L’Encyclopédie/1re édition/CHAMPIGNON

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CHAMPIGNON, s. m. (Hist. nat.) fungus, genre de plante dont les especes ont un pédicule qui soûtient un chapiteau convexe en-dessus, concave en-dessous, ordinairement uni, & rarement cannelé sur la face convexe ; feuilleté sur la face concave, ou fistuleux, c’est-à-dire garni de petits tuyaux. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

Néron avoit coûtume d’appeller les champignons le ragoût des Dieux, parce que Claude, dont il fut le successeur, empoisonné par des champignons, fut mis après sa mort au nombre des Dieux.

C’est un mets dont les anciens gourmands étoient aussi curieux que le sont nos modernes.

L’expérience consécutive, journaliere, & repetée en tous lieux, en tous pays, des accidens arrivés par l’excès des champignons, ou par le mauvais choix qu’on en fait si souvent, ou par le doute dans lequel on se trouve quelquefois touchant la salubrité de ceux qu’on présente sur nos tables, n’ont pû ni nous guérir de notre sensualité pour cette espece d’aliment, ni devenir des motifs suffisans pour engager des Physiciens à en examiner sérieusement la nature.

Toutefois, indépendamment de ce motif, ce genre de plante auroit dû intéresser les amateurs de la Botanique en particulier, par son étendue, sa singularité, son caractere, la promptitude de sa végétation, &c.

Sa connoissance, suivant la remarque de M. de Jussieu, ne nous intéresse pas seulement par rapport à ce que ces plantes peuvent, ou nous servir d’aliment, ou flatter notre goût, ou ce qui vaut mieux, nous procurer des remedes efficaces, comme on l’éprouve de l’agaric, de la vesse-de-loup, &c. mais encore par les avantages que la physique de la Botanique, que la perfection de l’Agriculture, & que les arts même pourroient en tirer.

Si l’on cherche dans les classes des plantes un genre avec lequel les champignons ayent quelque ressemblance, & auquel on puisse les comparer, il ne s’en trouve guere d’autres que les lichens. (Voyez Lichen.) Comme eux, les champignons sont dénués de tiges, de branches, & de feuilles ; comme eux, ils naissent & se nourrissent sur des troncs d’arbres, sur des morceaux de bois pourri, & sur des parties de toutes sortes de plantes réduites en fumier : ils leur ressemblent par la promptitude avec laquelle ils croissent, & par la facilité que la plûpart ont à se sécher, & à reprendre ensuite leur premiere forme lorsqu’on les plonge dans l’eau : il y a enfin entre les uns & les autres une maniere presque uniforme de produire leur graine.

Cette analogie est d’autant plus importante pour la connoissance de la nature des champignons, que les auteurs anciens ne les ont point mis au rang des plantes, & que plusieurs modernes, parmi lesquels se trouvent Messieurs le comte de Marsigli & Lancisi, dans leur dissertation latine sur l’origine des champignons, imprimée à Rome en 1714 in-8o. se sont persuadés que ceux que l’on voit sur des troncs ou des branches d’arbres, sont des maladies des plantes auxquelles ils sont attachés ; semblables aux exostoses, dont le volume ne s’augmente que par le dérangement des fibres osseuses, qui donne lieu à une extravasation de leurs sucs nourriciers ; & que ceux qui naissent à terre parmi des feuilles pourries, ou sur les fumiers, ne sont que, ou des expansions de quelques fibres de plantes pourries dont la terre est parsemée, ou des productions causées par la fermentation de certains sucs que ces auteurs disent être gras & huileux, qui restés dans les parties de ces plantes pourries, & mêlés avec une portion de sel de nitre, prennent la forme de globule, plus ordinaire qu’aucune autre aux champignons naissans.

