L’Encyclopédie/1re édition/COLOQUINTE

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COLOQUINTE, s. f. (Hist. nat. Bot.) colocynthis, genre de plante qui differe des autres cucurbitacées en ce que ses feuilles sont profondément découpées, que son fruit est amer, & qu’il n’est pas bon à manger. Tournefort, Institut. rei herb. Voyez Plante. (I)

La plante de ce genre qui s’appelle colocynthis fructu rotundo minor, C. B. C. B. T. Tourn. &c. coloquinte à fruit rond, se répand sur la terre par des branches rudes & cannelées. Les feuilles naissent seules, éloignées les unes des autres, attachées à de longues queues ; elles sont rudes, blanchâtres, velues, découpées comme les feuilles du melon d’eau, mais plus petites. Aux aisselles de ces feuilles naissent des vrilles. Les fleurs sont jaunes, évasées en cloche, découpées en cinq quartiers : les unes sont stériles, & ne portent point sur un embryon ; les autres sont fécondes, soutenues sur un calice, & un embryon qui se change ensuite en un fruit d’une couleur herbacée d’abord, & jaunâtre lorsqu’il est parfaitement mûr, d’une odeur fort desagréable & d’un goût amer. Ce fruit sous une écorce mince, coriace, renferme une moelle blanche divisée en trois parties, dont chacune contient deux loges dans lesquelles se trouvent de petites graines renfermant une amande blanche, huileuse, & douce.

La coloquinte naît dans les iles de l’Archipel, sur les côtes maritimes de l’Orient, & dans les deux Indes où il y en a plusieurs variétés. Ceux qui seroient curieux de la cultiver dans nos climats, doivent en semer les graines dans des lits chauds de terre préparée, & en diriger la culture comme celle des concombres dont on veut hâter la maturité. Par M. le Chevalier de Jaucourt.

Coloquinte. (Mat. medic. & Pharm.) La coloquinte est un médicament aussi ancien que la Medecine, très-connu d’Hippocrate, de Dioscoride, de Galien, de Pline, des Grecs, & enfin des Arabes. C’est un purgatif très-fort & très-violent. Tous les Medecins le recommandent pour évacuer les humeurs épaisses & visqueuses, & sur-tout la pituite qu’ils croyent que la coloquinte tire des parties les plus éloignées & les plus cachées. P. Eginet dit que la coloquinte ne purge pas tant le sang que les nerfs. On en recommande l’usage dans les maladies invétérées & opiniâtres, que l’agaric & le turbith n’ont pû guérir ; dans les maladies des nerfs, des articulations, dans les obstructions des visceres, dans les migraines invétérées, dans l’apoplexie, l’épilepsie, le vertige, l’asthme, la difficulté de respirer, les maladies froides des articulations, les douleurs de la sciatique & de la colique venteuse ; l’hydropisie, la lepre, la galle ; & enfin dans tous les cas où il faut se tirer d’un danger par un autre, dit C. Hoffman ; & il ajoûte d’après Massaria, que nous ne guérissons jamais les grandes maladies, parce que nous nous en tenons toûjours aux adoucissans. Geoffroy, mat. medic.

On ne sauroit trop insister sur l’importance de cette derniere réflexion ; mais elle est d’une application trop étendue, pour que nous devions nous y arrêter dans cet article particulier. Voyez Remede Héroique, medicatio heroica, sous le mot Héroique ; voyez aussi Evacuant & Purgatif.

Quelques medecins sans doute de la classe de ceux qui négligent de s’instruire de l’action des remedes par l’observation, & qui arrêtés par des préjugés invincibles puisés dans les livres des théoriciens & dans les écoles, se croiroient coupables de la plus haute témérité, s’ils osoient éprouver l’énergie des remedes de cette espece : des medecins de cette classe, dis-je, ont voulu chasser la coloquinte de la Medecine comme un poison des plus funestes ; mais l’expérience & l’autorité des praticiens les plus consommés doit rassûrer contre cette vaine terreur ; il ne s’agit que de l’appliquer avec discernement dans les cas convenables ; & ces cas ne sont pas très-rares dans la pratique de la Medecine, comme on peut voir par l’énumération des maladies contenues dans le passage de la matiere médicale de M. Geoffroy, que nous venons de rapporter.

Au reste, il suffit pour les Médecins de savoir que la coloquinte est un purgatif très-violent pour se diriger sagement dans son administration, tant par rapport aux cas où elle convient, que par rapport à ses différentes doses & à la forme sous laquelle ils la doivent prescrire.

La décoction de coloquinte & son infusion dans l’eau ou dans le vin, sont des purgatifs efficaces, mais moins violens que la coloquinte en substance. Au reste, il est très-peu de gens pour qui la grande amertume de ce remede soit supportable ; c’est pourquoi il vaudroit mieux en ce cas employer l’extrait de coloquinte sous la forme de pilules.

La coloquinte, soit en substance, soit en extrait, est très-rarement employée seule ; on la donne le plus souvent avec les autres purgatifs.

On peut établir en général que sous cette derniere forme même, on ne doit guere la donner qu’aux gens robustes, & qui sont dans la fleur de leur âge : il faut s’abstenir de la donner aux femmes grosses ; car on prétend qu’elle est absolument mortelle pour le fœtus, quand même on ne l’employeroit qu’en lavement ou en suppositoire.

