L’Encyclopédie/1re édition/CENS

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CENS, census, s. m. (Hist. anc. & mod.) parmi les Romains c’étoit une déclaration authentique que les citoyens faisoient de leurs noms, biens, résidence, &c. pardevant des magistrats préposés pour les enregistrer, & qu’on nommoit à Rome censeurs, & censiteurs dans les provinces & les colonies.

Cette déclaration étoit accompagnée d’une énumération par écrit de tous les biens, terres, héritages qu’on possédoit, de leur étendue, situation, quantité, qualité, des femmes, enfans, métayers, domestiques, bestiaux, esclaves, &c. qui s’y trouvoient. Par un dénombrement si exact, l’état pouvoit connoître aisément ses forces & ses ressources.

Ce fut dans cette vûe que le roi Servius institua le cens, qui se perpétua sous le gouvernement républicain. On le renovelloit tous les cinq ans, & il embrassoit tous les ordres de l’état sous des noms différens. Celui du sénat sous le titre de lectio ou recollectio ; celui des chevaliers qu’on appelloit recensio & recognitio ; à celui du peuple demeura le nom de census ou de lustrum, parce qu’on terminoit ce dénombrement par un sacrifice nommé lustrum, d’où la révolution de cinq ans fut aussi appellée lustre.

De-là le mot de census a été aussi en usage pour marquer une personne qui avoit fait sa déclaration aux censeurs, par opposition à incensus, c’est à-dire un citoyen qui n’a fait enregistrer ni son nom ni ses biens. Dans la loi Voconia, census signifie un homme dont les biens sont portés sur le registre des censeurs jusqu’à la valeur de cent mille sesterces. (G)

Quoique dans la démocratie, dit l’illustre auteur de l’Esprit des Lois, l’égalité soit l’ame de l’état, cependant comme il est presqu’impossible de l’établir, il suffit qu’on établisse un cens qui réduise ou fixe les différences à un certain point ; après quoi c’est à des lois particulieres à tempérer cette inégalité, en chargeant les riches & soulageant les pauvres.

Le même auteur prouve, liv. XXX. ch. xv. qu’il n’y a jamais en de cens général dans l’ancienne monarchie Françoise, & que ce qu’on appelloit cens, étoit un droit particulier levé sur les serfs par les maîtres. (O)

Cens, s. m. (Jurisp.) est une rente fonciere dûe en argent ou en grain, ou en autre chose, par un héritage tenu en roture au seigneur du fief dont il releve. C’est un hommage & une reconnoissance de la propriété directe du seigneur. Le cens est imprescriptible & non rachetable ; seulement on en peut prescrire la quotité ou les arrérages par 30 ou 40 ans.

Le cens, dans les premiers tems, égaloit presque la valeur des fruits de l’héritage donné à cens, comme font aujourd’hui nos rentes foncieres ; de sorte que les censitaires n’étoient guere que les fermiers perpétuels des seigneurs, dont les revenus les plus considérables consistoient dans leurs censives. Ce qui en fait à présent la modicité, c’est l’altération des monnoies, qui lors de l’établissement des censives étoient d’une valeur toute autre.

Le cens est la premiere redevance qui est imposée par le seigneur direct, dans la concession qu’il fait de son héritage. Toutes les autres charges imposées depuis n’ont pas le privilége du cens.

Le cens reçoit diverses dénominations, comme de champart, terrage, agrier, avenage, carpot, complant, & autres ; droits qui tous, quelque nom qu’ils portent, entraînent avec eux celui de lods & ventes, s’ils ont été imposés lors de la premiere concession, & qu’il n’y ait point d’autre charge imposée spécialement à titre de cens.

La plûpart des coûtumes prononcent une amende faute de payement du cens, au jour & lieu qu’il est dû, sans préjudice de la saisie que le seigneur peut faire des fruits pendans sur l’héritage redevable du cens, qu’on appelle arrêt ou brandon. Voyez Arrêt & Brandon.

Les héritages situés dans la ville & banlieue de Paris sont exempts de cette amende : mais le seigneur, faute de payement du cens, peut procéder sur les meubles, étant en iceux par voie de saisie-gagerie, pour trois années ou moins ; car s’il a laissé amasser plus de trois années, il n’a que la voie ordinaire de l’action. Voyez Gagerie. (H)