Mais toutes ces idées sur la nature des champignons se détruisent aisément par un examen un peu attentif de leur substance, de leur organisation, de leur variété, & de leur maniere de se multiplier ; car enfin tous ces nœuds, ces vessies, & ces autres tumeurs qui paroissent sur certaines parties des arbres, de même que sur le corps des animaux, comme des maladies auxquelles ils sont sujets, sont composés d’une matiere qui participe de la substance solide ou liquide de ces plantes & de ces animaux sur lesquels ils se rencontrent ; au lieu que la substance des champignons qui s’attachent aux arbres, est non seulement toute différente de celle des plantes sur lesquelles ils naissent, mais même est semblable à celle des champignons qui sortent immédiatement de la terre.

Si d’ailleurs la singularité de l’organisation est dans les plantes un de ces caracteres qui les distinguent des autres productions de la nature, ce même caractere se fait reconnoître par une disposition particuliere d’organes dans les champignons.

Les caracteres de l’organisation ne se trouvent pas moins multipliés dans cette plante, qu’ils le sont dans tous les genres de classes de plantes ; ils y sont constans, en quelque pays & dans quelque année qu’on les observe ; ce qui doit se faire par le moyen d’une reproduction annuelle d’especes, qui ne peut se comprendre sans la supposition d’une semence qui les perpétue & les multiplie.

Cette supposition de semences n’est point imaginaire ; elles se font sentir au toucher en maniere de farine dans les champignons, dont la tête est feuilletée en-dessous, lors sur-tout qu’ils commencent à se pourrir ; on les apperçoit aisément à la faveur de la loupe dans ceux dont les feuillets sont noirs à leur marge ; on les trouve sous la forme d’une poussiere dans ceux qu’on appelle vesses-de-loup ; elles paroissent en assez gros grains sur le champignon de Malthe ; elles sont placées dans des loges destinées à les contenir dans l’agaric noir digité de Boerhaave.

Quelque peine qu’on ait communément à se convaincre que ce sont de véritables graines, les Botanistes accoûtumés à en voir de pareilles dans d’autres plantes, les reconnoissent aisément dans celle-ci, & ne peuvent plus douter que les champignons ne soient d’une classe particuliere de plantes, lorsqu’en comparant les observations faites en différens pays, avec les figures & les descriptions de ceux qui ont été gravés, ils apperçoivent chacun chez eux les mêmes genres & les mêmes especes.

L’établissement de la classe nouvelle à former, pour la perfection de la méthode, doit donc se tirer de quelques caracteres qui ne soient pas moins essentiels que ceux des autres classes, & qui les différencient.

Et quels seront les caracteres de ces sortes de plantes ? sinon d’être dans toutes leurs parties d’une substance uniforme, mollasses lorsqu’elles sont dans leur état de fraîcheur, charnues, faciles à se rompre, aussi promptes à venir qu’elles sont de peu de durée, & capables, lorsqu’elles sont seches, de reprendre leur forme & leur volume naturel, si on les trempe dans quelque liqueur dont elles s’imbibent ; caracteres qui tous pourroient se comprendre sous le nom de plantes fongueuses : d’ailleurs elles se font connoître à l’extérieur par une figure si singuliere, que n’ayant ni branches, ni feuilles, ni fleurs pour la plûpart, elles ne ressemblent ni à aucune herbe, ni à aucun arbre.

On pourroit diviser les plantes fongueuses en deux sections générales ; l’une renfermeroit les lychen, & l’autre les champignons : la section des champignons seroit susceptible de deux divisions considérables, dont l’une comprendroit les champignons qui ne portent que des graines, & l’autre ceux qui ont des graines & des fleurs.

Les genres de la premiere de ces divisions seroient le champignon proprement dit, le poreux, l’hérissé, la morille, les fungoïdes, la vesse-de-loup, les agarics, les coralle-fungus, & les truffes.

Les genres de la seconde de ces soûdivisions seroient le typhoïdes, & l’hypoxylon.

