L’Encyclopédie/1re édition/DESTINÉE

DESTINÉE, s. f. (Métaph.) en général, signifie un évenement infaillible qui dépend d’une cause supérieure. Les Latins se servoient du mot fatum.

Fatum est un terme fort en usage parmi les anciens philosophes. Il vient de fando, parler, & signifie proprement la même chose que effatum, c’est-à-dire mot, decret prononcé par Dieu, ou une déclaration fixe par laquelle la Divinité a reglé l’ordre des choses, & désigné ce qui doit arriver à chaque personne

Les Grecs l’appellent εἱμαρμένη, nexus, chaîne, ou une suite nécessaire de choses liées ensemble d’une maniere indissoluble, & les modernes l’appellent providence. Voyez Providence.

Mais outre qu’on se sert du mot fatum pour signifier la connexion des choses, soit dans la nature, soit même dans la détermination divine ; on lui donne encore un sens plus étendu : car on l’employe pour exprimer je ne sai quelle nécessité ou destination éternelle des choses, qui conduit & dirige vers leurs fins tous les agens, soit nécessaires, soit volontaires. Voyez Nécessité.

Quelques auteurs ont divisé la destinée en astrologique & stoïcienne.

Destinée astrologique, signifie une nécessité de choses & d’évenemens qui dépend de l’influence & de la position des corps célestes qui dirigent les élémens, les corps mixtes, & la volonté des hommes.

C’est dans ce sens que Manilius l’employoit souvent : Certum est & inevitabile fatum ; materiæque datum est cogi, sed cogere stellis. Voyez Astrologie.

Destinée stoïcienne ou fatalité, suivant la définition qu’en donne Cicéron, est un ordre ou une suite de causes, dans laquelle une cause est enchaînée avec une autre ; & c’est ainsi, dit cet auteur, que toutes choses sont produites par une premiere cause.

Chrysippe dit que c’est une succession naturelle & invariable de toutes choses ab æterno, dont l’une renferme l’autre.

Les dieux mêmes étoient soûmis à cette destinée ; en effet un ancien dit : « L’auteur de toutes choses a fait des lois des le commencement, auxquelles il a soûmis toutes choses & lui-même. » Séneque dit aussi : eadem necessitas & deos alligat, irrevocabilis divina pariter & humana cursus vehit : ille ipse omnium conditor & rector seripsit quidem fata, sed sequitur ; semel scripsit, semper paret.

Les Poetes appellent cette suite éternelle de causes μοῖραι, & parcæ ou destins. Voyez Stoïcisme & Destin.

Quelques auteurs modernes divisent la destinée, fatum, en physique & divine.

Destinée physique, est l’ordre ou la suite des causes naturelles qui sont appliquées à leurs effets.

Le principe ou fondement de cette destinée est la nature, ou le pouvoir & la maniere d’agir que Dieu a donné dès le commencement aux différens corps, élémens, mixtes, &c. C’est par cette destinée que le feu échauffe, que les corps communiquent leurs mouvemens à chaque autre, que le soleil & la lune occasionnent les marées, &c. & les effets de cette destinée sont tous les évenemens & les phénomenes qu’on remarque dans tout l’univers, excepté ceux qui dépendent de la volonté de l’homme. Voyez Nature.

Destinée divine, est ce que nous appellons ordinairement la providence. Voyez Providence.

Platon, dans son Phædon, les renferme l’une & l’autre dans une même définition, & les regarde comme la même chose considérée activement & passivement. Voici sa définition : Fatum est ratio quædam divina, lexque naturæ comes quæ transiri nequeat, quippe à causa pendens quæ superior sit quibusvis impedimentis. Cependant celle de Boëce paroît plus claire & plus juste : Fatum, dit-il, est inhærens rebus mobilibus dispositio, per quam providentia suis quæque nectit ordinibus. Chambers.