L’Encyclopédie/1re édition/BOUSSOLE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 374-379).

BOUSSOLE, s. f. instrument de Marine, qu’on appelle aussi compas de mer, nécessaire aux pilotes pour diriger la route de leur vaisseau. Sa propriété de se tourner toûjours vers les poles du monde, en fait le mérite, & la rend précieuse aux navigateurs. On en attribue l’invention à Flavio de Gioia, Napolitain, qui vivoit dans le xiii. siécle : néanmoins on voit par les ouvrages de Guyot de Provins, vieux poëte François du douziéme siecle, qu’on connoissoit déjà la boussole. Ce poëte parle expressément de l’usage de l’aimant pour la navigation.

* Les anciens qui ne connoissoient point la boussole, étoient obligés de naviger le long des côtes ; & leur navigation étoit par là très-imparfaite. On prétend pourtant que des Phéniciens, envoyés par Néchao roi d’Egypte, firent autrefois le tour de l’Afrique, en partant de la mer Rouge ; & qu’ils furent trois ans à ce voyage : mais ce fait est-il bien vrai ? Les anciens, dit l’illustre auteur de l’esprit des Lois, pourroient avoir fait des voyages de met assez longs, sans le secours de la boussole : par exemple, si un pilote dans quelque voyage particulier avoit vû toutes les nuits l’étoile polaire, ou le lever & le coucher du soleil, cela auroit suppléé à la boussole : mais c’est-là un cas particulier & fortuit.

* Les François prétendent que si l’on met par-tout une fleur-de-lis pour marquer le nord, soit dans le carton mobile dont les mariniers chargent l’aiguille, soit dans la rose des vents qu’on attache sous le pivot de l’aiguille, au fond des boussoles sédentaires, c’est parce que toutes les nations ont copié les premieres boussoles, qui sont sorties des mains d’un ouvrier François. Les Anglois s’attribuent, sinon la découverte même, au moins la gloire de l’avoir perfectionnée par la façon de suspendre la boîte où est l’aigaille aimantée. Ils disent, en leur faveur, que tous les peuples ont reçû d’eux les noms que porte la boussole, en recevant d’eux la boussole même amenée à une forme commode ; qu’on la nomme compas de mer, des deux mots Anglois mariners compass ; & que de leur mot boxel, petite boîte, les Italiens ont fait leur bossola, comme d’Alexandre ils font Alessandro. (Les Italiens disent bossolo au masculin, suivant le dictionnaire de Trevoux.) Mais la vérité est que le mot boussole vient du Latin buxus, d’où l’on a fait buxolus, buxola, bussola, & enfin boussole. Les Espagnols & les Portugais disent bruxula, qui semble venir de bruxa, sorciere. Il y a apparence que c’est une corruption de bussola. Quant au nom de mariners compass, les François pourroient également prétendre que les Anglois l’ont pris d’eux, en traduisant le nom François, compas de mer.

* Il ne tient pas à d’autres qu’on n’en fasse honneur aux Chinois. Mais comme encore aujourd’hui l’on n’employe l’aiguille aimantée à la Chine qu’en la faisant nager sur un support de liége, comme on faisoit autrefois en Europe, on peut croire que Marco Paolo, ou d’autres Vénitiens, qui alloient aux Indes & à la Chine par la mer Rouge, ont fait connoître cette expérience importante, dont différens pilotes ont ensuite perfectionné l’usage parmi nous.