Il ne resteroit plus qu’à faire une application particuliere des caracteres de tous les genres qui se rapportent aux différentes divisions de la classe générale, à donner le dénombrement des especes, avec une concordance des descriptions des auteurs, conforme aux figures qu’ils en ont fait graver.

Telles sont les remarques & le projet qu’avoit conçû M. de Jussieu en 1728, pour former l’histoire botanique des champignons ; mais comme par malheur il ne l’a point exécuté, personne n’a osé se charger d’une entreprise que cet illustre académicien sembloit s’être réservée, & qu’il pouvoit consommer avec gloire.

Il faut donc nous contenter jusqu’à ce jour des ouvrages que nous avons cités sur cette matiere ; & quoiqu’ils ne remplissent point nos desirs, ils suffisent néanmoins pour nous mettre sur la voie, pour nous fournir une connoissance générale des divers genres de champignons, & pour nous prouver qu’il n’y a guere de plantes qui produisent plus de variétés en grosseur, en hauteur, en étendue & en différence de couleur des cannelures & du chapiteau, que le fait celle-ci.

Voilà sans doute l’origine des faussetés qu’on lit dans Clusius, Matthiole, Ferrantes Imperati, & autres écrivains, sur la grosseur énorme de quelques champignons. Pour moi, lorsque j’entends Clusius parler d’un champignon qui pouvoit nourrir plus d’un jour toute une famille ; Matthiole prétendre qu’il en a vû du poids de trente livres ; Ferrantes Imperati pousser l’exagération jusqu’à dire qu’il y en a qui pesent plus de cent livres ; enfin d’autres rapporter que sur les confins de la Hongrie de la Croatie, il en croît de si gros qu’un seul feroit la charge d’un charriot : je ne trouve pour cuire de si monstrueux champignons, que le pot de la fable de la Fontaine, qui étoit aussi grand qu’une église.

Il ne faut pas porter le même jugement sur les faits qui regardent les malheurs causés par des champignons pernicieux ; & c’est la certitude des histoires qu’on en cite, qui a engagé divers auteurs modernes à former d’après Dioscoride, la division générale de la classe des champignons, en nuisibles, & en bons à manger. On met au nombre des premiers la vesse-de-loup (voyez ce mot) ; & au rang des derniers le champignon ordinaire qui vient sur couche, champignon dont l’origine & la culture me fourniront plusieurs détails fort intéressans.

Le champignon ordinaire est le funguns sativus equinus, Tournef. Fungus campestris, esculentuss, vulgatissimus, Parisiens. Fungus pilcolo lato & rotundo, C. B. P. 370. J. R. H. 556. Fungus campestris, albus supernè, infernè rubens, J. B. 3. 824. Fungi vulgatissimi esculenti, Lob. Jeon. 271. IX. Genus esculentorum fungorum, Clus. hist. 268.

Il est rond & en bouton, quand il commence à pousser ; ensuite il se développe, & laisse voir en-dessous plusieurs membranes ou feuillets minces, rougeâtres, fort serrés ; il est lisse, égal, & blanc en-dessus, d’une chair très-blanche portée sur un pédicule court & gros, d’une bonne odeur, & d’une bonne saveur en sortant de terre : c’est pourquoi il faut le cueillir avant qu’il se développe ; car étant vieux, il est dangereux, & acquiert une odeur forte & une couleur brune. Cette espece de champignon est très commune dans les forêts & dans les pâturages ; elle vient naturellement, & sur-tout après la pluie. On la cultive dans les jardins potagers des faubourgs de Paris & de Londres, sur des couches de fumier de cheval mêlé de terre, faites avec beaucoup d’art & de soin, & elle vient en grande abondance sous le nom de champignon de couches.

La maniere dont on les éleve prouve le sentiment que nous avons embrassé ci-dessus, qu’ils naissent de graines comme toutes les autres plantes. M. de Tournefort en fait un récit trop instructif dans les mémoires de l’Académie des sciences, année 1707, pour n’en pas donner ici l’extrait.

