L’Encyclopédie/1re édition/CLINIQUE

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CLINIQUE, adj. (Medecine.) épithete commune à la Medecine, & aux Medecins, à l’Art & aux Artistes, se donnant également à l’un & à l’autre.

On appelle Medecine clinique, la méthode suivie de voir & de traiter les malades alités ; & l’on nomme Medecins cliniques, ceux qui assistent auprès du lit des malades pour traiter leurs maux. C’étoit principalement les medecins des empereurs auxquels on donnoit anciennement ce nom.

On employoit chez les Romains les esclaves au soin de garder les malades, ce qui fit qu’on les appella medici ad matulam ; & pour leur faire plus d’honneur, quelques auteurs leur donnerent aussi le nom de medici clinici, parce qu’ils ne bougeoient d’auprès du lit des malades. Mais c’étoit-là détourner ironiquement la signification du mot clinicus, qui désignoit dans son vrai sens un medecin proprement dit, un homme éclairé qui voyoit les malades au lit, & leur prescrivoit des remedes.

Martial, lib. I. epigramm. xxxj. détourne aussi la véritable signification de clinicus, dans une épigramme où il parle d’un pauvre chirurgien, en Latin vespillo, qui faute d’emploi s’étoit mis à porter les morts en terre ou sur le bûcher :

Chirurgus fuerat, nunc est vespillo Diaulus ;
Cæpit quo potuit, clinicus esse modo.

La pointe de cette épigramme consiste dans l’équivoque qui naît du double sens du mot κλίνη, d’où clinicus a été formé, & qui signifie également un lit & une bierre.

Pline fait Hippocrate auteur de la medecine clinique : il n’y a pas toutefois de vraissemblance que l’on ait tardé si long-tems à visiter les malades dans leur lit ; mais ce qui distingua si fort à cet égard l’ami de Démocrite, c’est comme le remarque le même auteur, qu’il a été le premier qui ait clairement enseigné la Medecine. Génie supérieur, il profita des lumieres de son siecle, & fit servir, comme Boerhaave a fait de nos jours, la Philosophie à la Medecine, & la Medecine à la Philosophie. « Il faut, disoit ce grand homme, réunir avec soin ces deux sciences ; car un medecin qui est philosophe est égal à un dieu ».

Cependant c’est Esculape qui est le véritable inventeur de la medecine clinique, celui qui le premier l’a pratiquée : les Medecins avant lui ne visitoient point les malades au lit, on les portoit dans les carrefours pour recevoir les avis des passans. Le centaure Chiron se tenoit dans sa grotte, attendant qu’on l’y vînt consulter. Quant aux medecins de moindre importance, il est probable que semblables à nos empyriques modernes, ils couroient les foires pour débiter leurs remedes, sans s’aviser d’aller voir les malades pour observer les changemens qui arrivent dans les maladies, & y apporter les secours nécessaires.

Cette coûtume introduite par Esculape, fit que les Medecins qui l’imiterent furent appellés cliniques, afin de les distinguer des coureurs de marchés. Sa méthode clinique lui réussit au point qu’on ne parla plus que de la Medecine d’Esculape & de ses miracles. Les jumeaux, Castor & Pollux, le voulurent avoir avec eux au fameux voyage des Argonautes ; & quelques cures surprenantes qu’il avoit faites de certains malades desespérés, firent que l’on crut qu’il guérissoit les morts. La fable ajoûte que sur la plainte rendue par Pluton que si on laissoit agir Esculape, personne ne mourant, les enfers seroient bientôt vuides, Jupiter tua d’un coup de foudre le célebre medecin d’Epidaure, & Hippolyte que ce medecin avoit ressuscité. Aujourd’hui les sectateurs d’Esculape n’ont pas à craindre le sort du fils d’Apollon. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Cliniques, s. m. pl. terme d’hist. ecclésiast. c’est le nom qu’on donnoit anciennement à ceux qui avoient été baptisés dans leur lit & en maladie ; du Grec κλίνη, lit.

Cela étoit assez fréquent dans les premiers siecles, où plusieurs différoient ainsi leur baptême jusqu’à l’article de la mort, quelquefois par humilité, souvent aussi pour pécher avec plus de liberté. L’empereur Constantin ne fut baptisé que quelques jours avant sa mort. On appelloit ces sortes de personnes cliniques, comme qui diroit chrétiens du lit, & on les regardoit comme foibles dans la foi & dans la vertu. Les peres s’éleverent contre cet abus ; & le concile de Neocesarée, canon 12. déclare les cliniques irréguliers pour les ordres sacrés, à moins qu’ils ne soient d’un mérite distingué, & qu’on ne trouve pas d’autres ministres ; parce qu’on croyoit qu’il n’y avoit qu’une crainte servile qui avoit déterminé les cliniques à recevoir le baptême. Et le pape S. Corneille, dans une lettre rapportée par Eusebe, dit que le Peuple s’opposa à l’ordination de Novatien, parce qu’il avoit été baptisé dans son lit étant malade. Thomass. discipl. de l’église, part. IV. liv. II. ch. xiij (G)