* La véritable cause de cette dispute, c’est qu’il en est de l’invention de la boussole, comme de celle des Moulins, de l’Horloge, & de l’Imprimerie. Plusieurs personnes y ont eu part. Ces choses n’ont été découvertes que par parties, & amenées peu-à-peu à une plus grande perfection. De tout tems on a connu la propriété qu’a l’aimant d’attirer le fer. Mais aucun ancien, ni même aucun auteur antérieur au commencement du douzieme siecle, n’a sçû que l’aimant suspendu, ou nageant sur l’eau par le moyen d’un liége, tourne toûjours un de ses côtés, & toûjours le même côté vers le nord. Celui qui fit le premier cette remarque, en demeura là : il ne comprit ni l’importance, ni l’usage de son admirable découverte. Les curieux, en réitérant l’expérience, en vinrent jusqu’à coucher une aiguille aimantée sur deux brins de paille posés sur l’eau, & à remarquer que cette aiguille tournoit invariablement la pointe vers le nord. Ils prenoient la route de la grande découverte : mais ce n’étoit pas encore là la boussole. Le premier usage que l’on fit de cette découverte, fut d’en imposer aux simples par des apparences de magie, en exécutant divers petits jeux physiques, étonnans pour ceux qui n’avoient pas la clé. Des esprits plus sérieux appliquerent enfin cette découverte aux besoins de la navigation ; & Guyot de Provins, dont nous avons parlé, qui se trouva à la cour de l’empereur Frédéric à Mayence en 1181, nous apprend, dans le roman de la Rose, que nos pilotes François faisoient usage d’une aiguille aimantée ou fiottée à une pierre d’aimant, qu’ils nommoient la marinette, & qui régloit les mariniers dans les tems nébuleux.

Icelle étoile ne se muet,
Un art sont qui mentir ne puet,
Par vertu de la marinette,
Une pierre laide, noirette,
Ou li fer volentiers se joint, &c.

* Bientôt après, au lieu d’étendre les aiguilles comme on faisoit, sur de la paille ou sur du liége, à la surface de l’eau, que le mouvement du vaisseau tourmentoit trop, un ouvrier intelligent s’avisa de suspendre sur un pivot ou sur une pointe immobile, le milieu d’une aiguille aimantée, afin que se balançant en liberté, elle suivît la tendance qui la ramene vers le pole. Un autre enfin, dans le xiv. siecle, conçut le dessein de charger cette aiguille d’une petit cercle de carton fort léger, où il avoit tracé les quatre points cardinaux, accompagnés des traits des principaux vents ; le tout divisé par les 360 degrés de l’horison. Cette petite machine légerement suspendue dans une boîte, qui étoit suspendue elle-même, à-peu-près comme la lampe des mariniers, répondit parfaitement aux espérances de l’inventeur. M. Formey.

La boussole, Pl. de navigation, fig. 12. est composée d’une aiguille ou losange, ordinairement faite avec une lame d’acier trempée & aimantée sur l’aimant le plus vigoureux : cette aiguille est fixée à une rose de carton ou de talc, sur laquelle on a tracé un cercle divisé en trente-deux parties égales ; savoir d’abord en quatre par deux diametres qui se coupent à angles droits, & qui marquent les quatre points cardinaux de l’horison, le nord, le sud, l’est, & l’ouest ; chacun de ces quarts de cercle est divisé en deux, ce qui constitue avec les précédens les huit rumbs de vent de la boussole : chaque partie est encore divisée & subdivisée en deux, pour avoir les huit demi-rumbs & les seize quarts. On peut voir sur la figure ces trente-deux airs, avec leurs noms usités dans les mers du Levant & du Ponent.

On désigne ordinairement le rumb du nord par une fleur de lis, & quelquefois celui de l’est par une croix ; les autres par les premieres lettres de leurs noms : chacun de ces airs de vent ou rumbs est indiqué par une des pointes de l’étoile tracée au centre de la rose. Voyez la figure.

Il y a un autre cercle concentrique à celui de la rose, & qui est fixé à la boîte : il est divisé en 360 degrés, & sert à mesurer les angles & les écarts de la boussole : le centre de la rose qui est évidé ; est recouvert d’un petit cône creux de cuivre ou de quelqu’autre matiere dure qui sert de chape, au moyen de laquelle l’aiguille peut être posée sur un pivot bien pointu & bien poli, & s’y mouvoir avec liberté. On suspend le tout à la maniere de la lampe de Cardan, par le moyen de deux anneaux ou cercles concentriques, chacun mobiles sur deux pivots aux extrémités des deux diametres dont les directions se coupent à angles droits, afin que la boussole puisse toûjours conserver la situation horisontale, malgré les roulis du vaisseau. Enfin on l’enferme dans une boîte quarrée couverte d’une glace, & on la place près du gouvernail dans une plus grande boîte ou armoire quarrée sans fer, que les marins nomment habitacle, laquelle est placée à l’arriere du vaisseau sur le pont, & éclairée pendant la nuit d’une lampe, afin que le timonier, c’est-à-dire, un matelot intelligent qui tient le gouvernail, & qui dans les vaisseaux de roi est relevé de deux heures en deux heures, puisse avoir toûjours la boussole sous les yeux, & diriger la route du vaisseau suivant le rumb qui lui est prescrit par le pilote.