Ceux qui sont curieux d’avoir des champignons pendant toute l’année, font pour cela des couches de crotin de cheval, qu’on entasse dans le mois de Juin, pour le laisser en berge, comme parlent les Jardiniers, jusqu’au mois d’Août. Dans le mois d’Août on étale ce fumier à la hauteur d’un pié, sur le lieu où l’on veut faire les meules ou couches à champignons, qui sont naturellement dans le crotin ; c’est pour cette raison qu’on l’humecte pendant cinq ou six jours, suivant la sécheresse de l’été, prenant soin de le tourner à la fourche, après l’avoir mouillé, afin qu’il s’imbibe également d’eau.

Après cette préparation du fumier, on peut commencer les couches à champignons. On les fait à trois lits, que l’on ne dresse que 15 jours ou trois semaines l’un après l’autre. Le premier lit se dresse au cordeau sans tranchée ; il doit avoir deux piés & demi de largeur sur la longueur que l’on juge à propos. Ce lit est plat, élevé d’un pié & demi ; mais il ne faut pas que le fumier qui déborde sur les côtés soit rendoublé avec la fourche, parce que les couches se dessécheroient trop dans ces endroits-là. Pour rendre les couches plus solides, on mêle avec le vieux fumier un peu de crotin frais sortant de l’écurie. Ce premier lit doit être mouillé tous les deux jours si le tems est trop sec,

Vers la mi-Août, c’est-à-dire quinze jours après que le premier lit a été fait, on travaille au second lit avec le même crotin que l’on a employé pour le premier, & que l’on a préparé en l’arrosant suivant le besoin. On éleve ce lit en dos d’âne de la hauteur d’un pié par-dessus l’autre : on le mouille pour entretenir la moelle de la couche, c’est-à-dire pour fournir une humidité raisonnable au milieu de la couche : on prend soin d’en regarnir proprement le haut en maniere de faîte, & cette réparation s’appelle le troisieme lit.

Cela fait, on enfonce à la distance de trois en trois piés, des lardons qui sont des morceaux de fumier préparé dès le mois de Février par entassement. Après cela, on couvre la couche de terreau de l’épaisseur d’un pouce seulement, & l’on met sur ce terreau du fumier de litiere fraîche, qu’on renouvelle encore au bout de huit jours, au cas que la couche soit refroidie : si au contraire les couches sont trop échauffées, on les découvre pour en modérer la chaleur. C’est la pratique seule qui guide ici le jardinier. On commence à cueillir les champignons en Octobre ; ordinairement la recolte s’en fait de trois en trois jours, ou tous les quatriemes jours.

Au commencement du mois d’Août, les crotes de cheval dont la couche a été faite commencent à blanchir, & sont parsemées de petits cheveux ou filets blancs fort déliés, branchus, attachés & tortillés autour des pailles dont le crotin est formé. Ce crotin alors ne sent plus le fumier, mais il répand une odeur admirable de champignon.

Les filets blancs, dont on vient de parler, ne sont selon toute apparence, que les graines ou les germes développés des champignons, & tous ces germes sont renfermés dans les crotes de cheval sous un si petit volume, qu’on ne peut les appercevoir, quelque soin qu’on prenne, qu’après qu’ils se sont éparpillés en petits cheveux ou filets. L’extrémité de ces filets s’arrondit, grossit en bouton, & devient, en se développant, un champignon dont la partie inférieure est un pédicule barbu dans l’endroit où il est enfoncé dans la terre.

Le champignon crû de cette maniere vient par grosses touffes, qui représentent une petite forêt, dont les piés ne sont pas également avancés. On trouve une infinité de champignons naissans au pié des autres, & de la grosseur seulement de la tête d’une épingle, tandis que les plus gros se passent. Peut-être que chaque touffe de champignon est enfermée dans la même graine ; car les premiers germes du fumier sont branchus, éparpillés par les côtés, & se répandent en tous sens dans le terreau, de sorte que l’espace qui est entre les lardons s’en trouve tout garni.