L’usage de la coloquinte n’a que très-rarement lieu dans les maladies aiguës ; mais Vanhelmont la regarde comme un des plus grands remedes qu’on puisse employer dans les maladies chroniques ; il la met avec la scammonée à la tête des autres purgatifs, & il observe avec raison que c’est à ces deux drogues que doivent leurs vertus réelles toutes les préparations officinales purgatives, dont l’ancienne célébrité se soûtient encore aujourd’hui à si juste titre ; que ce sont même ces deux chefs, antesignani, qui ont fait un nom aux laxatifs doux, comme la manne, la casse, la rhubarbe, &c. Voyez Purgatif.

Les anciens & les nouveaux Grecs, les Arabes, & quelques-uns de nos auteurs de Pharmacie qui sont venus après eux, ont proposé différentes corrections de la coloquinte, comme de la faire macérer dans des liqueurs acides, alkalines, spiritueuses, &c. Riviere la faisoit macérer dans de l’urine ; mais ces especes de correctifs qui châtrent la vertu du remede, & presque toûjours à un degré indéterminé, vont directement contre le but qu’on se propose dans l’administration des remedes violens, & fournissent d’ailleurs des médicamens toûjours infideles. Voyez Correctif.

La seule correction qui soit encore en usage dans nos boutiques, & qui ne fournit proprement qu’un moyen pour réduire en poudre la coloquinte, qui, sans ce secours, seroit très-difficile à pulvériser ; cette unique correction, dis-je, consiste à incorporer la pulpe de coloquinte mondée de ses semences & coupée menu avec une suffisante quantité de mucilage de gomme adragant, à faire sécher exactement la masse qui en résulte, à la mettre en poudre, à incorporer cette poudre une seconde fois avec de nouveau mucilage, à faire sécher cette nouvelle masse & à reduire en poudre fine ou passée au tamis, qu’on peut garder sous cette forme dans une bouteille exactement bouchée, ou qu’on peut incorporer avec de nouveau mucilage de gomme adragant pour en former des trochisques (Voyez Trochisque) connus dans l’art sous le nom de trochisques alhandal, du nom arabe de la coloquinte.

Il n’est pas inutile d’observer que cette derniere opération est au-moins superflue, & qu’il est plus commode pour l’artiste, & peut-être plus sûr pour le malade, que cette préparation soit conservée sous la forme de poudre, puisqu’il faudra bien pulvériser le petit trochisque pour le mêler avec l’excipient dans lequel il sera prescrit, & qu’on ne peut pas se flater qu’il soit réduit en poudre aussi fixe par la pulvérisation extemporanée d’une petite masse de 4 ou 5 grains, que par le tamis fin employé dans la pulverisation officinale, & que par conséquent le trochisque pulvérisé sera distribué moins également dans deux ou trois pilules, par exemple, que si on employoit une poudre plus subtile.

On trouve dans les Mémoires de l’acad. des sciences, année 1701, une analyse de la coloquinte par M. Boulduc le pere, qui procéda à cet examen par la voie des menstrues aussi bien que par celle de la distillation.

De huit onces de pulpe de coloquinte il a retiré par l’eau trois onces d’extrait, que cet auteur appelle extrait gommeux selon le langage usité dans ce tems-là, & de la même quantité de pulpe, par le moyen de l’esprit-de-vin, une demi-once de résine, qu’il appelle extrait résineux.

Il est à remarquer que l’esprit-de-vin n’a pas touché à la pulpe de coloquinte, qui avoit très-long-tems macéré dans de l’eau bouillante, & qu’au contraire l’eau appliquée à cette pulpe, auparavant macérée dans de l’esprit-de-vin, en a tiré près de deux onces d’extrait.

Il est clair par cette analyse, que l’eau peut se charger de toutes les parties solubles dans l’esprit-de-vin, & que ce dernier menstrue au contraire n’attaque que les parties de la coloquinte qui sont vraiment résineuses.

L’extrait de coloquinte donné à la dose de 10 grains, purge assez doucement, sans violence, sans douleur, & en même-tems très-copieusement ; la résine de coloquinte au contraire purge très-peu, excite de très grandes douleurs dans le ventre ; aussi est-elle absolument exclue de l’usage médicinal.

La dose de la coloquinte en substance, ou plûtôt celle des trochisques alhandal ou de la poudre que nous avons recommandée à leur place, est de 4 ou 5 grains jusqu’à 12 ou 15. Un ou deux grains de ces trochisques réduits en poudre fine, donnés avec un absorbent terreux pendant dix ou douze matins consécutifs, est un remede éprouvé contre l’asthme.

On donne la coloquinte en décoction pour un lavement, à la dose d’un gros ou de deux, dans l’apoplexie & les autres affections soporeuses.

La pulpe de coloquinte entre dans la confection Hamech, les pilules de Rudius, l’extrait panchimagogue de Crollius, l’onguent d’Arthanita. Les trochisques alhandal entrent dans les pilules fœtides, cochées & de sagapenum. Outre cela il y a un électuaire qui porte le nom de la coloquinte, & qui est connu dans les boutiques sous le nom de hiera diacolocynthidos, dont voici la composition : ♃ stæchas arabique, marrube blanc, chamædris, agaric, coloquinte, de chacun dix gros ; opopanax, sagapenum, semence de persil, aristoloche ronde, poivre blanc, de chacun cinq gros ; canelle, spicanard, myrrhe, polium, safran, de chacun quatre gros ; miel écumé, trois livres : faites du tout un électuaire selon l’art.

Cet électuaire est un puissant hydragogue qu’on peut donner dans les cas où ces remedes sont indiqués, depuis deux gros jusqu’à une once par la bouche, & depuis once jusqu’à une once & en lavement. (b)