Comme la rose de la boussole est mobile sur sa chape, le timonier a soin de gouverner ensorte que la pointe de la rose qui indique le rumb ou air du vent de la route actuelle du vaisseau, soit dirigée parallélement à la quille ; ce que la position de la boîte de la boussole, parallelement aux parois de l’habitacle, indique suffisamment. Enfin pour ne laisser aucune équivoque, on a coûtume de marquer d’une croix l’endroit de la boîte qui regarde la proue.

Les capitaines de vaisseau, les officiers & les pilotes attentifs, ont ordinairement une boussole un peu différemment construite suspendue au plancher de leur chambre, afin de pouvoir, lors même qu’ils ne sont pas sur le pont, savoir à toute heure où le navire a le cap, c’est-à-dire, quelle route il fait actuellement (déduction faite de la dérive) : cette suspension exige moins de précautions que la précédente : mais en ce cas il faut observer que l’est soit à la gauche du nord, & l’ouest à sa droite ; en un mot que tous les points soient dans une situation inverse à l’égard de la boussole renversée, quoique toûjours dans la même position à l’égard du spectateur ou à l’égard du vaisseau.

Pour prévenir les accidens que les frottemens ou quelqu’irrégularité physique pourroient causer à une boussole si elle étoit seule, il y en a toûjours deux dans l’habitacle, & elles sont séparées par une cloison. Toutes deux sont exposées à la vûe du timonier.

Maintenant voici la maniere de se servir de cet instrument pour diriger la route du navire. On reconnoît sur une carte marine réduite par quel rumb le vaisseau doit tenir sa route pour aller au lieu proposé, & on tourne le gouvernail jusqu’à ce que le rumb déterminé soit vis-à-vis de la croix marquée sur la boîte ; & le vaisseau faisant voile est dans sa véritable route : par exemple, si on part de l’île d’Oüessant à l’occident de Brest, & qu’on veuille aller au cap Finistere en Galice, on commencera par chercher dans une carte marine réduite quelle doit être la direction de la route, & on trouve qu’on la doit faire au sud-ouest quart au sud : tournant donc le gouvernail jusqu’à ce que le rumb sud-ouest quart au sud réponde exactement à la petite croix marquée sur la boîte de la boussole, le vaisseau se trouvera dans sa véritable route.

Tel est le principal usage de la boussole : il y en a plusieurs autres qui tendent à déterminer les latitudes, à fixer les points de l’horison où les astres se levent & se couchent ; c’est-à-dire, à déterminer les amplitudes orientales ou occidentales : mais ces usages ont plus de rapport à l’Astronomie & à la Navigation, qu’à l’usage principal de la boussole.

La déclinaison de l’aimant dont on a parlé à l’article Aiguille, qui consiste en ce que cette aiguille ne se dirige presque jamais exactement vers les poles du monde, mais qu’elle s’en écarte ordinairement tantôt vers l’est tantôt vers l’ouest ; cette déclinaison, dis-je, qui varie dans les différens endroits de la terre, & dans les mêmes en différens tems, oblige les marins à faire continuellement des corrections aux opérations qu’ils font avec la boussole. On verra à l’article Variation les précautions qu’ils apportent pour reconnoître & déterminer la quantité de cette variation, & les moyens dont ils se servent pour rectifier leur route.