Les germes des champignons, ou ces cheveux blancs qui sont dans le fumier préparé, se conservent long-tems sans se pourrir ; si on les met sur des planches dans un grenier, ils se dessechent seulement, & reviennent encore quand on les met sur les couches, c’est-à-dire qu’ils produisent des champignons.

On doit à M. Marchant pere la découverte de l’origine de cette plante ; il fit voir à l’assemblée académique en 1678, suivant le rapport de M. Duhamel (Hist. acad. lib. I. sect. v. cap. j. edit. 1701.), la premiere formation des champignons dans des crotes de cheval moisies, & démontra ces petits filets blancs dont les extrémités se grossissent en champignons.

Ceux qui ont écrit qu’il falloit arroser les couches avec la lavure des champignons, pour opérer leur production, ont avancé un fait qui est faux, ou pour mieux dire, ils ont pris pour cause ce qui ne l’est pas ; car ils se sont imaginés que la lavure des champignons étoit chargée de graines de ces sortes de plantes : mais outre que les couches ne produisent pas des champignons par la vertu de cette lavure, il se pourroit faire que si elles en produisoient quelques-uns, ce seroit parce que l’eau auroit fait éclorre les germes qui seroient restés dans le terreau, lequel n’est qu’un fumier de cheval converti en terre.

Les crotes de cheval ne renferment donc pas seulement les graines de champignons, mais elles ont aussi un suc & une chaleur propre à les faire germer, de même que le suc qui se trouve dans la racine du panicaut, lorsqu’il se pourrit, fait éclorre le germe du plus délicat de tous les champignons qui naissent en Provence & en Languedoc : ainsi la mousse fait germer la graine des mousserons ; c’est par la même raison que certaines especes de champignons, de morilles, d’agarics, & d’oreilles de judas, ne viennent qu’aux racines ou aux troncs de certains arbres.

M. Méry a vû à l’hôtel-Dieu de petits champignons plats & blanchâtres, sur des bandes & attelles qui avoient été trempées dans l’oxicrat, & ensuite appliquées aux fractures des malades. Le fait étoit bien singulier ; & cependant M. Lémery eut occasion dans le même tems d’être témoin d’un cas semblable, & plus frappant encore dans ses circonstances.

Un jeune enfant de Paris attaqué du rachitis, avoit les jambes tortues ; le Chirurgien qui le pansoit, après y avoir mis des éclisses, fut bien étonné de trouver sous les bandes un bon nombre de champignons gros comme le bout du doigt ; il les ôta, & raccommoda les éclisses avec le bandage. Vingt-quatre heures après, il retourna panser l’enfant, & trouva encore à la même place autant de champignons. Enfin ayant continué plusieurs jours de suite le pansement, il retira plusieurs jours de suite des champignons.

Cette production extraordinaire en un lieu où l’on devoit si peu l’attendre, ayant été certifiée aux physiciens qui s’assembloient pour lors chez M. l’abbé Bourdelot, ils en donnerent la véritable raison : c’est que les éclisses qu’on avoit appliquées autour des jambes de l’enfant, étoient d’un bois de pommier, où les champignons naissent facilement, & dans lequel il y avoit sans doute de la graine de cette plante. Il arrivoit donc que la chaleur de l’enfant qui étoit emmaillotté, & son urine qui abreuvoit souvent les éclisses, développoient les semences de champignon, & les faisoient éclorre en vingt-quatre heures, comme il arrive ordinairement dans la campagne. Il faut adapter le même raisonnement au fait observé par M. Méry ; les graines de champignon se trouvant par hasard sur les bandes & attelles qu’on appliquoit aux malades, germerent, soit par la chaleur du corps des malades, soit par l’effet du vin ou de l’oxicrat, dans lequel elles avoient été trempées.

