L’Encyclopédie/1re édition/BISSUS

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 264).
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* BISSUS, s. m. (Hist. nat. anc.) matiere propre à l’ourdissage, & plus précieuse que la laine. Les plus habiles critiques n’ont pas encore bien éclairci ce que les anciens entendoient par le bissus. Ils en ont seulement distingué de deux sortes : celui de Grece, qui ne se trouvoit que dans l’Elide, & celui de Judée qui étoit le plus beau. L’auteur nous apprend que celui-ci servoit aux ornemens sacerdotaux, & même que le mauvais riche en étoit vêtu : mais comme, sous les noms de bissus, les anciens ont confondu les cotons, les ouates, en un mot tout ce qui se filoit & étoit plus prétieux que la laine, il n’est pas aisé de dire au juste ce que c’étoit, & s’il ne s’en tiroit pas du pinna marina, coquillage ou espece de grande moule de deux pieces, larges, arrondies par en-haut, pointues par en-bas, fort inégales en dehors, d’une couleur brune & lisse en-dedans, tirant vers la pointe sur la couleur de nacre de perles, longues depuis un pié jusqu’à deux & demi, portant à l’endroit le plus large environ le tiers de leur longueur ; & garnies vers la pointe du côté opposé à la charniere, d’une houpe longue d’environ six pouces, plus ou moins, selon la grandeur du coquillage, composée de plusieurs filamens d’une soie fort déliée & brune, qui, regardés au microscope, paroissent creux ; qui donnent, quand on les brûle, une odeur urineuse comme la soie ; & qu’Aristote qui les nomme bissus, ou soie, des coquilles qui les portent, nous dit qu’on peut filer : il n’y a donc guere de doute que cette soie n’ait été employée pour les habits des hommes riches dans un tems où la soie n’étoit que peu connue, & que les anciens ne l’ayent nommée bissus, soit par sa ressemblance avec le bissus, dont ils filoient des étoffes précieuses, soit qu’elle fût elle-même le bissus dont ils faisoient ces étoffes. Ce qu’il y a de certain, c’est que le bissus du pinna marina, quoique filé grossierement, paroît beaucoup plus beau que la laine, & approche assez de la soie : on en fait encore à present des bas, & d’autres ouvrages qui seroient plus précieux, si la soie étoit moins commune. Pour filer le bissus, on le laisse quelques jours dans une cave, afin de l’amollir & de l’humecter ; puis on le peigne pour en séparer la bourre & les autres ordures ; après quoi on le file comme la soie.

Les poissons qui donnent le bissus, s’en servent pour attacher leurs coquilles aux corps voisins ; car, comme ils sont plantés tous droits sur la pointe de leur coquille, ils ont besoin de ces filamens qu’ils étendent tout autour, comme les cordages d’un mât, pour se soûtenir dans cette situation.

De quelque maniere que le pinna marina forme ses filamens, Rondelet nous dit qu’ils sont plus beaux & plus soyeux que ceux des moules, & qu’ils en different autant que la soie differe de l’étoupe. V. Pinna Marina, & les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1712. pag. 204.