L’avantage que les gens de mer retirent de la boussole qui les guide au travers des mers les plus vastes, & les fait arriver aux extrémités de la terre les plus reculées, a porté les Physiciens à imaginer différens moyens pour la perfectionner. Tous conviennent que la boussole doit être la mieux aimantée qu’il est possible, très-légere dans sa construction, & sur-tout parfaitement mobile sur son pivot. Nous avons enseigné dans l’article Aiguille la meilleure maniere de construire & d’aimanter les aiguilles : en voici une autre qui a aussi ses avantages, & même qui nous paroît préférable à bien des égards. Elle est fondée sur ce principe démontré par l’expérience, que le fer & l’acier ne reçoivent qu’une quantité déterminée de vertu magnétique, & qu’il y a une proportion de longueur, de largeur & d’épaisseur, pour que ces métaux puissent recevoir la plus grande quantité qu’il est possible qu’ils retiennent ; c’est pourquoi M. Mitchell, auteur de cette nouvelle méthode, prétend qu’il est très-avantageux de faire les boussoles avec des lames d’acier parallélepipedes & bien trempées, plûtôt que de fil d’acier ou de lames de ressort dont on se sert ordinairement. En effet, on éprouve que non-seulement ces lames prennent beaucoup plus de vertu magnétique, qu’elles la conservent plus long-tems dans le même degré, & qu’elles la perdent beaucoup plus difficilement ; mais encore qu’elles ont leurs poles plus près des extrémités ; ce qui augmente considérablement leur vivacité, & l’exactitude de l’observation. La dimension qu’il estime la meilleure, est celle à peu près qu’il donne aux lames dont il compose ses aimans artificiels ; c’est-à-dire, six pouces de longueur, six lignes de largeur, & environ un tiers de ligne d’épaisseur : elles doivent être percées dans le milieu, pour laisser passer le pivot sur lequel elles feront leur révolution.

On a observé que la rouille détruit considérablement la vertu magnétique, c’est pourquoi on doit tâcher d’en préserver avec soin les aiguilles des boussoles : les boîtes vitrées dans lesquelles on les renferme ordinairement sont insuffisantes, & l’air de la mer agit toûjours sur elles. On les garantira de cet accident en les enduisant d’une couche fort mince d’huile de lin cuite : cet enduit n’apporte aucun obstacle aux effets de l’aimant, & les boussoles s’aimantent au-travers avec autant de facilité que si elles étoient bien polies. Il y a même lieu de croire par quelques expériences, que les boussoles peintes conservent mieux que les autres leur grande force magnétique ; car on remarque dans la plûpart des ferremens peints à l’huile, qu’ils sont plus susceptibles de magnétisme que les autres fers, en même tems qu’ils deviennent plus cassans & plus durs ; & c’est peut-être par cette raison qu’ils s’aimantent mieux.

On aimantera ces lames en les posant sur le milieu d’une barre de fer assez longue, & en passant huit à dix fois d’un bout à l’autre six aimans artificiels, dont trois ont leurs poles nord tournés en haut, & contigus aux poles du sud des trois autres lames ; ensorte que les poles du sud des premiers aimans soient un peu écartés des poles du nord des trois autres lames, & tournés vers l’extrémité de l’aiguille qu’on veut faire diriger vers le nord. Voyez l’article Aimant.

Comme il est difficile de bien déterminer dans des aiguilles ainsi larges & plates si leur axe, c’est-à-dire, la ligne qui joint les deux poles, passe exactement par les points de suspension, & que d’un autre côté en les faisant pointues par les extrémités, on fait rentrer leurs poles en-dedans, & on les rend un peu moins aimantées qu’elles ne le pourroient être ; voici un moyen de remédier à ces inconvéniens. On mettra sur un pivot une des meilleures aiguilles aimantées, construite suivant la méthode ordinaire, & pointue par ses extrémités, & on observera avec soin de combien son pole nord décline de quelque point fixe qu’on choisira à volonté : ensuite on ajustera sur le pivot la nouvelle aiguille, appliquée sur la rose de carton de telle sorte que la fleur de lis décline du point observé, dans le même sens & de la même quantité que faisoit le pole du nord de l’aiguille mince & pointue : on fixera la rose dans cette situation, & la boussole sera centrée.

