopédie/1re édition/ELEPHANTIASE ou ELEPHANTIE

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ELEPHANTIASE ou ELEPHANTIE, subst. f. ou ELEPHANTIAS, s. m. (Med.) c’est le nom que les Grecs ont donné à la maladie de la peau, que les Arabes appellent lepre.

Celle qui est la lepre des Grecs, est nommée par les Arabes, albara nigra : c’est une espece de gale à un plus haut degré de malignité ; ainsi elle ne differe de la gale que l’on voit communément, que par l’intensité des symptomes. Voyez Gale, Lepre.

La lepre des Arabes est encore plus violente que celle des Grecs. De toutes les maladies dans lesquelles les tégumens sont affectés de différens genres de pustules, de tubercules, d’ulceres, il n’en est point qui réunisse autant de ces divers maux, & qui affecte si généralement toutes les parties du corps, d’une maniere si horrible & si digne de compassion en même tems, que l’éléphantiase ; ce qui la fait regarder comme un chancre universel par Paul Æginette (lib. IV.), & par presque tous les auteurs qui l’ont décrit après lui. On lui a donné le nom d’éléphantiase ; soit parce que cette maladie est aussi grande par la nature de ses symptomes, & aussi forte par la difficulté de la guérir, entre toutes les autres maladies connues, que l’éléphant surpasse en grandeur & en force tous les autres quadrupedes ; soit parce que ceux qui sont affectés de cette espece de lepre ont le corps & les extrémités inférieures sur-tout tuméfiées & si roides, qu’ils ne peuvent pas les plier : ce en quoi on les comparoit aux éléphans, dont les anciens croyoient les jambes sans jointures ; soit parce que cette maladie rend la peau gonflée, rude, inégale, ridée, couverte d’écailles, de tubérosités, avec un grand nombre de fentes sillonnées & de crevasses, comme l’est celle des éléphans. Cette derniere raison paroît la plus vraissemblable. On lui a aussi donné, selon Galien dans son livre de tumoribus, cap. xjv. le nom de satyryasmum ; parce que lorsqu’elle commence, elle rend les malades extrèmement lascifs, & par là semblables à des satyres ; ou parce qu’elle défigure le visage, & lui donne quelque ressemblance avec la figure sous laquelle on représente les satyres. On la désigne aussi par le nom de leontiasis ; il est fait mention de ce nom dans Aëtius, tetract. 4. parce que ceux qui en sont affectés ont le front chargé de grosses rides, l’aspect furieux, effrayant, comme le lion : ensorte que ce mal est aussi cruel que cet animal. On l’appelle encore le mal de S. Lazare, parce qu’on le croit le même que celui du mandiant nommé Lazare, tout couvert d’ulceres, dont il est fait mention dans l’Evangile.

Cette cruelle maladie ne paroît pas tout d’un coup dans toute sa force, ses symptomes ne semblent naître que par degrés ; car avant que les parties extérieures soient affectées, les malades se sentent une pesanteur de corps qui les engourdit & les rend lents à se mouvoir, sont sujets à la constipation, leurs urines sont semblables à celles des bêtes de somme, leur haleine devient forte, la peau des joues s’épaissit, il s’éleve des tumeurs dures sur le visage & principalement sur le front ; & lorsque le mal augmente plus considérablement, il se forme des tubercules & des pustules sur toute la surface du corps.

Il y a six symptomes, selon Gui de Chauliac (mag. chirg. tract. 6.), qui constituent des signes caractéristiques de l’elephantiasis ; savoir la rondeur des yeux & des oreilles ; la dépilation, l’épaisseur, & l’élévation de la peau des sourcils ; la dilatation & la distorsion des narines en-dehors, & le resserrement de leurs cavités en-dedans ; la mauvaise odeur des levres, & la voix rauque, comme lorsqu’on parle du nez ; la puanteur de la bouche & de toute la personne ; le regard fixe & qui fait horreur.