Nous apprenons de Dioscoride, qu’il y avoit des gens qui assûroient que des morceaux de l’écorce du peuplier, tant blanc que noir, enfoncés sur des couches de fumier, il en naissoit des champignons bons à manger. Ruel rapporte, que si l’on découvre le tronc d’un peuplier blanc vers la racine, & qu’on l’arrose avec du levain délayé dans de l’eau, on y voit naître pour ainsi dire des champignons sur le champ ; il ajoûte, que les collines produisent plusieurs sortes de champignons, si dans la saison on en brûle le chaume ou les landes. Il est certain que les landes brûlées en Provence & en Languedoc, poussent beaucoup de pavots noirs aux premieres pluies d’automne ; & cette plante se perd les années suivantes, ensorte qu’on ne la rencontre que sur les terres brûlées.

Tous ces faits prouvent, qu’il n’est besoin que d’un suc assaisonné pour faire éclorre & pour rendre sensibles, tant les graines cachées du champignon, que celles de toutes sortes de plantes.

Pour revenir à nos champignons ; non-seulement on les éleve sur couches, mais encore en plaine campagne, & très-avantageusement d’après la même méthode. Leur culture aujourd’hui si perfectionnée, prouve deux choses : la premiere, que leur graine est naturellement contenue dans les crotes de cheval ; la seconde, que notre sensualité rafinée pour cet aliment, ne le cede point à celle des Romains sous le regne d’Auguste. Si de nos jours quelque prétendu gourmet en ce genre venoit débiter la maxime du Catius d’Horace,

Pratensibus optima fungis
Natura est
. Sat. IV. lib. II. v. xx.

les champignons des prés sont les meilleurs, nos Aufidius les moins savans lui répondroient qu’il n’y entend rien, & que les bons champignons au goût sont ceux qui se trouvent dans les bois, dans les bruyeres, ou dans les landes.

Il y a plus : les législateurs en cuisine, les maîtres de la science de la gueule, comme s’exprime Montagne, croyent être parvenus à pouvoir distinguer sans méprise les bons champignons d’avec les mauvais.

Ils assûrent que les bons champignons sont ceux qui prennent leur accroissement dans la durée de la nuit, soit naturellement, soit par art sur des couches de fumier ; qu’ils doivent être d’une grosseur médiocre à-peu-près comme une châtaigne, charnus, bien nourris, blancs en-dessus, rougeâtres en-dessous, de consistance assez ferme, se rompant facilement, moelleux en-dedans, d’une odeur & d’un goût agréables : qu’au contraire, les champignons mauvais ou pernicieux sont ceux qui ayant demeuré trop longtems sur la terre, sont devenus bleus, noirâtres ou rouges, & dont l’odeur est desagréable. Mais ces marques générales ne satisferont pas aisément des physiciens ; ils demandent des marques caractéristiques, qui indiquent dans le grand nombre des variétés d’especes de champignons naturels, les bonnes, les douteuses, les pernicieuses ; & il seroit utile d’avoir cette connoissance.

L’analyse des divers champignons ne porte aucune lumiere sur ce point : nous savons seulement qu’ils paroissent contenir un sel essentiel ammoniacal, dont l’acide est saoulé par beaucoup de sel volatil-urineux, & mêlé avec beaucoup d’huile & peu de terre ; ces principes sont délayés dans une grande quantité de flegme. C’est de ce sel actif, volatil-urineux, ammoniacal, & huileux, que dépend l’odeur & la saveur des champignons : c’est aussi pour cela qu’ils se corrompent ou se pourrissent facilement ; si on les pile, & qu’on les laisse pourrir, ils se fondent & deviennent un mucilage, qui ne donne plus de marque de sel urineux, mais d’un sel salé & acide ; car leur sel volatil se dissipe par la putréfaction.