Il vaudra mieux faire cette opération sur un vaisseau en cette maniere : on tirera une ligne droite de la poupe à la proue, & on placera les deux boussoles sur cette ligne, à une telle distance & en telle sorte qu’elles ne puissent ni agir l’une sur l’autre, ni être détournées par aucun fer qui soit dans le voisinage : on ajustera la rose comme on vient de dire, de maniere que la fleur de lis fasse avec la ligne d’épreuve, le même angle que fait le pole du nord de l’autre aiguille.

On ne sauroit dissimuler que le poids de ces nouvelles aiguilles ne fasse augmenter leur frottement, sur-tout si le pivot & la chape sont de cuivre ; car il n’est guere possible de se servir à la mer de pivot d’acier, qui seroit bien-tôt rouillé. Mais on pourra remédier à cet inconvénient en employant un pivot d’or, allié de quelque métal pour l’endurcir, & en attachant aux barres, des chapes garnies d’un petit morceau de verre concave bien poli ; ce qui vaut encore mieux que l’agate dont on se sert quelquefois. Ce petit changement, qui n’augmente pas considérablement le prix des boussoles, donne à ces instrumens plus d’exactitude qu’on ne peut espérer dans les boussoles ordinaires, sur-tout lorsque le tems est calme, & que les vagues n’agitent pas le vaisseau : car alors il faut nécessairement frapper les boîtes pour vaincre les frottemens, si l’on veut que la boussole marque la route avec exactitude ; au lieu que les nouvelles boussoles se meuvent très-librement sans ce secours.

On a construit sur ces principes une aiguille de boussole qui avoit trente-deux pouces de longueur, & qui pesoit un peu plus de huit onces. Elle a été mise en mouvement avec une force capable de lui faire faire vingt-cinq tours par minute : cette force a été suffisante pour lui faire continuer ses révolutions pendant l’espace de soixante-dix ou quatre-vingts minutes, & elle a encore fait des vibrations pendant quinze autres minutes, quoiqu’elle ne fût que sur un pivot de cuivre qui a été bientôt émoussé par son poids ; au lieu qu’elle a fait à peine quelques vibrations lorsqu’elle a été suspendue par une chape de cuivre sur un pivot d’acier bien pointu & bien poli.

Les avantages de la boussole ne se bornent pas à ceux qu’en peuvent retirer les navigateurs ; cet instrument est aussi fort utile sur la terre pour faire une infinité d’opérations : on y fait seulement différens changemens, pour le rendre propre aux divers usages auxquels on le destine. Son application la plus commune est à l’équerre des arpenteurs, qui ne consistoit anciennement que dans un cercle de cuivre divisé en quatre parties égales par deux diametres qui se coupent à angles droits. Il y a une pinnule bien perpendiculaire au plan du cercle, à l’extrémité de chacun de ces diametres, afin de pouvoir pointer sur différens objets. Voyez Equerre.

Dans les nouvelles équerres d’arpenteur on a ajoûté au centre du cercle un pivot, sur lequel est suspendue une aiguille aimantée, & renfermée dans une boîte couverte d’une glace. L’aiguille parcourt dans ses différens mouvemens la circonférence d’un cercle divisé en trois cens soixante degrés ; & le o de la graduation marqué d’une N (nord) ou d’une fleur de lis, est directement au-dessous d’une des pinnules, ensorte que les autres points cardinaux se trouvent aussi sous les autres pinnules : toute la machine est montée sur un pivot, ou mieux encore sur un genou, sur lequel on peut la tourner librement en tout sens.

On se sert aussi quelquefois de boussoles enfermées dans des boîtes de cuivre ou de bois (ces dernieres sont plus sûres) exactement quarrées, & dont les côtés sont bien paralleles aux diametres qui passent par les points cardinaux.