Le même auteur rapporte encore seize autres signes équivoques de cette maladie, dont voici les principaux : la peau s’hérisse d’inégalités en forme d’écailles ; il s’en sépare une grande quantité qui renaît bientôt après : le sentiment qui est d’abord beaucoup émoussé dans les extrémités inférieures, avec des crampes continuelles, se perd à la suite entierement, ensorte qu’il ne peut presque pas être excité par la piquûre faite avec des aiguilles quoiqu’enfoncées profondement ; la peau en général devient insensible par degrés, au point de ne ressentir à la fin aucune douleur, même par l’aspersion de l’eau bouillante qui glisse dessus comme sur un corps onctueux. Les cheveux tombent aussi-bien que les poils des aisselles, des aines, & il renaît à la place une espece de duvet : les levres sont enflées, épaisses, les gencives rongées, la langue, le palais, les oreilles se garnissent d’une infinité de petits grains comme des durillons ; une soif ardente tourmente jour & nuit ; & selon la description qu’Aretée donne de cette maladie (liv. IV. cap. xiij.), la face, les cuisses, les jambes s’enflent d’une maniere énorme, & quelquefois tout le corps, ensorte que les doigts des piés & même ceux des mains sont enveloppés & cachés sous l’enflure : enfin lorsque le mal est au suprème degré, les tubercules s’exulcerent dans toutes les parties du corps ; les bords des ulceres deviennent calleux, & cependant très-tendres & susceptibles de donner du sang par la moindre irritation ; il s’en forme souvent dans l’intérieur de la bouche, dans le gosier ; il s’y répand un pus de mauvaise qualité, une sanie, qui sont de très-mauvaise odeur ; & le corps ainsi affecté dans toutes ses parties, ne paroît bientôt plus que couvert d’un seul ulcere comme un chancre universel ; jusqu’à ce que la fievre lente qui se joint inévitablement à tous ces symptomes, & la pourriture de toutes les parties tant internes qu’externes, ayent rongé & consumé jusqu’aux os la substance des misérables qui sont dans un si triste état, & leur ayent ôté le peu de vie qui restoit encore dans leur corps changé en affreuses charognes, quelquefois long-tems même avant la mort ; car malgré tant de maux qui sont produits par cette maladie, elle ne laisse pas d’être ordinairement de longue durée ; elle doit par conséquent selon Celse, liv. III. cap. xxv. être mise au nombre des chroniques, quelque violente qu’elle soit.

Telle est l’histoire de cette maladie qui porte un caractere de malignité excessive & qui est des plus contagieuses ; en sorte que ceux qui en sont attaqués se voyent abandonnés de tout le monde, même de leurs domestiques & de leurs parens qui craignent d’en approcher : c’est en conséquence qu’on a pourvû dans plusieurs états à leur fournir un asyle où ils puissent se mettre & finir leurs jours malheureux dans des hôpitaux (dits de S. Lazare), fondés à cet effet ; on les oblige à se séparer de la société & à s’y renfermer dès qu’ils sont déclarés tels ; d’autant plus que l’éléphantias se communique aisément par le commerce ordinaire de la vie, sur-tout si l’on couche avec ceux qui en sont infectés, & par le coït ; comme le rapporte Gordon, liv. I. cap. xxij. ce qu’il confirme par plusieurs exemples : il peut être aussi héréditaire.

C’est mal-à-propos qu’on a voulu confondre l’éléphantiase ou lepre des Arabes avec la vérole ; attendu que celle-la toute contagieuse qu’elle est, peut aussi être contractée par le défaut de régime, par l’usage de mauvais alimens selon le témoignage des anciens médecins : ce qui n’arrive jamais par rapport à celle-ci, qui ne se communique que par contagion. La vérole commence souvent par l’affection des parties génitales, l’éléphantiase n’attaque jamais particulierement ces organes : cette maladie-ci rend les malades extrèmement lascifs : c’est tout le contraire à l’égard de celle-là : celle-ci est le plus souvent susceptible de guérison ; celle-la ne l’est jamais lorsqu’elle est confirmée, &c.

Enfin, la lepre des Arabes ou l’éléphantiase est une maladie à peine connue & vûe en Europe dans ces derniers siecles, & dont le traitement n’a point été appliqué à la vérole : l’éléphantias est endémique, en Syrie & en Egypte ; il est absolument étranger dans la partie du monde que nous habitons ; il n’y a été répandu que deux fois selon le témoignage des historiens & des médecins, & il s’y est éteint en peu de tems. Pline dit, hist. nat. lib. III. qu’elle étoit inconnue en Italie jusqu’au tems du grand Pompée : Lucrece donne à entendre qu’elle étoit particuliere à l’Egypte, lib. IV.

Est elephas morbus qui propter flumina Nili,
Gignitur Ægypto in mediâ, neque præterea usquam.

Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle a toûjours été plus commune dans les pays chauds, & que quand l’Europe en a été infectée, ses parties méridionales en ont plus souffert que les septentrionales : & en France elle s’est aussi fait plus sentir, en Provence & en Languedoc, que dans le reste du royaume ; il conste cependant qu’elle s’est aussi répandue dans quelques endroits de l’Allemagne.

Comme la lepre des Arabes & celle des Grecs ne semblent différer qu’en ce que les symptomes de la premiere sont portés au plus haut point de malignité ; pour ne pas tomber dans le cas de la répétition, il est à-propos de renvoyer à l’article Lepre ce qui reste à dire touchant les causes, le prognostic & la curation de l’éléphantiase qui n’est le plus souvent susceptible d’aucun traitement. Voyez Lepre.

Plusieurs médecins arabes ont aussi entendu par le mot elephantiasis, une maladie bien différente de la précedente qui affectoit simplement les piés avec un gonflement considérable & des varices dans ces parties ; comme il paroît par Avicenne, Rhasis, Avenzoar & autres ; sur quoi Voyez Fuchsius, lib. III. & Forestus, lib. XXIX. (d)