L’Encyclopédie/1re édition/EARLDORMAN

◄  EAQUE
EARNE  ►

EARLDORMAN, s. m. (Hist. d’Angl.) le premier degré de noblesse chez les Anglo-Saxons. Comme l’origine de cette dignité, de ses fonctions, & de ses prérogatives, répand un grand jour sur les premiers tems de l’histoire de la Grande-Bretagne, il n’est pas inutile d’en fixer la connoissance, qui ne se trouve dans aucun dictionnaire françois.

Ce mot, qui dans son origine ne signifie qu’un homme âgé ou ancien, vint peu-à-peu à désigner les personnes les plus distinguées, apparemment parce qu’on choisissoit pour exercer les plus grandes charges, ceux qu’une longue expérience en pouvoit rendre plus capables : méthode que nous ne connoissons guere. Ce n’est pas seulement parmi les Saxons que ces deux significations se trouvent confondues ; on voit dans l’Ecriture-sainte, que les anciens d’Israel, de Moab, de Madian, étoient pris parmi les principaux de ces nations. Les mots, senator, sennor, signor, seigneur, en latin, en espagnol, en italien, & en françois, signifient la même chose.

Les ealdormans ou earldormans étoient donc en Angleterre les plus considérables de la noblesse, ceux qui exerçoient les plus grandes charges, & par une suite très-naturelle, qui possédoient le plus de biens. Comme on confioit ordinairement à ceux de cet ordre les gouvernemens des provinces ; au lieu de dire le gouverneur, on disoit l’ancien earldorman d’une telle province : c’est de-là que peu-à-peu ce mot vint à désigner un gouverneur de province, ou même d’une seule ville.

Pendant le tems de l’heptarchie, ces charges ne duroient qu’autant de tems qu’il plaisoit au roi, qui dépossédoit les earldormans quand il le jugeoit à-propos, & en mettoit d’autres en leur place. Enfin ces emplois furent donnés à vie, du moins ordinairement : mais cela n’empêcha pas que ceux qui les possédoient, ne pussent être destitués pour diverses causes. Il y en a des exemples sous les regnes de Canut, & d’Edoüard le Confesseur.

Après l’établissement des Danois en Angleterre, le nom d’earldorman se changea peu-à-peu en celui d’earl, mot danois de la même signification ; ensuite les Normands voulurent introduire le titre de comte, qui bien que différent dans sa premiere origine, désignoit pourtant la même dignité : mais le terme danois earl s’est conservé jusqu’à ce jour, pour signifier celui qu’en d’autres pays on appelloit comte. Voyez Comte.

Il y avoit plusieurs sortes d’earldormans : les uns n’étoient proprement que des gouverneurs de province ; d’autres possédoient leur province en propre, comme un fief dépendant de la couronne, & qu’ils tenoient en foi & hommage ; de sorte que cette province étoit toûjours regardée comme membre de l’état. L’histoire d’Alfred le Grand fournit un exemple de cette derniere sorte d’earldormans, qui étoient fort rares en Angleterre. C’est ainsi qu’en France, vers le commencement de la troisieme race de nos rois, les duchés & les comtés qui n’étoient auparavant que de simples gouvernemens, furent donnés en propriété sous la condition de l’hommage.

Les earldormans, ou les comtes de cette espece, étoient honorés des titres de reguli, subreguli, principes ; il n’est pas même sans exemple, qu’on leur ait donné le titre de rois : quant aux autres, qui n’étoient que de simples gouverneurs, ils prenoient seulement le titre d’earldormans d’une telle province. Les premiers faisoient rendre la justice en leur propre nom : ils profitoient des confiscations, & s’approprioient les revenus de leur province. Les derniers rendoient eux-mêmes la justice au nom du roi, & ne retiroient que certains émolumens qui leur étoient assignés. Le comte Goodwin, quelque grand seigneur qu’il fût d’ailleurs, n’étoit que de ce second ordre.

A ces deux sortes de grands earldormans, on peut en ajoûter une autre ; savoir, de ceux qui sans avoir de gouvernement, portoient ce titre à cause de leur naissance, & parce qu’on tiroit ordinairement les gouverneurs de leur ordre : ainsi le titre d’earldorman ne désignoit quelquefois qu’un homme de qualité.

Il y avoit encore des earldormans inférieurs dans les villes, & même dans les bourgs : mais ce n’étoient que des magistrats subalternes qui rendoient la justice au nom du roi, & qui dépendoient des grands earldormans. Le nom d’alderman, qui subsiste encore, est demeuré à ces officiers inférieurs, pendant que les premiers ont pris le titre de earl ou de comte.

La charge d’earldorman étoit civile, & ne donnoit aucune inspection sur les affaires qui regardoient la guerre. Il y avoit dans chaque province un duc qui commandoit la milice : ce nom de duc, pris du latin dux, est moderne. Les Saxons appelloient cet officier heartogh : celui-ci n’avoit aucun droit de se mêler des affaires civiles. Son emploi étoit entierement différent & indépendant de celui de comte ; on trouve néanmoins quelquefois dans l’histoire d’Angleterre, que tantôt le titre de duc, tantôt celui de comte, sont donnés à une même personne : mais c’est qu’alors les deux charges se trouvoient réunies dans un même sujet, comme elles le furent assez communément vers la fin de l’heptarchie. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.