Celles-ci, par exemple, sont très-commodes pour trouver la déclinaison d’un mur ou d’un édifice, c’est-à-dire, l’angle qu’ils forment avec le méridien du lieu : pour cet effet on applique à une regle posée horisontalement le long du mur le côté de la boîte marqué sud ou nord, suivant que le mur regarde à peu près le septentrion ou le midi ; ensuite on observe quel angle fait la pointe de l’aiguille, ou son pole boreal, avec le méridien tracé sur la boussole, & qui est perpendiculaire à la regle. Cet angle, réduction faite de la déclinaison de l’aimant, exprime en degrés la véritable déclinaison du mur, laquelle est orientale ou occidentale, suivant que l’aiguille s’écarte à l’est ou à l’ouest du méridien de la boussole, dans le cas où ce mur est tourné du côté du midi ; & réciproquement, lorsqu’il regarde le septentrion.

Ceux qui construisent des cadrans solaires verticaux, ont souvent recours à cette méthode pour trouver la déclinaison du plan sur lequel ils veulent tracer, & découvrir jusqu’à quelle heure il peut être éclairé ; ou bien en connoissant la déclinaison de l’aiguille aimantée dans le lieu & au tems de l’opération, ils l’employent pour tracer tout d’un coup une ligne méridienne, & orienter un cadran horisontal : il suffit pour cet effet de poser la boussole sur un plan bien parallele à l’horison, & de faire ensorte en tournant peu à peu la boîte, que le pole boréal de l’aiguille s’arrête du côté de l’ouest ou de l’est, sur un point qui fasse avec celui de O un angle egal à celui de la déclinaison de l’aimant (par exemple, de 17d 10’N. O. pour le 19 Oct. 1750 à Paris) : & en appliquant une regle à l’est ou à l’ouest de la boîte, ils tracent une ligne droite qui est la méridienne. Enfin cette méthode est encore très-utile pour orienter des édifices, des orangeries, des terres chaudes, pour donner une exposition favorable aux étuves, aux greniers, ou aux glacieres.

La Géométrie pratique tire de grands avantages de la boussole, pour lever d’une maniere expéditive des angles sur le terrein, faire le plan d’une forêt, d’un étang, d’un marais inaccessible, ou pour déterminer le cours d’une riviere.

Par exemple, pour lever les angles ADB,BDC, (Pl. d’Arpentage, fig. 11.) on commencera par appliquer bien exactement un des côtés de la boîte de la boussole sur la ligue AD, en sorte que la ligne qui passe par les pinnules du nord & du sud se termine aux points A & D ; ensuite on observera l’angle que fera le pole boréal de l’aiguille avec cette ligne : on appliquera aussi la boussole sur la ligne DB, & on observera de même l’angle que fera l’aiguille avec cette ligne. Maintenant la différence de ces deux angles sera la valeur de l’angle ADB, si l’aiguille s’écarte dans le même sens de la méridienne de la boussole ; ou, ce qui est la même chose, des lignes AD, DB, sur lesquelles elle est posée. Mais si l’aiguille s’écarte de sa méridienne en sens contraire, comme il arrive en la posant sur les lignes BD, DC, la somme des angles observés sera la valeur de l’angle cherché.

On opérera plus exactement si au côté même de la boîte de la boussole est appliqué un parallélepipede creux, qui porte deux pinnules par lesquelles on vise à un objet éloigné : la ligne de mire des deux pinnules doit être parallele au diametre de la boussole d’où l’on commence à compter les divisions. Ce parallélepipede équivalent à une regle à pinnule donne encore un autre avantage : il doit être mobile sur un clou ou pivot, en sorte qu’il puisse s’incliner à l’horison sans sortir du même plan vertical ; ce qui est très-commode, & même nécessaire quand on veut pointer à un objet élevé ou abaissé au-dessous de l’horison, & reconnoître sa direction ou son gisement par rapport aux régions du monde ; ce que les marins nomment relever un objet, parce qu’ils font cette opération avec une boussole ordinaire placée sur le pont du vaisseau, en se mettant dans l’alignement du centre de la boussole & de l’objet dont ils veulent reconnoître le gisement, & qu’ils étendent le bras vers le centre de la boussole, & le relevent ensuite perpendiculairement jusqu’à la rencontre du rocher, du cap, du vaisseau, ou d’un point quelconque : c’est cette opération qu’ils désignent en disant : avons relevé tel cap à tel air de vent. Dans la boussole à pinnules dont nous parlons, & qui est destinée pour la terre, on dirige la pinnule parallele au côté de la boîte de la boussole sur l’objet qu’on veut relever, ou dont on veut connoître le gisement ; & cet objet étant ordinairement éloigné, c’est la même chose que si la regle à pinnule étoit placée sur le centre même de la boussole, quoique cette regle en soit éloignée d’environ trois pouces, qui est au plus la demi-largeur ordinaire de cet instrument, tant pour le rendre plus portatif, que parce que l’expérience a fait voir que c’est la proportion la plus convenable ; les aiguilles plus petites étant trop vives & trop long-tems à se fixer, & les plus grandes trop paresseuses & trop peu libres sur leur pivot.

