L’Encyclopédie/1re édition/CALOMNIE

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CALOMNIE, s. f. (Morale.) on calomnie quelqu’un, lorsqu’on lui impute des défauts ou des vices qu’il n’a pas. La calomnie est un mensonge odieux que chacun réprouve & déteste, ne fût-ce que par la crainte d’en être quelque jour l’objet. Mais souvent tel qui la condamne, n’en est pas innocent lui-même : il a rapporté des faits avec infidélité, les a grossis, altérés ou changés, étourdiement peut-être, & par la seule habitude d’orner ou d’exagérer ses récits.

Un moyen sûr, & le seul qui le soit, pour ne point calomnier, c’est de ne jamais médire.

Transportez-vous en esprit dans quelque monde imaginaire, où vous supposerez que les paroles sont toûjours l’expression fidele du sentiment & de la pensée ; où l’ami qui vous fera des offres de service, soit en effet rempli de bienveillance ; où l’on ne cherche point à se prévaloir de votre crédulité, pour vous repaître l’esprit de sables ; où la vérité dicte tous les discours, les récits & les promesses ; où l’on vive par conséquent sans soupçon & sans défiance, à l’abri des impostures, des perfidies, & des délations calomnieuses : quel délicieux commerce, que celui des hommes qui peupleroient cet heureux globe !

Vous voudriez que celui que vous habitez jouît d’une pareille félicité : eh bien, contribuez y de votre part, & commencez par être vous-même droit, sincere & véridique. (C)

« L’église, dit le célebre M. Pascal, a différé aux calomniateurs, aussi-bien qu’aux meurtriers, la communion jusqu’à la mort. Le concile de Latran a jugé indignes de l’état ecclésiastique ceux qui en ont été convaincus, quoiqu’ils s’en fussent corrigés ; & les auteurs d’un libelle diffamatoire, qui ne peuvent prouver ce qu’ils ont avancé, sont condamnés par le pape Adrien à être fouettés, flagellentur ».

L’illustre auteur de l’esprit des loix, observe que chez les Romains, la loi qui permettoit aux citoyens de s’accuser mutuellement, & qui étoit bonne selon l’esprit de la république, où chaque citoyen doit veiller au bien commun, produisit sous les empereurs une foule de calomniateurs. Ce fut Sylla, ajoûte ce philosophe citoyen, qui dans le cours de sa dictature, leur apprit, par son exemple, qu’il ne falloit point punir cette exécrable espece d’hommes : bientôt on alla jusqu’à les récompenser. Heureux le gouvernement où ils sont punis. (O)

* Les Athéniens révererent la calomnie ; Apelle, le peintre le plus fameux de l’antiquité, en fit un tableau dont la composition suffiroit seule pour justifier l’admiration de son siecle : on y voyoit la crédulité avec de longues oreilles, tendant les mains à la calomnie qui alloit à sa rencontre ; la crédulité étoit accompagnée de l’ignorance & du soupçon ; l’ignorance étoit représentée sous la figure d’une femme aveugle ; le soupçon, sous la figure d’un homme agité d’une inquiétude secrette, & s’applaudissant tacitement de quelque découverte. La calomnie, au regard farouche, occupoit le milieu du tableau ; elle secoüoit une torche de la main gauche, & de la droite elle traînoit par les cheveux l’innocence sous la figure d’un enfant qui sembloit prendre le ciel à témoin : l’envie la précédoit, l’envie aux yeux perçans & au visage pâle & maigre ; elle étoit suivie de l’embûche & de la flatterie : à une distance qui permettoit encore de discerner les objets, on appercevoit la vérité qui s’avançoit lentement sur les pas de la calomnie, conduisant le repentir en habit lugubre. Quelle peinture ! Les Athéniens eussent bien fait d’abatre la statue qu’ils avoient élevée à la calomnie, & de mettre à sa place le tableau d’Apelle.

Calomnie, en Droit, outre sa signification ordinaire, s’est dit aussi de la peine ou amende imposée pour une action mal intentionnée & sans fondement.

On appelloit aussi anciennement calomnie l’action ou demande par laquelle on mettoit quelqu’un en justice, soit au civil, soit au criminel ; & en ce sens elle se disoit même d’une légitime accusation, & d’une demande juste. (H)