Cette analyse rend fort suspecte la nature des champignons ; & l’expérience d’accidens arrivés par ceux de la meilleure qualité, ne tend pas trop à nous rassûrer sur leur usage bienfaisant.

Je ne parle pas des champignons dont tout le monde connoît le mauvais caractere, mais de ceux qui ont la figure des bons, & qui trompent les personnes qui s’en rapportent au-dehors. C’est pourquoi nous ne sommes pas certains d’en manger toûjours de sûrs, à cause de leur figure trompeuse, de l’ignorance, de la négligence, du manque d’attention des gens qui les cueillent ou qui les apprêtent.

Bien plus, ceux qui ont toutes les marques de sûreté par rapport à leur bonté, deviennent aisément dangereux, ou pour avoir été cueillis trop tard, ou par la nature du lieu où ils croissent, ou par le suc dont ils se nourrissent, ou par le voisinage de ceux qui se pourrissent, ou de ceux qui sont par hasard empoisonnés ; & quand ces inconvéniens ne seroient point à craindre, les Medecins les plus habiles avoüent que les meilleurs champignons, pris en grande quantité, sont nuisibles ; parce qu’ils produisent de mauvais sucs, parce qu’ils tendent à la putréfaction, parce que par leur nature spongieuse ils se digerent difficilement, compriment le diaphragme, empêchent la respiration, suffoquent & excitent des débordemens de bile par haut & par bas.

Les symptomes fâcheux, & même mortels, que les mauvais champignons causent, sont sur-tout le vomissement, l’oppression, la tension de l’estomac & du bas-ventre, l’anxiété, un sentiment de suffocation, des rongemens, des tranchées dans les entrailles, la soif violente, la cardialgie, la diarrhée, la dyssenterie, l’évanouissement, une sueur froide, le hoquet, le tremblement de presque toutes les parties du corps, les convulsions, la gangrene, la mort.

Il y en a dont la seule odeur a produit l’épilepsie, ou une maladie des nerfs qui en approchoit, & même une mort subite, suivant Foreste, dans son traité des poisons, observat. ij. Il rapporte encore qu’une femme étoit tombée dans une cruelle maladie qui dégénéra en folie, pour avoir mangé des champignons venéneux. Rhasis parle d’un champignon de ce genre, dont il dit que la poudre mise sur un bouquet, empoisonne quand on le flaire. Mais je ne trouve pas vraissemblable le récit que fait Hildan (Cent. IV. obs. xxxv.) des cruels symptomes arrivés à un homme, pour avoir seulement tenu des champignons venimeux. Sans le savoir, il en avoit apparemment avalé la poussiere.

Il paroît que tous ces symptomes, produits si promptement sur les membranes & sur les fibres nerveuses de l’estomac & des intestins, viennent des particules salines, sulphureuses, subtiles, acres, & caustiques des mauvais champignons. Lorsque ceux de bonne espece sont secs & bien lavés dans plusieurs eaux, ils ne sont pas à la vérité nuisibles, parce que leurs particules acres ont été emportées. Quelques-uns prétendent les corriger encore davantage par le vinaigre ou l’huile, qui répriment & qui enveloppent leur sel volatil-urineux ; & c’est-là en effet un des meilleurs correctifs de ce mets délicat. Mais quelqu’apprêt que l’on leur donne, à quelque sauce que nos Apicius les puissent mettre, ils ne sont bons réellement qu’à être renvoyés sur le fumier où ils naissent.