Pour lever le plan d’une forêt, d’un étang ou d’un marais, on commencera par réduire leur circuit en autant de lignes droites qu’il sera convenable, en mettant des piquets à toutes les courbures un peu considérables : on mesurera tous les côtés de ce polygone, & dirigeant sur chaque côté successivement les pinnules nord & sud de l’équerre, on observera l’angle que forme le pole boréal de la boussole avec ce côté du polygone, en remarquant si l’aiguille s’en écarte à droite ou à gauche : ces observations détermineront les angles que ces côtés forment entr’eux, en usant des mêmes précautions qu’on vient d’indiquer pour lever les angles sur le terrein. Connoissant donc les angles & les côtés du polygone, il sera facile d’en tracer le plan ; il ne s’agira plus que de l’orienter ; ce qu’on exécutera fort aisément, puisqu’on connoît tous les angles que forme la boussole avec chacun des côtés du plan : on en choisira donc un à volonté, auquel on tracera une parallele ; en quelqu’endroit à l’écart on fera avec cette parallele, & dans le même sens, un angle égal à celui que faisoit sur le terrein l’aiguille de la boussole avec ce côté correspondant ; & connoissant cet angle par la déclinaison de l’aimant, qu’on connoîtra d’ailleurs, la ligne qui formera cet angle corrigé avec la parallele, sera la méridienne du plan.

Soit ABCDEF (fig. 12.) une riviere dont on veuille déterminer le cours : on commencera par planter des piquets à tous ses points principaux de flexion, afin de reduire sa courbure en autant de petites lignes droites AB, BC, CD, DE, EF, qu’il sera nécessaire ; on mesurera toutes ces lignes droites, & on déterminera les angles qu’elles font entr’elles, en prenant d’abord celui que chacune d’elles fait avec l’aiguille aimantée : ces opérations donneront le plan de la riviere & de ses détours, & on l’orientera par la méthode qu’on vient d’indiquer tout à l’heure.

On se sert aussi quelquefois pour orienter un plan, d’une autre espece de boussole quelques-uns nomment un déclinatoire : celle-ci ne differe des autres qu’en ce que sa boîte, longue de 6 ou 7 pouces suivant le plus ou le moins de longueur de l’aiguille, n’a qu’environ 2 pouces de large, ce qui suffit pour marquer à droite & à gauche de la pointe de l’aiguille un nombre de degrés, au-moins égal à celui de la déclinaison de l’aimant dans le lieu de l’observation. Alors si l’on fait répondre la pointe de l’aiguille sur la quantité de déclinaison, qu’on suppose connue d’ailleurs, l’axe de la boîte ou son côté qui lui est parallele se trouvera dans la direction du méridien, & pourra servir à tracer sur le terrein une ligne nord & sud, à laquelle on rapportera toutes les autres.

Il faut bien remarquer que toutes les pratiques précédentes, où l’on opére avec la boussole, ne peuvent donner qu’une méridienne approchée, & dont on ne peut au plus répondre qu’à un demi degré près à cause de la petitesse de l’instrument & des petites variations à quoi l’aiguille aimantée est elle-même sujette. Si l’on avoit besoin d’une plus grande précision, il faudroit se servir des moyens que l’Astronomie fournit pour tracer une méridienne ou pour trouver l’azimuth du soleil. Voyez. Méridienne & Azimuth.

