L’Encyclopédie/1re édition/CANONISATION

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 619-620).
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CANONISATION, s. f. (Théolog.) déclaration du pape par laquelle, après un long examen & plusieurs solennités, il met au catalogue des saints un homme qui a mené une vie sainte & exemplaire, & qui a fait quelques miracles. V. Saint & Miracle.

Le mot de canonisation semble être d’une origine moins ancienne que la chose même ; on ne trouve point qu’il ait été en usage avant le xiie siecle, quoique dès le xie on trouve un decret ou bulle de canonisation donnée à la priere de Lintolfe, évêque d’Augsbourg, par le pape Jean XV. pour mettre S. Udelric ou Ulric au catalogue des saints.

Ce mot est formé du mot canon, catalogue, & il vient de ce que la canonisation n’étoit d’abord qu’un ordre des papes ou des évêques, par lequel il étoit statué que les noms de ceux qui s’étoient distingués par une pieté & une vertu extraordinaires, seroient inserés dans les sacrés diptyques ou le canon de la messe, afin qu’on en fît mémoire dans la liturgie. On y ajoûta ensuite les usages de marquer un office particulier pour les invoquer, d’ériger des églises sous leur invocation, & des autels pour y offrir le saint sacrifice, de tirer leurs corps de leurs premiers sepulcres ; peu à peu on y joignit d’autres cérémonies : on porta en triomphe les images des saints dans les processions ; on déclara jour de fête l’anniversaire de celui de leur mort, & pour rendre la chose plus solennelle, le pape Honorius III, en 1225, accorda plusieurs jours d’indulgence pour les canonisations.

Toutes ces regles sont modernes, & étoient inconnues à la primitive Église. Sa discipline à cet égard, pendant les premiers siecles, consistoit à avoir à Rome, qui fut long tems le premier théatre des persécutions, des greffiers ou notaires publics, pour recueillir soigneusement & avec la derniere fidélité les actes des martyrs, c’est-à-dire les témoignages des Chrétiens touchant la mort des martyrs, leur constance, leurs derniers discours, le genre de leurs supplices, les circonstances de leurs accusations, & surtout la cause & le motif de leur condamnation. Et afin que ces notaires ne pûssent pas falsifier ces actes, l’Église nommoit encore des soûdiacres & d’autres officiers, qui veilloient sur la conduite de ces hommes publics, & qui visitoient les procès-verbaux de la mort de chaque martyr, auquel l’Église, quand elle le jugeoit à propos, accordoit un culte public & un rang dans le catalogue des saints. Chaque évêque avoit le droit d’en user de même dans son diocese, avec cette différence, que le culte qu’il ordonnoit pour honorer le martyr qu’il permettoit d’invoquer, ne s’étendoit que dans les lieux de sa jurisdiction, quoiqu’il pût engager les autres évêques, par lettres, à imiter sa conduite ; s’ils ne le faisoient pas, le martyr n’étoit regardé comme bienheureux que dans le premier diocese : mais quand l’église de Rome approuvoit ce culte, il devenoit commun à toutes les églises particulieres. Ce ne fut que long tems après qu’on canonisa les confesseurs.

Il est difficile de décider en quel tems cette discipline commença à changer, ensorte que le droit de canonisation, que l’on convient avoir été commun aux évêques, & sur-tout aux métropolitains, avec le pape, a été réservé au pape seul. Quelques-uns prétendent qu’Alexandre III. élû pape en 1159, est le premier auteur de cette réserve, qui ne lui fut contestée par aucun évêque. Les Jésuites d’Anvers assûrent qu’elle ne s’est établie que depuis deux ou trois siccles par un consentement tacite & une coûtume qui a passé en loi, mais qui n’étoit pas généralement reçûe dans le x. & le xi. siecle : on a même un exemple de canonisation particuliere, faite en 1373 par Witikind, évêque de Mindon en Westphalie, qui fit honorer comme saint l’évêque Félicien, par une fête qu’il établit dans tout son diocese. Cependant on a des monumens plus anciens, qui prouvent que les évêques qui connoissent le mieux leurs droits & qui y sont les plus attachés, les évêques de France, reconnoissoient ce droit dans le pape. C’est ce que firent authentiquement l’archevêque de Vienne & ses suffragans, dans la lettre qu’ils écrivirent à Grégoire IX. pour lui demander la canonisation d’Etienne, évêque de Die, mort en 1208. Quia nemo, disoient-ils, quantâlibet meritorum prærogativâ polleat, ab ecclesiâ Dei pro sancto habendus aut venerandus est, nisi prius per sedem apostolicam ejus sanctitas fuerit approbata.

Quoi qu’il en soit, le saint siege apostolique est en possession de ce droit depuis plusieurs siecles, & l’exerce avec des précautions & des formalités qui doivent écarter tout soupçon de surprise & d’erreur.

Le cardinal Prosper Lambertini, aujourd’hui pape sous le nom de Benoît XIV. a publié sur cette matiere de savans ouvrages, qui prouvent qu’il ne peut rien s’introduire de faux dans les procès-verbaux que l’on dresse au sujet de la canonisation des saints.

Le P. Mabillon distingue aussi deux especes de canonisation : l’une générale, qui se fait par toute l’Église assemblée en concile œcuménique, ou par le pape ; & l’autre particuliere, qui se faisoit par un évêque, par une église particuliere, ou par un concile provincial. On prétend aussi qu’il y a eu des canonisations faites par de simples abbés. Voy. Pompe Tyrrhenique. (G)