Si toutefois quelqu’un par ignorance, par gourmandise, par témérité, ou par peu de confiance en ces sages préceptes, avoit mangé des champignons empoisonnés, on demande quels remedes il faudroit employer pour le guérir. Ce cas indique sur le champ la nécessité des vomitifs, ensuite des minoratifs, des acides spiritueux, des savonneux, des adoucissans : mais ce malheur peut arriver dans des lieux où le Medecin est éloigné, où les remedes manquent, & néanmoins le mal exige un prompt secours qu’on ait sous la main ; quel seroit-il ? De l’eau tiede salée de quelque sel neutre, tel que de nitre pur, de nitre vitriolé, de sel de prunelle, de sel de glauber, & à leur défaut de sel marin : on fera boire au malade coup sur coup quantité de cette eau tiede, qui dissout le champignon, irrite l’estomac, & le provoque d’abord au vomissement.

Etant l’année passée dans nos terres, où le cuisinier s’empoisonna lui-même à souper par un champignon fort venéneux, qu’il croyoit de la bonne & délicate espece, de celle qu’on nomme oronge en Guienne, je fus à portée de le secourir assez promptement ; cependant il avoit déjà une partie des symptomes dont j’ai parlé ci-dessus, oppression, suffocation, anxiété, cardialgie, tension du bas-ventre, tremblement, sueur froide : je vis de l’eau tiede toute prête dans un coquemar, avec du sel sur la table que je jettai dedans ; le malade vomit à la seconde écuellée de cette eau, une partie du champignon réduit en mucilage ; je réitérai cette boisson jusqu’à ce que l’estomac fût entierement vuidé : mais comme le ventre restoit tendu avec douleur, j’employai les fomentations émollientes, & je changeai ma boisson d’eau salée en eau fortement miellée, qui produisit une diarrhée abondante & facile. Je finis la cure sur la fin de la nuit par un remede adoucissant, quelques verres d’émulsions, & pour conclusion par un grain d’opium. Le lendemain le malade se trouva en aussi bonne santé qu’avant son empoisonnement. Cet article est de M. le chevalier de Jaucourt.

Champignon de mer, (Hist. nat.) corps marin ainsi nommé parce qu’il ressemble beaucoup à un vrai champignon. Voyez Planche XXIII. fig. 1. Le champignon de mer est fort analogue à l’astroïte & à l’œillet de mer. Voy. Astroite, Œillet de mer. Ainsi il doit être mis au nombre des productions des insectes de mer, comme toutes les fausses plantes marines. M. Peyssonel a reconnu que ces prétendues plantes étoient formées par des insectes de mer, & principalement par des polypes. C’est un assemblage de cellules que l’on pourroit appeller polypier. Les champignons de mer sont de substance pierreuse, comme les madrépores ; ils sont ordinairement applatis & arrondis, convexes d’un côté, & concaves de l’autre. Leur face convexe est feuilletée ; leur forme varie ; il y en a qui sont allongés : ils sont aussi de différentes grandeurs ; les plus grands pourroient couvrir la tête : aussi les appelle-t-on bonnets de Neptune. Voyez Polypier, Plante marine. (I)

Champignon d’eau ; c’est un bouillon qui sortant de sa tige, tombe dans une coupe élevée sur un pié en maniere de gros balustre, d’où il fait nappe dans le bassin d’en-bas. Quand il est composé de plusieurs coupes, il change de nom, & s’appelle pyramide. (K)

* Champignon, (Œcon. domest.) c’est ce corps noir & à-peu-près sphérique, qui se forme à l’extrémité du lumignon, soit des lampes, soit des chandelles, quand on a négligé pendant quelque tems de les moucher : c’est proprement un charbon fait de la substance de la meche, de son humidité, de quelques parties du suif qui ne peuvent plus s’enflammer, & peut-être de la vapeur de l’air, s’il est vrai que ce champignon se forme particuliérement dans les tems humides ; ce qu’il faudroit observer. Quand les parties de ce champignon viennent à se séparer du lumignon, elles tombent au pié de la meche, font couler la chandelle, & quelquefois l’allument dans une partie de sa longueur ; ce qui peut occasionner des incendies, sur-tout si cela arrive sur la table d’un homme de cabinet pendant son absence. On lui a donné le nom de champignon à cause de sa ressemblance.