Il est plus avantageux de se servir, pour les opérations que nous venons de décrire, des grandes boussoles faites avec des lames d’acier trempé & fortement aimantées, que des petites aiguilles ordinaires : celles-ci sont trop facilement dérangées par les corps magnétiques ou ferrugineux, qui se trouvent répandus dans les différens endroits où l’on opere : cette précaution est sur-tout nécessaire dans les travaux qu’on entreprend dans l’intérieur de la terre, où il se rencontre souvent des corps qui détourneroient trop les petites aiguilles. Qu’on veuille, par exemple, déterminer dans une mine de charbon la direction d’un lieu à un autre, afin de creuser un puits par-dehors, justement à l’extrémité d’une galerie ; on observera premierement dans la mine quel angle fait le pole boréal de la boussole, avec la direction de la galerie, & on fera cette observation à l’extrémité de la galerie qui se trouve au bas de quelque puits déjà fait : & ayant mesuré sa longueur, on fera la même opération en-dehors au haut du puits, & on mesurera cette longueur dans la ligne qui fait avec la boussole le même angle que faisoit avec elle la direction de la galerie, & dans le même sens, ce qui déterminera le point où il faut faire le nouveau puits. Mais s’il y a dans le voisinage des corps magnétiques ou ferrugineux, les petites boussoles seront presque toûjours insuffisantes pour cette opération ; les grandes aiguilles y seront aussi à la vérité un peu sujettes : mais voici un moyen de reconnoître la présence de ces corps magnétiques, & de remédier à cet inconvénient.

On tendra dans le milieu de la galerie & dans sa direction un cordeau le plus long qu’il sera possible, & on fera ensorte qu’il soit bien en ligne droite : on placera la boussole à l’extrémité de ce cordeau, de telle sorte que la ligne fiducielle ou le diametre de la boussole, duquel on commence à compter les divisions, soit bien dans la direction de la galerie : on observera si l’aiguille co-incide avec cette ligne, ou sous quel angle elle s’en écarte & de quel côté : on réitérera cette observation d’espace en espace, en avançant vers le fond de la galerie. Si elle conserve toûjours la même direction par rapport au cordeau dans toute sa longueur, il sera assez probable que rien ne dérange l’aiguille de sa direction naturelle, du-moins à droite ni à gauche : mais si sa direction varie en différens endroits le long du cordeau, le lieu où elle s’écartera le plus de la direction qu’elle a dans le plus grand nombre des points, sera le plus proche du corps qui la détourne ; c’est pourquoi on tirera par ce point une perpendiculaire opposée au côté vers lequel l’aiguille paroît le plus détournée, & on donnera le plus de longueur qu’on pourra à cette perpendiculaire : on tirera par différens points de cette perpendiculaire des paralleles au cordeau, & on examinera aux points où ces paralleles coupent la perpendiculaire, si l’aiguille fait avec les paralleles le même angle qu’elle faisoit avec le cordeau dans la plûpart des points où on n’a pas eu lieu de soupçonner qu’elle fût détournée : si elle fait le même angle, on conclurra qu’on est hors de la sphere d’attraction du corps magnétique, & on connoîtra de cette maniere & par différentes épreuves, la force & l’étendue de ces sortes de corps.

On se sert en mer d’une autre espece de boussole appellée compas de variation, pour reconnoître la déclinaison de l’aiguille aimantée dans le parage où on navige. Il y en a de différentes sortes ; un entr’autres qui n’exige qu’un seul observateur : il est décrit dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, de l’année 1733. Voyez Variation & Compas.

Nous devons tout cet article, à l’exception des alinea marqués d’une étoile, à M. le Monnier, qui nous avoit déjà donné, pour le premier volume, les articles entiers de l’aimant & de l’aiguille aimantée. Voy. ces articles. Voyez aussi Déclinaison, Magnétisme, Amplitude, Azimuth. Les endroits marqués d’une étoile dans cet article sont de M. Formey, qui les a tirés du spectacle de la nature, tom. 4.