L’Encyclopédie/1re édition/CONTRAT (droit naturel)

CONTRAT, s. m. (Droit nat.) c’est en général toute convention faite entre deux ou plusieurs personnes ; ou consentement de deux ou de plusieurs personnes sur une même chose, dans la vue d’exécuter leur convention.

On entend en particulier par contrat les accords faits au sujet des choses ou des actions qui entrent en commerce, lesquels par-conséquent supposent l’établissement de la propriété & du prix des biens ; & l’on entend par simple convention, les accords que l’on fait sur tout le reste, quoique l’usage donne indifféremment à quelques-uns des derniers le nom de contrat.

Les contrats peuvent être divisés en gratuits ou bienfaisans, & onéreux ou intéressés de part & d’autre. Les premiers procurent quelques avantages purement gratuits à l’un des contractans : les autres assujettissent chacun des contractans à quelque charge, ou quelque condition également onéreuse qu’ils s’imposent l’un à l’autre ; car alors on ne fait & l’on ne donne rien que pour en recevoir autant.

On distingue trois principales sortes de contrats gratuits, savoir le mandement ou la commission, le prêt à usage, & le dépôt.

Il y a un grand nombre de contrats onéreux ou intéressés de part & d’autre. Les principaux qui sont aujourd’hui en usage, sont l’échange, le plus ancien de tous, le contrat de vente, le contrat de louage, le prêt à consomption, le contrat de société, & les contrats où il entre du hasard. Dans ces derniers sont compris les gageures, tous les jeux, la rafle, la loterie, & le contrat d’assurance. On ajoute souvent dans ces sortes de contrats, pour plus grande sureté, une caution, un gage, une hypotheque.

Il doit y avoir une juste égalité dans les contrats onéreux ou intéressés de part & d’autre, c’est-à-dire qu’il faut que chacun des contractans reçoive selon son estimation autant qu’il donne, mais pas plus loin que l’autre partie n’a lieu de croire que s’étend cette estimation. Pour cet effet, si l’un des contractans se trouvoit avoir moins, il est en droit ou d’obliger l’autre à le dédommager de ce qui lui manque, ou de rompre entierement le contrat.

Ainsi, 1°. pour déterminer d’un commun accord cette égalité requise, il faut avant que de rien conclure, que l’un & l’autre des contractans ait une égale connoissance, & de la chose même, au sujet de laquelle ils traitent, & de toutes les qualités qui sont de quelque conséquence ; 2°. cette égalité est si fort nécessaire qu’il faut redresser l’inégalité qui se trouve dans un contrat après la conclusion du marché par rapport aux choses dont le prix est reglé par les lois, & s’il y a fraude ou erreur au sujet des qualités essentielles de ces choses.

Ces principes sont de droit naturel ; car pour éviter la multitude des procès, on sait que les lois civiles (dont il ne s’agit pas ici), ne donnent guere action en justice que quand il y a une lésion énorme, laissant à chacun le soin d’être sur ses gardes s’il ne veut pas être trompé. Au-surplus, les devoirs de tous les contrats se déduisent aisément de la nature & du but des engagemens où l’on entre.

Leur observation est sans-contredit un des plus grands & des plus incontestables devoirs de la morale. Mais si vous demandez à un chrétien qui croit des récompenses & des peines après cette vie, pourquoi un homme doit tenir sa parole, il en rendra cette raison ; que Dieu qui est l’arbitre du bonheur & du malheur éternel nous l’ordonne. Un disciple de Hobbes à qui vous ferez la même question, vous dira que le public le veut ainsi, & que Léviathan vous punira si vous faites le contraire. Enfin un philosophe païen auroit répondu à cette demande, que de violer sa promesse c’étoit faire une chose deshonnête, indigne de l’excellence de l’homme, & contraire à la vertu, qui éleve la nature humaine au plus haut point de perfection où elle soit capable de parvenir.

Cependant quoique le chrétien, le païen, le citoyen, reconnoissent également par différens principes, le devoir indispensable de l’observation des contrats ; quoique l’équité naturelle & la seule bonne foi obligent généralement tous les hommes à tenir leurs engagemens, pourvû qu’ils ne soient pas contraires à la vertu ; la corruption des mœurs a prouvé de tout tems que la pudeur & la probité n’étoient pas d’assez fortes digues pour porter les hommes à exécuter leurs promesses ; voilà pourquoi fut établie la loi des douze tables au sujet des conventions, comme aussi le supplément que les jurisconsultes qui prirent le soin d’interpreter cette loi, jugerent à propos d’y faire ; voilà ce qui a produit dans le droit romain tous les détails sur les contrats nommés, & les contrats innommés.

Enfin notre droit françois, sans s’arrêter aux regles scrupuleuses que les lois romaines avoient introduites, appella contrat généralement toutes les conventions honnêtes qui se font entre les hommes, de quelque nature qu’elles soient, & statua qu’elles doivent être exécutées dans toute leur étendue, soit pour fonder une action en justice ; soit pour produire une exception.

Mais en même tems le droit françois accabla la justice & les lois de tant de choses, de conditions & de formalités sur cet article, que les parchemins inventés pour faire souvenir, ou pour convaincre les hommes de leur parole, ne sont devenus que des titres pour se ruiner en procédures, & pour faire perdre le fonds par la forme. Si les hommes sont justes ces formules sont inutiles ; s’ils sont injustes, elles le sont encore très-souvent, l’injustice étant plus forte que toutes les barrieres qu’on lui oppose. Aussi pouvons-nous justement dire de nos contrats, ce qu’Horace disoit de ceux de son tems.

Adde Cicutæ
Nodosi tabulas centum : mille adde catenas,
Effugiet tamen hac scleratus vincula proteus.

lib. II. Sat. 3. v. 69.

« Ne vous contentez pas d’une simple promesse, ajoutez-y les rubriques du fameux notaire Cicuta, dont le métier est de lier les gens ; un coquin saura sans peine se tirer de toutes ses chaînes. »

Lorsque le créancier ayant pris ses mesures,
Veut encor chez du Tartre en chercher de plus sures ;
Que cela lui sert-il ? tous ces liens sont vains,
Le scélérat Protée échappe de ses mains. (D. J.)